Texte intégral
Monsieur le Président de l'Université,
Monsieur l'Ambassadeur,
Monsieur le Député, cher Sylvain Maillard,
Madame la Députée, chère Marie-Pierre Vedrenne,
Chers professeurs, chers étudiants,
Je vous remercie, Monsieur le Président, pour votre accueil dans cette prestigieuse université qui a formé tant de diplomates. Cette petite organisation des Nations unies, comme on surnomme parfois BLCU, est le symbole d'une Chine moderne, innovante et tournée vers le monde. Merci également pour vos mots de bienvenue qui témoignent du lien particulier qui unit votre université à la France. Vous accueillez depuis près de 30 ans l'Alliance française de Pékin dans un partenariat qui a permis de former plus de 50?000 talents francophones. Et ce lien avec la France va continuer à se renforcer grâce au futur centre culturel franco-chinois que nous venons de visiter à l'instant.
Je forme le voeu que de nombreuses vocations puissent naître dans ses murs, parmi les étudiants chinois surtout, mais aussi les Français. Qui sait, le centre formera peut-être le prochain ambassadeur ou la prochaine ambassadrice de France en Chine, peut-être même le futur ou la future ministre des affaires étrangères. Il ou elle suivra alors les traces de Sylvie Bermann, elle-même ancienne élève de l'Université des langues et cultures de Pékin.
Monsieur le Président, c'est à vos étudiantes et étudiants que je voudrais m'adresser aujourd'hui. Chères étudiantes, chers étudiants. Vous avez la chance de fréquenter l'université qui symbolise le choix fait par la Chine en 1978 de s'ouvrir sur le monde. Ce choix a permis au pays de connaître en seulement deux générations un développement rarement égalé dans l'histoire du monde. Vous êtes les héritiers de cette grande tradition d'ouverture et d'échanges qui parcourt l'histoire chinoise depuis la dynastie Tang et Song jusqu'au XXI? siècle.
Dans une époque où la mondialisation est remise en question, où des murs sont trop souvent dressés entre les peuples, vous êtes un pont précieux entre la Chine et l'Europe, entre la Chine et le monde. Aujourd'hui, certains voudraient nous convaincre que le monde est divisé entre un Nord global et un Sud global. C'est une vision réductrice et fausse. Comme je l'ai dit le mois dernier en Afrique du Sud, la vraie ligne de fracture, c'est celle qui sépare ceux qui soutiennent l'ordre international fondé sur la justice et le droit, et les autres. Les partisans du droit d'un côté, et les partisans de la force brutale de l'autre. Or, la boussole de la France n'a jamais varié. C'est celle qui indique la justice. Ce que je veux vous dire, c'est que nous devons collectivement dépasser les logiques de fragmentation et d'enfermement que certains tentent de nous imposer. Les défis planétaires transcendent les intérêts individuels et plus que jamais, nous avons besoin d'esprits ouverts et préparés, agiles et éclairés.
Et vous êtes ici au bon endroit. Car comme le dit le proverbe chinois, quelqu'un qui vous comprend, même au bout du monde, est comme un voisin. Quel que soit votre futur métier, vous serez l'un de ces rouages qui contribuent à apporter de la nuance, à faciliter les échanges, à renforcer la compréhension interculturelle afin de résoudre les malentendus, de parvenir à des compromis pacifiques.
Construire ensemble, c'est ce que la France et la Chine font depuis plus de 60 ans. Nos deux nations ont bâti une relation bilatérale ancrée dans l'histoire, portée au plus haut niveau politique qui se déploie à l'échelle européenne. En effet, la relation franco-chinoise se caractérise en premier lieu par sa profondeur historique. Le général de Gaulle parlait de la Chine comme d'un Etat plus vieux que l'histoire. Et de fait, dès l'époque du roi Louis XIV et de l'empereur Kangxi, des échanges furent noués entre nos peuples. Cette fascination mutuelle se retrouva plus tard chez les philosophes des Lumières, à l'instar de Voltaire qui nourrissait une véritable admiration pour la morale chinoise. Le 27 janvier 1964, la République française et la République populaire de Chine établissaient officiellement des relations diplomatiques. "Le poids de l'évidence et de la raison l'emportait", pour reprendre les mots du général de Gaulle. Dès le 6 juin 1964, le premier ambassadeur de Chine en France, Monsieur Huang Chen, lui présenter ses lettres de créance. S'en sont suivies 60 années d'amitié marquées par le respect mutuel, un esprit d'indépendance partagé et la volonté sans cesse renouvelée de surmonter nos différences pour avancer ensemble.
Notre relation bilatérale s'est construite sur la base d'un dialogue politique porté au plus haut niveau. Je le disais. Nos deux présidents ont su bâtir au fil des années une relation forte, durable et déterminée. La visite d'Etat de Xi Jinping en France en mai 2024 a marqué le point d'orgue des célébrations du 60? anniversaire de nos relations. Ce fut une grande réussite et cette dynamique se poursuit en 2025.
Des contacts de haut niveau sont prévus dans les mois à venir pour permettre de trouver des solutions aux problèmes auxquels nous faisons face et pour nous tourner vers l'avenir. C'est dans ce cadre que je suis venu m'entretenir avec le ministre Wang Yi. Il m'est impossible de parler de la relation entre la France et la Chine, sans parler de celle entre l'Union européenne et la Chine. La France s'est investie, dès les premiers instants et avec la plus grande énergie, dans la construction européenne. Aujourd'hui, l'Europe qui émerge est une Europe forte, une Europe ouverte au monde. Une Europe qui affirme avec une vigueur renouvelée sa volonté d'autonomie stratégique. L'autonomie stratégique, c'est notre capacité à défendre nos intérêts et nos valeurs d'ouverture sur le monde, le respect des règles communes de coopération internationale. Il y a dans l'autonomie stratégique européenne ni esprit de confrontation, ni alignement. L'Union européenne et la Chine célèbrent cette année le 50e anniversaire de la relation bilatérale. Nous avons parcouru ensemble un long chemin et nous sommes déterminés à renforcer notre partenariat d'égal à égal. Avec la volonté de surmonter nos différends et la franchise que se doivent deux pays amis, il impose de rappeler que nous en avons pour apporter une réponse constructive aux bouleversements du monde.
Nous sommes donc résolument tournés vers l'avenir, vers le devenir. Comme l'écrit l'écrivain et poète François Cheng, né en Chine, et devenu membre de l'Académie française. Son nom-même, Cheng, évoque l'unité. L'unité de la pensée chinoise et de l'esprit français, du taoïsme et du christianisme qu'il a embrassé. "L'essence de ces deux voix, écrit-il, réside dans le devenir". Lorsque l'on se situe dans le devenir, tout est ouvert.
Permettez-moi de vous parler de l'avenir et j'identifie trois priorités pour cette année 2025 : la résolution des crises internationales, les échanges humains et les enjeux globaux.
Je commencerais par la résolution des crises internationales et par la défense du multilatéralisme. Ensemble, nous devons oeuvrer à la résolution des crises qui bouleversent notre monde. La France et la Chine ont, j'en suis persuadé, un rôle décisif à jouer pour porter un dialogue de paix et de stabilité.
Le monde est aujourd'hui en proie à de fortes incertitudes. Le rythme des crises s'accélère, des foyers de tension réapparaissent et se renforcent. L'embrasement régional menace en plusieurs points de la planète. La guerre d'agression russe en Ukraine a ébranlé toutes nos certitudes. Nous pensions que l'Europe ne connaîtrait plus de conflits mondialisés. Nous pensions aussi que les grandes puissances, et en particulier les cinq puissances nucléaires, dont nos deux pays, étaient à la hauteur de leurs responsabilités et avaient depuis longtemps renoncé à l'expansion territoriale.
L'invasion à grande échelle de l'Ukraine par la Russie a tout changé car elle a fragilisé les fondations de l'ordre international telles que la souveraineté et l'intégrité territoriale, et créé ainsi un terreau favorable à une multiplication des crises. Nos deux pays, en tant que membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, ont la responsabilité de trouver ensemble des réponses à apporter à ces crises. En Ukraine, il ne peut y avoir de paix juste et durable sans la pleine implication de l'Ukraine et de l'Union européenne. Le ministre, Wang Yi, en est également convaincu et l'a encore répété à Munich en février et j'y suis particulièrement sensible. Et s'agissant du multilatéralisme, moi qui fus et demeure un économiste, un enseignant et un chercheur attaché à la vérité des faits.
Je voudrais, devant vous faire un rappel utile, n'en déplaise à ceux qui voudraient réécrire l'histoire. L'entrée de la Chine, il y a 25 ans, dans l'Organisation mondiale du commerce a très certainement fait croître la richesse mondiale et reculer la pauvreté. Dans certains pays de l'Europe ou de l'Amérique du Nord, cependant, des régions entières ont été bousculée par la concurrence des importations, avec des conséquences économiques et politiques considérables, et nous devons nous interroger sur les politiques qui ont été menées dans ces pays, face à ces grands bouleversements. Dans mon pays, il a fallu attendre 2017 et l'élection d'Emmanuel Macron pour qu'une politique ambitieuse soit mise en oeuvre, pour que des élus... des usines rouvrent après des années de désindustrialisation. Et c'est ainsi que la France est depuis 5 ans le pays le plus attractif en Europe pour les investissements étrangers. Et je veux le redire ici, ce qui a permis à la Chine de s'élever, de contribuer positivement à la richesse du monde et au recul de la pauvreté, c'est le cadre multilatéral de l'Organisation mondiale du commerce, dans le respect des principes fondateurs d'équité et de réciprocité et la condition nécessaire d'une prospérité partagée.
La deuxième grande priorité que j'identifie, je le disais et je le dis ici à BLCU, ce sont les échanges humains. Notre relation bilatérale vise à servir les intérêts de nos deux peuples. Elle doit bénéficier aux Chinois et aux Français tout en les rapprochant. Certains d'entre vous ont déjà fait entrer un peu de France dans leur vie.
Notre mission est de faciliter et d'encourager ces liens. Nous y parviendrons grâce à la demande à la langue clé de la culture qui permet de comprendre une façon de vivre et de penser le monde. J'aimerais donc répéter devant vous l'importance de l'apprentissage de nos langues respectives, le mandarin et le français.
Le français est parlé par plus de 340 millions de personnes sur tous les continents, en Europe, en Afrique, où elle est l'une des langues les plus parlées, en Asie et dans le Pacifique. Au total, la Francophonie réunit près de 90 pays. Vous l'aurez compris, le français est une langue d'avenir. Je souhaite que nous redoublions d'efforts pour offrir à notre jeunesse, à vous tous, les moyens d'apprendre nos deux langues respectives.
Il y a aujourd'hui 115.000 apprenants du français en Chine et 80.000 apprenants du chinois en France. Nous pouvons faire mieux et au-delà de l'apprentissage de la langue, nous devons aider les jeunesses françaises et chinoises à partir à la rencontre l'une de l'autre. On compte aujourd'hui plus de 27.000 étudiants chinois en France, contre seulement un millier d'étudiants français effectuant leurs études en Chine. C'est trop peu. Face à cette situation, l'ensemble des acteurs de l'enseignement supérieur va redoubler d'efforts. L'Université des langues et cultures de Pékin est en première ligne et je tiens à saluer, Monsieur le Président, les efforts que vous déployez. Votre université accueille plus de 400 apprenants chinois étudiants le français et dispose déjà d'une vingtaine de partenariats avec des établissements français prestigieux comme l'Ecole normale supérieure, l'INALCO ou l'ESC Clermont. Cette mobilisation est collective et j'y prendrai toute ma part. À l'été, nous coprésiderons avec le ministre Wang Yi, le septième dialogue de renouveau sur les échanges humains, l'un de nos trois grands dialogues bilatéraux. Le président Xi Jinping a fixé pour objectif 10.000 étudiants français en Chine en 2027. La barre est haute, mais nous sommes prêts à travailler ensemble pour l'atteindre.
C'est enfin sur le soutien à la coopération scientifique que nous devons porter nos efforts. La science occupe aujourd'hui une place essentielle pour favoriser notamment la transition écologique et protéger la biodiversité. En science, la coopération n'est pas une option, c'est un impératif. Nos deux gouvernements ont fait beaucoup au cours des deux dernières années pour accompagner la reprise des mobilités de nos chercheuses et chercheurs après l'arrêt quasi complet des déplacements due à la pandémie de Covid-19. Nous avons ainsi relancé le partenariat Hubert Curien-Cai Yuanpei pour financer cette mobilité.
Quand je vous parle science, je parle de toutes les sciences, y compris les sciences humaines et sociales, que la plupart d'entre vous ont choisi. Ces disciplines sont fondamentales dans le développement de nos sociétés modernes, car il ne saurait y avoir d'intelligence artificielle efficace et utile sans une réflexion en profondeur sur les enjeux éthiques, l'impact sur le travail et l'éducation des plus jeunes.
Deux coopérations importantes ont été développées par nos deux pays. Je pense notamment à l'Institut franco-chinois de Renmin à Suzhou, créé en 2010, en partenariat avec Sorbonne Universités et KEDGE Business School. L'IFC accueille avec plus de 700 étudiants chinois dont près de la moitié effectuent des mobilités en France. Cette initiative doit servir d'exemple afin que les établissements de nos deux pays multiplient les coopérations en sciences humaines et sociales.
Et puis, après le multilatéralisme et les échanges humains, je veux parler de la troisième priorité de notre partenariat pour 2025, ce que l'on appelle les enjeux globaux.
2025 est une année cruciale pour la protection de l'environnement et la lutte contre le réchauffement climatique. Nous sommes au coeur de la décennie d'action identifiées par les Nations-Unies. Dix années décisives si nous souhaitons pouvoir atteindre les objectifs de l'Accord de Paris de 2015, il y a dix ans. La responsabilité de nos deux pays à parler d'une seule voix et à agir ensemble sera déterminante. La France et la Chine doivent continuer à jouer un rôle moteur au sein des enceintes multilatérales. Notre objectif commun doit être de convaincre une masse critique de pays de rehausser leurs ambitions environnementales.
Beaucoup de jeunes Français me disent combien ils sont inquiets pour l'avenir de notre planète et celui des générations futures. Je les comprends. Nos deux pays ont déjà beaucoup oeuvré pour apporter des solutions à ces grands défis. En 2015, le partenariat franco-chinois a donné une impulsion décisive aux négociations dans le cadre de la COP 21, qui a permis d'aboutir à l'Accord de Paris. En 2019, c'est encore la France et la Chine qui ont redonné un élan politique aux efforts multilatéraux avec l'appel de Pékin sur la conservation de la biodiversité et le changement climatique. L'appel de Pékin est intervenu dans un contexte de désengagement américain qui, hélas, est à nouveau d'actualité. En 2024, c'est une fois de plus la volonté politique forte de nos deux présidents qui a permis d'adopter la feuille de route de Kunming-Montréal à Nice. Malgré les difficultés et la remise en cause du multilatéralisme qui fragilise notre capacité à répondre collectivement aux enjeux globaux, nous devons poursuivre cette dynamique et intensifier nos efforts.
En juin 2025, la France accueillera la troisième Conférence des Nations unies sur l'océan, qui a vocation à être pour l'océan l'équivalent de ce que l'Accord de Paris a été pour le climat. Ce sera donc un moment fondateur pour la construction d'une gouvernance des océans et la mobilisation de tous les acteurs en faveur d'actions concrètes et porteuses.
Je ne doute pas que la participation active de nos deux pays aura un effet d'entraînement majeur et permettra la réussite de cette conférence. Nous nous dirigerons ensuite vers la COP 30 de Belem au Brésil en novembre. La grande priorité de cette trentième conférence des parties prenantes, c'est la publication des nouvelles contributions déterminées nationales. Chaque pays doit annoncer les mesures et les politiques qu'il compte mettre en place pour les cinq années à venir en vue d'atteindre la neutralité carbone. La Chine et l'Union européenne, je le redis, font déjà beaucoup pour lutter contre le changement climatique. Nous devons être encore plus ambitieux et surtout être ambitieux ensemble pour montrer l'exemple et inciter la communauté internationale à agir plus vite, plus fort et de manière coordonnée.
Avant de conclure, permettez-moi de souligner que la transition énergétique est porteuse de nombreuses opportunités économiques, en particulier dans les domaines de la décarbonation et des énergies renouvelables. Et je tiens d'ailleurs à saluer les progrès réalisés par la Chine en l'espace de quelques années en matière de développement des énergies renouvelables. Le potentiel de coopération franco-chinois dans ces domaines est considérable. Les investissements en Chine de nos entreprises, EDF dans le secteur de l'électricité, Totale énergie dans la capture du carbone, Air Liquide dans l'hydrogène sont des exemples que je tiens à encourager fortement.
J'évoquerai tout à l'heure avec le ministre le nouvelles pistes de coopération avant de me rendre demain à Shanghai, à la rencontre des entreprises françaises présentes en Chine et qui souhaitent renforcer leur coopération.
Le message de ma visite. Vous l'aurez compris, est simple. Nous avons besoin d'une relation bilatérale plus forte que jamais entre la France et la Chine. Pour paraphraser le général de Gaulle, une nouvelle fois, je sais que la France peut compter sur les trésors de courage et d'ingéniosité que le peuple chinois est capable de produire, quelque soient les circonstances. La Chine peut également compter sur le génie du peuple français, son courage et son panache. Plus que jamais, le contexte actuel exige un partenariat franco-chinois puissant au service de la stabilité géopolitique, de la prospérité et de l'avenir de notre pays. Ensemble, portons le lien qui nous unit vers de nouveaux sommets. C'est notre devoir. C'est votre devoir. À vous de contribuer déjà à cette ambition et qui contribuerez encore davantage demain. Soyez les acteurs de cette belle relation qui unit nos peuples et acceptez l'invitation qui vous êtes adressée par le poète François Cheng.
"Ne quémande rien. N'attends pas. D'être un jour payé de retour. Ce que tu donnes trace une voie. Te menant plus loin que tes pas."
Que ces mots puissent vous inciter à l'action.
Je vous remercie pour votre attention.
Je vous remercie pour votre accueil et je vais maintenant répondre à vos questions.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mars 2025