Interview de M. Marc Ferracci, ministre délégué, chargé de l'industrie et de l'énergie, à RMC Info le 2 avril 2025, sur les tensions commerciales avec les États-Unis, les ventes de voitures neuves et le prix de l'électricité.

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Média : RMC Info

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
Il est 7h 43 sur RMC, et RMC Story. L'industrie française est menacée. Bonjour Marc FERRACCI, vous êtes le ministre de l'Industrie et de l'Énergie. Merci d'être dans ce studio pour répondre à mes questions. Donald TRUMP, qui promet de taper fort, il va annoncer aujourd'hui, 22 h heures française, les produits qui seront taxés lorsqu'ils seront importés aux États-Unis. On va en parler dans un instant, mais d'abord je voudrais vous poser une question sur la situation de l'industrie automobile française. RMC a dévoilé, hier en avant-première, ces chiffres de la production automobile française. En recul de 10%, est-ce que c'est inquiétant ? Est-ce que c'est inéluctable ? Est-ce qu'on peut inverser la tendance ?

MARC FERRACCI
C'est inquiétant, mais ce n'est pas inéluctable. C'est inquiétant parce que ça témoigne des difficultés qui sont là depuis un certain temps. Une compétition internationale qui est féroce, qui ne s'exerce d'ailleurs pas toujours dans des conditions loyales, puisqu'on a notamment du côté de la Chine, des véhicules qui sont extrêmement subventionnés, les véhicules électriques. Et puis, vous avez une demande de véhicules automobiles à la fois thermiques et électriques qui est en berne, et c'est pour ça qu'on a besoin de réagir. On est en train de réagir, on a fait avec Stéphane SEJOURNE, le Commissaire européen, des annonces il y a quelques semaines sur un plan de soutien à la filière automobile européenne pour soutenir la demande en, par exemple, mettant un certain nombre de contraintes pour que les entreprises électrifient leur flotte et achètent des véhicules électriques. Vous savez qu'un véhicule sur deux en France, même encore plus en Europe, est acheté par des entreprises au titre de leur flotte professionnelle.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est la flotte professionnelle.

MARC FERRACCI
Exactement. Et donc, il y a ici un levier pour aller plus vite vers le véhicule électrique. C'est ce qu'on actionne. On va soutenir également nos constructeurs dans leurs investissements. On va soutenir la filière des batteries. On va essayer aussi de sortir d'une forme de naïveté, parce que l'Europe a longtemps été assez naïve, pas simplement sur l'automobile d'ailleurs, mais sur un certain nombre de secteurs, les industries lourdes, l'acier, la chimie, vis-à-vis de concurrents internationaux qui ne respectent pas les règles. Je pense qu'on est à un moment crucial, un moment de bascule, pour notre industrie automobile en particulier. Les annonces que nous avons faites, elles vont se traduire en actes dans les prochains mois.

APOLLINE DE MALHERBE
Quand ?

MARC FERRACCI
Écoutez, la Commission européenne, aujourd'hui, travaille à différents paquets législatifs qui seront pris d'ici l'été.

APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire que les annonces que vous avez faites, elles ne sont pas encore entrées en application ?

MARC FERRACCI
Alors, certaines en réalité ont été prises au niveau français.

APOLLINE DE MALHERBE
On sait que l'Europe est parfois très, très lente.

MARC FERRACCI
C'est vrai, c'est la raison pour laquelle d'abord il faut mettre la pression, et nous l'avons fait. Nous avons accéléré le calendrier. Et puis, il faut agir au niveau français parce qu'il n'y a pas que les sujets européens. Il y a aussi, comme je le dis, la nécessité de faire nos devoirs, c'est-à-dire réformer ce qui a besoin d'être réformé en France. Sur cette question de l'électrification, nous avons pris un amendement pour le budget 2025 qui met des contraintes financières aux entreprises pour acheter des véhicules électriques. Donc ça, c'est déjà en vigueur. Donc concrètement, il faut agir avec tous les leviers dont nous disposons. C'est la politique industrielle, c'est aussi la politique commerciale.

APOLLINE DE MALHERBE
Marc FERRACCI, les ventes de voitures neuves souffrent aussi pour le mois de mars. Moins de 17% pour le groupe STELLANTIS. RENAULT-DACIA qui résiste à peu près, et TESLA qui carrément s'effondre. Alors là, on sait que c'est aussi le contexte international et l'image d'Elon MUSK. Luc CHATEL, qui est à la tête de la plateforme automobile, dénonce l'entrée en vigueur des malus sur les voitures thermiques et les baisses d'aides aux voitures électriques. Vous disiez à l'instant les contraintes que vous alliez mettre aux entreprises pour qu'elles achètent électriques. Mais dans le même temps, on a des particuliers qui ont le sentiment que désormais, toutes les aides sur lesquelles ils pouvaient compter ne sont plus là. Qu'est-ce que vous pouvez leur dire ?

MARC FERRACCI
D'abord, c'est inexact. Nous avons maintenu le bonus, même si nous l'avons réduit, compte tenu des contraintes budgétaires qui sont les autres. D'autres pays ont fait des choix différents. L'Allemagne a purement et simplement supprimé son bonus écologique pour l'achat de véhicules électriques. Et en France, nous avons fait le choix de le maintenir, nous avons fait le choix de continuer à soutenir la filière différemment en recentrant les aides. Et en tout état de cause, nous avons également, comme je le disais, mis en place d'autres relais qui ne coûtent pas d'argent public, et en particulier des contraintes pour électrifier les flottes professionnelles. C'est un élément extrêmement important. Donc, nous maintenons le cap, c'est ça que je veux dire. Nous maintenons le cap et nous aidons également un certain nombre d'entreprises, notamment les équipes anti-automobiles, parce qu'il n'y a pas que les constructeurs, à se diversifier. Vous le savez, nous avons des enjeux, compte tenu du contexte international, pour renforcer nos industries de défense. Il y a un certain nombre d'opportunités de diversification…

APOLLINE DE MALHERBE
Cela veut dire que les usines qui fabriquaient des voitures pourraient fabriquer des canons ?

MARC FERRACCI
Ou qui fabriquaient des blocs moteurs pour aller plus vite, c'est-à-dire qui fournissaient des constructeurs automobiles, avec des choses qui étaient beaucoup attachées aux véhicules thermiques, pourraient aller vers d'autres industries, notamment les industries de défense.

APOLLINE DE MALHERBE
Et ça, c'est un motif d'espoir éventuellement pour les salariés, parce qu'on a parlé des constructeurs, on a parlé des consommateurs, mais il y a évidemment tout le secteur et le bassin d'emploi.

MARC FERRACCI
Tout à fait, et je vous donne un exemple. Nous avons une entreprise qui s'appelle FONDERIE DE BRETAGNE, qui produisait pour le secteur automobile, qui était un fournisseur de Renault, qui était même une fidèle de RENAULT, qui, aujourd'hui, est en difficulté, mais il y a un projet de reprise. Un projet de reprise qui est précisément basé sur la fabrication de corps d'obus, c'est-à-dire la fabrication d'outils pour les industries de défense. Donc, on a ces opportunités, le terme d'opportunité est peut-être un peu fort, parce que je n'aime pas parler d'opportunités dans un contexte comme celui-là, mais en tout état de cause, il faut évidemment permettre à tous ceux qui le peuvent de se diversifier.

APOLLINE DE MALHERBE
Marc FERRACCI, Donald TRUMP veut, je cite, " Fêter aujourd'hui le jour de la libération ", imposer les droits de douane aux produits importés aux États-Unis. Libération pour eux, condamnation pour nous ?

MARC FERRACCI
D'abord, rappelez que ce n'est pas nous, c'est-à-dire que ce n'est pas l'Europe, qui avons voulu cette situation, qui avons voulu ce qu'il pourrait être, ce soir nous verrons les annonces, un début de guerre commerciale. L'Europe est toujours du côté de la négociation, l'Europe est toujours du côté de l'apaisement, parce que la guerre commerciale ne fait que des perdants. La guerre commerciale, c'est des tarifs qui augmentent pour les consommateurs, en Europe et aux États-Unis. Ce sont des emplois qui sont détruits parce que les volumes qui sont vendus diminuent, et ça c'est un élément qui touchera aussi les États-Unis, quoi qu'on en dise. Nous ne sommes pas à l'origine de cette situation, mais il faut bien se le dire…

APOLLINE DE MALHERBE
Vous n'êtes pas les agresseurs, vous êtes les agressés, mais le résultat, ce sera le même.

MARC FERRACCI
L'Europe répondra, ça a déjà été annoncé, ça a été annoncé par la présidente de la Commission européenne, donc, il y a un plan de contre-mesure, proportionné, j'insiste sur le terme proportionné, c'est-à-dire qu'il va toucher les mêmes volumes que les annonces qui seront faites par l'administration américaine.

APOLLINE DE MALHERBE
On ne va pas monter, on ne va pas escalader.

MARC FERRACCI
Non, exactement. Proportionner, c'est très important, parce que nous ne souhaitons, en aucun cas, aller vers une forme d'escalade, mais au moment de commencer une négociation, il faut montrer que nous sommes en capacité de répondre, et c'est ce que, je pense, la Commission fera très vite, mais nous avons besoin d'abord de savoir ce que sont les annonces de Donald TRUMP.

APOLLINE DE MALHERBE
Donc, en fonction de ce qu'il annonce ce soir, dès demain, l'Europe pourrait répliquer ?

MARC FERRACCI
Alors ça, ce n'est pas moi qui tiens le calendrier, mais il faut que ça aille très vite, il faut que les Européens manifestent une grande unité sur ce sujet, ça n'a pas toujours été le cas.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous en doutez ?

MARC FERRACCI
Non, justement, je n'en doute pas, j'étais encore hier à discuter avec certains de mes homologues, et je pense qu'il y a une prise de conscience. La prise de conscience que l'Europe doit maintenant affirmer une forme de rapport de force dans tous les domaines, être moins naïve, je le disais tout à l'heure, en matière de protection de ses industries et de ses entreprises. L'idée, ce n'est pas de remettre en question le commerce international et l'ouverture des frontières, parce que ça crée des richesses, mais l'idée, c'est de jouer armes égales, et d'affirmer la réciprocité des principes en matière de commerce.

APOLLINE DE MALHERBE
Une dernière question sur le prix de l'électricité, parce qu'il y a cette alerte des députés de droite et du centre qui disent, je cite " Le prix de l'électricité pour les particuliers va doubler ". Une question en rapport avec la programmation pluriannuelle de l'électricité et de l'énergie, en gros, c'est l'idée de dire, il y aura plus de renouvelables, donc ce sera plus cher. Qu'est-ce que vous répondez ? Est-ce que vous pouvez dire à ceux qui nous écoutent aujourd'hui que le prix de l'électricité ne va pas doubler ?

MARC FERRACCI
Cette analyse, je ne sais pas quels sont ses sous-jacents, mais elle n'a, aujourd'hui, aucun fondement. En 2026, il y a effectivement un nouveau système qui sera mis en place, qui prend la suite de ce qu'on appelle l'arène, je ne vais pas rentrer trop dans les détails. Ce système, il n'aboutira aucunement à une augmentation des tarifs réglementés de l'électricité.

APOLLINE DE MALHERBE
Pas d'augmentation ?

MARC FERRACCI
Non, vous savez que les tarifs réglementés de l'électricité, c'est quelque chose que nous défendons, que je défends, j'ai encore répondu hier à l'Assemblée nationale, au niveau européen, nous y sommes très attachés. Les prix de l'électricité pour les particuliers, ils ont baissé de 15% au 1er février, et l'année prochaine, le système qui sera mis en place, les projections dont nous disposons, montrent que ça n'engendrera pas de hausse des prix de l'électricité.

APOLLINE DE MALHERBE
Merci Marc FERRACCI d'être venu dans ce studio, ce matin. Vous êtes le ministre de l'Industrie et de l'Énergie.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 avril 2025