Interview de Mme Juliette Méadel, ministre déléguée, chargée de la ville, à CNews le 29 avril 2025, sur les pères dans les quartiers difficiles, leur absence et la délinquance des mineurs.

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Média : CNews

Texte intégral

ROMAIN DESARBRES
Juliette MEADEL, ministre de la Ville, est avec nous ce matin. Bonjour madame la ministre.

JULIETTE MEADEL
Bonjour.

ROMAIN DESARBRES
Merci beaucoup d'être avec nous. Ce que je disais il y a quelques instants, je voulais vous entendre et puis on va en parler, vous allez nous donner votre point de vue sur la présence ou plutôt l'absence de nombreux pères dans les quartiers difficiles dans les cités. Où sont les pères ? C'est la question que vous avez posée à Rennes lors de votre déplacement après la fusillade. C'est vrai qu'on voit peu les pères dans les quartiers difficiles. On entend souvent les mères de famille, les mamans, comme on dit souvent. D'ailleurs, on ne parle que de leur rôle de maman, les mères, mais on ne parle pas des pères.

JULIETTE MEADEL
C'est le cri qu'elles ont poussé et je me déplace souvent. Ce que je vois, ce sont des habitantes, celles qui veulent me parler, sont des femmes en écrasante majorité et ce sont elles qui s'occupent des questions de propreté, même de sécurité des enfants, de l'éducation et qui sont seules. Et donc ce qu'elles me disent, c'est qu'elles sont seules pour élever leurs enfants, pas forcément plusieurs enfants, mais en général plusieurs, deux ou trois. Et le problème qu'elles ont, c'est qu'elles se retrouvent presque abandonnées. Et donc je suis frappée par le fait que ces enfants ont quand même besoin d'un cadre. Alors ça peut être deux femmes ou deux hommes. Ce n'est pas le problème d'un homme et d'une femme, c'est le problème d'une parentalité avec deux personnes pour s'occuper d'un enfant et de ces femmes dont je m'occupe qui sont laissées à leur solitude et qui ont des conditions de vie matérielles, j'insiste, très précaires. C'est difficile de s'occuper d'un enfant tout le temps quand on travaille la nuit et qu'on n'est pas forcément là le matin parce qu'elles n'ont pas d'autre choix que de travailler la nuit et qu'elles ne peuvent pas donc avoir leur fonction de présence avec l'aide d'un père.

ROMAIN DESARBRES
Ça, c'est le constat. Très bien. Où est le père ? Où physiquement se trouve le père ?

JULIETTE MEADEL
C'est une question qu'il faut poser aux pères, aux fameux pères, que je ne vois pas dans les quartiers.

ROMAIN DESARBRES
Ou à la mère qui doit savoir parfois…

JULIETTE MEADEL
Bien souvent, ce sont des femmes qui travaillent parce qu'elles n'ont pas d'autre choix pour élever leurs enfants. Et ce sont des pères qui ne sont pas là, n'assument pas leur fonction.

ROMAIN DESARBRES
Parce que votre question, c'est "Où sont les pères ? "Donc cette question, je vous la pose. Et vous devez avoir une petite idée, je suis certain.

JULIETTE MEADEL
Les pères sont, pas forcément d'ailleurs… À Rennes, l'autre jour, il y avait quand même deux pères de famille au milieu d'une vingtaine de personnes. Il y avait une vingtaine de mères avec deux pères de famille. Attention, je ne veux pas non plus fustiger les pères. Ça ne veut pas dire qu'un père systématiquement abandonne ses enfants. Ce n'est pas du tout ça. Mais dans les quartiers, les femmes sont les piliers des quartiers. Et moi, je veux leur donner plus de pouvoir.

ROMAIN DESARBRES
…problèmes de délinquance et du père absent dans les familles où il y a des délinquances et du père qui ne tient pas la famille.

JULIETTE MEADEL
Mais il est certain qu'un enfant - ce qu'on retrouve, le cas typique - c'est un enfant élevé par une femme seule pour lequel il est plus difficile de poser des limites. Il y a un problème d'autorité parce que l'absence du père ou l'absence d'un deuxième parent, c'est aussi vrai que ça amène des difficultés dans les limites éducatives et des difficultés d'autorité. Il est certain que vous retrouvez souvent des profils de femmes qui sont débordées en l'absence d'une deuxième personne pour les aider à élever leurs enfants.

ROMAIN DESARBRES
Comment on fait pour responsabiliser les pères, pour qu'ils jouent leur rôle éducatif ?

JULIETTE MEADEL
C'est précisément ce pourquoi, en tant que femme politique, j'ai posé cette question. Quand je dis " Où sont les pères ? " c'est un appel à la responsabilité. C'est aussi ce que me disent les femmes. Elles souhaiteraient avoir cette aide. Il y a une loi qui a été adoptée en 2020, qui est mise en application depuis 2022, qui déjà oblige les pères à payer les pensions alimentaires lorsqu'ils s'en vont. Je vous parlais de problèmes matériels. Ne pas pouvoir s'occuper de son enfant parce qu'on n'a pas suffisamment de moyens, c'est une responsabilité qui doit être partagée aussi par les pères. Cette loi les condamne à aller plus vite pour payer les pensions alimentaires, c'est le premier point. Le deuxième point, c'est que je souhaite aussi aider ces femmes. Je suis en train de mettre en place dans les quartiers une aide au retour à l'emploi, au microcrédit, pour que les femmes aient un pouvoir économique. Parce qu'aujourd'hui, sans pouvoir économique, elles sont fragilisées pour élever leurs enfants. Et enfin, la vraie question que vous me posez, qui est la question de savoir comment on contraint les pères à exercer leurs responsabilités, c'est d'abord une responsabilité morale. C'est une responsabilité de société. Le dire, le faire partager par toute la société, c'est retourner le sens de la responsabilité sur les pères ou les seconds-parents, de telle sorte qu'ils ne s'exonèrent pas de leur charge. Leur charge, c'est d'être présent pour élever un enfant. C'est quand même plus facile d'élever un enfant à deux que tout seul. Il y a des exceptions, évidemment. Il y a des mères remarquables, des pères seuls remarquables. Mais ça n'est pas forcément à l'État d'aller rappeler chacun à sa responsabilité avec de la contrainte normative. Mais c'est une question politique que je pose.

ROMAIN DESARBRES
Et qu'est-ce que vous proposez pour contraindre les pères à jouer leur responsabilité ?

JULIETTE MEADEL
D'abord, à assumer sur le plan matériel leur responsabilité. C'est l'objet de la loi de 2022. Elle a été adoptée. Notamment, c'était une promesse du Président.

ROMAIN DESARBRES
Qui est bien respectée, qui est bien appliquée ?

JULIETTE MEADEL
On démarre. C'était une promesse du Président MACRON.

ROMAIN DESARBRES
On démarre… On est en 2025…

JULIETTE MEADEL
Je suis d'accord avec vous.

ROMAIN DESARBRES
Ça fait cinq ans.

JULIETTE MEADEL
Il faut aussi inciter les femmes à se saisir de la Justice. Deuxièmement, je suis en train de mettre en place dans les quartiers des maisons d'aide, de soutien à la parentalité. Et la réponse à ça, c'est aussi qu'on doit partager l'éducation d'un enfant. Il faut tout un village pour élever un enfant.

ROMAIN DESARBRES
Dit le proverbe africain.

JULIETTE MEADEL
Oui, mais c'est un proverbe aussi qui est tout à fait dans nos cultures. On n'élève pas un enfant seul. Il faut tout un village pour élever un enfant. C'est aussi la responsabilité globale de la collectivité d'élever un enfant. C'est vraiment exactement là-dessus que je veux m'insurger.

ROMAIN DESARBRES
C'est d'abord la responsabilité des parents, excusez-moi.

JULIETTE MEADEL
Oui, mais quand vous voyez un enfant seul, quand vous voyez un enfant qui est fragilisé, qui est violenté dans la rue ou autre, on doit lui tendre la main. Parce que cet enfant-là, son action aura des répercussions aussi sur toute la société. Donc il y a une responsabilité collective.

ROMAIN DESARBRES
Parmi les femmes que vous avez rencontrées à Rennes, elles ont écrit un texte " Où sont les paix ? Où est la République ? " Les mères répondent. Donc elles ont écrit un texte dans lequel on peut lire notamment "Ne faudrait-il pas toute une République pour élever nos enfants ?". On en revient d'ailleurs à cette responsabilité. Est-ce que c'est à la République d'élever les enfants ? Est-ce que c'est aux parents ? La République éduque mais…

JULIETTE MEADEL
En cas de parents défaillants, bien sûr que c'est à la République. Mais qu'est-ce que c'est la République ? C'est l'éducation…

ROMAIN DESARBRES
Il ne faut pas que ce soit érigé en système, la défaillance des pères.

JULIETTE MEADEL
Non, mais la République est là quand il y a un pépin, quand il y a une fragilité. Vous savez, les quartiers, c'est 5,6 millions de personnes. Toutes ne sont pas des mères dont les pères sont partis. Soyons tout à fait clair.

ROMAIN DESARBRES
Heureusement

JULIETTE MEADEL
Et quand je m'occupe des endroits les plus difficiles, ce sont des endroits limités. Mais ce sont des endroits où il y a eu des pépins. Ce sont des endroits où il y a eu des parcours de vie brisés. Et la République a un intérêt à ce que les enfants soient bien éduqués et que les enfants soient heureux. Parce qu'un enfant élevé de telle sorte qu'il s'épanouit, c'est un citoyen heureux. C'est un citoyen qui n'a pas envie d'entrer dans la criminalité. Vous savez, ils n'ont pas envie, ces gosses, de se tomber dans le trafic de drogue. Ils souffrent de cette solitude. Donc c'est aussi la responsabilité de la République que d'être présent et d'aider ces femmes qui sont des femmes seules, qui n'ont pas choisi d'être seules, qui n'ont pas choisi d'être seules à faire face à cette lourde charge qui est d'élever un enfant quand on gagne moins que 1 000 euros par mois. Et c'est donc une responsabilité collective.

ROMAIN DESARBRES
Est-ce que ça touche particulièrement les familles d'origine immigrée dont les parents ne parlent pas français ?

JULIETTE MEADEL
Ça touche dans les quartiers… Oui, il y a une part de familles immigrées qui est assez importante, bien sûr. Ce sont aussi des parcours de vie qui sont marqués par des migrations récentes. Ce sont des parcours de vie où les pères sont peut-être morts, absents ou travaillent ailleurs que dans le quartier. Donc c'est vrai que ce sont des situations difficiles. Mais ce sont des situations qui sont en nombre suffisamment restreint pour qu'on puisse assumer nos responsabilités, nous, responsables politiques. Et cette responsabilité-là, c'est de faire en sorte que l'enfant puisse grandir dans les meilleures conditions possibles. C'est l'intérêt collectif de notre pays.

ROMAIN DESARBRES
C'est un sujet qu'on va suivre sur CNews. Et merci beaucoup, madame la ministre, d'être venue en parler ce matin dans la matinale de CNews. Juliette MEADEL, ministre de la Ville, merci à vous.

JULIETTE MEADEL
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 avril 2025