Texte intégral
Q - Et merci à vous Benjamin Haddad d'être avec nous par ces temps qui sont forcément troublés, sur le plan du commerce et des relations internationales.
R - Bonjour.
Q - Alors on vient de voir, ça gronde un peu aux États-Unis, avec Elon Musk qui traite de crétin Peter Navarro. Est-ce que c'est en train de tanguer à la Maison-Blanche ? Et est-ce que vous dites, bon ben peut-être que c'est bon signe pour nous ?
R - Fondamentalement, Donald Trump remet en cause le système du commerce international qui a été à l'origine de la prospérité des États-Unis, de l'Europe, de ses partenaires depuis la Seconde Guerre mondiale, le système de Bretton Woods. C'est-à-dire le libre-échange, la non-discrimination, la réciprocité, la fin des tarifs qu'on avait pu voir pendant les années 20 et les années 30. Donc oui, on va entendre des voix aux États-Unis, on voit l'impact économique que ça a sur les marchés boursiers, sur les révisions de croissance à la baisse aux États-Unis ; les chefs d'entreprises, peut-être le Congrès demain, qui vont faire passer des messages.
Q - On est dans la surenchère, sur cette histoire de droits de douane. Il y a quelques heures, Donald Trump a augmenté encore les droits de douane imposés à la Chine. On est à 104%. Jusqu'où elle ira, cette escalade ?
R - Déjà, cette escalade, elle n'est dans l'intérêt de personne. La guerre commerciale, les droits de douane, le protectionnisme n'est pas dans l'intérêt des États-Unis, n'est certainement pas dans l'intérêt de l'économie ou des entreprises américaines. Mais pour se défendre et pour pouvoir, justement, remettre un peu de rationalité, de dialogue avec les États-Unis, il faut montrer qu'on est capable de s'unir et de répondre de façon ferme. C'est ce à quoi les Européens sont en train de travailler. Vous savez, ces dernières années, l'Europe, largement sous l'impulsion de la France, est sortie de sa naïveté commerciale, a développé une palette d'instruments pour pouvoir assumer un rapport de force, pouvoir défendre ses intérêts, dans ce cas de pression commerciale qui n'est pas justifié, parce que ces droits de douane ne sont pas justifiés. Eh bien assumons ce rapport de force, défendons nos intérêts de façon unie.
Q - Et on va voir.
R - C'est la meilleure façon, encore une fois, de pouvoir espérer avoir un dialogue et une négociation demain avec les États-Unis.
Q - Alors avant d'en arriver jusque-là et de voir ce qu'il y a dans la boîte à outils, Emmanuel Macron, qui est en Égypte, il a dit hier qu'il espérait que le président Trump revienne sur sa décision. Est-ce que cela vous semble possible ou est-ce que c'est un voeu pieux du Président ? Parce qu'avec ce qu'il vient de faire sur la Chine, on se dit : "Franchement, on ne peut pas dialoguer avec Donald Trump."
R - Le Président de la République a raison de le dire puisque, encore une fois, comme je vous le disais, on voit l'impact économique négatif que c'est en train d'avoir en premier lieu sur les États-Unis. On entend des voix dans les secteurs économiques, dans les secteurs politiques, qui s'inquiètent de la spirale à la baisse des marchés boursiers ou de la croissance aux États-Unis.
Q - Mais jour après jour, Donald Trump dit : "J'irai au bout, je continuerai, etc." Est-ce que ce n'est pas un peu naïf de dire : "Oui, il va peut-être changer d'avis" ? Il ne change pas d'avis.
R - Mais dans le même temps, mais encore une fois, la question, c'est vraiment de montrer que nous sommes capables, nous, de réagir et d'infliger des dommages à l'économie américaine.
Q - Donc vous, vous n'êtes pas du tout dans une optique de négociation. Vous, vous êtes dans l'optique de dire : "Oui, il faut qu'on fasse mal à l'économie américaine". Parce qu'il n'y a que ce langage-là qu'il comprenne.
R - Il n'y a pas de contradiction entre la négociation et le rapport de force. Et dans ce type de situation, l'escalade, c'est la faiblesse.
Q - Mais comment est-ce qu'on négocie ?
R - Si vous montrez de la faiblesse, vous encouragez l'autre quand il est dans un comportement de prédation, comme c'est le cas aujourd'hui de l'administration Trump sur le plan économique. Vous l'encouragez, au contraire, à aller plus loin, à vous rouler dessus. Donc la seule façon de se faire respecter, c'est de montrer que nous avons des instruments. Il y aura dans les prochains jours un premier paquet, vous savez, qui a été annoncé par la Commission européenne, de réponse aux premiers droits de douane sur l'acier et l'aluminium.
Q - Début de semaine prochaine, normalement.
R - Oui. Et dans un deuxième temps, nous sommes en train de travailler avec la Commission européenne à des réponses qui peuvent aller plus loin. Vous savez que...
Q - Mais attendez. Est-ce que tous les pays européens sont d'accord ? Parce que hier soir, Giorgia Meloni a annoncé, le 17 avril, dans huit jours : elle va aller toute seule à Washington, on l'imagine, pour négocier de gré à gré. Est-ce qu'on ne voit pas le terreau de la division qui est en train de gangrener l'Union européenne ?
R - L'Union européenne a clairement intérêt à rester unie.
Q - Donc vous critiquez ce voyage ? Vous dites à Giorgia Meloni : "Il ne faut pas y aller" ?
R - Quand on voit d'ailleurs les droits de douane qui ont été imposés par les États-Unis, on voit qu'ils sont imposés de façon uniforme à l'Union européenne et que ce sont tous les pays européens qui sont attaqués d'un seul bloc avec ces 20%, qui ne reflètent en rien d'ailleurs la réalité de la relation économique entre les États-Unis et l'Europe.
Q - Oui mais il ne répond pas d'un seul bloc. Vous ne me répondez pas sur Giorgia Meloni.
R - Mais on verra ce qu'elle aura à dire. Qu'il y ait des dialogues, qu'il y ait des échanges, nous-mêmes, nous parlons régulièrement avec l'administration américaine, que ce soit sur le plan économique ou encore évidemment sur l'Ukraine, où le Président de la République s'entretient régulièrement avec le président Trump. Mais en revanche, nous avons tous collectivement intérêt, l'Italie, la France, l'Allemagne, les autres, à avoir une réponse unie et ferme plutôt qu'à se diviser et se disperser. Si vous allez en rangs dispersés et divisés auprès des États-Unis, est-ce que vous croyez que vous êtes plus forts que si vous y allez à 27, 450 millions d'individus, avec des instruments comme l'instrument anti-coercition que nous avons développé ces dernières années qui nous permettrait, par exemple, une palette d'instruments comme l'accès aux marchés publics, comme la propriété intellectuelle, comme la taxe sur les services numériques.
Q - Mais vous sentez bien qu'il y a une réticence de la part d'Ursula von der Leyen à utiliser ce genre d'outil. Est-ce que la présidente de la Commission, elle va suffisamment loin ?
R - Déjà ces outils, ils ont été développés précisément pour ce type de situation. Donc là, nous avons une attaque commerciale qui est complètement injustifiée et disproportionnée. Nous avons développé des outils. Eh bien, mettons-les sur la table, précisément.
Q - Ce qui n'est pas le cas encore aujourd'hui ?
R - Si on ne le fait pas - on verra, encore une fois, les propositions que va faire la Commission. Il y a les premières propositions de réaction, très fermes, très claires, aux droits de douane sur l'acier et l'aluminium. Donc là, je crois que ça ne souffre d'aucune ambiguïté. Et maintenant, il faudra aller plus loin effectivement, encore une fois, pour créer les conditions d'une négociation qui nous permettra là de défendre les intérêts des Européens. Et au-delà de ça, parce que là, on parle de la réaction commerciale, faisons de ce moment une opportunité aussi pour les économies européennes, pour faire de l'Union européenne la zone la plus attractive et la plus compétitive pour les investissements. Si vous êtes un investisseur aujourd'hui...
Q - Pourquoi est-ce qu'on ne répond pas comme la Chine ? La Chine, on voit, les Américains, ils ont haussé et les Chinois, ils ont haussé tout de suite. On se rend coup pour coup, j'ose dire, alors qu'on a l'impression que l'Europe est là, elle traîne, elle attend, elle consulte. Et pendant ce temps-là, Trump, lui, il avance.
R - Non mais il ne faut pas confondre la précipitation et la fermeté. Qu'on soit en train de réfléchir à la meilleure façon de répondre, qui protège aussi nos entreprises et notre économie, et qui permet en revanche de frapper l'économie américaine, par exemple sur les services numériques...
Q - Comment on fait, ça ?
R - Et bien c'est ce dont je vous parlais tout à l'heure, c'est-à-dire utiliser, par exemple, l'instrument anti-coercition. Cela fait partie, encore une fois, de la palette d'outils...
Q - Mais à partir de quand... C'est cela qu'on a du mal à comprendre. Les instruments sont sur la table, mais à partir de quand on les met en place, on les utilise ?
R - Mais vous allez voir dans les prochaines semaines. La Commission est en train de travailler une réponse. Il y a eu cette première réponse qui vient d'être annoncée sur l'acier et l'aluminium et on travaillera sur la suite. Mais au-delà de ça, encore une fois, faisons de ce moment aussi une opportunité pour la compétitivité et l'attractivité de l'Union européenne. Si vous êtes un investisseur aujourd'hui, est-ce que vous avez vraiment envie d'aller aux États-Unis avec le climat d'incertitude économique, juridique, politique qui règne, alors que nous avons des PME, des start-up, des pépites qui ne demandent qu'à être financées, à pouvoir se développer, dans la tech, dans l'industrie verte ? C'est une opportunité si on sait aussi simplifier nos textes, si on sait terminer notre marché unique. Ce sont des droits de douane aujourd'hui, souvent, qu'on se met à nous-même en Europe. Si on sait aligner le droit des affaires européen avec un 28e régime de droit des affaires. Si on sait protéger, si on sait faire du patriotisme économique...
Q - Mais vous parlez des chefs d'entreprise...
R - ..., du Buy European. Ça doit être aussi le moment du Buy European pour nos économies, pour nos entreprises.
Q - Il y a une forme de paradoxe dans ce que vous nous dites, parce que vous appelez à la fermeté, et d'un autre côté, vous nous parlez des chefs d'entreprise qui n'auraient pas envie d'investir aux États-Unis. Et écoutez le Medef, écoutez les patrons qui disent : "Surtout pas de surenchère, surtout pas d'escalade, il ne faut pas surréagir, sinon nous, on n'aura pas accès au marché américain non plus".
R - J'ai entendu au contraire les entreprises qui disent qu'il faut rester unis, qu'il faut rester très ferme.
Q - Le Medef dit : "Surtout pas d'escalade, pas de surenchère".
R - Mais l'escalade, encore une fois, ce serait la faiblesse. L'escalade, ce serait d'envoyer un signal de faiblesse, de commencer à faire des concessions unilatérales aux États-Unis. Ça, vous êtes sûr d'avoir au contraire une escalade en face. Mais encore une fois, l'objectif, c'est de défendre nos intérêts économiques, de défendre nos entreprises, de le faire en ayant une réaction ferme et proportionnée aux États-Unis et en faisant, encore une fois, de l'Union européenne une zone de compétitivité, en soutenant nos entreprises, en soutenant nos investisseurs et nos innovateurs.
(...)
Q - Merci beaucoup Benjamin Haddad, le moment de Vérité, c'était ce matin dans Télématin.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 avril 2025