Texte intégral
LAURE CLOSIER
7h43 sur BFM Business et sur RMC Découverte. Notre invitée ce matin c'est Agnès PANNIER-RUNACHER. Bonjour.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Bonjour.
LAURE CLOSIER
Ministre de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche. Ensemble, ce matin, on va parler du marché des quotas carbone, un marché qui a eu des difficultés ces dernières années, attaqué par des questions de fraude massive qui ont parfois fait la une de l'actualité. Vous y croyez, relancez ce marché ? Vous n'êtes pas seule, c'est dans un contexte international. Vous allez annoncer dans le contexte de ChangeNOW qui commence aujourd'hui au Grand Palais, c'est pendant trois jours, un Salon pour changer son regard sur la transition écologique. Vous allez annoncer une charte signée avec des industriels, des entreprises qui s'engagent à aller plus loin sur ce marché des quotas carbone. Comment on redonne confiance sur un marché qui a été décimé quand même ces dernières années.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Alors d'abord redire que dans la transition énergétique et écologique, le premier enjeu, c'est évidemment que chaque acteur économique baisse ses émissions de CO2…
LAURE CLOSIER
On ne commence pas par les quotas.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Dans ses process industriels, dans ses process de service. Et vous montriez tout à l'heure une enquête sur la manière dont les entreprises s'en étaient saisies. Et il faut dire que les entreprises européennes et les entreprises françaises sont plutôt allantes et font le travail, mais ce ne sont pas les seules. Les Chinois vont à toute allure. Attention. Et puis, la deuxième chose, c'est effectivement ces crédits-carbone. Ces crédits-carbone permettent d'aller plus vite et d'aller rechercher plus d'efficacité. C'est tout l'enjeu. Qu'est-ce qui a changé par rapport à il y a quelques années ? Eh bien, nous avons un accord de l'ensemble des États. Cet accord a été scellé à la COP 29. C'est une des rares avancées de la COP 29 à Bakou, sur laquelle on s'est mis tous d'accord pour avoir un marché de carbone à haute intégrité. C'est-à-dire que nous, États, on s'engage à garantir la lutte contre la fraude, la transparence de ce marché. Donc ce ne sont pas des acteurs privés qui se mettent d'accord dans un coin et qui peuvent un peu trafiquer les choses. C'est l'ensemble des États qui sont d'accord pour garantir l'intégrité du marché.
LAURE CLOSIER
Mais concrètement, ce n'est pas l'État français qui va aller vérifier que le crédit carbone a été bien utilisé pour construire un projet à l'autre bout de la planète. Il va falloir aller quand même vérifier qu'il n'y a pas de double utilisation, qu'il n'y a pas de la fraude. Comment on va faire concrètement ?
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Alors concrètement, maintenant s'ouvre une période où on va préciser le cadre de ce marché carbone. Mais juridiquement, on donne des leviers à ceux qui seraient confrontés à des risques de fraude et on donne des leviers à ceux qui s'investissent dans ce marché carbone. Par exemple, les auditeurs qui pourront conforter, aller sur place et dire : " C'est OK, on a bien baissé les émissions de gaz à effet de serre, on peut les compter comme ça. Donc on est garant de la méthode et garant du process ". Et ça change tout. Et c'est pour ça que je lance aujourd'hui à l'occasion de ChangeNOW une grande initiative, une charte en faveur de ces crédits carbone. On a des grandes entreprises qui s'engagent. Je pense à CAPGEMINI, je pense à SCHNEIDER ELECTRIC, je pense à BEKO, il y a aussi ARDIAN qui soutient cette démarche, donc un grand investisseur. L'enjeu, c'est de rassembler un maximum d'entreprises pour qu'elles se positionnent sur ce marché, qu'elles le rendent possible et qu'entre l'État qui sera garant de la méthode et qui luttera contre la fraude, et les entreprises qui feront le travail, on accélère cette décarbonation.
LAURE CLOSIER
Ils s'engagent à quoi concrètement dans cette charte ?
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Deux choses. Un, ils continuent à décarboner. C'est évidemment essentiel parce qu'il ne s'agit pas avec un marché de crédit carbone de dire : " Ben j'achète sur le marché des crédits carbone et je me lave les mains de la décarbonation ". Ça, ça ne marche pas. Et la deuxième chose, c'est qu'effectivement, en complément de leur action de décarbonation, en revanche, ils soutiennent des opérations de baisse d'émission de CO2, parce que peut-être leurs investisseurs leur demandent d'avoir une trajectoire plus rapide, parce qu'ils prennent des engagements. Et donc, avec ce nouveau marché carbone, ils font la démonstration que ce qu'ils font, ce n'est pas du " greenwashing " et ils sont protégés contre la fraude.
LAURE CLOSIER
Et ça peut représenter combien, le marché des crédits carbone ?
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Alors à ce stade, moi, je suis prudente parce que je préfère la qualité à la quantité. Donc je ne veux pas donner un objectif quantitatif qui serait une incitation finalement à vouloir aller trop vite. En revanche, je donne juste un exemple. Le gouvernement allemand vient de publier son texte de coalition. Et dans ce texte de coalition, le gouvernement allemand dit : " Moi, je suis prêt à aller baisser mes émissions de gaz à effet de serre à horizon 2040 à telle hauteur, et je prends en compte un certain nombre de pourcentages de crédits carbone ". Il mentionne 3%, c'est déjà beaucoup. Et d'autres pays, effectivement, commencent à envisager aussi cette démarche de prendre en compte des crédits carbone dans leur trajectoire. Donc vous voyez, c'est aujourd'hui beaucoup plus institutionnalisé que ça ne l'était encore il y a quelques mois. Et ça peut représenter peut-être 5, 10% de l'ensemble de nos trajectoires.
LAURE CLOSIER
On est d'accord que ça reste un dernier recours. C'est-à-dire c'est quand vous n'avez pas pu aller plus loin dans votre décarbonation, à la fin, vous utilisez les crédits carbone.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Ce sont deux choses. C'est, un, pour accélérer ou faire mieux que la trajectoire réglementaire. Ça, c'est pour certains investisseurs, certaines entreprises qui sont très engagées et qui montrent qu'elles sont à la pointe du combat. Donc elles le font pour fidéliser leurs salariés, pour avoir plus d'investisseurs qui les soutiennent et pour avoir plus de clients. Ou ça peut être, effectivement, en complément d'une trajectoire de baisse des émissions de carbone pour la sécuriser. Vous avez des projets qui baissent vos émissions de CO2, mais ça peut glisser d'une année parce que ça ne va pas assez vite, etc. Vous avez un aléa sur les travaux. Eh bien, comme ça, vous sécurisez votre trajectoire.
LAURE CLOSIER
Ça, c'est pour les crédits carbones. Du côté du marché du carbone européen, dans le New Deal européen, il est prévu que de nouveaux secteurs rentrent dans l'extension du marché du carbone début 2027. Il s'agit du bâtiment et des transports. En France, on doit rentrer dans les règles à partir de cette année. Il y a toujours, dès qu'on commence à parler de transport, cette crainte d'avoir les Gilets jaunes qui ressurgissent, d'avoir les prix de l'énergie qui augmentent, cette crainte qui, parfois, empêche même d'agir. Comment vous voyez cette extension du marché du carbone ?
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Alors d'abord deux choses. Première chose, s'agissant de l'électricité, nous avons une électricité décarbonée à 95%. Donc la bonne nouvelle, c'est que ça permettra de valoriser cet avantage compétitif par rapport à d'autres pays. Et donc, toutes les mobilités électriques sont favorisées. On sait d'ores et déjà que les mobilités électriques, en termes de carburant, ça coûte moins cher, bien moins cher que l'essence. Et ça, c'est le premier point. La deuxième chose, là aussi, sur le carburant, je veux juste rappeler une chose. Nous avons déjà une taxe carbone. Donc au fond, pour nous, ça ne va pas changer du jour au lendemain beaucoup de choses, parce que cette taxe carbone est déjà importante et ce sera un ajustement à la marge.
LAURE CLOSIER
Il n'y aura pas d'augmentation massive du prix de l'essence, par exemple ?
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Moi, je veux le dire pour les Françaises et les Français qui nous écoutent et qui pourraient être angoissés sur ce sujet-là. Et puis, vous savez qu'il y a beaucoup de fausses nouvelles qui circulent, beaucoup de prophètes de malheurs. Nous avons déjà une taxe carbone. Donc cette taxe carbone volontaire…
LAURE CLOSIER
Et ça ne peut faire qu'augmenter les prix. Il n'y a aucun moyen que ça soit autrement.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Si la taxe carbone couvre déjà l'ETS, si vous voulez, ça n'augmente pas les prix, pour être très simple.
LAURE CLOSIER
D'accord.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
C'est pour ça qu'il faut arrêter de raconter n'importe quoi sur les plateaux de télévision pour faire peur aux Françaises et aux Français. Aujourd'hui, on a une taxe carbone en France. Elle correspond peu ou prou au niveau de l'ETS qui est envisagé sur le carbone.
LAURE CLOSIER
Mais vous voyez comment est l'état d'esprit général, sur quel levier on appuie pour ne pas faire d'avancée écologique ? C'est-à-dire, c'est la peur des Gilets jaunes, c'est les normes qui embêtent, c'est le pouvoir d'achat toujours mis devant. C'est ça l'état d'esprit.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Alors deux choses. D'abord sur le pouvoir d'achat, je veux redire qu'aujourd'hui, le dérèglement climatique a un impact majeur sur le pouvoir d'achat. Regardez les prix de l'alimentation. Je vais prendre une production qui n'est pas en Europe. Le cacao. On a tous pu le voir au moment de Pâques.
LAURE CLOSIER
Très forte augmentation sur le prix du chocolat.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Le prix a flambé. Pourquoi le prix a flambé ? Parce que les récoltes sont mauvaises. Et les récoltes sont mauvaises parce que le dérèglement climatique fait qu'il y a des pressions majeures et que les récoltes sont mauvaises. Donc ce sujet du pouvoir d'achat, il faut le regarder les yeux grands ouverts. Le dérèglement climatique sur l'alimentation, sur un certain nombre d'accès à des biens essentiels, l'eau, etc. ça va augmenter les prix. Donc c'est un enjeu de pouvoir d'achat. Et quand on est un Gouvernement et qu'on veut protéger les Françaises et les Français, il faut agir sur le dérèglement climatique précisément pour protéger le pouvoir d'achat. Alors oui, c'est un travail de long terme. C'est-à-dire que moi, je travaille pour mes successeurs. Et beaucoup de responsables politiques peuvent avoir la tentation du court terme. Aujourd'hui, on ne fait pas les investissements. On s'en lave les mains et puis ben tant pis pour la suite. Sauf que toutes les études scientifiques et académiques montrent très clairement que le coût de l'inaction est bien plus élevé que le coût de l'action. Et je vous donne un exemple. Ne pas se protéger contre les catastrophes naturelles, contre les inondations, contre les submersions marines, contre les effondrements de blocs rocheux en montagne, ben ça coûte énormément. Ce sont des dommages qui sont huit fois supérieurs aux coûts de protection et des investissements. Donc il faut agir et il faut surtout dire qu'il y a une perspective. Cette perspective, c'est de garantir, dans les politiques écologiques, une qualité de vie, une qualité de santé. La pollution, ça nous coûte tous très cher. Ce sont des moins de vie qui vous sont enlevées. Le dérèglement climatique, je n'y reviens pas. C'est un risque pour votre patrimoine, perdre votre maison si elle est dans une zone inondable, c'est un risque pour vos emplois. 80% des emplois en France sont liés à des actifs naturels. Donc il faut agir, mais ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas accompagner les gens. Les gens qui n'ont pas la capacité à changer de voiture, par exemple.
LAURE CLOSIER
Oui. Typiquement.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Ou à rénover leur logement, ils ne doivent pas être pris dans un système où il n'y a pas de solution. Ça, c'est insupportable. Et c'est tout l'enjeu du Fonds social pour le climat qui va être lancé justement en marge de cette réforme des crédits carbone
LAURE CLOSIER
Vous parlez de court-termisme politique. Justement quand vous entendez le ministre de l'Économie, Éric LOMBARD, dire que les entreprises manquent de patriotisme économique, est-ce que là, on n'est pas purement dans la politique ?
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Non. Là, je pense qu'Éric LOMBARD a raison de dire ce qu'il est. Éric LOMBARD est, comme moi, quelqu'un qui a dirigé une entreprise. Il sait très bien ce qu'est la vie économique. Il a assumé des responsabilités. Mais il sait aussi que quand vous avez des responsables d'entreprises qui prennent des positions qui soutiennent un modèle économique et qui s'alignent sur des positions qui sont, on le sait très bien, contre l'Europe et contre la France…
LAURE CLOSIER
Donc c'est aller investir aux États-Unis. C'est ça dont on parle.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Non. Ça va au-delà. C'est expliquer que ce que fait l'Europe est problématique par rapport à ce que font d'autres grandes puissances. Et c'est, au fond, rallier et soutenir des grandes puissances dont le fond de l'action est d'agir contre l'Europe et la France. Je veux dire, on peut être un responsable économique et critiquer le Gouvernement. Je veux dire, c'est…
LAURE CLOSIER
Et peut-on critiquer Bruxelles ? C'est ça la question.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
On peut critiquer le Gouvernement. On peut critiquer Bruxelles, ce n'est pas un problème. Mais on n'agit pas contre son pays et contre l'Europe. Dans un moment géopolitique qui est particulièrement complexe, et je pense qu'on n'a pas besoin de mettre les sous-titres, où vous avez certains pays qui agissent systématiquement contre les intérêts des Français et contre les intérêts des Européens, avec des arrière-pensées très claires, eh bien, à un moment, il faut savoir à quel camp on appartient.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 avril 2025