Texte intégral
Q - Et tout de suite c'est l'invité de RTL Matin. Thomas, vous recevez Laurent Saint-Martin qui a attentivement écouté François à l'instant, le ministre délégué en charge du commerce extérieur et des Français de l'étranger.
Q - Bonjour et bienvenue sur RTL, Laurent Saint-Martin.
R - Bonjour.
Q - Justement, je vous ai vu ouvrir des grands yeux en écoutant François Lenglet. Est-ce que demain la France prêtera au Trésor des États-Unis sans intérêts sur une durée de 100 ans et répondra à un chantage pareil ? Est-ce que c'est même envisageable ?
R - Bon, d'abord, vous savez, dans le contexte actuel, depuis maintenant deux, trois mois, il faut regarder ce qui est concret et de ce qui est de l'ordre des annonces ou des éditos, avec tout le respect que j'ai pour François Lenglet. D'abord, évidemment, ce qui est juste c'est que nous sommes rentrés dans une nouvelle ère. Il y a un nouvel ordre mondial qui est...
Q - Erratique.
R - ...Imposé et sur lequel il nous faut nous adapter et sortir d'une forme de naïveté en Europe. Ça, nous le disons avec Emmanuel Macron, avec Jean-Noël Barrot, le ministre des affaires étrangères, depuis maintenant trois mois. Il faut savoir nous adapter et dialoguer. Qu'on soit très clair...
Q - Mais est-ce qu'on peut dialoguer vraiment avec cette administration américaine ?
R - Il le faut et je le fais moi-même régulièrement.
Q - Mais est-ce que vous n'avez pas l'impression qu'ils changent d'avis... Regardez, si on prend l'exemple, alors ce n'est pas votre domaine mais... Il se rue sur Poutine hier et dans la nuit il se rue sur Zelensky et demain sur qui ? Est-ce qu'on peut faire du business dans ces conditions ?
R - Là où vous avez raison, c'est que les prises de position et de parole varient souvent. Et que donc, il nous faut avoir un dialogue stable possible avec l'administration Trump. C'est ce que je fais à mon niveau, avec le secrétaire au commerce Howard Lutnick. C'est ce que fait aussi beaucoup la Commission européenne, notamment sur le sujet des droits de douane. En ce moment même, et d'ici le 2 avril où il devrait y avoir des annonces de hausses de droits de douane possibles, eh bien il y a un dialogue constant. Mais quand je dis constant, c'est toutes les heures, entre l'Europe et l'administration américaine.
Q - Je comprends, mais est-ce que ça change toutes les heures ?
R - Ce que je peux vous dire, c'est qu'on n'est pas du tout en lien rompu, on n'est pas du tout hors négociation. Tout ne se sait pas et tout ne se dit pas. Mais il y a évidemment un dialogue avec eux, et un dialogue d'ailleurs qui va plutôt dans le bon sens. En tout cas, j'espère que la finalité sera positive pour nos industries européennes.
Q - Alors venons-en, on peut dire que la guerre commerciale a débuté avec les Américains. Est-ce que vous pouvez nous dire ce que contient exactement la lettre envoyée par Donald Trump via l'ambassade américaine à plusieurs grandes entreprises françaises ? Qu'est-ce qu'ils demandent aux entreprises françaises ?
R - Pour faire simple, de renoncer aux politiques d'inclusion qui sont la loi, tout simplement, française et parfois européenne, notamment sur l'égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre les discriminations, contre le racisme, la promotion de la diversité pour aider les personnes en situation de handicap. Tout ceci, ce sont des avancées qui correspondent d'abord à nos valeurs françaises, nous en sommes fiers et nous ne voulons pas transiger sur cela.
Q - Donc c'est non ?
R - Mais je crois qu'on ne peut pas transiger sur le fait que les politiques d'inclusion qui font progresser l'égalité dans notre pays - c'est une valeur cardinale, fondamentale de notre République française - peuvent être remises en question comme ça du jour au lendemain. Donc ce n'est pas souhaitable. Et puis par ailleurs, sur la forme...
Q - Attendez, pour qu'on comprenne bien. Au risque, parce que c'est que disent les Américains, ils disent : "Si ces entreprises ne renoncent pas à leur politique pour la diversité, ils ne pourront plus faire de business avec les Américains".
R - Moi, je considère que nous n'avons pas les mêmes valeurs quand nous disons cela et que ce n'est pas acceptable d'imposer cela à des entreprises françaises soumises à la loi française, faut-il le rappeler. Ce qu'elles font, les entreprises françaises, ce n'est rien d'autre qu'appliquer la loi de leur propre pays. On ne peut pas, comme cela, du jour au lendemain, annuler l'application de nos propres lois. Ça s'appelle de l'extraterritorialité, en termes un peu technique. Ça serait un pas de plus dans l'extraterritorialité américaine, mais cette fois-ci sur le champ des valeurs. Permettez-moi d'être profondément choqué et très attentif, et nous allons avoir une discussion avec l'ambassade des États-Unis en France là-dessus, parce qu'il nous faut comprendre quelle est vraiment l'intention derrière cela.
Q - Vous ne craignez pas que les entreprises françaises, du coup, aillent aux États-Unis et se disent : "Il faut se plier, sinon on est mort".
R - Mais d'abord, des entreprises françaises aux États-Unis, il y en a déjà beaucoup. Beaucoup. Et il y a aussi beaucoup d'entreprises américaines en France. C'est pour cela que nous avons besoin l'un de l'autre, que nous sommes des partenaires commerciaux de premier rang. Donc cela, c'est déjà le cas, j'ai envie de vous dire. Ce qu'il faut, c'est se respecter aussi dans nos règles et nos lois respectives. Imaginez le contraire. Est-ce qu'on accepterait, côté américain, que la France dise : "Je veux que toutes les entreprises américaines qui ont un lien avec la France appliquent nos lois françaises ?" Je pense qu'ils bondiraient. Et ils auraient raison. Et bien comprenez aussi que de notre côté, nous ne sommes pas satisfaits de voir effectivement ces injonctions-là sur des entreprises françaises.
Q - Le non, ce n'est pas à chaque entreprise de décider, c'est une position gouvernementale française.
R - C'est par définition à l'entreprise de décider. Nous ne sommes pas dans une économie administrée, en France. Je vous dis juste que là, ce lundi matin, mais nous devons avoir une discussion, encore une fois, avec l'ambassade américaine à ce sujet-là, je considère qu'imposer et demander à ce niveau-là de revenir sur des politiques qui sont chères à la France, qui sont des politiques d'inclusion, d'égalité, de promotion des personnes en situation de handicap n'est pas acceptable.
Q - C'est une forme de racisme de la part des États-Unis, ces exigences ?
R - Ce qui est sûr, c'est que nous ne partons pas des mêmes valeurs. Cela se voit de plus en plus. Et que de la même façon que le vice-président américain, lors de la conférence de Munich, était venu parler en Europe sur le terrain des valeurs, vous voyez que là, dans le monde de l'entreprise désormais, nous avons des divergences importantes sur le champ des valeurs. Et ça, il va falloir le regarder en face.
Q - Il vaut mieux perdre un marché que de perdre son âme, c'est ce que vous nous dites ce matin ?
R - Je ne donne pas de leçons à nos entreprises françaises ce matin. Je comprends la situation dans laquelle elles sont, qui est difficile, parce que beaucoup dépendent des marchés américains, c'est vrai.
Q - C'est compliqué.
R - Pour ça, il faut diversifier les marchés. Et je reviens, par exemple, d'une tournée en Amérique latine, notamment dans son voisin mexicain, il y a beaucoup d'opportunités de diversification pour nos entreprises françaises, ça c'est le premier point. Mais c'est vrai qu'on a besoin de nourrir un agenda positif avec les États-Unis. Vous ne me trouverez jamais, ni le Gouvernement ni le Président de la République, dans un agenda belliqueux vis-à-vis des Américains. On est là pour négocier, on est là pour faire de la diplomatie économique.
Q - Les baffes, elles partent de là-bas... Qu'elles ne partent pas de France, c'est clair, mais elles partent de là-bas, les baffes.
R - Oui. Et donc qu'est-ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. Et puis il y a le champ du dialogue et le champ de la négociation.
Q - Dans ce contexte compliqué, erratique, est-ce que notre commerce extérieur est déjà pénalisé par tout ce qui se passe depuis deux, trois mois ?
R - Nos économies le sont. Cela crée de l'attentisme. Vous êtes un investisseur, vous avez besoin de stabilité, vous avez besoin de comprendre qui sont vos partenaires de moyen et de long terme. Et donc ce qui se passe depuis le début de l'année est naturellement de nature à ralentir des décisions d'investissement, à inquiéter les exportations françaises...
Q - Vous savez le chiffrer déjà, sur notre commerce extérieur, ou pas ?
R - Non. On ne sait pas encore le chiffrer...
Q - Mais ça aura un impact négatif ?
R - Cela peut en avoir un, en fonction de comment se terminera, effectivement, cette séquence de négociations commerciales. Mercredi, il va y avoir une date importante. Mercredi, ce sera les annonces du gouvernement américain et de Donald Trump sur, justement, la hausse des droits de douane qui vont toucher nos entreprises européennes. À l'heure où on se parle, on est encore en train de discuter. Vous allez peut-être me taxer d'éternel optimiste, mais je crois qu'on peut encore éviter une guerre commerciale totale.
Q - Vous êtes très optimiste.
R - Non. Je crois que les dialogues que l'on a sont positifs. Parce que ce que veut vraiment la Commission européenne, et la France la soutient à 100%, c'est éviter une guerre commerciale qui serait néfaste.
Q - Il faudra répondre durement si jamais les Américains restent en position dure ?
R - Bien sûr.
Q - Oeil pour oeil, dent pour dent ?
R - Bien sûr qu'il faut appliquer des mesures de rétorsion. C'est tout simplement une question de rapport de force. L'Europe ne sera jamais unie et forte si elle se laisse faire dans une guerre commerciale qu'elle n'a pas souhaitée. En revanche, elle doit toujours amener un agenda positif, c'est-à-dire ce qu'on appelle en technique le 0 pour 0 : plutôt baisser les droits de douane, plutôt que d'essayer d'être dans un rapport d'augmentation inflationniste permanent.
(...)
Q - Il paraît qu'Emmanuel Macron est de mauvais poil, justement parce que le Gouvernement n'agit pas assez. C'est vrai, ça ?
R - Je crois que le Gouvernement est au travail tous les jours.
Q - Il est de mauvais poil, le chef de l'État ?
R - Je ne le crois pas. Je crois qu'il est déterminé sur, notamment, la scène internationale, entre tous les efforts qui sont déployés pour trouver une solution de paix durable et juste en Ukraine et tous les sujets...
Q - Attendez.... Éléments de langage. La vraie réponse : il est de mauvais poil ou pas ?
R - À quel moment ce sont des éléments de langage ? Vous avez vu ce qu'il s'est passé ces dernières semaines par l'initiative du Président de la République ? Vous l'avez vu ? C'est tout sauf des éléments de langage. Construire une paix juste, durable en Ukraine, j'espère que c'est tout sauf des éléments de langage. Je crois que c'est une réalité essentielle pour l'avenir de l'Europe.
Q - Je vous dis est-ce qu'il est de mauvais poil, vous me dites qu'il faut construire une paix juste et durable en Ukraine, on est... bien. Merci beaucoup.
R - Je crois qu'on est là où il faut être.
Q - Merci Laurent Saint-Martin d'être venu sur RTL ce matin.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er avril 2025