Interview de Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt, à Radio J le 8 avril 2025, sur les conséquences pour l'agriculture française des tensions commerciales avec les États-Unis.

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Média : Radio J

Texte intégral

CHRISTOPHE BARBIER
Annie GENNEVARD, bonjour,

ANNIE GENEVARD
Bonjour,

CHRISTOPHE BARBIER
Et on salue Morteau, votre ville et tous ceux qui habitent dans cette belle région. Donald TRUMP a déclenché la guerre des droits de douane, la guerre commerciale. Quels sont les dégâts à attendre dans l'agriculture française ?

ANNIE GENEVARD
Ils peuvent être possiblement considérables puisque vous savez qu'il y a des grandes filières qui sont particulièrement exposées par le commerce qu'elles conduisent.

CHRISTOPHE BARBIER
On pense aux vins et aux spiritueux tout de suite mais il n'y a, peut-être pas que cela.

ANNIE GENEVARD
On pense aux vins et aux spiritueux qui font l'objet de grosses exportations vers les États-Unis. Mais il y a possiblement d'autres secteurs, je pense aux produits laitiers, je pense aussi à tout le secteur de l'épicerie. Donc, on est sur des volumes considérables avec des effets systémiques sur les filières qui peuvent être extrêmement délétères.

CHRISTOPHE BARBIER
Les filières paniquent, aujourd'hui, elles tirent la sonnette d'alarme dans votre ministère ?

ANNIE GENEVARD
Je les ai réunies, hier, pour voir dans quelle mesure on peut proposer une réponse. D'abord coordonnée, c'est ce à quoi nous engage le président de la République. Il a invité les filières à faire des propositions de réponse. Je les ai trouvées faisant preuve d'un grand sang-froid, assistant sur le fait qu'évidemment on ne peut pas se laisser piétiner, il faut riposter, aux mesures, aux barrières douanières démentes que veut imposer Donald TRUMP. Mais avec le souhait in fine d'une désescalade, parce qu'on sait bien que cette guerre commerciale ne fera que des perdants.

CHRISTOPHE BARBIER
Y compris côté américain ?

ANNIE GENEVARD
Y compris côté américain, je pense que sous couvert de vouloir protéger les États-Unis, leur Président va, en réalité, exposer les Américains aux terribles conséquences de ce protectionnisme sauvage qu'il veut imposer au monde entier.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors, la riposte sans la rupture, c'est le mot d'ordre donné par Emmanuel MACRON. De votre côté, quelle est la riposte nécessaire, la riposte idéale pour protéger notre équipe ?

ANNIE GENEVARD
Nous nous mettons en garde, avec les filières agricoles et agroalimentaires, sur le risque qu'il y aurait à ce que l'on sur-représente les taxes qu'on apposerait aux produits agricoles américains. Autrement dit, on ne peut pas infliger aux produits agricoles américains des taxes surdimensionnées par rapport à celles qui nous affecteraient.

CHRISTOPHE BARBIER
OEil pour oeil, dent pour dent, ça ne marche pas ?

ANNIE GENEVARD
OEil pour oeil, dent pour dent. Oui, il faut répliquer à l'évidence, et tous les secteurs seront concernés, mais l'agriculture ne doit pas être la variable d'ajustement de cette riposte. Elle ne doit pas être pénalisée plus qu'elle ne peut l'absorber dans cette guerre commerciale avec les États-Unis.

CHRISTOPHE BARBIER
Si on inflige des taux en riposte très élevés, ce qu'ont fait un peu les Chinois hier, qu'est-ce qui va se passer ? C'est l'inflation dans nos caddies, c'est ça ?

ANNIE GENEVARD
C'est l'augmentation des prix, notamment pour les Américains. Les Américains vont très vite comprendre que l'imposition de droits de douane exorbitant va augmenter les prix à la consommation, et va certainement occasionner des ruptures et provoquer une inflation, donc, une perte de pouvoir d'achat. D'ailleurs, les marchés ne s'y trompent pas, ils dégringolent depuis avec des soubresauts liés au fonctionnement habituel des marchés qui se réagissent. Mais je pense que, véritablement, cette déclaration de guerre commerciale ne peut faire que des perdants dans le monde entier.

CHRISTOPHE BARBIER
Donc pour l'instant, on patiente, on reste calme, et puis on va travailler secteur par secteur pour punir l'Amérique ?

ANNIE GENEVARD
Alors, on ne patiente pas exactement, puisque hier, les 27 se sont réunis et ont fait une proposition qui a été rejetée d'un trait de plume par Donald TRUMP.

CHRISTOPHE BARBIER
Généreuse pourtant, on annulait les droits de douane.

ANNIE GENEVARD
Une proposition qui n'était pas tiède, et qui était vraiment la porte ouverte à la réouverture de négociations. Mais on voit bien que Donald TRUMP est engagé dans une espèce de fuite en avant. Donc, on va activer des contre-mesures. Il va y en avoir déjà un premier train, et puis, à la fin du mois, probablement une deuxième salve de contre-mesures. Mais on voit bien que les contre-mesures pénalisent aussi les Européens.

CHRISTOPHE BARBIER
Certains proposent d'appliquer ce qu'on appelle la loi de coercition, c'est-à-dire d'interdire l'accès au marché public aux investisseurs américains. En agriculture, ça a un sens ?

ANNIE GENEVARD
Ça fait partie du panel de réponses que peut opposer l'Union Européenne aux États-Unis. Il y a les réponses douanières, tarifaires, et il y a les réponses du type mesures anti-coercition. Empêcher l'accès au marché public est une réponse qui peut montrer son efficacité. Mais au-delà de ça, ce que nous apprend ce triste épisode, en espérant qu'il demeure un épisode, c'est d'abord que l'Europe doit sortir de sa naïveté. Elle doit aussi mesurer à quel point elle représente un marché considérable, 450 millions de consommateurs. Et puis, elle doit aussi avoir une réponse la plus unifiée possible. Parce que si on y va en ordre dispersé, à l'évidence, nous n'y arriverons pas.

CHRISTOPHE BARBIER
Certains disent qu'il faut changer d'alliance dans le grand marché mondial et ressortent le Mercosur. Est-ce qu'aujourd'hui, l'opposition française au Mercosur n'est pas fragilisée parce que les pays qui étaient avec nous vont changer de pied en disant qu'on va faire du commerce côté Mercosur parce qu'on n'a plus les États-Unis ?

ANNIE GENEVARD
Certains le disent en effet, mais moi je considère que, en tout cas pour ce qui concerne l'agriculture, et moi c'est mon rôle de défendre l'agriculture française, c'est finalement, on ajouterait les désordres provoqués par le Mercosur aux désordres provoqués par les taxes douanières de Donald TRUMP.

CHRISTOPHE BARBIER
Ce n'est pas un remède ?

ANNIE GENEVARD
Je ne pense pas que ce soit un remède. Les accords de libre-échange ne sont pas mauvais en soi et que l'Union européenne cherche à développer des accords de libre-échange alternatifs à ceux qu'on pourrait avoir avec les États-Unis, c'est évidemment une bonne politique, mais pas à n'importe quel prix. Le Mercosur était mauvais, hier, il l'est toujours à mes yeux aujourd'hui pour des filières agricoles et agroalimentaires capitales pour notre pays. Je pense au marché de la volaille, du boeuf, du sucre, de l'éthanol. Bien sûr, ce serait favorable pour d'autres productions, et en particulier les productions viticoles, mais un bon accord, c'est un accord équilibré. Et il y a quand même beaucoup de choses qui posent problème dans cet accord avec les pays du Mercosur. C'est notamment le fait que les modes de production, les façons de produire, ne sont pas conformes aux propres règles que nous imposons à nos producteurs en Europe. Donc, le principe des clauses miroirs est essentiel, et nous ne sommes pas, de ce point de vue-là, satisfaits par les termes de l'accord, du projet d'accord, parce qu'il n'y a pas d'accord, c'est un projet d'accord.

CHRISTOPHE BARBIER
L'effort des consommateurs, des consommateurs français, des consommateurs européens. Le dirigeant de « C'est nous, le patron », dit que si on accepte de payer 25 centimes de plus par bouteille de vin, ça compense les 800 millions d'euros qu'on perd dans cet échange avec les Américains.

ANNIE GENEVARD
Je crois que les consommateurs français sont très sensibles à l'origine des produits. D'ailleurs, nous venons d'imposer la mention de l'origine, les étiquettes marquant l'origine. Les Français y sont attachés, parce qu'ils ont quand même le sentiment, et à juste titre, que l'origine France, ou l'origine EU, mais singulièrement l'origine France, est une garantie de qualité. Et ils ont raison. L'agriculture française est une des plus vertueuses du monde, et moi, je me bats sans cesse pour rappeler que l'alimentation, c'est régalien. Défendre la capacité que nous avons à nourrir la population, c'est d'ordre régalien, tout comme la capacité à se défendre. Effectivement, ça peut jouer, mais une partie des consommateurs est attachée au prix pour des raisons de pouvoir d'achat, et on peut le comprendre. C'est un équilibre subtil à trouver, mais il est clair qu'il faut convaincre les consommateurs de regarder d'où viennent les produits, et de privilégier, chaque fois que c'est possible, une origine France, ou à tout le moins une origine européenne.

CHRISTOPHE BARBIER
L'Union Européenne a retiré le Bourbon, hier, de la liste des produits taxés. C'est un signe de bonne volonté, ou on avait fait une bêtise ?

ANNIE GENEVARD
C'est heureux. Alors, on n'avait pas fait une bêtise, on avait simplement réactivé une ancienne liste dans laquelle se trouvait le Bourbon. Et on sait qu'il y a des productions qui sont emblématiques pour les Américains. Le Bourbon, c'est ce qui avait donné lieu à la riposte de Donald TRUMP, qui avait dit que ce sera 200% de droits de douane, en plus sur les vins et spiritueux, ce qui était un risque mortel pour la filière du cognac, en particulier, et de l'Armaniac. Donc, ce n'est que 20%, mais 20%, ça va énormément fragiliser. Donc, la partie n'est pas gagnée pour autant, mais d'avoir retiré le Bourbon, il faut bien mesurer à quel point il y a des, comment dirais-je, des contre-mesures que l'Union Européenne pourrait imposer aux États-Unis, qui sont lourdes conséquences pour l'agriculture. Le Bourbon en est un. Je pense à d'autres productions comme le soja. Les États-Unis exportent énormément de soja dans l'Union Européenne. Ça pourrait être catastrophique, d'abord parce que ça nourrit nos animaux et ça renchérirait le prix de la viande, mais aussi parce que ça serait une escalade. Or, ce que nous voulons, malgré tout, c'est la désescalade.

CHRISTOPHE BARBIER
Alors, escalade ou désescalade, il y a aussi la bataille pour la présidence des Républicains. Votre position, secrétaire générale, vous oblige à la plus stricte neutralité, à la discrétion. Je ne vais donc pas vous poser des questions sur vos préférences. Vous trouvez l'ambiance féconde, sympathique, utile ?

ANNIE GENEVARD
Sympathique, pas vraiment parce que c'est une compétition et ce sont deux hommes puissants qui ne distinguent pas non plus leurs positions idéologiques. Et c'est heureux, d'une certaine façon, sur le plan, sur le fond, les Républicains parlent d'une seule voix. En revanche, ce sont deux personnalités, peut-être aussi deux stratégies. Bruno RETAILLEAU considère qu'il contribue à redonner à la droite une visibilité par l'action qu'il conduit au Gouvernement quand Laurent WAUQUIEZ est sur une logique de rupture. Donc, il y a des différences de stratégie. Les électeurs, les adhérents, les Républicains choisiront entre deux candidats de grande qualité. Moi, mon rôle comme secrétaire générale, c'est de veiller à ce que les choses se passent le mieux possible. C'est la mise en garde que je leur fais et que, attention, il ne faut pas donner l'image de division que détestent absolument nos adhérents. Et il ne faut pas non plus ruiner le début de nouvelles visibilités qu'a la droite en participant, je le crois, à la conduite des affaires du pays à un moment où le pays va tout de même très mal.

CHRISTOPHE BARBIER
Il y a beaucoup d'adhérents qui prennent leur carte en ce moment. Le trésorier d'ailleurs s'en félicite, le trésorier FASQUELLE. Est-ce que vous pouvez garantir la sécurité du vote ? Il n'y aura pas de triche, il n'y aura pas de fraude ? On se souvient de COPE-FILLON.

ANNIE GENEVARD
Écoutez, ce qui est certain, c'est que nous avons confié à la haute autorité de notre mouvement, qui est présidée par Henri De BOUREGARD, une personnalité juridique éminente, le soin de veiller à la bonne conduite de ce scrutin. Et tout me laisse à penser que les choses se passeront comme elles doivent se passer, c'est-à-dire dans la transparence et dans le respect des règles que nous nous sommes fixées. C'est une question de crédibilité de notre mouvement.

CHRISTOPHE BARBIER
Gérald DARMANIN, ce week-end, disait il faudra que Renaissance, que la Macronie s'ouvre jusqu'au LR et intègre jusqu'au LR pour avoir un candidat du socle commun à la présidentielle. Non, a répondu Gabriel ATTAL. Votre position ?

ANNIE GENEVARD
Nous n'en sommes pas là. Je crois qu'il est très prématuré. D'ailleurs, n'avoir en perspective que l'élection présidentielle de 2027, à un moment où la France traverse des turbulences extrêmement fortes, on connaît la situation budgétaire de notre pays, dans un contexte géopolitique très tourmenté, je ne suis pas certaine qu'aujourd'hui se règle ce type de question. Ce qui est certain, c'est que si la droite veut exister, d'abord, il faut qu'elle sorte, qu'elle ne sorte pas affaiblie du scrutin interne auquel elle se livre en ce moment, qu'on puisse proposer une offre claire qui réponde à la résolution des problèmes que connaissent les Français, et puis nous verrons bien. Mais n'anticipons pas les débats.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 9 avril 2025