Interview de M. Éric Lombard, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, à BFM TV le 4 avril 2025, sur les tensions commerciales avec les États-Unis et la politique économique du gouvernement.

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Média : BFM TV

Texte intégral

APOLLINE DE MALHERBE
Il est 8h32 et vous êtes bien sur RMC et BFM TV. Bonjour Éric LOMBARD.

ÉRIC LOMBARD
Bonjour Apolline De MALHERBE.

APOLLINE DE MALHERBE
Merci d'être dans ce studio ce matin. Vous êtes le ministre de l'Économie et des Finances. On a particulièrement besoin de vos réponses ce matin après les déclarations fracassantes de Donald TRUMP. On va parler croissance, chômage, inflation, quelles conséquences pour la France et pour les Français. Emmanuel MACRON qui parle d'une décision brutale et infondée. Première question, est-ce qu'on peut encore y échapper ?

ÉRIC LOMBARD
On va tout faire pour y échapper. C'est une décision qui va d'abord toucher le peuple américain. Je veux que chacun comprenne bien de quoi il s'agit. Donald TRUMP veut taxer les importations aux États-Unis, toutes les importations de l'Union européenne, c'est-à-dire 500 milliards d'euros de produits européens qui vont chaque année aux États-Unis et qui seront frappés d'une taxe de 20%. Quelle va être la conséquence ? Première conséquence : ça va augmenter le coût des produits vendus aux États-Unis, donc ça va augmenter l'inflation, ça va baisser le niveau de vie des Américains qui d'ailleurs commencent à râler. La bourse à New York hier a baissé très fortement, beaucoup plus fortement que depuis toutes ces dernières années. L'impact qui dans un premier temps va être moindre en Europe, c'est que nous allons moins vendre de produits et donc c'est malheureusement une difficulté pour nos entreprises, pour les exportateurs qui sont très nombreux et que nous allons naturellement accompagner. L'attitude habituelle de Donald TRUMP, c'est un négociateur. Il a mis sur la table une proposition qui est agressive, nous allons y répondre. Il y a de nombreuses réunions de l'Union européenne à partir de lundi, notamment les ministres de l'Économie et des Finances, les ministres du Commerce extérieur, afin de construire une riposte qui doit être proportionnée, mais qui doit nous conduire à la table de négociation. Nous avons un premier espoir, c'est que cette négociation, où on négocie d'égal à égal… Moi, je veux rassurer les personnes qui nous écoutent.

APOLLINE DE MALHERBE
D'égal à égal, vraiment ?

ÉRIC LOMBARD
Mais oui, l'économie européenne est une des plus puissantes du monde. Nous sommes les premiers investisseurs l'un chez l'autre, et en matière de flux d'exportation, en matière de services, les sociétés américaines de services gagnent beaucoup d'argent en Europe. Donc nous avons tout à fait les moyens de négocier dans un premier temps, pour obtenir si possible un désarmement avant l'application. Alors ça, ça me semble effectivement peut-être un peu optimiste…

APOLLINE DE MALHERBE
Puisque les premières applications auraient lieu à partir de demain.

ÉRIC LOMBARD
Elles vont avoir lieu très vite, mais obtenir un désarmement le plus rapidement possible. Le dialogue se poursuit en permanence. Il est mené par le commissaire européen Maroš ŠEFCOVIC, par tous les ministres qui se parlent en permanence, le Président de la République qui parle avec la présidente de la Commission européenne.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous dites à la fois riposte et renégociation. D'abord, pour qu'on soit bien clair, vous n'empêcherez pas l'application immédiate ?

ÉRIC LOMBARD
On ne peut pas empêcher l'application immédiate, parce que ce sont des droits de douane qui sont perçus aux frontières des États-Unis. En revanche, la riposte peut être très vigoureuse, et il ne faut pas qu'on riposte exactement avec les mêmes armes. Parce que si on fait comme les États-Unis, c'est-à-dire si on applique des tarifs des droits de douane à toutes les importations américaines, qui sont considérables, on parle de 350 milliards d'euros pour toute l'Union européenne, on va avoir aussi un effet négatif en Europe.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est-à-dire que nous, nous aurons aussi l'inflation qui augmente.

ÉRIC LOMBARD
On aura aussi l'inflation et la baisse. Donc on va riposter sur une somme de produits sur lequel on ne risque pas de désorganiser les chaînes de valeur en Europe. Et en revanche, on aura un impact aux États-Unis. Mais il n'y a pas que les droits de douane…

APOLLINE DE MALHERBE
La question des produits numériques d'abord, est-ce que c'est celle-là qui est sur la table ?

ÉRIC LOMBARD
On est en train d'en parler, et dans ces cas-là, il faut que la riposte soit rendue publique au moment où elle est complète.

APOLLINE DE MALHERBE
Pour regretter que ça ait été évoqué hier, pour l'instant, vous dites, on négocie, on réfléchit, on annoncera quand c'est fait.

ÉRIC LOMBARD
Je ne regrette pas que ça ait été évoqué ; c'est un signal qui a été adressé à nos amis américains. Mais on travaille sur un paquet de ripostes qui peut aller tout à fait au-delà des droits de douane, de façon, encore une fois, à amener les Américains à la table de négociation et d'arriver à un accord équilibré.

APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire quoi, au-delà des droits de douane ? Qu'est-ce qu'on a d'autre comme outil ?

ÉRIC LOMBARD
Eh bien, on a des outils de réglementation sur des éléments que je ne veux pas détailler.

APOLLINE DE MALHERBE
Ça voudrait dire que, potentiellement, vous pourriez dire de certains produits qui ne sont plus aux normes et qui ne sont donc plus acceptés dans l'Union Européenne ?

ÉRIC LOMBARD
Les normes, les échanges de données. On a des outils fiscaux, et l'avantage des outils fiscaux, c'est qu'ils peuvent toucher des entreprises, mais pas des secteurs entiers, et ils n'ont pas d'impact sur le coût des produits en Europe. On veut vraiment protéger, autant que faire se peut, les citoyens de l'Union Européenne. Et d'ailleurs, j'observe, on a fait des premiers calculs dans la nuit d'avant-hier à hier matin, l'impact cette année sur l'Union Européenne est bien moindre que ce qu'il sera aux États-Unis. Donc ça nous donne aussi un petit peu de temps pour nous adapter. Le Président de la République, hier avec le Premier ministre, nous avons réuni les filières, nous allons accompagner les entreprises pour que dans cette période très difficile, c'est un moment historique que nous vivons. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, on était dans un système où l'économie mondiale s'ouvrait, ce qui a bénéficié au développement des produits et à faire baisser le prix des produits. Il y a une inversion massive, historique de ce cycle. Nous, on veut profiter de ce moment pour remettre la situation à l'équilibre dans notre relation avec les États-Unis.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que c'est la fin du libre-échange ?

ÉRIC LOMBARD
C'est une question qui est posée. Le libre-échange visait à faire baisser les droits de douane. Je veux dire que quand j'ai été aux États-Unis avec le Président de la République il y a quelques semaines et que j'ai parlé avec mon homologue, il parlait encore de faire baisser les droits de douane. Le libre-échange a permis le développement de produits très compétitifs au bénéfice des consommateurs.

APOLLINE DE MALHERBE
Au bénéfice des consommateurs, mais ne l'a-t-il pas été aussi au détriment des travailleurs ? Est-ce qu'au fond, quand Donald TRUMP fait ses déclarations devant un parterre d'ouvriers, est-ce qu'il a complètement tort sur cette question-là ?

ÉRIC LOMBARD
Il me semble que les deux questions ne sont pas liées. La question de la répartition des richesses dans chaque pays dépend de politiques nationales. Quand vous regardez ce qui se passe en Europe par rapport aux États-Unis, l'écart de richesse en Europe est bien moindre. On peut regretter que notre société ne soit pas plus égalitaire, mais elle est beaucoup plus que l'économie américaine. D'ailleurs, la France est aussi un pays plus égalitaire en Europe. C'est un sujet qui, économiquement, n'est pas lié à la mondialisation, il est lié à un autre sujet. Et s'il y a une démondialisation qui se traduit par une augmentation du prix des produits, comment voulez-vous que ça bénéficie aux consommateurs ?

APOLLINE DE MALHERBE
Avec, évidemment, la question de l'emploi. Je voudrais que vous écoutiez tout de suite les mots de Patrick MARTIN. Il était ce matin sur BFMTV. Le président du MEDEF, qui craint des centaines de milliers d'emplois menacés.

PATRICK MARTIN, PRESIDENT DU MEDEF
On exporte de l'ordre de 50 milliards d'euros par an aux États-Unis. C'est vrai dans toutes les filières, mais c'est vrai dans l'aéronautique, c'est vrai dans l'agroalimentaire. Il peut y avoir des conséquences graves à hauteur de plusieurs centaines de milliers de destructions d'emplois, à la fois ciblées sectoriellement et ciblées géographiquement.

APOLLINE DE MALHERBE
On entend la très grande inquiétude du patron des patrons. Qu'est-ce que vous lui répondez ?

ÉRIC LOMBARD
On les a reçus hier. On connaît les entreprises exportatrices. On va les accompagner. On va mettre en place au ministère des Finances un site d'information pour que chacun connaisse exactement les tarifs et les conséquences.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est quoi ? C'est un numéro vert ? Pardon, mais quand vous dites accompagner… Ils craignent de perdre des emplois et vous allez leur donner un tableau avec les chiffres ?

ÉRIC LOMBARD
Je commence mon propos. Il y a un accompagnement avec les équipes locales du ministère des Finances qui, comme pendant le Covid, vont être en proximité. On va réunir très régulièrement à Bercy les patrons, les représentants des filières industrielles pour être dans le dialogue, dans l'accompagnement. Nous voulons éviter les conséquences que craignent les entrepreneurs. Le risque est réel. Nous voulons éviter qu'il se produise.

APOLLINE DE MALHERBE
Le risque est réel ?

ÉRIC LOMBARD
Le risque est réel, évidemment, puisque si on ne parvient pas à une négociation qui aboutit à faire baisser les droits proposés par Donald TRUMP, nous aurons une baisse de la croissance en Europe, en France, et elle va toucher d'abord les entreprises exportatrices. 40% des entreprises qui exportent vers les États-Unis ont un chiffre d'affaires avec les États-Unis qui est supérieur à la moitié de leur chiffre d'affaires. Je pense aux vins et spiritueux, à certaines filières spécialisées. Ces entreprises-là devront faire l'objet d'un accompagnement tout particulier pour qu'elles puissent franchir cette période et qu'on les aide à éviter les licenciements, les fermetures plus graves encore.

APOLLINE DE MALHERBE
Cet accompagnement, il va se manifester par des aides, sonnant et trébuchant ?

ÉRIC LOMBARD
Nous n'en sommes pas là. D'abord, nos finances publiques nous contraignent à être très attentifs. On va d'abord regarder les conséquences. On va agir. Les annonces ont été faites il y a deux jours. Donc on va discuter avec l'ensemble des entreprises, répondre de façon proportionnée à leurs demandes, faire de l'accompagnement. On a mobilisé d'ores et déjà BPI France, la banque publique de développement, qui pendant le Covid a mis en place des outils d'accompagnement qui vont se maintenir. Mais je demande aussi à l'ensemble des réseaux bancaires d'être très attentifs dans le suivi de ces entreprises dans ce moment où notre économie peut être en fragilité.

APOLLINE DE MALHERBE
Notre économie peut être en fragilité. C'est ça vos mots ? C'est-à-dire qu'on entre dans une zone de turbulence, d'incertitude. Vous appelez chacun des acteurs à se mobiliser. Quand vous dites " je demande aux banques ", ça veut dire quoi ? Ça veut dire que les banques doivent aussi prendre une partie de l'effort en continuant à soutenir des entreprises pour qu'elles passent ce cap difficile ?

ÉRIC LOMBARD
Je veux peut-être prendre une vision plus large. Le monde est dans une situation extrêmement risquée. C'est un monde de prédateurs. On a la Russie qui est toujours en guerre malgré les efforts de toutes les nations en Ukraine. On a la Chine qui, de façon plus pacifique, a une attitude commerciale très agressive. Et on a maintenant les États-Unis d'Amérique qui augmentent les droits de douane, qui envisagent de prendre des territoires qui relèvent de l'Union européenne. Donc on est dans un moment de difficulté, de risque pour l'ensemble du monde. Là, on se concentre sur les aspects économiques à cause de cette question de tarifs. Effectivement, nous devons faire nation et le Président de la République, hier, a demandé à l'ensemble des acteurs d'être solidaires, d'être attentifs. Et dans ce cadre, naturellement, les banques doivent accompagner leurs clients. Elles le font spontanément, je veux le rappeler.

APOLLINE DE MALHERBE
Quand vous dites " nous devons faire nation ", il y a eu aussi cette déclaration d'Emmanuel MACRON qui appelle toutes les entreprises françaises à suspendre leurs investissements aux États-Unis en attendant une clarification. Qu'est-ce que ça veut dire concrètement ?

ÉRIC LOMBARD
Oui, je suis intervenu après pour confirmer cette demande, s'il en était besoin. Pourquoi ? Il y a une négociation qui s'engage avec les États-Unis. Quel est l'objectif réel des États-Unis d'Amérique ? Parce qu'il y a évidemment un objectif politique et économique. C'est de réindustrialiser leurs pays et de contraindre les groupes à venir fabriquer aux États-Unis pour éviter ces droits de douane.

APOLLINE DE MALHERBE
De siphonner en gros les entreprises en Europe pour leur demander de produire directement aux États-Unis.

ÉRIC LOMBARD
Il y a une volonté qui est documentée, il y a des textes, ils veulent effectivement siphonner l'économie du monde à leur profit. Nous ne devons pas nous laisser faire et pour ça nous devons être solidaires. Et pendant cette phase de négociation, il est clair que si une grande entreprise française acceptait d'ouvrir, de s'engager à ouvrir une usine aux États-Unis, ce serait donner un point aux Américains. On ne dit pas dans la durée qu'il ne faudra pas investir aux États-Unis parce qu'on va sortir de cette période de difficulté. Mais dans cette période où on est dans une négociation difficile, où nous-mêmes allons demander probablement aux Européens d'être solidaires parce qu'on va devoir mettre des droits de douane sur certaines filières, on va devoir être dans une phase d'affrontement commercial avec les États-Unis, il faut que l'ensemble des Européens soient solidaires et notamment nos grandes entreprises.

APOLLINE DE MALHERBE
Éric LOMBARD, ça veut dire qu'au fond les entreprises qui ne feraient pas ce choix, qui, sans tarder, feraient plutôt le choix d'accepter cette sorte de main, j'allais dire, tendue sous la contrainte de Donald TRUMP, seraient quasiment non patriotes.

ÉRIC LOMBARD
Je ne vais pas jusque-là. Ça, c'est quelque chose qui s'organise dans le débat public. Nous leur demandons, puis après chacun jugera de leur attitude.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais puisque vous avez dit : " Je leur demande de faire nation ", si à l'inverse elles y vont, c'est qu'elles ne font plus nation.

ÉRIC LOMBARD
Alors je vais répondre positivement. Il y a un grand sentiment d'unité dans notre pays en ce moment et notamment les entrepreneurs savent que nous devons, avec l'État, avec l'Union Européenne, être dans cette négociation afin de la faire aboutir. Donc j'ai senti une écoute très attentive et très positive. Et puis il y a aussi des investissements qui sont déjà engagés, des contrats qui sont en train de se nouer.

APOLLINE DE MALHERBE
Ceux-là, il faut les suspendre, les mettre sur pause.

ÉRIC LOMBARD
Il y a liberté d'entreprendre et c'est aux responsables des différentes entreprises, en fonction de la situation, de faire ce qu'ils estiment le plus approprié. Je leur fais confiance.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous en appelez presque à leur patriotisme.

ÉRIC LOMBARD
Nous faisons appel au patriotisme parce que nous sommes dans un moment de confrontation entre les grands blocs sur la planète, les États-Unis, la Russie, la Chine. L'Europe a tous les moyens d'être au niveau, mais ça demande des efforts. Et si je peux faire le lien avec les sujets intérieurs, le Premier ministre, le 15 avril, va réunir l'ensemble des parties prenantes pour préparer le budget 2026. Nous allons aussi devoir, dans le cadre de notre politique intérieure, être plus solidaires, faire plus d'efforts, puisque le monde change et nous devons nous adapter.

APOLLINE DE MALHERBE
Nous allons devoir faire des arbitrages et faire des efforts. Est-ce qu'il faut comprendre qu'il y aura sans doute des hausses d'impôts ?

ÉRIC LOMBARD
On a toujours dit, et je le confirme, que nous ne souhaitons pas augmenter les impôts des entreprises. De façon générale, nous ne souhaitons pas augmenter les impôts. En revanche, il faut qu'on soit attentif notamment à tout ce qui est dépenses publiques, afin que la dépense publique qui est élevée dans notre pays, pour des services publics qui sont indispensables, il ne s'agit pas de baisser la qualité des services publics et des protections. En revanche, on peut agir de façon plus efficace et en tout cas, on doit agir de façon moins coûteuse pour l'État, parce qu'à la fin, ce sont nos impôts.

APOLLINE DE MALHERBE
Est-ce que ça peut suffire de ne jouer que sur les dépenses ? Est-ce qu'à un moment ou à un autre, le MEDEF, par exemple, propose, mais la CFDT n'est pas contre, de supprimer cette niche de 10% sur les pensions des retraites les plus aisées ? Est-ce que ça peut faire partie des choses où vous vous dites à un moment, il va en effet falloir que l'effort soit partagé ?

ÉRIC LOMBARD
La méthode que nous suivons avec le Premier ministre, c'est de laisser le dialogue s'engager et on n'intervient pas sur telle ou telle mesure, parce qu'on voit bien que sinon, c'est le débat budgétaire qui s'engage aujourd'hui au lieu de s'engager devant le Parlement au mois de septembre. Donc je suis très heureux que les partenaires sociaux, les entreprises, fassent des propositions, débattent, réfléchissent. Et nous allons, dans les mois qui viennent jusqu'à l'été, ouvrir un espace de dialogue avec les partenaires sociaux, avec aussi les associations d'élus, puisque les collectivités locales devront partager à l'effort, avec l'État. Le Premier ministre a demandé à tous les ministères de rendre compte de leur mission, de façon que, par le dialogue, on aboutisse à un projet commun qui sera évidemment présenté au Parlement de la République à la rentrée.

APOLLINE DE MALHERBE
Ça veut dire que, jusqu'à l'été, vous espérez effectivement des propositions qui aillent quand même dans le sens à un moment ou à un autre d'un effort. On avait, il y a quelques semaines, le débat sur est-ce qu'on pourra continuer à maintenir les pensions tout en devant augmenter la production de canons ? Si je simplifie. On rajoute à ça maintenant, dans un contexte qui était déjà difficile, cette grande inquiétude sur les droits de douane et sur la fin d'un certain modèle du libre-échange et donc de l'ouverture pour nos produits à l'étranger. Est-ce que, sincèrement, la France a l'air insuffisamment solide pour y faire face ?

ÉRIC LOMBARD
Mais oui, nous sommes l'une des économies les plus fortes du monde, d'ailleurs, grâce aux efforts qui ont été faits ces dernières années. Vous parliez du taux de chômage, le taux de chômage est à un niveau historiquement bas dans la période. Nos entreprises sont très fortes.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais il remonte.

ÉRIC LOMBARD
Il remonte un peu. Les derniers indicateurs que nous avons sont assez positifs. Après, ça dépendra.

APOLLINE DE MALHERBE
Vous espérez que la hausse cesse ?

ÉRIC LOMBARD
On espère une stabilisation.

APOLLINE DE MALHERBE
Avez-vous des indicateurs qui vous donnent la possibilité de dire, ce matin, que le chômage cesse d'augmenter ?

ÉRIC LOMBARD
Je suis très prudent sur les indicateurs parce que le choc qui a été annoncé il y a deux jours peut modifier l'attitude des entreprises. Mais la réalité, c'est qu'il faudra attendre quelques temps de voir comment la négociation s'engage et comment les entreprises réagissent. Donc les indicateurs que j'avais il y a deux jours, honnêtement, ils sont caducs. En revanche, nous avons tout à fait les moyens, avec le niveau de dépenses publiques qui est le nôtre. Je rappelle, plus de 56% de la richesse nationale est engagée dans la dépense publique, la dépense des collectivités locales, la dépense sociale. Donc on peut, en gagnant en efficacité, protéger les Français, financer l'effort de Défense nationale qui est un effort pour la paix et puis permettre de continuer d'avoir une économie qui se développe au bénéfice de tous.

APOLLINE DE MALHERBE
Éric LOMBARD, vous venez de dire, vous, ministre de l'Économie, vous qui avez fondé le budget sur une prévision de croissance, que les indicateurs d'il y a deux jours, en tout cas en matière d'emploi, n'étaient plus forcément les indicateurs d'aujourd'hui ni de demain. Lorsque vous avez inscrit ce budget dans une prévision de croissance initialement de 0,9%, avant de la revoir à la baisse à 0,7%, est-ce qu'aujourd'hui vous vous dites qu'il faut vraisemblablement la revoir autour de 0,5% ?

ÉRIC LOMBARD
Alors, les travaux sont toujours sur l'indicateur précédent parce qu'on ne change pas le budget tous les jours. 0,7%, c'est la nouvelle prévision de la BANQUE DE FRANCE qu'évidemment nous regardons. Le budget, on ne va pas le changer tous les jours, d'autant que, comme je le disais, on est dans une phase d'incertitude dans l'incertitude. Il faut attendre dans les semaines qui viennent de voir comment la négociation avec les États-Unis d'Amérique s'engage et comment elle évolue. Si on peut rapidement, ce qui est tout à fait possible, arriver à un accord avec un désarmement des mesures qui ont été engagées, un désarmement des mesures qui vont être annoncées par l'Union européenne, on peut encore avoir une année qui soit une année de croissance, certes modérée, mais positive. En revanche, si on n'y parvient pas et si on est dans une guerre commerciale, à l'évidence, on sera, en termes de situation économique, dans une autre situation, beaucoup plus difficile et dans ces cas-là, dans le dialogue avec les Françaises et les Français, on proposera des choses.

APOLLINE DE MALHERBE
C'est-à-dire quoi on proposera des choses ? Éric LOMBARD, c'est très important de ce que vous êtes en train de dire.

ÉRIC LOMBARD
Justement, je veux être très clair. On ne va pas modifier le budget en matière de dépenses cette année. Les dépenses qui sont annoncées seront tenues et même si la situation devait se dégrader, on ne va pas demander un effort supplémentaire.

APOLLINE DE MALHERBE
Mais comment vous faites ?

ÉRIC LOMBARD
En revanche, la conséquence dans cette situation-là serait, ce sont des décisions qui sont en cours avec le Gouvernement, tout n'est pas totalement arbitré, mais la position que je porte, c'est que dans ces cas-là, probablement, les recettes baisseraient et puis le PIB baisserait par rapport à ce qui est prévu, ce qui dégraderait, sans rentrer dans la technique, le taux de déficit. Et je pense que dans ces cas-là, pour protéger les Françaises et les Français, il faudrait l'accepter. C'est-à-dire que la priorité, même si la situation se dégrade, c'est de laisser le niveau de dépenses publiques là où il était prévu, qui représente déjà un effort considérable par rapport à l'année dernière. Donc nous pensons qu'il ne faut pas accroître l'effort à un moment où on aura besoin à la fois de soutenir l'effort de défense et puis, encore une fois, de soutenir tous les Français.

APOLLINE DE MALHERBE
Ce que j'entends derrière les mots que vous prenez avec grande prudence, soin d'énoncer ce matin, Éric LOMBARD, c'est que vous nous préparez à l'idée potentielle d'accepter de laisser à nouveau courir le déficit.

ÉRIC LOMBARD
L'important, je vais être très précis là-dessus, l'engagement que nous avons pris devant nos partenaires européens et devant d'ailleurs les marchés financiers, c'est le niveau de la dépense. S'il y a une variation trop importante de la production, et bien effectivement le taux se dégradera de façon transitoire. Mais il nous paraît important de contrôler la dépense publique et de la faire évoluer de façon stable. Donc effectivement, je ne souhaite pas, même si la situation se dégrade, qu'on donne un coup de rabot supplémentaire à la dépense publique. Ça aurait un impact négatif en réalité sur l'économie, sur les entreprises, sur les Français.

APOLLINE DE MALHERBE
Éric LOMBARD, comment on négocie avec quelqu'un avec lequel on n'est absolument pas d'accord sur les chiffres, avec lequel on ne parle plus le même langage ? Quand on regarde son tableau, on ne sait même plus vraiment d'où sortent les chiffres. Comment on négocie avec quelqu'un qui a des chiffres délirants ? C'est le mot utilisé par le journal Les Echos ce matin.

ÉRIC LOMBARD
On négocie parce que le président TRUMP connaît l'économie, la comprend, et a bien compris qu'il imposait un droit de 20% sur tous les produits qui rentraient sur son territoire.

APOLLINE DE MALHERBE
Ce chiffre-là, il est clair.

ÉRIC LOMBARD
Ce chiffre-là, il est très simple, il est très clair, et ça a un impact négatif. Et le président TRUMP regarde la Bourse de New York qui a baissé très fortement hier. Et donc la négociation que nous allons proposer, c'est revenez sur cette décision qui est nuisible à votre pays, et nous, les mesures de riposte que nous allons présenter, dans ces cas-là, nous les reprenons. Et si vous n'acceptez pas cela, nous maintenons notre riposte, et c'est un jeu à somme négative, mais il faut absolument qu'on négocie à armes égales, parce que si on ne le fait pas, ces 20% seront maintenus, et dans la durée, c'est l'économie européenne qui sera touchée, et ça, nous ne le voulons pas.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 avril 2025