Interview de M. Gérald Darmanin, ministre d'État, garde des Sceaux, ministre de la justice, à Europe1/CNews le 16 avril 2025, sur les assauts sur plusieurs prisons françaises, le trafic de drogue, la protection du personnel pénitentiaire, la question des OQTF et les tensions avec l'Algérie.

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Média : Europe 1

Texte intégral

SONIA MABROUK
Bonjour Gérald DARMANIN.

GERALD DARMANIN
Bonjour.

SONIA MABROUK
Et bienvenue à la grande interview sur CNews et Europe 1. Vous êtes le garde des Sceaux, ministre de la Justice. Dans un moment particulier, même inédit, avec des assauts concordants, ciblés, peut-être, semble-t-il, coordonné sur plusieurs prisons françaises. Avec, Monsieur le Ministre, des voitures incendiées, taguées. Un établissement à Toulon, visées par des rafales à l'arme de guerre. Tout d'abord, est-ce que vous confirmez, ce matin, que d'autres actions ont été menées cette nuit à Tarascon ? Avec des voitures de nouveau incendiées près du centre de détention. Mais aussi, le hall d'un immeuble d'un agent pénitentiaire dégradé à Villenoy, en Seine-et-Marne ?

GERALD DARMANIN
Ce que je sais du ministère de l'Intérieur, c'est qu'en effet, il y a un site à Tarascon où des voitures auraient été brûlées ce matin très tôt, mais je n'ai pas d'informations complémentaires. Il n'y aurait pas eu de nouvelle nuit bleue, comme on l'a vu hier, qui était évidemment, absolument, inacceptable. On va attendre ce matin, tranquillement, les retours du ministère de l'Intérieur sur l'effet de la nuit.

SONIA MABROUK
Tranquillement, mais vous confirmez qu'à Tarascon, déjà, d'autres actions ont été entreprises ?

GERALD DARMANIN
En fait, il y a manifestement... On voit bien des gens qui essaient de déstabiliser l'État en l'intimidant. Pourquoi le font-ils ? C'est très intéressant. Ils le font, parce que nous prenons des mesures contre le laxisme qui existait, peut-être, jusqu'à présent dans les prisons, qui a mené notre pays à des difficultés extrêmement graves, des réseaux de drogue qui continuent à partir des cellules carcérales. On commande des assassinats, on blanchit de l'argent, on menace des policiers, des magistrats, des agents pénitentiaires, et on s'évade, comme c'est le cas de Monsieur Amra, il y a maintenant, quasiment, un an, au péage d'Incarville, en assassinant, en faisant assassiner deux agents pénitentiaires à la Kalachnikov.

SONIA MABROUK
Intimidation, dites-vous, ou déclaration de guerre ? Quand des agents sont menacés, des bâtiments publics visés, l'État ?

GERALD DARMANIN
Oui, oui, à travers ces agents, c'est bien sûr l'État. C'est une intimidation grave et on essaie de voir si l'État va reculer. C'est ça qui se passe. Je pense qu'il faut prendre les choses avec beaucoup de fermeté, beaucoup de calme, beaucoup de détermination. Nous mettons en place, dans la loi narcotrafic que j'ai portée, un régime carcéral inédit. Semblable à la loi anti-mafieuse italienne qui a montré son efficacité en Italie. Nous créons des prisons de haute sécurité qui n'ont jamais existé en France.

SONIA MABROUK
Nous allons en parler. Mais pourquoi êtes-vous sûr que c'est la main des narcobandits ? Pourquoi êtes-ce sûr que c'est une action des narcotrafiquants ?

GERALD DARMANIN
Le parquet national extérieur…

SONIA MABROUK
Vous excluez la piste, pardon, de la mouvance d'ultra-gauche, à cet instant ?

GERALD DARMANIN
En nature, ayant été ministre de l'Intérieur, je n'exclus rien, mais quand on tire à la Kalachnikov contre des centres pénitentiaires, comme hier, à Toulon, c'est plutôt un mode opératoire de jeunes délinquants qui sont peut-être payés quelques milliers d'Euros pour faire ce genre de choses.

SONIA MABROUK
Des contrats, donc ?

GERALD DARMANIN
Sans doute, en fait, on essaye…

SONIA MABROUK
Avec un commando à noyaux durs, Monsieur le Ministre, pour une telle coordination ou concordance ?

GERALD DARMANIN
Non, les réseaux sociaux, désormais, créent ce genre de moments mimétiques qui visent, en effet, à essayer, sur tous les points du territoire, à faire reculer l'État, à ce que les agents pénitentiaires prennent peur, à ce qu'ils demandent peut-être la grève, à ce qu'il y ait des débats politiques pour dire : " Le ministre de la Justice va trop loin dans sa fermeté. " Donc, on ne va pas reculer.

SONIA MABROUK
Malgré les menaces, hein ? Encore cette nuit.

GERALD DARMANIN
On ne va pas reculer, parce que d'abord, on ne menace pas l'État, parce que si l'État recule, il n'y a plus rien, il n'y a plus de protection des Français. L'État c'est le bien le plus pauvre. Pour prémunir pour les plus pauvres, la protection. Et deuxièmement, parce que vous comprenez bien que, quand j'étais ministre de l'Intérieur, je le voyais, les gens qui trafiquent de la drogue, la criminalité organisée, ils sont dans deux endroits. Soit ils sont à l'étranger, parce qu'ils fuient la police française, la justice française. Ils sont aux Émirats Arabes Unis, ils sont au Maghreb, ils sont en Thaïlande. Ils essayent d'aller dans des endroits où ils peuvent blanchir de l'argent, bien vivre, et éviter des conventions d'extradition. Et notre travail, c'est évidemment de les ramener chez nous. Soit ils sont dans nos prisons. Il y a 17 000, aujourd'hui, trafiquants de stupéfiants dans les prisons françaises. 17 000. Ils sont rarement dans les rues de Saint-Tropez de Paris, les trafiquants de drogue. Ils sont poursuivis, pourchassés par la police et par la justice. Mais dans nos prisons, ils ne sont plus à l'écart de la société. Ils continuent à téléphoner, à menacer. Il y a un gamin de 14 ans, aujourd'hui, qui est le plus jeune tueur à gage de l'histoire de France. Il a été arrêté il y a quelques semaines à Marseille, par des contrats commandés par des gens qui sont dans un milieu carcéral.

SONIA MABROUK
Mais vous pensez que ce sont ces mêmes individus qui, aujourd'hui, arrivent à menacer l'État, à mener des actions quasiment coordonnées ? Et hier, quand même, sur le Télégram, sur le canal crypté Telegram, il y a eu ceci, je vous lis, avec toujours ce groupe, DDPF, Défense des droits des prisonniers français : " Nous ne sommes pas des terroristes, en réponse à ce que vous avez dit hier, Gérald DARMANIN. Nous sommes là pour défendre les droits de l'homme à l'intérieur des prisons, suivi de menaces directes. Surveillants, démissionnez tant que vous le pouvez si vous tenez à vos familles et à vos proches. Les démonstrations de force de ces derniers jours ne sont rien, ou encore, sachez que notre mouvement s'étend dans toute la France, Gérald DARMANIN ne va pas vous protéger. "

GERALD DARMANIN
Non, mais on voit bien, d'abord, que ce sont des actes…

SONIA MABROUK
Ils sont sacrément organisés.

GERALD DARMANIN
Non, ce sont des actes de terreur. Un acte de terreur, c'est l'essence même du terrorisme. On peut frapper n'importe où, n'importe quel moment, y compris les plus faibles, voilà. Le parquet national antiterroriste s'est saisi, c'est extrêmement rare dans notre pays. Et il a confié à la DGSI, à la police judiciaire spécialisée, à l'ASDAT, les enquêtes. Ces enquêtes vont donner très rapidement, j'en suis certain, pour bien connaître…

SONIA MABROUK
Donc, vous avez déjà des éléments, probablement des emprunts ?

GERALD DARMANIN
Je connais le professionnalisme des agents du ministère de l'Intérieur. Ils trouveront ces personnes.

SONIA MABROUK
Vous avez l'air d'en être sûr. Donc, il y a une célérité de l'enquête qui est confirmée ce matin, Gérald DARMANIN ?

GERALD DARMANIN
Je suis sûr, parce que j'ai été 4 ans et demi ministre de l'intérieur. Je sais que la police gagne toujours. Je sais que la République gagne toujours, il ne faut pas être un peu patient. À la fin, Monsieur Amra, il est arrêté, avec tous ses complices.

SONIA MABROUK
Pardonnez-moi, à quel prix ?

GERALD DARMANIN
Oui, bien sûr…

SONIA MABROUK
D'avoir les deux agents pénitentiaires.

GERALD DARMANIN
C'est pour ça que nous nous battons.

SONIA MABROUK
Il y a aussi ce matin, entre colère et émoi.

GERALD DARMANIN
Je pense que les agents pénitentiaires, ils sont très fiers de leur métier. Je les ai rencontrés encore hier à Toulon. Très solidaires de ce qui se passe. Et ils ont conscience qu'une partie de la République se joue dans leurs mains.

SONIA MABROUK
Ils sont sous-payés, ils sont sous-effectifs. Où est la fierté par rapport à ça ?

GERALD DARMANIN
Ah, mais moi, hier, depuis 3 mois, ça fait 3 mois que je suis ministre de la Justice, des gens viennent me voir pour me dire : " Enfin, on arrête une partie du laxisme en prison. Vous avez arrêté les tablettes, vous avez arrêté les massages. Enfin, on a un régime carcéral qui est à la hauteur des gens qui sont dangereux. Enfin on a des prisons de haute sécurité. " Enfin, on a un discours qui consiste à dire, en prison, bien sûr, une partie d'entre eux, des détenus doivent être réinsérés, parce qu'on n'est pas là pour juger une deuxième fois les détenus, évidemment. Il y a des choses indignes qui se passent en détention. Il faut construire des places, il faut recruter des personnels, et il faut être plus attentif, sans doute, au sors humain d'un certain nombre de détenus. Mais il y a aussi des gens qui sont extrêmement dangereux, et qu'il faut pouvoir mettre dans des lieux extrêmement protégés.

SONIA MABROUK
Vous pensez que ces gens-là ripostent aujourd'hui à votre régime de détention ?

GERALD DARMANIN
Je pense qu'ils ont peur de ce régime.

SONIA MABROUK
Mais pourquoi alors cet acronyme, finalement, assez politique sur la défense des droits des prisonniers ? Ce serait une forme de diversion, aujourd'hui ? Il y a eu quand même dans notre pays, on le sait, actions directes et d'autres, des mouvances d'ultragauche, qui ont attaqué des juges, des prisonniers, enfin, plutôt des agents pénitentiaires et des prisons françaises.

GERALD DARMANIN
Alors, mais qu'il y aient des mouvements d'ultragauche extrêmement dangereux, personne n'en dit ce qu'on vient. La guerre que nous menons, c'est une guerre contre le narcobanditisme. Des pays n'ont pas fait ça : la Belgique, les Pays-Bas. Mais regardez les États-Unis d'Amérique. Première cause de mortalité des Etats-Unis d'Amérique : le fentanyl, c'est une drogue de synthèse. Des pays ont sombré dans une puissance donnée au narcobanditisme, qui peut désormais menacer les agents de l'État, menacer les hommes politiques, menacer les avocats, tuer des journalistes.

SONIA MABROUK
Nous en sommes là aussi ?

GERALD DARMANIN
Non, on n'en est pas là, parce que nous prenons des mesures extrêmement fermes. Mais on n'en est pas loin d'être là.

SONIA MABROUK
C'est-à-dire que la prochaine étape, demain, évidemment, vous faites tout pour l'éviter, ça pourrait être des tentatives d'assassinat ciblées sur des agents pénitentiaires ou autres.

GERALD DARMANIN
Evidemment. Mais regardez-moi, quand j'étais à l'Intérieur, Monsieur MASSON était policier et tué à Avignon, assassiné sur un point de deal. Bien sûr, il y a 150 magistrats, aujourd'hui, qui sont protégés par la police, parce qu'ils font leur travail pour mettre des narcobandits en prison. Il y a la directrice et le directeur des Bomet qui ne peuvent plus être en fonction, parce qu'ils sont menacés personnellement. Il y a déjà des menaces, mais ce que je veux vous dire, c'est que nous avons... Nous sommes à minuit moins quart. Et nous réagissons extrêmement fermement. Et je pense que ce qui devrait rassurer les Français aussi, et ce qui rassure une partie des agents pénitentiaires, c'est de voir que nous prenons des mesures extrêmement fermes qui font réagir les narcotrafiquants. Ce qui se passe aujourd'hui est très intéressant, c'est la première fois que l'État français prend des mesures à ce point, ferme, à ce point dangereux pour leur trafic, qu'ils en sont à prendre ce genre d'initiatives.

SONIA MABROUK
Gérald DARMANIN, on peut le voir ainsi. Vous dites qu'il est minuit moins quart, certains ont plutôt l'impression qu'il est minuit moins une. Comment se fait-il que nos renseignements n'ont pas pu, quand même, ou alors, peut-être, qu'il y avait des signes ou des signaux, n'ont pas pu anticiper une telle attaque qui semble quand même coordonnée ?

GERALD DARMANIN
Ça, c'est le travail du ministère de l'Intérieur.

SONIA MABROUK
Que vous connaissez parfaitement.

GERALD DARMANIN
Evidemment, je compte beaucoup sur lui, sur le ministère de l'Intérieur, sur les agents, pour protéger les agents pénitentiaires.

SONIA MABROUK
Combien de temps, cette protection ? Elle ne peut être que de court terme.

GERALD DARMANIN
Mais non. Au temps que ça durera. Il y a 300 000 policiers et gendarmes. Les prisons, c'est un lieu extrêmement symbolique.

SONIA MABROUK
Aujourd'hui, on va protéger les agents pénitentiaires. Et demain, on protégera peut-être les policiers qui protègent les agents pénitentiaires.

GERALD DARMANIN
Non. C'est normal que les policiers et les gendarmes fassent des rondes autour des centres pénitentiaires ou interpellent des personnes qui vont les menacer, des agents pénitentiaires, c'est logique. C'est un métier très difficile d'être agent pénitentiaire. Et une partie de la République se joue là. Vous comprenez bien qu'une grande partie des gens qui font du trafic de drogue sont déjà en prison. Et ce qui est inacceptable pour les Français, et que moi, je n'accepte pas, c'est que de la prison, ils continuent à gérer leur trafic. C'est ça qui est insupportable. Et nous mettons fin à ça. Nous mettons fin, pour une grande partie des trafiquants de drogue, en fait, ils vont pouvoir continuer à blanchir de l'argent, à téléphoner, à se faire livrer par drone des informations, à pouvoir donner, commander, un certain nombre d'assassinats, des points de deal à Marseille, du blanchiment d'argent à Dubaï. Nous mettons fin à ça. C'est pour ça qu'il y a cette réaction.

SONIA MABROUK
En attendant, ouais, il y a cette réaction. Et une menace également sur la prison de Vendin-le-Vieil. Est-ce qu'on peut confirmer des menaces et un survol de drones, hier, sur l'établissement ?

GERALD DARMANIN
Exactement. Je crée deux prisons de haute sécurité. Une à Vendin-le-Vieil, dans le Pas-de-Calais, le 31 juillet, qui, aujourd'hui, est en travaux. On a vidé de son contenu cette prison, on y fait des travaux. Et le 31 juillet, il y aura les 100 premiers narcotrafiquants dans cette prison. Puis le 15 octobre, à Condé-sur-Sarthe dans l'Orne. Oui, il y a des menaces sur ces prisons. Et on a depuis plusieurs semaines, on ne l'a pas dit médiatiquement. On a pu intervenir pour empêcher ce genre de passage à l'acte. Parce qu'effectivement, je pense que ça dérange énormément les narcotrafiquants. Ce que fait la France aujourd'hui…

SONIA MABROUK
Il y a eu des actes qui ont été déjoués, donc, depuis plusieurs semaines ?

GERALD DARMANIN
Oui, il y a des…

SONIA MABROUK
Contre des prisons et des agents pénitentiaires ?

GERALD DARMANIN
En tout cas, contre des lieux. Je pense que ce qui est visé là, évidemment, même si les agents sont très touchés, et c'est tout-à-fait normal, c'est d'abord, effectivement, une atteinte contre les symboles de l'État.

SONIA MABROUK
Mais à Toulon, si un agent pénitentiaire était devant l'établissement, il aurait pu être touché par cette attaque à l'arme de guerre.

GERALD DARMANIN
Bien évidemment. C'est extrêmement grave. Le parquet national antiterroriste qui s'est saisi et qui a ouvert sur trois qualifications, dont l'association de malfaiteurs en vue de commettre un crime terroriste, c'est extrêmement grave, bien sûr, c'est extrêmement grave.

SONIA MABROUK
Et vous maintenez que ce sont des terroristes, pour vous, Gérald DARMANIN ?

GERALD DARMANIN
Non, mais c'est le parquet national qui s'est saisi. Quand le parquet national se saisit antiterroriste, c'est une qualification terroriste.

SONIA MABROUK
Quand on propage la terreur, qu'est-ce qu'on est ?

GERALD DARMANIN
Bien évidemment, mais ce sont des actes qui relèvent de la terreur, donc, du terrorisme. Je l'ai dit, je me suis rendu moi-même à Toulon. Je pense que je suis un garde des Sceaux très proche de ces agents. Je veux aussi dire que la République se joue là, avec beaucoup de détermination.

SONIA MABROUK
Est-ce que c'est bon port encore ?

GERALD DARMANIN
Oui, bien sûr. Vous savez, depuis trois mois…

SONIA MABROUK
La République ne reculera pas, on ne cédera rien en attendant. On est visé, on est menacé, on est ciblé. Est-ce que ce n'est pas la mexicanisation de la France qui est en cours ?

GERALD DARMANIN
Nous l'évitons. Nous faisons ce que d'autres pays n'ont pas fait. Vous savez, depuis que nous avons adopté ce régime carcéral très dur, depuis que nous faisons ces prisons de haute de sécurité, je vois beaucoup de ministres de la Justice venir en France, encore le cas hier, me demander comment nous allons faire, comment nous faisons, comment ils peuvent faire pareil. Comme nous, nous avons copié, comme nous copions les Italiens, qui ont été extrêmement courageux. Donc, vous savez, c'est un moment très difficile pour les agents pénitentiaires, pour la République. Mais les Français le voient bien, qu'il y a un point de deal près de chez eux.

SONIA MABROUK
Qu'est-ce que vous leur dites ce matin ?

GERALD DARMANIN
Ils voient bien que les trafiquants étaient en train d'imposer leurs lois, et nous sommes extrêmement fermes. Et je pense qu'ils ont compris que nous étions fermes.

SONIA MABROUK
Monsieur le Ministre, parfois, les classes de maternelle doivent bouger, délocaliser, parce qu'il y a un point de deal. Est-ce que ce n'est pas une défaite ?

GERALD DARMANIN
Je ne l'aurais jamais fait.

SONIA MABROUK
Pour vous, c'est une défaite de l'État ?

GERALD DARMANIN
Oui, c'est une défaite de l'autorité publique, évidemment. J'ai été maire d'une commune, Tourcoing, très difficile. Jamais, je n'ai déménagé un service public, encore moins une classe. Ça, c'est sûr. C'est vrai que c'est difficile. Il faut parfois être tous les jours à la police, la nuit, le matin. Pour les maires de France, ça sort dose d'être maire aujourd'hui. Mais je pense que je n'aurais accepté qu'on déménage une école. C'est le recul de la République. C'est difficile. Je sais que c'est difficile.

SONIA MABROUK
Le message, quel est-il, ce matin ?

GERALD DARMANIN
La République, elle ne doit jamais reculer.

SONIA MABROUK
D'accord. Ça, c'est pour les principes. C'est important. Et vous le déclinez sur le terrain. Mais les agents pénitentiaires, très concrètement, ce maint, ils sont inquiets pour leur vie, leur intégrité, leurs enfants, leurs familles. Vous l'avez dit, tout à l'heure, ça m'a interpellé, il peut y avoir une volonté de les pousser à la grève davantage. Qu'est-ce que vous faites pour empêcher cela, très concrètement ?

GERALD DARMANIN
D'abord, je pense que ce sont des grands serviteurs de l'État. Les syndicats, tous unis, tous les syndicats de la pénitentiaire, soutiennent le travail que nous faisons. Et ils savent que c'est dur. Bien sûr que c'est dur pour les agents. Oui, ils ne sont pas très bien payés. Oui, quand on est agent pénitentiaire, on demande des choses depuis très longtemps que la République ne leur a pas données. Éric DUPOND-MORETTI leur a donné beaucoup. Nous devons continuer à le faire énormément. Par exemple, je vous donne un exemple. Ils ont des armes. Ils ne peuvent pas rentrez chez eux avec les armes, comme les policiers et gendarmes. Il faut qu'on change ça. Évidemment, que ceux qui veulent rentrer avec leur armes chez eux pour protéger leur famille, peuvent le faire comme les policiers peuvent le faire. Par exemple, ils n'avaient pas d'anonymisation. Donc, je suis un agent pénitentiaire, je fouille une cellule d'un détenu, je trouve un téléphone portable, je dois faire un petit procès-verbal pour le dire. On mettait les noms et les prénoms jusqu'à présent, des agents pénitentiaires. On va changer la loi, j'ai fait voter l'anonymisation, pour qu'on ne reconnaisse pas cet agent pénitentiaire. Par exemple, il n'y a pas d'habilitation fait par les services du ministère, par exemple, de l'Intérieur, pour voir les faiblesses et difficultés, parce qu'il y a aussi des agents, petits par titre, mais qui sont corrompus, qui peuvent donner des informations sur les autres. Évidemment, on ne peut pas accepter des brebis galeuse en administration. Donc, il y a un changement très important à faire. Dans une fonction publique, on n'a plus respecté. Les gens connaissent peu les agents pénitentiaires. C'est pourtant un métier extrêmement difficile et essentiel pour la république.

SONIA MABROUK
Vous avez tellement raison de le souligner. On entend ce que vous dites par rapport à ces agents. Et puis largement, Gérald DARMANIN, par rapport aux magistrats, notamment les magistrats financiers, qui, il y a quelques mois, avaient tiré la sonnette d'alarme. Vous venez d'évoquer Eric DUPOND-MORETTI, vous-même. Il avait dit : "Pas de défaitisme". Alors que ces magistrats, ils ont même été en partie "Sanctionnés", avaient dit : "Attention, on va vers un narco-État". Et la guerre est en passe d'être perdue, ont-ils ajouté. Ils ont torts de dire ça ?

GERALD DARMANIN
Je pense que personne n'a tort lorsqu'on fait son devoir d'alerte, vis-à-vis des pouvoirs publiques, quand on est magistrats, policiers, et qu'on voit bien ce qui se passe au terrain, comme les maires comme je suis, le voit. Il n'y a rien de pire dans le monde que de ne pas nommer les choses telles qu'elles sont. Au ministère de la Justice, de temps en temps, les mots ne correspondent pas à la réalité. Les gens sont à l'isolement, en prison, en fait, ils ne sont pas isolés. Les gens sont condamnés à des peines de prison mais ils ne font pas en prison. Ça, les Français ne comprennent pas. Si j'ai un but au ministère de la Justice, c'est que les mots correspondent aux choses.

SONIA MABROUK
Je traduis, ça veut dire arrêter le laxisme depuis plusieurs années.

GERALD DARMANIN
Je ne dirais pas. C'est un mot un peu facile, c'est votre interprétation.

SONIA MABROUK
Vous avez démarré l'entretien en disant le mot laxisme.

GERALD DARMANIN
Oui, parce qu'il y avait dans les prisons françaises des habitudes comme les massages ou les tablettes numériques qui n'étaient pas dignes. Voilà, j'ai arrêté. Mais je pense que ce qui nous manque parfois, c'est le bon sens. Moi, je viens de province. J'ai du bon sens. Et ça me manque parfois, de manière générale, en politique. J'applique le bon sens au ministère de la Justice. Le bon sens au ministère de la Justice, c'est de faire que lorsqu'il y a des gens en prison, ils ne puissent plus continuer leur trafic. Ça paraît simple, mais c'est essentiel pour la République. Et les magistrats marseillais ont eu raison de nous interpeller. Je suis arrivé le 23 décembre à la chancellerie. Et dès le 24 décembre, au moment où j'ai pris mes fonctions, j'ai dit que les prisons françaises étaient ma priorité. C'est très important parce que ce qui se passe dans les prisons françaises, c'est une partie de notre sécurité de demain.

SONIA MABROUK
Et c'est le miroir de notre société.

GERALD DARMANIN
C'est vrai pour le terrorisme. Nous avons des gens qui sortent de prison et qui ont été condamnés pour terrorisme. C'est vrai pour la délinquance. Et c'est vrai aussi pour la réinsertion. Aujourd'hui, 70% des détenus récidivent. Donc, une partie de la délinquance se passe en prison. On gère mal nos prisons. Donc, il faut revoir tout de A à Z et c'est ce que je fais.

SONIA MABROUK
Vous avez un plan. Gérald DARMANIN, vous dites que vous êtes aussi le ministre du bon sens. Je vais vous poser une question et vous me direz si cette décision est une décision de bon sens. Parce qu'on pourrait se poser la question, qu'est-ce qui s'est passé depuis l'attaque terrible du fourgon d'Incarville et la mort de deux agents pénitentiaires, alors qu'on a appris qu'une détenue radicalisée a été transportée de la maison d'arrêt de Strasbourg jusqu'à Paris pour se rendre dans un centre d'imagerie médicale. Une détenue radicalisée, donc, je suppose dangereuse. Une décision qui interroge sur la sécurité des agents pénitentiaires. Sont-ils contraints d'accompagner une telle détenue pour des soins ?

GERALD DARMANIN
Alors oui, quand on est détenu, on doit être soigné. Quelle que soit la dignité d'une personne humaine, on ne peut pas laisser des gens qui ne soient pas soignés. C'est les médecins qui demandent ce genre de prescription.

SONIA MABROUK
La sécurité était-elle au rendez-vous ?

GERALD DARMANIN
Mais la difficulté, ce n'est pas celle-là. La difficulté, c'est qu'il faut faire dans les prisons des lieux de soins. Par exemple, aujourd'hui, une grande partie des extractions judiciaires, des extractions faites par les agents, c'est-à-dire les agents qui accompagnent des personnes détenues, le font parce qu'il faut aller voir le médecin à l'hôpital du coin. Mais non, il faut faire venir le médecin dans la prison, ça évite de faire la sortie. Par exemple, il y a, aujourd'hui, des dialyses qui sont demandées par les détenus. Mais non, on a fait comme on le fait, aujourd'hui dans certains centres pénitentiaires, des dialyses à l'intérieur des centres de détention. Donc, on peut soigner les gens, parce qu'on est quand même une démocratie, on n'est pas chez les barbares, mais en même temps, on n'est pas obligé de mal organiser l'administration.

SONIA MABROUK
Ceux qui ont organisé l'évasion de Mohamed AMRA, l'ont fait avec barbarie. Est-ce que vous pouvez affirmer, ce matin, que ça ne se reproduira pas ?

GERALD DARMANIN
Justement, je fais tout pour que ça ne se reproduise pas. C'est pour ça qu'on fait les régimes carcéraux et les prisons de sécurité. Mais on n'est pas deux camps. La République, ce n'est pas un camp et les méchants un autre camp. Ce n'est pas comme ça que ça se passe. Il n'y a qu'un seul camp, c'est celui de la République.

SONIA MABROUK
Il y a une contre-société, il y a des contre-lois, il y a une contre-durité.

GERALD DARMANIN
Mais cette contre-société n'est pas l'équivalent de la nôtre. Je disais toujours aux policiers, il n'y a pas d'un côté les bleus et de l'autre les délinquants.

SONIA MABROUK
Pourtant, ils imposent leurs lois, ils grignotent avec une conquête du territoire organisée, réfléchie et consciente.

GERALD DARMANIN
Regardez ce qui se passe en ce moment, c'est très intéressant. L'État reprend la main, c'est très difficile.

SONIA MABROUK
Vous l'affirmez ce matin ?

GERALD DARMANIN
Bien évidemment que l'État reprend la main.

SONIA MABROUK
Il y a quelques semaines encore, le ministre de l'Intérieur évoquait le risque qu'on aille vers un narco-État.

GERALD DARMANIN
Mais c'est son travail de l'éviter. On n'est pas commentateur. Bruno RETAILLEAU, tous les jours, il se motive pour l'éviter, comme je le fais. C'est pour ça que je fais de la politique, sinon, je ferais autre chose. Je ferais du commentaire, j'irais travailler dans le privé et j'arrêterais en disant que c'est foutu. Ce n'est pas ce qu'on fait. Si tous les matins on se lève, si on se met en danger de soi-même, si on prend ce genre de décision, c'est parce qu'on lutte, évidemment que c'est difficile. C'est ça, je pense que Bruno RETAILLEAU, depuis qu'il est au Gouvernement, il voit que c'est difficile. Il le fait bien, mais il voit que c'est difficile. Donc aujourd'hui, notre travail, les Français doivent savoir que ce que nous disons, nous le faisons avec bon sens. Le pire pour les Français serait des gens qui disent, c'est un sentiment d'insécurité, ce n'est pas très grave.

SONIA MABROUK
Tiens, qui l'avait dit ? Qui l'avait dit ?

GERALD DARMANIN
Il y a beaucoup de gens qui le disent.

SONIA MABROUK
C'était un ancien ministre quand même de la Justice.

GERALD DARMANIN
Le sentiment, je n'ai jamais été pour ce mot.

SONIA MABROUK
Vous avez été en binôme avec lui, c'est pour ça que vous interrogez.

GERALD DARMANIN
Oui, mais on avait des désaccords. Je ne suis pas son prédécesseur.

SONIA MABROUK
Je vous pose simplement une question.

GERALD DARMANIN
Vous l'aurez constaté.

SONIA MABROUK
Vous êtes solidaire de différents gouvernements.

GERALD DARMANIN
Oui, mais j'ai ma personnalité. J'ai toujours été très clair comme ministre. Et comme il y a même ce serait un sentiment, c'est très important les sentiments. L'amour, la haine, la jalousie.

SONIA MABROUK
Vous pensez que l'insécurité est un sentiment ?

GERALD DARMANIN
Non, je dis que comme il y a même ce serait un, c'est très important de le prendre au sérieux. Il ne faut pas mépriser les sentiments. Si les gens ont le sentiment d'avoir peur, il faut les protéger. Il ne faut pas de notre bureau parisien leur dire, mais non, mais ce n'est pas grave. Donc, ce qui est très important, c'est que les gens voient que la fermeté est au rendez-vous. Le bon sens est au rendez-vous. Et vous savez, pendant quatre ans et demi, au ministère de l'Intérieur, j'ai soutenu des policiers et des gendarmes qui, quand je suis arrivé, ont jeté leurs menottes, faisaient grève. Quatre ans et demi après, je pense qu'on a pu constater qu'au ministère de l'Intérieur, on a réussi à faire les Jeux Olympiques dont on nous promettait la fin du monde en France avec une sécurité quasi parfaite. Pourquoi ? Parce qu'on les a soutenus. On a recruté. On a soutenu les agents publics au moment où c'était très difficile pour eux. Aujourd'hui, au ministère de la Justice, ils sont dans le même moment difficile qui est le doute. Est-ce que la République va gagner ou ne va pas gagner ? Est-ce qu'on va laisser faire ou est-ce qu'on va arrêter de laisser faire ? On va arrêter de laisser faire. C'est pour ça que c'est un moment de tension. Il y a toujours un moment de tension quand vous remettez de l'autorité quelque part. Chacun le sait. Les profs le savent. Les flics le savent. Nous, c'est ce que nous faisons. On remet de l'autorité dans les prisons.

SONIA MABROUK
On va poursuivre notre entretien sur CNews et Europe 1. Encore une question sur les prisons, Gérald DARMANIN, puisque là encore, vous mettez en avant le bon sens. Vous souhaitez la construction de 3 000 places de prison préfabriquées, des prisons modulaires. Quand on voit le niveau de violence de ces criminels, on se demande si véritablement ces prisons seront à la hauteur de ce que vous décrivez. Mais est-ce que vous dites ce matin, peut-être qu'avant de construire ces places de prison, il faudrait d'abord expulser les détenus étrangers pour libérer ces places ?

GERALD DARMANIN
Bien sûr. C'est ce qu'on commence à faire. Quand je suis arrivé au ministère de la Justice…

SONIA MABROUK
C'est un début timide.

GERALD DARMANIN
Ça n'existait pas. Je suis arrivé au ministère de la Justice, on ne savait même pas quel était le nombre de nationalités étrangères dans les prisons. J'ai mis un mois et demi à avoir les chiffres. Et puis assez rapidement, quand je les ai eues…

SONIA MABROUK
Vous pouvez nous les rappeler d'ailleurs ?

GERALD DARMANIN
25%. Il y a 82 000 détenus. Il y a un quart de ces détenus qui sont étrangers.

SONIA MABROUK
Ça ferait donc quand même des places libérées conséquentes.

GERALD DARMANIN
Oui. Alors ce n'est pas aussi automatique que ça. D'abord parce qu'il y a des gens qui sont en détention provisoire et qui attendent d'être condamnés. Et ceux-là, on ne va pas les expulser avant de les condamner. Et puis il y a des gens qui veulent que la personne qui leur a fait quelque chose de très mal, quelqu'un qui aura été violé, ne veut pas qu'on envoie très rapidement la personne dans son pays d'origine. Elle veut que le violeur reste dans la prison française pour être certain qu'elle passe sa condamnation. Donc, ce n'est pas aussi simple que ça. Mais il y a plein de gens qui méritent en effet de faire leur peine de prison ailleurs. Tous ceux qui s'en prennent au bien, tous ceux qui s'en prennent à l'État, tous ceux qui font des escroqueries, des points de deal évidemment. Ils n'ont rien à faire en France.

SONIA MABROUK
Donc ça commence et vous y arrivez.

GERALD DARMANIN
Donc, il y a un quart des détenus qui sont étrangers. Et dans ce quart de détenus, il y en a un tiers qui sont européens et deux tiers qui ne sont pas européens. Donc oui, notre travail, c'est de pouvoir expulser ces personnes.

SONIA MABROUK
Deux tiers qui ne sont pas européens. Beaucoup, j'imagine, ou certains du Maghreb, Algérie.

GERALD DARMANIN
Oui, Maghreb, très important en effet. Mais c'est aussi le cas d'Asie du Sud-Est, c'est aussi le cas d'Amérique du Sud. Mais essentiellement Maghreb. Et par exemple, il y a deux jours, j'ai reçu mon collègue roumain. Parce qu'on a, par exemple, un millier de détenus roumains dans nos prisons. Le but, c'est que les Roumains, ils purgent leur peine en Roumanie.

SONIA MABROUK
Et la question concerne davantage en ce moment avec ce qui se passe évidemment de l'autre côté de la Méditerranée, sur l'Algérie. Est-ce que vous arrivez justement à expulser des détenus ou, en tous les cas, transférer des détenus algériens ? Et je voudrais vous interroger Gérald DARMANIN sur Cnews et Europe 1, sur ce qui s'est passé hier. La France a donc réagi après l'expulsion de 12 agents français d'Algérie. Notre pays a répliqué la réciprocité en réalité et l'Elysée a rappelé l'ambassade de France, l'ambassadeur de France pour des consultations. Paris accuse Alger de prendre la responsabilité de cette dégradation. Est-ce que vous dites ce matin, il était temps ? Pourquoi vous réfléchissez avant de répondre ? C'est une précaution ?

GERALD DARMANIN
Parce qu'il y a 4 ans, lorsque j'avais proposé de diminuer les visas de 50%, beaucoup de gens disaient que c'était excessif.

SONIA MABROUK
Pardonnez-moi, c'était excessif parce que vous visiez tout le monde, que ce n'était pas ciblé. C'est pour ça que…

GERALD DARMANIN
Oui, c'était excessif, c'était une mesure excessive. On ne parlait pas encore à l'époque de riposte graduée. Pourtant, nous avions obtenu des résultats puisque je rappelle qu'on était passé de 10% à l'époque d'OQTF appliquée. À 40%, nous expulsions 40% des Algériens. Ce n'était pas 100%, c'est vrai, mais nous avions obtenu un peu plus. Est-ce que le ministre de l'Intérieur Bruno RETAILLEAU a eu raison de faire ce rapport de force ? Oui, je l'ai toujours soutenu et je le soutiendrai toujours. Il a raison…

SONIA MABROUK
Donc sa méthode a été la bonne depuis le départ ?

GERALD DARMANIN
Nous verrons. La méthode, c'est que 100% des OQTF soient appliquées en Algérie.

SONIA MABROUK
Nous en sommes très loin parce que la méthode du bras de fer était la bonne méthode.

GERALD DARMANIN
Mais ce qui est sûr, c'est que c'est compliqué. Et quand c'est compliqué, il faut être opiniâtre.

SONIA MABROUK
Ma question, c'est, est-ce que la méthode du bras de fer a été ou aurait été la bonne depuis le début ?

GERALD DARMANIN
Je vous ai dit que le ministre de l'Intérieur avait raison. Voilà, je partage la conviction, les motivations, la détermination de Bruno RETAILLEAU. Il faut savoir juste que ce bras de fer va durer longtemps, voilà. Parce que les Etats, ils n'ont pas d'âme, ils n'ont que des intérêts. Et on voit bien que le régime algérien, avec lequel il faut discuter, l'Algérie c'est un immense pays, c'est le plus grand pays d'Afrique. C'est un pays qui combat aussi l'islamisme. Et c'est un pays qui a des frontières qui sont très importantes pour nous, notamment des frontières sahélo-sahéliennes ou libyennes. Mais c'est un pays qui comprend en effet une forme très importante de rapport de force.

SONIA MABROUK
On peut encore discuter dans une telle situation ?

GERALD DARMANIN
Je pense que le président de la République a eu raison de rappeler l'ambassadeur. Je pense que nous aurions raison de dénoncer les accords qui permettent aux passeports diplomatiques de venir par milliers sur le sol national. Et je pense qu'il faut accepter. Mais ça, je pense que les gens doivent le comprendre aussi. Que ce rapport de force, il doit se faire sur le long terme. Ce ne sera pas en quelques jours, en quelques semaines, qu'on va régler la question du rapport de force algérien.

SONIA MABROUK
Ce que les auditeurs ne comprennent pas, c'est que la liste des 60 OQTF les plus dangereux ne soit pas reprise. C'est qu'un écrivain franco-algérien soit encore détenu. C'est que la France ait mis des mois avant de réagir.

GERALD DARMANIN
Je ne suis ni ministre des Affaires étrangères, ni ministre de l'Intérieur.

SONIA MABROUK
Et solidaire d'un Gouvernement anglais.

GERALD DARMANIN
Oui, mais ce que je peux vous dire, c'est que lorsque j'étais en responsabilité, le rapport de force qu'on a mis en place a obtenu, au bout de deux ans, 40% d'expulsions.

SONIA MABROUK
Alors pourquoi nous ne l'avons pas fait ? Est-ce qu'il y a une crainte, je vous pose la question directement, est-ce qu'il y a une crainte d'une réaction de la diaspora algérienne ?

GERALD DARMANIN
Non, je ne le crois pas, mais je pense qu'il y a d'autres…

SONIA MABROUK
Le président n'a pas cette crainte ?

GERALD DARMANIN
Non, je ne le crois pas. Il faut bien connaître le président, mais il y a d'autres raisons d'Etat. Par exemple, vous savez très bien que l'Algérie nous donne des informations, il y a la DGSI, il y a la DGSE pour lutter contre des attentats. Par exemple, il y a des intérêts économiques, ce sont les entreprises françaises qui font le port d'Alger. Par exemple, parce que nous avons besoin aussi du grand pays qu'est l'Algérie pour lutter contre d'autres mouvements migratoires qui viennent du Sahel.

SONIA MABROUK
Quelle situation paradoxale quand même. Évidemment, avec l'Algérie qui est un grand pays, on partage les informations sur le terrorisme. Mais en même temps, c'est un individu sous OQTF ressortissant algérien qui a frappé à Mulhouse et que nous n'arrivons pas à expulser.

GERALD DARMANIN
C'est vrai. Mais on ne peut pas ne pas voir non plus que l'Algérie a connu plus de 200 000 morts du fait de l'islamisme radical.

SONIA MABROUK
Evidemment, c'était la période noire. C'est ce que dénonçait Boualem SANSAL en disant que ça pourrait arriver, dit-il avec précaution ?

GERALD DARMANIN
Et que l'Algérie a aussi travaillé beaucoup avec nous contre l'islamisme radical. Et quand j'étais ministre de l'Intérieur, l'Algérie nous a aussi donné des informations pour déjouer des attentats.

SONIA MABROUK
Vous permettez une question plus personnelle sur ce sujet, sur votre parcours ? Ça n'a pas échappé au grand public. Vous êtes aussi petit-fils d'un tirailleur algérien engagé dans l'armée française, évidemment. Je me suis toujours demandé comment quelqu'un comme vous, avec quand même des origines partagées et qui cohabitent très bien, me semble-t-il, voit cette relation qui se dégrade entre Paris et Alger ?

GERALD DARMANIN
Moi, j'ai des origines partagées, mais j'ai une seule identité. Je suis profondément français, culturellement, totalement assimilé.

SONIA MABROUK
Mais est-ce que le Français vous êtes dit qu'il faut tourner la page de la rente mémorielle ? Bruno RETAILLEAU parle d'obsession mémorielle.

GERALD DARMANIN
Oui, mais je pense que de manière générale, le passé est le passé. La France n'a pas à s'en excuser. On peut comprendre que des pays soient touchés par ce passé. Mais ce qui est important quand on fait de la politique, moi j'ai 40 ans, c'est l'avenir, voilà. Et de manière générale, notamment en Algérie, l'idée que l'on reparle sans cesse de ce qui s'est passé auparavant empêche l'avenir de voir les horizons nouveaux. Et la jeunesse algérienne, elle ne pense pas comme ça, vous voyez ? Donc il faut aussi que les dirigeants français ne pensent pas comme ça. Mais ce qui est certain, c'est que nous avons avec le régime algérien des différences profondes. Et nous sommes un problème de politique intérieure parfois pour l'Algérie. Et c'est ce qui ne va pas.

SONIA MABROUK
Pourquoi vous posez la question de la diaspora algérienne. Il y a un lien entre politique étrangère et politique intérieure.

GERALD DARMANIN
Moi, je distingue que soit les gens sont algériens, soit les gens sont français. S'ils sont français, je les considère comme des Français. Ils ont des origines, ils ont des habitudes, mais ce sont des Français. Et donc, je ne leur demande pas d'avoir un lien avec leur État…

SONIA MABROUK
Mais est-ce que le régime algérien les considère ainsi ?

GERALD DARMANIN
Mais en tout cas, il doit les considérer ainsi. C'est ça la souveraineté d'un pays. C'est de ne pas considérer qu'il y a des gens qui sont éternellement vos subordonnés. Pourquoi cette situation est très grave aujourd'hui en Algérie ? Parce que l'Algérie aurait organisé sur le sol national une tentative d'enlèvement pour un opposant politique. Ça, ce n'est pas une façon de faire.

SONIA MABROUK
Ils pensent que la justice est télécommandée et que la mise en examen de cette personne a été une réponse finalement à l'emprisonnement de Boualem SANSAL. Que répond le ministre de la Justice ? C'est peut-être le moment aussi, évidemment, une clarification…

GERALD DARMANIN
Les dirigeants algériens connaissent extrêmement bien la France. Ils savent très bien que nous ne commandons ni la presse, ni la justice. Et c'est normal parce que nous sommes une démocratie. Ils le savent très bien. Après, il y a des jeux politiques qui sont désastreux pour nos deux pays et pour le monde. Mais la France a raison de mettre un point d'arrêt, de rappeler son ambassadeur. J'espère demain qu'elle dénoncera les accords. Ce qui n'empêchera pas…

SONIA MABROUK
Les accords de … ? 68 ? 94 ?

GERALD DARMANIN
D'abord, l'accord de 94 et puis, ensuite effectivement, l'accord de 68. Et puis, le jour où on regardera l'avenir, on arrêtera de regarder le passé, on sera respecté l'État français doit être respecté. Il faudra évidemment reparler au grand pays qui est l'Algérie et aux grands peuples que sont les Algériens. Mais aujourd'hui, manifestement, ils ne sont pas capables d'avoir une relation d'égal à égal.

SONIA MABROUK
Regardons l'avenir donc. Merci Gérald DARMANIN. C'était votre grande interview. Je vous remercie. Je vous dis à bientôt.

GERALD DARMANIN
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 avril 2025