Texte intégral
Madame la Présidente, Mesdames, Messieurs les sénateurs, il est important pour moi d'être aujourd'hui face à vous pour redire avec force le soutien de la France au peuple haïtien, qui traverse l'épreuve de la violence et du chaos imposés par une véritable guerre des gangs.
La France est un Etat caribéen, comptant des territoires voisins d'Haïti. Nous sommes donc solidaires des défis sécuritaires que ce pays affronte et qui ont des répercussions à l'échelle de toute la région. C'est pourquoi je remercie la sénatrice Hélène Conway-Mouret de son engagement sur ce sujet si important.
Je tiens aussi à saluer l'engagement continu du groupe d'amitié France-Caraïbes en faveur d'Haïti, dont témoigne cette proposition de résolution. Je veux également saluer l'engagement et le sang-froid de notre ambassadeur à Port-au-Prince et de toute son équipe diplomatique ; j'y reviendrai.
Après l'assassinat du président Jovenel Moïse, en juillet 2021, et l'éviction du Premier ministre Ariel Henry, en mars 2024, Haïti est désormais entré dans une phase de transition politique. Cela s'est matérialisé par l'accord du 3 avril 2024 et la mise en place d'un exécutif bicéphale, composé d'un conseil présidentiel de transition et d'un gouvernement. Ce dernier a deux priorités : libérer la population de l'emprise des gangs et organiser des élections générales. Je rappelle que le pays n'en a pas connu depuis 2016.
La France soutient les autorités de transition haïtiennes et leur agenda. C'est pourquoi, en 2024, nous avons versé 750.000 euros à l'Organisation internationale de la francophonie (OIF) pour accompagner le processus électoral. Seul le bon déroulement des élections pourra donner une légitimité suffisante au futur gouvernement haïtien.
Pour l'heure, la situation sécuritaire ne cesse de se dégrader. La coalition de gangs a plongé le pays dans un terrible cycle de violence : plus de 5.600 morts et 1 million de déplacés rien qu'en 2024, auxquels s'ajoutent déjà 1.000 morts et 78.000 déplacés depuis le début de l'année 2025.
Le 1er avril, avec l'assaut contre la prison de Mirebalais, qui a causé l'évasion de 500 détenus, la violence a franchi un nouveau seuil. Au-delà de Port-au-Prince et du département de l'Artibonite, c'est désormais l'ensemble du territoire national qui est menacé.
Les forces nationales de sécurité, constituées de 10.000 hommes et bénéficiant du soutien d'une force multinationale, ne parviennent pas à contenir cette violence. Cette insécurité empêche l'acheminement de l'aide humanitaire et prive les Haïtiens de l'accès aux services de base : santé, éducation, alimentation. Aujourd'hui, 5,5 millions d'Haïtiens, soit la moitié de la population, souffrent de la faim.
Face à cette urgence, la France est pleinement engagée. Elle est, avec l'Espagne, le seul État membre de l'Union européenne encore présent à Port-au-Prince. En 2024, l'aide française a représenté 40 millions d'euros de dons, faisant de nous le troisième bailleur d'Haïti, derrière les États-Unis et le Canada.
Des liens indéfectibles unissent nos deux pays. Nous avons en partage une histoire, une géographie et une langue. Nos relations diplomatiques sont étroites : le 29 janvier dernier, le Président de la République a reçu à Paris le président du Conseil présidentiel de transition, Leslie Voltaire ; je me suis pour ma part entretenu avec mon homologue, Jean-Victor Harvel Jean-Baptiste.
Notre priorité, c'est le rétablissement de la sécurité. Depuis 2023, nous avons mobilisé plus de 11 millions d'euros pour soutenir la mission multinationale d'appui à la sécurité, la police nationale et les forces armées haïtiennes. Cet appui devra s'accompagner d'une montée en puissance des forces de sécurité et d'une lutte plus ferme contre les trafics et la corruption.
À ce stade, le Secrétaire général des Nations unies a écarté l'option, sollicitée par Haïti, d'une transformation de la MMAS en opération de maintien de la paix, pour privilégier le renforcement de la MMAS sur le modèle somalien. La France est favorable à une plus grande implication des Nations unies et nous nous tenons prêts à agir en ce sens au Conseil de sécurité.
Nous agissons pour la mise en place de sanctions à l'encontre des chefs de gangs et de ceux qui les financent. À l'ONU, la France a soutenu l'adoption d'un régime de sanctions spécifiques. Nous sommes à l'origine des sanctions mises en place par l'Union européenne en juillet 2023. Trois chefs de gangs ont déjà été désignés en décembre 2024 et de nouveaux dossiers préparés par mes équipes sont en cours d'examen à Bruxelles.
Sur le plan humanitaire, la France a alloué à Haïti 16,5 millions d'euros d'aide en 2024. Quelque 8,5 millions d'euros ont été consacrés à l'aide alimentaire, essentiellement via les cantines scolaires, avec une politique de soutien aux producteurs haïtiens. Par ailleurs, 2 millions d'euros ont permis, via l'OIM (Organisation internationale pour les migrations), d'aider les migrants haïtiens expulsés de République dominicaine.
Plus de 16 millions d'euros ont été consacrés à des projets de développement mis en oeuvre par l'Agence française de développement (AFD) et Expertise France, notamment dans les domaines de la santé maternelle et infantile, de l'éducation et de l'agriculture.
Un million d'euros ont également été alloués à notre coopération culturelle et éducative. Aujourd'hui, plus de 4 000 étudiants haïtiens poursuivent leurs études dans des établissements de l'Hexagone, mais aussi en Martinique, en Guadeloupe et en Guyane.
Par ailleurs, comme vous l'avez rappelé, Mesdames, Messieurs les sénateurs, 2025 est une année particulière du point de vue de l'histoire : elle marque le bicentenaire de la reconnaissance de l'indépendance d'Haïti par la France. À l'occasion de son entretien avec Leslie Voltaire, le 29 janvier dernier à l'Elysée, le Président de la République a indiqué que notre passé commun ne devait pas être oublié et qu'il était de la responsabilité de la France de faire vivre la mémoire de l'esclavage sur l'ensemble du territoire national, comme en Haïti.
Des initiatives seront annoncées par le Président de la République le 17 avril prochain, date éminemment symbolique, puisque c'est par l'ordonnance de Charles X du 17 avril 1825 que la France a concédé la reconnaissance de l'indépendance d'Haïti, en contrepartie d'une indemnité. À ce sujet, je le dis très clairement, la France est ouverte à un dialogue apaisé sur les questions mémorielles.
Enfin, nous ne pouvons ignorer la décision de l'administration américaine de geler son aide internationale. L'aide américaine représentait 60% de l'aide humanitaire reçue par Haïti. À cela s'ajoute le fait que les expulsions d'Haïtiens en situation illégale depuis les États-Unis ont commencé. Pour notre part, en dépit des restrictions budgétaires, nous avons la ferme intention de continuer à soutenir Haïti et sa population en 2025.
Je voudrais, avant de conclure, avoir un mot pour nos presque 1.000 compatriotes présents sur place, qui craignent pour leur sécurité et dont les enfants poursuivent péniblement leur scolarité sur Zoom.
Je tiens également à rendre un hommage appuyé à notre ambassadeur et à nos agents sur place, qui travaillent dans des conditions extrêmement dégradées : célibat géographique imposé ; déplacement dans des véhicules blindés précédés par des drones de reconnaissance ; évacuation des bureaux de l'ambassade qui se trouvaient à portée des échanges de tirs entre les gangs et la police. Leur courage et leur dévouement font honneur à la France.
Je compte évidemment sur vous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour les défendre en toutes circonstances et pour les saluer. (Applaudissements.)
Tous les orateurs l'ont dit à cette tribune : Haïti vit l'une des pires crises de son histoire. Notre soutien doit être à la hauteur des liens qui unissent nos deux peuples.
Ce soutien passe par la préservation de nos moyens, ceux de notre dispositif diplomatique, tout d'abord, car notre présence est le prérequis de toutes nos actions, ceux de notre coopération, ensuite, pour prolonger notre aide dans le domaine sécuritaire, ceux de l'aide publique au développement, enfin, pour faire barrage au désastre humanitaire qui menace et pour renforcer la résilience économique du pays.
Plus que jamais, les Haïtiennes et les Haïtiens ont besoin du soutien de la France pour obtenir le retour à la stabilité. Je resterai pleinement engagé sur ce sujet et je sais pouvoir compter sur votre mobilisation.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 avril 2025