Interview de M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie, à RTL le 29 avril2025, sur la panne d'électricité massive qui a touché l'Espagne, le Portugal et une petite partie de la France, le débat concernant la souveraineté énergétique, ArcelorMittal et l'emploi industriel.

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Média : RTL

Texte intégral

THOMAS SOTTO
Bonjour et bienvenue sur RTL, Marc FERRACCI,

MARC FERRACCI
Bonjour,

THOMAS SOTTO
Je voudrais qu'on se dise quelques mots, pour commencer, de la panne d'électricité massive qui a touché l'Espagne, le Portugal, mais aussi une petite partie de la France ces dernières heures. Quel impact chez nous déjà ? Est-ce qu'il y a vraiment un vrai impact ou est-ce que c'est vraiment minimal ?

MARC FERRACCI
Non, non, c'est parfaitement minimal. J'ai discuté avec les directions de RTE tôt ce matin, qui m'a confirmé qu'il n'y avait aucune difficulté sur le réseau français, que 90% de la consommation était reprise sur le réseau espagnol et que, pour le Portugal, les perspectives sont aussi satisfaisantes. Mais effectivement, il y a eu une panne extrêmement importante, ce qu'on appelle un black-out, dont aujourd'hui, les causes ne sont pas connues avec précision.

THOMAS SOTTO
Vous n'avez aucune idée des raisons ? J'imagine que vous avez échangé avec nos voisins espagnols et portugais. Pas de suspect numéro un en quelque sorte ?

MARC FERRACCI
Aujourd'hui, on est en train d'analyser les causes possibles. Ce qui est certain, c'est que dans un système électrique, vous avez besoin d'avoir des marges de manoeuvre, vous avez besoin aussi de ce qu'on appelle la pilotabilité, c'est-à-dire pouvoir produire plus à des moments où la consommation est plus forte. C'est la raison pour laquelle nous avons, en France, un mix énergétique qui repose sur le nucléaire, qui est une énergie pilotable, et aussi sur les énergies renouvelables. Mais effectivement, on tirera toutes les conséquences et toutes les conclusions. Ce qui est certain, c'est que la coopération et les interconnexions entre la France et l'Allemagne, entre RTE en particulier, qui est notre opérateur de réseau, ont permis, ont facilité par la coopération, la reprise plus rapide de la consommation électrique en Espagne.

THOMAS SOTTO
Est-ce que ce matin, la thèse du piratage, du sabotage, la cyberattaque est tout à fait exclue ?

MARC FERRACCI
Rien n'est exclu, mais cette hypothèse qui a un petit peu fleuri dans les premières heures après la panne, aujourd'hui ne me semble pas être la piste privilégiée, mais encore une fois, j'attends que toutes les analyses soient faites.

THOMAS SOTTO
Est-ce que notre réseau à nous est aussi vulnérable ? Est-ce qu'une panne aussi massive pourrait arriver chez nous ? Est-ce qu'on est protégé différemment ?

MARC FERRACCI
Non, c'est beaucoup plus improbable. Pourquoi ? Parce que nous avons un certain nombre de mécanismes qui permettent de pallier à ce genre de problème. Lorsqu'il y a des difficultés très lourdes sur le réseau, ça s'est passé en 2006 par exemple, eh bien la coupure a pu concerner une partie de la population française, mais une partie seulement, 15 millions de personnes, c'est très important. Mais nous avons des phénomènes et des mécanismes qui permettent de nous prémunir contre ce type de problème.

THOMAS SOTTO
Y compris pour notre sécurité, pour la sécurité de nos centrales nucléaires, il n'y a pas d'inquiétude particulière ? Non. On est prêt à faire face ?

MARC FERRACCI
Non, sur ces sujets-là, on n'a pas d'inquiétude à avoir.

THOMAS SOTTO
D'accord. Chez nous, il y a eu, hier, un débat sur la souveraineté énergétique et les choix que nous ferons pour les 10 ans qui viennent, c'était à l'Assemblée, et si on en juge par le nombre de députés présents, ce n'est vraiment pas un sujet important, il n'y avait personne dans l'hémicycle, une dizaine de députés, ça vous choque pas, vous, en tant que ministre de l'énergie ?

MARC FERRACCI
On peut le regretter, ce d'autant plus que ce débat avait été appelé de manière extrêmement vive par certains groupes d'opposition, je pense en particulier au Rassemblement National, à la France Insoumise, qui disaient que la programmation pluriannuelle de l'énergie, cette programmation énergétique du pays, ne faisait pas l'objet de suffisamment de débats, était, d'un point de vue démocratique, traité par-dessus la jambe. Je constate effectivement qu'il y avait assez peu de députés, mais ça n'a pas empêché ce débat de se tenir et d'être utile, il va être relié…

THOMAS SOTTO
Est-ce que ça ne vaut pas un vrai débat avec un vote plutôt qu'un débat sans vote dans un hémicycle ?

MARC FERRACCI
Il y aura ce débat avec un vote, le Premier ministre l'a annoncé, puisqu'une proposition de loi portée par un sénateur arrive à l'Assemblée sur ces sujets de programmation énergétique, elle sera examinée en juin, donc, il y aura un deuxième débat, il y en aura un au Sénat sous le format qui a été celui du débat d'hier, mais il y aura aussi un débat avec un vote à l'Assemblée à la mi-juin. Ce débat a été utile quand même, parce qu'il a permis de trouver, je l'ai dit d'ailleurs dans mes réponses aux différents intervenants, une sorte de convergence sur une idée, une idée importante, c'est qu'il faut sortir de notre dépendance aux énergies fossiles. Le gaz, le pétrole, ça coûte à notre balance commerciale entre 60 et 70 milliards d'euros par an, lorsque Vladimir Poutine…

THOMAS SOTTO
Aujourd'hui on dépend à 60% à peu près des énergies fossiles en France.

MARC FERRACCI
Voilà, les énergies fossiles représentent 60% de la consommation d'énergie, et 99% de ces énergies fossiles sont importées de Russie, sont importées des États-Unis ou du Golfe. Et donc, on a besoin de sortir de cette dépendance. Hormis le Rassemblement National, qui ne voit pas, au fond, de problème à cette dépendance, la plupart des groupes politiques sont d'accord pour décarboner nos économies et pour sortir de cette dépendance aux fossiles. Et ça c'est un élément très important.

THOMAS SOTTO
Vous nous confirmez que ce sont bien les parlementaires qui voteront et qui choisiront, qui dessineront notre politique énergétique pour les 10 ans qui viennent ?

MARC FERRACCI
Il y aura ce débat, il y aura à la fin un décret, parce que c'est ce que prévoit la loi, en réalité. Mais ce décret, ça a été dit par le Premier Ministre, sera ajusté, sera amendé, connaîtra des évolutions, et je l'ai dit moi-même, à la lumière des deux débats qui ont eu lieu, hier, à l'Assemblée et dans quelques jours au Sénat, et à la lumière de ce débat parlementaire autour de la proposition de loi du sénateur GREMILLET.

THOMAS SOTTO
Marc FERRACCI, je vous laisse mettre à présent votre casquette de ministre de l'Industrie avec un gros dossier, celui d'ARCELORMITTAL, qui a donc annoncé quelque 600 suppressions de postes, notamment dans ses usines du Nord et de l'Est de la France. Il y a quelques jours, la porte-parole du Gouvernement disait que vous étiez à la manoeuvre. Mais que reste-t-il à manoeuvrer sur ce dossier ?

MARC FERRACCI
D'abord, moi je veux avoir une pensée pour les salariés, parce que derrière des chiffres, il y a des familles, il y a des perspectives de vie qui sont bousculées, et ça, c'est la première des choses qu'on doit avoir en tête.

THOMAS SOTTO
Ensuite... Même si une pensée, ça ne suffit pas pour…

MARC FERRACCI
Bien sûr, c'est pour ça que nous sommes dans l'action, nous le sommes depuis un certain temps déjà. Dans quelques minutes, je recevrai à Bercy la direction France d'ARCELOR, et je serai en direct avec la direction Europe d'ARCELOR.

THOMAS SOTTO
Vous allez leur dire quoi ?

MARC FERRACCI
Avec le but, d'abord, de comprendre ce que sont les perspectives de l'ensemble des sites d'ARCELOR pour la France. Parce que vous savez qu'il y a 600 salariés qui sont concernés, mais il y a des milliers de salariés qui sont toujours sur les sites France d'ARCELOR, et notre préoccupation, c'est qu'aucun site ne ferme. C'est ça, le sujet.

THOMAS SOTTO
Vous êtes persuadé qu'aucun site ne fermera aujourd'hui, ou vous n'avez pas cette certitude ?

MARC FERRACCI
Eh bien, justement, nous avons besoin de comprendre ce que sont les déterminants des décisions d'ARCELOR. Et dans les décisions d'ARCELOR, il y a plusieurs facteurs. Aujourd'hui, la sidérurgie est un secteur qui est bousculé par la compétition internationale. C'est une compétition qui vient notamment de Chine, avec de l'acier qui irrigue le marché européen, qui est surcapacitaire. Ça veut dire concrètement qu'aujourd'hui, vous avez des usines qui tournent en Europe et en France à 70% de leur capacité. Et donc, d'un point de vue économique, ça n'est pas tenable. Pourquoi est-ce que l'acier chinois est surcapacitaire ? Parce qu'il est massivement subventionné. Donc, la première des réponses, c'est une réponse au niveau européen de protection commerciale. C'est ce qu'on appelle des mesures de sauvegarde. Ça veut dire concrètement des restrictions aux importations quantitatives. Ce sont des annonces…

THOMAS SOTTO
C'est un peu technique. En gros, vous voulez taxer l'importation d'acier.

MARC FERRACCI
C'est exactement ça. On va laisser rentrer moins d'acier chinois en Europe.

THOMAS SOTTO
A quelle hauteur, vous voulez taxer ?

MARC FERRACCI
Eh bien, ça, ce sont des annonces qui ont été faites sur leur principe par le commissaire, Stéphane SEJOURNE, il y a quelques semaines, et qui vont rentrer en application dans les semaines qui viennent. Ça a déjà été fait. Ce que je veux vous dire, c'est que la discussion avec ARCELOR, elle concerne la réponse qu'on apporte au niveau européen à ce problème commercial. Et des réponses ont déjà été apportées. Ce que je vais discuter à la fois avec la direction d'ARCELOR et avec le commissaire SEJOURNE dans quelques jours, avant de partager tout cela, parce que c'est très important aux représentants des salariés et aux élus locaux qui sont extrêmement investis sur le sujet. Eh bien, c'est une discussion qui consistera à savoir quelles sont les bonnes réponses au niveau européen. Excusez-moi, je termine parce que c'est très important. Le but, c'est que les investissements d'ARCELOR, et en particulier de gros investissements que soutient l'État dans la décarbonation, se fassent. Si les investissements se font, eh bien, on aura des perspectives de maintien de l'emploi.

THOMAS SOTTO
Pour l'instant, la décarbonation, c'est sur pause. Et les salariés et les syndicats accusent ARCELOR de laisser pourrir les sites jusqu'à les rendre inexploitables. Est-ce que vous redoutez qu'on assiste à la mise en scène d'une disparition annoncée ?

MARC FERRACCI
Nous faisons tout pour éviter cela.

THOMAS SOTTO
Est-ce que vous êtes inquiet de ça ?

MARC FERRACCI
Nous faisons tout pour éviter cela, et c'est la raison pour laquelle l'État soutient les investissements de décarbonation. L'État a mis sur la table 850 millions d'euros pour investir dans la décarbonation sur le site d'ARCELOR de Dunkerque.

THOMAS SOTTO
Sauf qu'ARCELOR doit investir 1 milliard.

MARC FERRACCI
1,8 milliard.

THOMAS SOTTO
1,8 milliards en comptant l'aide de l'État.

MARC FERRACCI
En comptant l'aide de l'État, c'est exactement ça. Ce que nous souhaitons, c'est que cet investissement se fasse. Et ce que nous souhaitons, c'est qu'ARCELOR donne des perspectives, même si c'est difficile, dans les conditions de marché actuelles, avec les droits de douane…

THOMAS SOTTO
Est-ce que vous leur faites confiance ? Les syndicats n'ont plus confiance, les salariés n'ont plus confiance. Est-ce que le ministre de l'Industrie a confiance dans la parole d'ARCELOR ?

MARC FERRACCI
Écoutez, moi, je discute avec les acteurs et j'essaye de comprendre les raisons pour lesquelles ils prennent leurs décisions. Quand j'ai compris les raisons, j'agis sur les leviers. S'il faut agir sur le levier de la politique commerciale, nous agirons et nous l'avons déjà fait.

THOMAS SOTTO
Est-ce que la nationalisation est un levier ?

MARC FERRACCI
S'il faut agir sur le levier de la compétitivité avec les prix de l'énergie et les prix de l'électricité, parce que c'est un élément très important de la compétitivité et des décisions d'investissement de la synergie, nous agirons.

THOMAS SOTTO
Ça veut dire quoi, ça veut dire aider, subventionner ?

MARC FERRACCI
Ça veut dire faire en sorte que les négociations entre EDF et nos industriels, et notamment ARCELOR, aboutissent à des prix de l'électricité compétitifs et c'est ce que nous allons contribuer à accompagner d'ici le 1er janvier 2026.

THOMAS SOTTO
Est-ce que l'État pourrait au moins temporairement nationaliser ses usines ? En Angleterre, c'est ce que vient de faire le Gouvernement avec BRITISH STEEL.

MARC FERRACCI
Aujourd'hui, ça n'est pas à l'ordre du jour. Pourquoi ? Aujourd'hui, ce qu'il faut, c'est sécuriser ses investissements. Si on donne des perspectives qui font qu'ARCELOR investit en particulier dans ses fours électriques qui permettent la décarbonation de son processus de production, ça veut dire qu'ARCELOR croit à la production d'acier en Europe, à la production d'acier en France, et ça, c'est la meilleure garantie du maintien des emplois.

THOMAS SOTTO
Xavier BERTRAND, le président de la région Hauts-de-France, demande à l'État de se bouger et de convoquer une table ronde avec tout le monde autour de l'État. Vous allez le faire ou pas ?

MARC FERRACCI
Nous sommes en train justement d'organiser ce processus. Je vous l'ai dit, je prends de l'information auprès d'ARCELOR, je prends de l'information auprès de la Commission européenne et ensuite, effectivement, nous rencontrerons les élus, nous rencontrerons les organisations syndicales, évidemment, pour essayer de voir sur les perspectives.

THOMAS SOTTO
C'est quel calendrier ?

MARC FERRACCI
C'est les prochains jours ou les prochaines semaines.

THOMAS SOTTO
D'accord. Alors que le chômage repart à la hausse, combien d'emplois ont déjà été supprimés ou sont menacés dans l'industrie en France ? On entend ce chiffre de 300 000 emplois pour 2025, il est crédible ou pas ?

MARC FERRACCI
Non, ces chiffres qui circulent ne sont pas crédibles. Lorsque vous regardez la différence entre les emplois supprimés et les emplois créés, parce qu'il faut toujours avoir en tête qu'on détruit des emplois en permanence dans l'économie et dans tous les secteurs, dans l'industrie comme ailleurs, mais on en crée aussi beaucoup. Et l'emploi industriel se maintient, j'insiste sur ce point.

THOMAS SOTTO
Même s'il y a plus d'usines qui ferment que d'usines qui ouvrent en France, c'est le cas l'an dernier.

MARC FERRACCI
Je voudrais attirer votre attention là-dessus. Il n'y a pas que les usines qui ouvrent ou qui ferment, il y a les usines qui ouvrent ou qui s'étendent. Aujourd'hui, lorsqu'une usine s'étend, eh bien, il faut en tenir compte. Les ouvertures et les extensions de sites sont plus nombreuses que les fermetures ou les réductions.

THOMAS SOTTO
Quel est le solde en matière d'emploi ? C'est combien les prévisions pour cette année ?

MARC FERRACCI
Écoutez, les prévisions pour cette année, moi, vous savez, je commence par regarder ce qui se passe et les prévisions, je les laisse aux prévisionnistes. Mais lorsqu'on dit qu'il y a des emplois menacés, ça veut dire concrètement qu'il y a effectivement des emplois qui, à travers des plans sociaux et des fermetures de sites, peuvent disparaître. Notre rôle, mon rôle, c'est de me battre sur chaque dossier pour faire en sorte que les emplois soient maintenus. On a obtenu des victoires il y a encore quelques jours avec la fonderie de Bretagne qui a été reprise grâce à l'action de l'État, grâce à l'action des élus locaux avec 300 emplois sauvés. Sur chaque dossier, on se bat et on essaie aussi de créer le cadre pour que les entreprises continuent d'investir et que les sites puissent également s'étendre quand les industries sont productives et compétitives.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 avril 2025