Entretien de M. Benjamin Haddad, ministre délégué, chargé de l'Europe, avec BFM TV le 3 avril 2025, sur les tensions commerciales avec les États-Unis.

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Média : BFM TV

Texte intégral

Q - Alors attendez, ce dilemme-là, on va le soumettre à quelqu'un qui est directement en charge de la chose, c'est le ministre délégué à l'Europe, aux affaires européennes, Benjamin Haddad, qui est en ligne avec nous. Bonsoir Benjamin Haddad, bonsoir Monsieur le Ministre. Merci de nous accorder quelques minutes dans cette émission spéciale ce soir sur BFM. Et Marc Rousse disait à l'instant : "bon il faut rester calme, mais en même temps il ne faut pas se coucher". Comment le dit le ministre français ?

R - Il faut défendre nos intérêts de façon ferme, de façon unie au niveau européen. Déjà, il faut rappeler les faits. C'est une décision qui est totalement injustifiée de la part de Donald Trump, qui ne repose sur aucune base réelle, factuelle des relations économiques entre l'Europe et les États-Unis, puisqu'au fond, il calcule les déficits commerciaux des États-Unis et considère que c'est un tarif que lui met l'Europe. Il inclut la TVA, mais que nos entreprises paient aussi. Il n'inclut pas les services, alors que pourtant, on sait très bien qu'on a énormément de services, services numériques américains, par exemple, qui sont présents en Europe. Donc cette décision, elle est brutale, elle est injustifiée. Elle va faire très mal à l'économie américaine. On le voit déjà avec les marchés financiers américains, avec les entreprises qui tirent la sonnette d'alarme aux États-Unis, avec les révisions à la baisse de la croissance américaine déjà depuis quelques temps. Elle va faire du mal à l'économie mondiale. Et effectivement, elle va aussi faire du mal...

Q - Mais nous, qu'est-ce qu'on fait, Benjamin Haddad ? On réplique ? On réplique, là, maintenant ?

R - Alors ce qu'on va faire, vous savez qu'on a déjà eu d'ailleurs des tarifs douaniers, vous le mentionniez, à l'époque, à l'instant, lors du premier mandat de Donald Trump. On avait répliqué. Et donc là, on aura déjà mi-avril un premier paquet de contre-mesures qui seront liées d'abord aux tarifs sur l'acier et l'aluminium au même niveau, au même volume proportionné. Et la Commission européenne est en train de travailler sur un autre paquet massif pour répondre, et qui peut inclure énormément de choses. Puisque vous savez, la vérité, c'est que l'Europe est sortie de sa naïveté sur le plan commercial depuis quelques années, largement sous l'impulsion de l'action de la France et d'Emmanuel Macron. On a renforcé nos instruments, pour pouvoir justement répondre à ce type de cas. Donc on a à la fois des contre-mesures, des tarifs sur des secteurs américains sur lesquels on va travailler. On a aussi des instruments comme l'instrument anti-coercitif qui pourrait inclure les services numériques, la propriété intellectuelle. Donc on a les moyens de se défendre. Le but, évidemment...

Q - Alors attendez, je m'arrête là-dessus, Benjamin Haddad...

R - Je voudrais dire, parce que, pour répondre complètement à votre question... Le but, évidemment, que c'est la désescalade. Evidemment que personne ne souhaite une guerre tarifaire ou le protectionnisme qui n'est dans l'intérêt de personne, à commencer par celui des États-Unis. Mais la meilleure façon de se faire respecter dans les relations internationales, c'est de montrer qu'on saura défendre nos intérêts. Et là-dessus...

Q - Justement, je reprends le dernier exemple que vous donniez, Benjamin Haddad. Est-ce que vous êtes prêt, j'allais dire collectivement, l'Europe, à dire ce soir à Donald Trump : "Écoutez, on pourrait, en mesure de représailles, taxer les services que proposent à des millions et des millions d'Européens, les services de Google, les produits d'Apple, les services de Facebook, etc." Est-ce que tout ça, c'est dans la balance ?

R - Mais encore une fois, vous savez, le Président de la République l'a dit aujourd'hui, il n'y a pas de tabou, ça fait partie des instruments dont dispose la Commission européenne. Et donc on aura cette discussion. Donc il y aura des premières mesures qui viendront en vigueur mi-avril. Et puis après, on renforcera ces mesures pour être capable de répondre. Mais ce que ça pose fondamentalement comme question, au-delà simplement de la relation entre les États-Unis et l'Europe sur le plan commercial, c'est la nécessité de réduire nos dépendances au niveau européen. C'est tout ce qu'on porte depuis des années. On a eu le même débat pendant le Covid et on avait su déjà à l'époque réagir de façon unie pour réduire nos dépendances dans les matériaux critiques, pour être capables de répondre ensemble sur les vaccins. On parle beaucoup en ce moment des questions de défense, bien sûr, liées à la menace que fait peser la Russie sur nos démocraties. On est en train de réduire nos dépendances sur le plan militaire, à commencer par les dépendances vis-à-vis des États-Unis, avec les questions qui se posent sur les garanties de sécurité américaines dans l'alliance transatlantique. Eh bien, sur le plan commercial aussi, on doit réduire nos dépendances. Et ça, ça passe non seulement par le fait de se défendre, mais ça passe aussi par le fait de mettre le paquet sur la compétitivité. Vous savez, l'Union européenne, elle n'est pas faible, elle peut se défendre, c'est 450 millions d'individus, c'est un marché unique, mais allons plus loin pour faciliter la vie de nos entreprises, pour simplifier, pour attirer les investissements, pour faire en sorte que les 300 milliards d'euros d'épargne européenne qui vont tous les ans financer l'économie, les PME, l'innovation aux États-Unis, ils restent en Europe, ils viennent financer notre économie. Ça, c'est tout l'agenda qu'on porte aussi au niveau européen. Donc on va se défendre et on va aussi renforcer notre marché unique, notre croissance, notre compétitivité pour réduire nos dépendances.

Q - Merci beaucoup Benjamin Haddad d'avoir été avec nous en direct ce soir dans cette émission spéciale. Merci à vous, je sais que vous êtes à Sarajevo ce soir. Merci d'avoir pris quelques minutes depuis Sarajevo.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 avril 2025