Texte intégral
M. le président Didier Le Gac. Je suis très heureux d'accueillir en votre nom Mme Patricia Mirallès, Ministre déléguée chargée de la Mémoire et des Anciens Combattants de France.
Nous vous avons demandé de venir devant nous car notre commission d'enquête se préoccupe évidemment de la situation des anciens personnes civils et militaires ayant travaillé sur les sites de Moruroa et de Fangataufa notamment. Les conditions d'indemnisation de leur maladies radio-induites, la procédure devant être actuellement suivie devant le Civen sont au cœur de nos préoccupations. Mais la population polynésienne est également en attente de gestes forts de la part de l'État au titre de la période des essais nucléaires qui reste aujourd'hui, nous pouvons en témoigner, extrêmement vive.
Avant que vous n'interveniez pour un propos liminaire, si vous le souhaitez, je souhaiterais vous poser deux questions qui permettront de lancer le débat que nous aurons pendant une heure environ :
- je souhaiterais savoir tout d'abord s'il vous semble possible de modifier la réglementation actuelle du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre afin d faire bénéficier les personnes civils et militaires ayant travaillé sur les essais nucléaires en Polynésie de bénéficier du Titre de Reconnaissance de la Nation (TRN) ?
- ensuite, je souhaiterais savoir pourquoi l'accès aux dossiers médicaux et militaires des vétérans des essais nucléaires reste encore aujourd'hui aussi difficile ? Un vétéran ou sa famille ne devrait-il pas bénéficier d'un droit d'accès immédiat et simplifié aux documents le concernant, notamment pour faire valoir ses droits ? C'est une des sources de complication pour la confection des dossiers d'indemnisation devant le Civen et nous pourrions certainement avancer sur ce sujet.
Voilà deux, parmi d'autres, interrogations que nous pouvons avoir et sur lesquelles nous sommes intéressés d'avoir votre point de vue.
Mais, avant cela, et avant donc de vous donner la parole, je vous remercie de nous déclarer tout autre intérêt public ou privé de nature à influencer vos déclarations et je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je vais donc vous inviter à lever la main droite et à dire : « Je le jure ».
(Mme Patricia Mirallès prête serment.)
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants. Je mesure la gravité du sujet et l'importance qu'il revêt encore pour la société polynésienne, notamment pour les femmes et les hommes qui se trouvaient sur place au moment des essais nucléaires ou qui y ont pris part, directement ou par l'intermédiaire de leur famille. En répondant à vos questions, je souhaite contribuer à notre compréhension commune de l'histoire de la dissuasion et des essais nucléaires, mais aussi à la mémoire de cette période qui vit encore en nous, individuellement et collectivement.
Pour cette raison, il était important d'entendre des témoignages de première main, comme vous l'avez fait au cours de vos auditions. Je salue d'ailleurs votre persévérance pour que cette commission, née sous la précédente législature, puisse mener ses travaux à leur terme. Le choix du groupe de la Gauche démocrate et républicaine (GDR) d'utiliser une deuxième fois son droit de tirage témoigne à ce titre de la sincérité de son engagement.
Révéler ce qui a longtemps été couvert par le secret (nécessaire) de la Défense nationale, poser des mots sur les silences et permettre l'émergence de la parole sont une mission d'intérêt public, car les demi-vérités ou les rumeurs sont des poisons pour toute société. Si le sommeil de la raison enfante parfois des monstres, le silence peut aussi laisser le champ libre au développement d'un imaginaire nourri d'une réalité alternative. Parler suppose toutefois d'avoir quelque chose à dire et de s'assurer que l'on pourra être entendu.
Pour reprendre les mots d'une grande poète tahitienne, Flora Devatine, " c'est une forme de mépris que de ne pas chercher à comprendre ce que l'autre désespérément, maladroitement, tente d'expliquer ". Chercher à comprendre ce que chacun tente d'expliquer est essentiel pour tous les protagonistes des essais nucléaires en Polynésie française, pour vous comme pour moi. Nous ne devons pas oublier (l'actualité ne manque pas de nous le rappeler s'il en était besoin) qu'un des rôles primordiaux de l'État consiste avant tout à assurer la Défense nationale.
Depuis 1960, la dissuasion nucléaire constitue la clé de voûte de notre stratégie de défense. Empêcher toute guerre majeure qui menacerait la survie de la Nation et ses intérêts vitaux est la raison d'être du programme dans le cadre duquel se sont déroulés les essais du Centre d'expérimentation du Pacifique (CEP). Ils ont permis à la France de se doter d'une capacité de dissuasion souveraine dont nous pouvons être fiers puisqu'elle garantit notre liberté.
Votre commission d'enquête est l'occasion de rendre hommage à ces efforts collectifs et à l'engagement de tous ceux qui ont contribué à construire notre force de dissuasion. Depuis 2022, je m'attache à reconnaître le rôle joué par des milliers d'agents civils et militaires, au nom de la mémoire et du monde combattant.
S'agissant des essais nucléaires en Polynésie, cette reconnaissance officielle s'exprime, depuis 2021, par l'attribution de la médaille de la Défense nationale (la principale décoration du ministère des armées) avec l'agrafe " essais nucléaires ". En quatre ans, 3 885 récipiendaires ont ainsi été honorés.
La reconnaissance du monde combattant constitue le premier pilier de ma mission mais ma présence devant vous se justifie également par ma responsabilité vis-à-vis des archives du ministère des Armées. Dans ce domaine, mon action s'inscrit parfaitement dans la continuité de celle de ma prédécesseure, Geneviève Darrieussecq, et sur ce qui a été décidé lors de la table ronde sur le nucléaire du 1er juillet 2021. Rappelons également l'impulsion décisive du Président de la République qui, dans son discours de Papeete, le 27 juillet de cette même année, souhaitait briser le silence et reconnaissait que la Nation avait « une dette à l'égard de la Polynésie française », en particulier pour les essais nucléaires aériens menés entre 1966 et 1974. Pour faire reculer les doutes et rétablir la confiance, il avait choisi d'ériger en principe la communication des archives.
À la suite de ces déclarations, la démarche d'ouverture des archives a été menée de manière résolue par le cabinet de ma prédécesseure, les services d'archives du ministère, dont le service historique de la défense (SHD), et l'Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense (ECPAD).
Lors de sa venue en métropole en novembre 2022, j'ai tenu à recevoir Yvette Tommasini, inspectrice pédagogique représentant le président Édouard Fritch, et à l'accompagner dans nos services d'archives, afin qu'elle puisse constater l'avancée du travail d'ouverture qui se développait alors. Elle a pu consulter à la fois les documents ouverts à la consultation et, grâce à une procédure d'habilitation spécifique, ceux qui restent incommunicables. L'ouverture des archives s'est déroulée à un rythme soutenu. Il faut saluer l'implication des agents des services concernés et, plus largement, de tous ceux qui ont apporté leur expertise technique car cette opération hors norme, qui porte sur des volumes considérables, a été réalisée à moyens constants.
Pour éviter toute confusion, j'appelle votre attention sur le fait que l'ouverture des archives ne signifie pas que tout doit être mis en ligne. Il s'agit d'identifier les fonds d'archives concernés, de vérifier leur communicabilité, qui peut être faite librement, sous dérogation ou qui peut éventuellement être incommunicable à vie, et d'inverser la logique de fermeture qui prévalait jusqu'alors, en retirant des cartons les seuls documents proliférants, donc bloquants. Le travail est gigantesque car la communicabilité des documents doit être vérifiée pièce par pièce, conformément aux dispositions légales applicables. En trois ans, plus de 173 000 documents conservés au SHD ont été traités. À l'issue d'un examen minutieux, seuls 194 documents ont été déclarés incommunicables parce qu'ils contenaient des informations dites « proliférantes », c'est-à-dire pouvant permettre de concevoir, fabriquer, utiliser ou localiser des armes nucléaires, radiologiques, biologiques ou chimiques. L'ensemble représente un volume de près de 900 cartons. Il nous reste à finaliser l'analyse de 33 cartons, soit moins de 4% du total. Mon cabinet suit attentivement le déroulement de cette opération, dont j'ai demandé l'achèvement d'ici la fin du premier semestre 2025.
L'ECPAD a, pour sa part, déclassifié l'ensemble de ses ressources concernant les essais en Polynésie. Il est même allé au-delà de ce qui lui avait été demandé, puisque 94% de ses 28 500 photographies ont été numérisées et que 12 000 d'entre elles sont librement consultables sur le site ImagesDéfense.
Cet effort massif d'ouverture des archives s'est par ailleurs accompagné d'une politique de soutien à leur exploitation dans le cadre de recherches universitaires et à leur diffusion auprès du public, dans l'espoir de susciter des travaux historiques et d'enrichir ainsi notre mémoire collective. Dès novembre 2021, une page spécifique a été créée sur le portail internet de référence Mémoire des hommes, afin de rendre accessible le résultat des travaux de la commission d'ouverture des archives. Un contrat doctoral a en outre été financé pour une durée de trois ans et a bénéficié à un jeune chercheur polynésien (que vous avez d'ailleurs auditionné), qui devrait achever ses travaux cette année.
La volonté du Président de la République de faire connaître le plus largement possible l'histoire des essais nucléaires en Polynésie a également été prise à bras-le-corps pour l'ancrer dans la culture populaire. Grâce à la direction de la Mémoire, de la Culture et des Archives (DMCA) et à l'ECPAD, une résidence d'artistes a été créée pour une illustratrice de bande dessinée, une vidéo a été réalisée par une chaîne de vulgarisation historique sur internet (en un an, elle a été vue plus d'un million de fois) et un documentaire est en cours de production sur le choix de la Polynésie pour la réalisation des essais nucléaires. Le ministère soutient, par principe, toutes les initiatives qui vont dans le sens d'une plus large diffusion de cette connaissance historique, à la condition qu'elles s'appuient sur la vérité scientifique.
Mon périmètre couvre la reconnaissance envers le monde combattant, ainsi que l'accès et la valorisation des principales archives militaires. Dans ce cadre, nous faisons tout pour honorer la dette mémorielle évoquée en des mots très clairs par le Président de la République en 2021. Je rappelle que cette dette est aussi une dette de gratitude vis-à-vis de la Polynésie, de ses habitants et de tous ceux ayant contribué aux essais ou qui en ont été victimes et sont bénéficiaires de la loi Morin.
Nous devons faire confiance au travail scientifique et aux chercheurs pour créer les conditions d'émergence de la vérité historique, qui, seule, permettra de poser les bases d'une mémoire commune des essais. C'est le sens de la politique d'ouverture des archives qui a été menée.
Pour conclure, je répondrai à vos deux questions, monsieur le Président.
Concernant le TRN, la reconnaissance due par la France aux employés civils et militaires du Centre d'expérimentation du Pacifique pour leur contribution décisive au programme de dissuasion s'exprime officiellement, depuis 2021, par l'attribution de la médaille de la Défense nationale avec l'agrafe « essais nucléaires ». Comme je l'ai indiqué, 3 885 récipiendaires ont déjà été honorés. Leur nombre montre l'importance que nous attachons à cette reconnaissance, au-delà des revendications de certaines associations.
Le titre de reconnaissance de la nation est accordé aux personnes ayant participé à l'un des conflits armés majeurs auxquels la France a pris part. Or les essais nucléaires en Polynésie ont été réalisés sur le territoire national, en temps de paix. Le Gouvernement n'envisage pas de remettre en cause la logique du TRN pour en permettre l'octroi aux personnes ayant participé aux essais nucléaires. Une telle décision irait à l'encontre de la politique de reconnaissance des anciens combattants, dont la raison d'être est l'activité en zone de conflit.
S'agissant des archives médicales, elles ne sont pas classifiées mais protégées par le secret médical. Chacun a droit au respect de sa vie privée et au secret des informations le concernant ; les Polynésiens ne font pas exception. Le code de la santé publique dispose que le fait d'obtenir ou de tenter d'obtenir la communication de ces données est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. La protection est de 120 ans à compter de la date de naissance de la personne concernée ou de 25 ans à compter de son décès.
En cas de véritables problèmes d'accès, je m'engage à intervenir pour lever les obstacles. Je sais toutefois qu'au ministère des armées, notamment au sein du département de suivi des centres d'expérimentation nucléaire (DSCEN) – qui ne conserve pas des dossiers mais des données médicales –, les demandes émanant du Civen, des administrations, des vétérans ou de leurs ayants droit, en métropole comme en Polynésie, sont systématiquement traitées et la transmission des documents s'effectue dans le respect du code de la santé publique. En revanche, les associations, même si elles ont pour objectif la défense des personnes affectées par les essais nucléaires, ne disposent d'aucun droit à la communication de données médicales individuelles.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie, madame la Ministre, et laisse la parole à notre rapporteure pur commencer nos échanges.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. La loi Morin prévoyait que la commission consultative de suivi des conséquences des essais nucléaires (CCSCEN) se réunisse deux fois par an. Elle s'est enfin tenue le 1er avril, après quatre ans d'attente. À cette occasion, j'ai souligné auprès du ministre de la Santé la nécessité de mener une étude épidémiologique en Polynésie. Un tel exercice n'y a jamais été réalisé ; des études ont bien été effectuées par Sépia-Santé à la demande des armées mais elles n'ont impliqué que des personnels originaires de métropole. Une étude épidémiologique globale permettrait enfin de connaître l'état de santé des Polynésiens. Vous parliez d'imaginaire, mais celui-ci se nourrit de l'absence d'éléments factuels.
Au cours des auditions, il a également souvent été question de l'opacité concernant les registres du cancer. La Polynésie est compétente en matière de santé depuis 1977 mais la Caisse de prévoyance sociale (qui est l'équivalent de la Sécurité sociale) ne dispose pas de données antérieures à 1985.
La Polynésie bénéficiait d'un hôpital public mais, pendant la période des essais nucléaires, tous les cas suspicieux étaient orientés vers l'hôpital militaire de Jean Prince. Or nous ne savons pas où se trouvent les registres de cet établissement. Apparemment, ils pourraient être à Limoges ou à Pau. Vos services pourraient-ils faire des recherches ? Ces données sont importantes pour mieux connaître l'évolution de l'état de santé des Polynésiens depuis 1966 puisque l'armée a assuré un suivi de tous les malades de cancer.
Le service polynésien des archives abrite ce qu'il appelle le fonds du gouverneur. Ces archives, qui représentent plusieurs mètres linéaires, ne sont pas militaires mais elles couvrent la période du CEP. Malheureusement, elles risquent de disparaître petit à petit car l'État n'accorde plus de moyens au Haut-Commissariat pour les traiter. Or elles prennent beaucoup de place et il est de plus en plus difficile de les conserver dans des conditions dignes. Pourriez-vous intervenir pour que ces archives soient sauvées ?
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée. Votre première question sur la réalisation d'une étude épidémiologique ne révèle pas de mon champ de compétences. Le ministre de la Santé, que vous devez auditionner prochainement, sera plus à même de vous répondre.
S'agissant de l'accompagnement des vétérans, le ministère des Armées (et plus largement l'État) assume le passé et mobilise de nombreux acteurs afin d'assurer la gestion des conséquences radiologiques des essais nucléaires. Il serait trop long de tous les énumérer et de détailler leurs missions mais j'évoquerai tout de même l'un des dispositifs.
Les vétérans (que l'on nomme ainsi même s'ils ne sont pas ressortissants de l'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre) sont environ 26 500, en Polynésie et en métropole. Le service de santé des armées (SSA) a mis deux médecins à la disposition du Gouvernement polynésien, au Centre médical de suivi (CMS) des anciens travailleurs du CEP et des populations des îles situées à proximité. Ils contribuent au dépistage des pathologies potentiellement induites par les essais nucléaires chez les vétérans et les résidents. Ils accompagnent également les personnes souhaitant constituer un dossier d'indemnisation. J'espère que vous avez pu les rencontrer lors de votre déplacement en Polynésie.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Non, mais nous les avions auditionnés au début de nos travaux.
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée. Concernant la « confiscation » des registres du cancer, il est essentiel de faire la part des choses et de distinguer ce qui relève de la subjectivité des témoignages et ce qui relève de la vérité historique. Cet enjeu est central. On peut être de bonne foi et avoir interprété des choses de manière inexacte. Une imprécision peut être progressivement amplifiée, généralisée et acquérir la valeur d'une certitude. Il ne m'appartient pas de remettre en cause la véracité d'un témoignage ou l'exactitude de tel ou tel fait, mais faire pleinement entrer les essais nucléaires en Polynésie dans notre histoire suppose de sortir des logiques de convictions subjectives, d'opinions et d'idées reçues pour s'en remettre à l'objectivité du travail des historiens.
Le sujet des archives présentes en Polynésie relève du ministère de la culture. Je crois qu'elles sont accessibles mais je ferai part de vos inquiétudes concernant leur conservation, notamment auprès du service interministériel des Archives de France (Siaf).
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Les registres du cancer existent bel et bien ; tout hôpital, de surcroît militaire, établit de tels registres. Or le problème est que nous ignorons où ils se trouvent ! Il s'agit donc de les retrouver car ils pourraient être utilisés dans le cadre de l'étude épidémiologique. S'agissant des archives hébergées par le Gouvernement polynésien, nous nous adresserons au ministère de la Culture.
Par ailleurs, j'ai rencontré beaucoup de travailleurs civils qui étaient employés par des sous-traitants du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Malheureusement, comme ces entreprises ont disparu depuis bien longtemps, ils ne parviennent pas à le prouver et ne perçoivent aucune retraite. Quelle solution serait envisageable pour ces personnes qui, pour celles qui ne sont pas décédées, ont aujourd'hui plus de 80 ans ?
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée. Les archives des hôpitaux d'instruction des armées (HIA) sont conservées à Limoges. Elles sont consultables sur demande, dans le respect des règles que j'ai rappelées tout à l'heure en matière de secret médical. Aucune information ne peut évidemment être communiquée aux associations.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Il existe d'ailleurs une incohérence car le secret médical perdure pendant vingt-cinq ans après le décès, alors que la loi Morin donne six ans aux ayants droit pour engager une procédure d'indemnisation après la mort de leur père ou de leur mère.
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée. Pour ce qui est des travailleurs civils qui étaient employés par des sous-traitants et qui ne touchent pas de retraite, je vous invite à interroger le CEA sur la manière dont ils pourraient être reconnus. Il a connaissance de ce dossier.
M. le président Didier Le Gac. Vous rencontrez régulièrement les représentants de la Fédération nationale des officiers mariniers (Fnom), mais avez-vous déjà rencontré les responsables de l'Association des vétérans des essais nucléaires (Aven) ?
Mon département, le Finistère, compte de nombreux vétérans. À Brest, port militaire, des milliers de marins d'État ont été affectés à Moruroa pendant trente ans. Comme le reste de la population, ils ont avant tout besoin d'être rassurés. Au début, les essais étaient présentés comme propres. On disait qu'il n'y avait aucun danger. Toutes les personnes qui étaient sur place à l'époque ont vécu avec cette chape de plomb faite de contre-vérités et de mensonges. Nous avons recueilli de nombreux témoignages de militaires qui assistaient aux essais nucléaires sans aucune protection, à la différence des personnels du CEA. Ils traversaient parfois des nuages radioactifs avec leur navire ou leur avion.
Le suivi médical post-professionnel des vétérans pourrait être amélioré. En outre, plutôt que de leur demander d'apporter la preuve qu'ils ont été irradiés, une indemnisation forfaitaire ne pourrait-elle pas être versée à tous les marins d'État qui ont été, à un moment ou un autre, exposés aux essais nucléaires ? Je fais le parallèle avec l'amiante, qui est un autre dossier que je connais bien. Tous les salariés qui y ont été exposés dans leur entreprise sont indemnisés. Pourquoi n'est-ce pas aussi simple pour des personnes qui ont servi la France et qui ont participé à la construction de notre dissuasion nucléaire ? Pourquoi leur imposer un nouveau parcours du combattant ?
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée. Je n'ai pas reçu les représentants de l'Aven depuis que je suis revenue au Gouvernement mais je le ferai avec grand plaisir s'ils le souhaitent. De manière générale, je rencontre toutes les associations qui le demandent.
Toutes les personnes qui ont été exposées à plus de 1 mSv (qui est la norme actuelle) ont le droit à une indemnisation. Sur les 26 500 personnels civils et militaires qui ont travaillé au CEP, 1 930 sont dans ce cas. En 2022, 62 % des indemnisés étaient des vétérans. Je rappelle encore une fois que près de 4 000 d'entre eux ont par ailleurs reçu la médaille de la Défense nationale avec l'agrafe " essais nucléaires ".
M. le président Didier Le Gac. Aujourd'hui, ils doivent prouver qu'ils ont été exposés à plus de 1 mSv. C'est cette disposition que nous souhaitons changer dans la loi ; à voir ce que proposera la rapporteure sur ce point.
Un autre sujet qui préoccupe les représentants de l'Aven est celui des victimes par ricochet et des maladies intergénérationnelles. Beaucoup d'entre eux craignent que certains cancers touchent également leurs enfants ou petits-enfants. Un suivi médical post-professionnel permettrait peut-être de les rassurer.
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée. Je ne suis pas médecin mais, sauf erreur, aucun élément ne prouve que ces cancers se transmettent de génération en génération. Au contraire, je crois que les études disent le contraire. Dans ce domaine, je préfère être rassurante plutôt que de laisser libre cours à l'imagination ; le ministre de la Santé pourra néanmoins revenir sur le sujet et vous apporter des arguments scientifiques.
M. le président Didier Le Gac. Un centre de mémoire des essais nucléaires doit voir le jour à Papeete. En êtes-vous informée ? Quelle part votre ministère, qui est en charge de la mémoire, peut-il prendre dans ce projet ? Des discussions ont-elles été engagées avec le président Brotherson au sujet de son financement ?
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée. Le financement d'un tel projet ne relève pas de mon ministère. En 2020, l'État a offert au pays un terrain qui abritait les anciens bâtiments du commandement maritime, d'une valeur estimée à 5,5 millions d'euros. En mars 2022, une mission d'appui scientifique et culturel a été effectuée par des personnels du ministère de la Culture. Lorsque le moment sera venu, le ministère des Armées pourra apporter son soutien pour que puissent être menées des recherches documentaires ou que soit permise la mise à disposition gratuite d'archives. Pour le moment, il n'a pas été sollicité. Je ne sais pas si un comité scientifique a été mis en place mais je sais que le commandant supérieur (Comsup) des forces armées en Polynésie française suit le dossier.
J'en profite pour vous préciser que mon ministère est par ailleurs le deuxième opérateur culturel de l'État puisqu'il a la charge de plusieurs musées. J'ai récemment évoqué le sujet des essais nucléaires avec le général Yann Gravêthe, directeur du musée de l'Armée-Invalides depuis le mois de septembre 2024. Il est important qu'une place plus importante leur soit accordée au sein de cette institution.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Depuis que je suis députée, je suis régulièrement invitée à des commémorations par le Haut-Commissaire. Je m'y rends à chaque fois que je suis sur place car je trouve important de rendre hommage à ceux qui se sont battus pour notre liberté.
Le Gouvernement envisage-t-il d'instaurer une journée nationale (ou éventuellement locale, mais je préférerais qu'elle soit nationale) pour rendre hommage à ceux qui ont participé aux essais nucléaires et reconnaître ce pan d'histoire commune entre la France et la Polynésie française ?
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée. Votre demande est légitime mais elle dépasse la compétence de mon ministère, qui n'est chargé que de la mémoire des conflits contemporains du monde combattant.
Par ailleurs, la multiplication des journées nationales ne permet plus d'en faire de véritables leviers de mobilisation de la mémoire. Je le déplore mais je constate un certain épuisement de ce modèle lors de mes déplacements. L'avenir repose plutôt sur des événements et des actions ponctuelles autour de centres de recherche, d'espaces muséaux ou d'installations culturelles.
La Polynésie pourrait décider d'une journée dédiée, avec un événement qui s'adresserait plus particulièrement aux jeunes. Il est important de leur faire comprendre ce qui s'est passé et de leur permettre de regarder l'histoire en face, sans laisser trop de place à l'imaginaire.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. Les associations organisent déjà des événements le 2 juillet. En 1966, c'est le jour où a été effectué le premier tir à Moruroa, le tir Aldébaran. Les journées de commémoration rendent souvent hommage à des victoires obtenues sur le champ de bataille. Pour une fois, pourquoi ne pas célébrer le développement d'une arme prétendument de paix ?
M. le président Didier Le Gac. Nous nous sommes rendus dans un lycée en Polynésie et nous avons été frappés de constater que beaucoup de lycéens ne connaissaient pas l'histoire des essais nucléaires. En métropole, de nombreux Français l'ignorent également. Ils ne savent pas que 193 essais nucléaires ont été réalisés sur ce territoire.
Je sais que vous n'êtes pas ministre de l'Éducation nationale mais les manuels d'histoire devraient faire référence aux essais lorsqu'ils traitent de la dissuasion nucléaire. Si notre pays en dispose aujourd'hui, c'est grâce aux Polynésiens, qui ont accueilli ces expérimentations pendant trente ans. Mme la rapporteure fera sans doute une proposition en ce sens et peut-être pourrez-vous la relayer au sein du Gouvernement ?
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée. Connaître l'histoire est utile pour préparer l'avenir, comme le dit souvent le Président de la République. Mon ministère soutient des projets éducatifs et culturels, notamment par le biais de la DMCA. Nous mettons régulièrement à disposition des ressources, dont les archives photographiques ou audiovisuelles de l'ECPAD, dont beaucoup sont d'ailleurs accessibles en ligne.
J'ai évoqué avec la ministre de l'Éducation nationale les évolutions que nous devons apporter à notre manière de nous adresser à la jeunesse. S'agissant de la Polynésie, je rappelle toutefois que c'est le pays et non l'État qui est compétent en matière d'éducation ; c'est donc à elle qu'il revient d'adapter les programmes scolaires de la métropole à son propre contexte.
Des efforts sont probablement nécessaires dans le domaine de la formation des enseignants, qui ont parfois du mal à évoquer certaines situations. Pour qu'ils puissent jouer pleinement leur rôle dans la transmission de la mémoire, ils doivent en avoir les moyens. Le ministère de l'Éducation polynésien travaille sur le sujet avec le vice-rectorat dans le cadre du groupe de travail " Enseigner le fait nucléaire en Polynésie française ".
Ce qui est certain, c'est que plus nous parlerons des essais nucléaires, plus la recherche se développera et plus les tabous tomberont, y compris chez les enseignants qui pourraient encore hésiter à aborder le sujet.
Mme Mereana Reid Arbelot, rapporteure. L'enseignement des essais nucléaires ne doit pas concerner que la Polynésie, même si c'est elle qui en a subi les effets néfastes. Cette page de l'Histoire nous est commune. Notre préconisation concernera donc l'éducation nationale. En Polynésie, les jeunes apprennent toute l'histoire de France : nous aimerions que cela soit réciproque.
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée. Vous avez raison. Le fait nucléaire doit être enseigné partout en France et donc également en métropole. La décision lui appartiendra, mais j'ai déjà fait part de mes réflexions à ce sujet à la ministre de l'Éducation nationale.
M. le président Didier Le Gac. Nous avons beaucoup parlé des archives qui dépendent de votre ministère, ce qui n'est pas le cas de celles du CEA. Ne serait-il pas souhaitable de les faire entrer dans le régime de droit commun, puisqu'il s'agit également d'archives liées à la défense ? Apparemment, le CEA est assez réticent à l'idée de les rendre accessibles. Pourquoi les vétérans devraient-ils être pénalisés ?
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée. Le ministère des Armées exerce une tutelle sur le CEA pour les aspects liés au programme de dissuasion nucléaire français. En revanche, le CEA (et plus précisément la direction des applications militaires) relève du ministère de la Culture et du service interministériel des Archives de France pour la gestion de ses archives. La convention accordant au CEA son autonomie pour la gestion de ses archives a été signée en 1985 avec le ministère de la Culture et non avec le ministère des Armées. Mon ministère ne peut donc pas intervenir, que ce soit en matière d'accès, d'inventaire ou de déclassification des documents ; toute modification de ce cadre de gestion nécessiterait une évolution du code du patrimoine, qui est le texte législatif de référence dans ce domaine.
Toutefois, je rappelle qu'un travail d'ouverture a été engagé par la DAM. En février 2020, une commission interne chargée d'analyser la communicabilité et la déclassification des documents demandés par les chercheurs a été mise en place. Le CEA a répondu à une incitation du ministère des Armées, faite en 2019, dans le contexte de travaux menés par certains historiens et du soutien apporté par l'État au projet du centre de mémoire en Polynésie.
Les spécialistes du nucléaire au CEA ont par ailleurs joué un rôle majeur dans le processus d'ouverture des archives. Le travail n'aurait pas pu être réalisé aussi rapidement et efficacement sans eux. La DAM a également contribué à la page consacrée aux essais nucléaires en Polynésie française sur le portail Mémoire des hommes. Certaines archives numérisées ont ainsi pu être mises en ligne. Nous faisons tout ce qu'il est possible de faire pour avancer.
M. le président Didier Le Gac. Je vous remercie, madame la ministre
source https://www.assemblee-nationale.fr, le 6 mai 2025