Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 50-1 de la Constitution, portant sur la souveraineté énergétique de la France.
La parole est à M. le Premier ministre. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI, INDEP et Les Républicains.)
M. François Bayrou, Premier ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, tout le monde le sent bien : la question de la souveraineté énergétique est celle-là même de notre indépendance.
Pour dire les choses crûment, aujourd'hui, nous sommes dans une situation de dépendance : 60 % de l'énergie que nous consommons en France provient de sources fossiles, des hydrocarbures que nous importons. Ainsi, 40 % sont issus du pétrole, et 20 % du gaz.
Cela pose, bien évidemment, des problèmes très préoccupants pour notre pays.
Cela pose un problème géopolitique, tout d'abord, car cette dépendance et cette vulnérabilité stratégique vis-à-vis de pays producteurs de pétrole et de gaz sont particulièrement sensibles. Il suffit d'énoncer des États comme l'Arabie saoudite, la Russie ou les États-Unis pour mesurer à quel point, ces dernières années, cette dépendance a été à l'origine d'une difficulté politique pour notre pays.
Cela pose un problème écologique, ensuite, car ces quelque 1 000 térawattheures – soit 1 000 milliards de kilowattheures – provoquent l'émission de 280 millions de tonnes de CO2. Cette situation est en contradiction avec les engagements que nous avons pris en termes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. En effet, nous nous sommes fixé pour objectif d'atteindre la neutralité carbone en 2050, c'est-à-dire l'équilibre entre les émissions de CO2 et l'absorption de carbone par la nature et par les technologies de capture, lorsque ces dernières existeront.
Cela pose un problème financier, enfin. Voilà trois semaines, j'ai exposé devant nos compatriotes l'état de nos finances publiques, notamment la gravité de notre déficit commercial. Ce dernier s'élève aujourd'hui à 100 milliards d'euros par an. Sur ce montant, le poste consacré aux hydrocarbures en représente près de la moitié.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C'est vrai !
M. François Bayrou, Premier ministre. Cette situation nous place dans un état d'urgence énergétique. Il y a une bonne nouvelle, toutefois : il existe une stratégie pour sortir de cette impasse, parce que nous disposons d'une partie des ressources requises et que la France maîtrise une proportion importante des technologies nécessaires.
La question qui se pose maintenant est celle de l'équilibre de notre politique énergétique.
Différentes sources d'énergie existent. Lesquelles mobiliser ? Quelle combinaison trouver entre celles-ci ? Comment ce mix énergétique doit-il être composé et équilibré ? C'est là que commence notre débat. (Marques d'approbation sur des travées du groupe Les Républicains.)
Permettez-moi cependant, avant d'entrer dans le vif du sujet, de dire un mot sur la méthode adoptée par le Gouvernement dans l'élaboration de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).
La précédente programmation pluriannuelle de l'énergie date d'avril 2020. Nous arrivons au terme du délai de cinq ans que la loi fixe pour sa révision. Au-delà de la loi, ce sont les faits qui imposent de la réexaminer, car la perspective sous-tendant le texte de 2020 est absolument renversée par l'actuel état du monde et les nécessités nouvelles auxquelles nous devons faire face.
Comment continuer comme si de rien n'était et être crédibles, si nous sommes sous l'empire d'un texte datant de 2020 qui prévoyait de fermer quatorze réacteurs nucléaires, alors que, selon les analyses plus récentes qui ont suivi le discours du Président de la République à Belfort du mois de février 2022, il convient d'en créer quatorze nouveaux ? Mesurons-nous à quel point le monde a changé en cinq années ?
La commission d'enquête sénatoriale portant sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050 a d'ailleurs très bien souligné la nécessité de la relance du nucléaire dans les conclusions qu'elle a rendues au mois de juillet dernier.
Nous devons assurer notre propre équilibre énergétique. Le travail en ce sens sera éclairé par l'avis des autorités prévues par la loi. Nous entendons y ajouter l'avis d'instances compétentes, par exemple celui de l'Académie des sciences. Cet équilibre doit également être défini avec les forces politiques, sociales et économiques de notre pays. Trois concertations ont eu lieu en 2023, en 2024 et au début de l'année 2025.
Maintenant, c'est la voix de la représentation nationale que le Gouvernement écoutera attentivement et dont il souhaite examiner les affirmations. C'est pourquoi, lundi 28 avril, un débat s'est tenu à l'Assemblée nationale, au cours duquel toutes les sensibilités se sont exprimées. Cet après-midi, c'est vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement entendra. Sachez que le Gouvernement s'engage à prendre en compte et à analyser chaque avis et chaque observation qui seront formulés.
C'est pourquoi j'ai également annoncé le lancement d'un groupe de travail parlementaire sur la programmation pluriannuelle de l'énergie, lequel mènera les auditions nécessaires et les études complémentaires. J'ai ainsi fait appel au sénateur Daniel Gremillet et au député Antoine Armand, qui ont fait preuve de leur engagement et de leur connaissance du dossier, ainsi que de leur attachement à la souveraineté énergétique de la France.
C'est pourquoi la publication du décret interviendra après l'examen par l'Assemblée nationale de la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie du sénateur Gremillet.
Je veux saluer, depuis cette tribune, le travail mené au sein de la Haute Assemblée, lequel a permis d'aboutir à un texte qui prévoit une programmation ambitieuse, mais réaliste pour notre pays, avec pour horizon l'objectif de souveraineté et de neutralité carbone.
Dans le débat qui se tient cet après-midi, le Gouvernement n'a rien à imposer. Cette programmation pluriannuelle de l'énergie n'est pas écrite à l'avance. Toutes les analyses seront prises en compte avant sa rédaction finale. Tel était votre souhait, monsieur le président.
Ce que veut avant tout le Gouvernement, c'est un retour à la raison énergétique et budgétaire, démarche qui s'appuiera sur la science et les faits. Nous ne pouvons nous permettre de mauvais placements. Les choix d'investissement de la puissance publique doivent être réfléchis, s'inscrire dans une stratégie claire et durable et dépendre des critères essentiels exposés par le Président de la République lors de son discours de Belfort : nous devons disposer d'une énergie abondante, compétitive, décarbonée et souveraine, c'est-à-dire dont nous maîtriserons la production sur notre sol.
J'en reviens au fait initial : nous sommes, hélas ! dépendants des énergies fossiles. Pour sortir de cette dépendance, trois moyens se présentent à nous.
Tout d'abord, partout où c'est possible, nous devons encourager l'efficacité et la sobriété énergétiques. Le kilowattheure le plus sobre et le moins cher, c'est le kilowattheure économisé. Ainsi, la programmation pluriannuelle de l'énergie vise à une diminution de la consommation en énergie finale, laquelle pourrait atteindre 38 térawattheures par an sur la période 2024-2030. Comment atteindre une telle réduction, sinon d'abord grâce à une meilleure efficacité énergétique ?
Ensuite, le cheminement vers une énergie plus décarbonée passe par une large électrification des usages, qui concerne tant les foyers que les équipements de mobilité, sans oublier la réindustrialisation.
Enfin, il est des domaines que nous n'explorons pas ou pas assez. Je pense à la chaleur renouvelable issue de la biomasse, c'est-à-dire la transformation de matière organique en énergie. J'insiste également sur la géothermie, gisement inépuisable et potentiellement gratuit d'énergie, une fois les investissements amortis, qui permet de réaliser dans les logements équipés 80 % d'économies d'énergie pour le chauffage et 90 % pour la climatisation. Avec l'évolution du climat, il est plausible que nous ayons besoin des deux.
Le Gouvernement a donc la volonté d'accélérer le déploiement de ce mode de production non polluant. Je rappelle que, sur une demande que je lui ai adressée alors que j'avais la responsabilité du Haut-Commissariat au plan, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) a estimé à 100 térawattheures annuels le potentiel d'économies de gaz accessible en quinze à vingt ans grâce à la géothermie de surface. Cela équivaut environ – j'ai conscience de l'immensité de ce chiffre –, si nous sommes volontairement optimistes, à 20 % de la production de nos centrales nucléaires.
C'est un trésor sur lequel nous sommes assis ou plutôt sur lequel nous sommes debout. Si j'ai moi-même proposé des études, lorsque j'étais à la tête du Haut-Commissariat au plan, nous n'avons pas été seuls dans ce combat. Ainsi, le sénateur Rémi Cardon a publié l'année dernière une note sur la réindustrialisation pour la Fondation Jean-Jaurès. Il y encourage le développement de cette énergie, qui permet de répondre "tout autant à l'enjeu de la territorialisation de notre industrie qu'à celui de la transition énergétique indispensable pour les années à venir" : "aucune autre vision territorialisée de la réindustrialisation ne saurait mieux s'incarner qu'à travers la géothermie". Il va sans dire que je partage totalement cette vision.
Pour que cette chance puisse être saisie, des conditions doivent être remplies. Au mois de juin prochain, le Gouvernement formulera des propositions pour développer la filière française dans tous les domaines, à commencer par le forage, car nous avons depuis très longtemps perdu l'habitude de former des foreurs en nombre suffisant. La production et l'installation de pompes à chaleur sont aussi concernées.
Surtout, la clé de ce développement consiste à trouver les modèles de financement efficaces facilitant l'installation de pompes à chaleur dans les foyers français à des coûts moins prohibitifs. En effet, le modèle de prêt que nous préconiserons sera étalé dans le temps.
Toutes ces actions complémentaires permettront de réduire notre dépendance aux énergies fossiles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous mesurez la logique de cette dynamique d'électrification de nos usages : la consommation d'électricité décarbonée prendra progressivement la place de l'utilisation du gaz ou du pétrole.
Certes, la consommation d'électricité a triplé de 1973 à 2010, mais elle ne représente aujourd'hui que 27 % de l'énergie finale consommée. L'Académie des sciences a très justement noté une stagnation, depuis 2010, de notre consommation d'électricité, autour de 450 térawattheures annuels.
L'électrification des usages est un objectif que le Gouvernement poursuit activement. Elle concerne notre industrie, nos transports et le bâtiment.
Dans le secteur industriel, des trajectoires sont ainsi engagées pour décarboner les cinquante sites les plus émetteurs de dioxyde de carbone, avec un soutien public fort via France 2030. Tout le monde l'a en tête : une électricité compétitive, reflétant les coûts du nucléaire existant, est bénéfique aux industriels. Toutefois, il est aussi dans l'intérêt d'EDF d'encourager cette demande d'électricité en base, particulièrement adaptée à son outil de production nucléaire. Nous estimons que tout notre pays bénéficiera de ce grand accord gagnant-gagnant, essentiel pour notre stratégie de réindustrialisation.
Dans le secteur des transports, le bonus et le leasing social, ainsi que les incitations financières à électrifier les flottes d'entreprise, doivent stimuler la demande de véhicules électriques fabriqués en Europe.
Dans le domaine du bâtiment, grâce à MaPrimeRénov' et aux certificats d'économies d'énergie (CEE), le Gouvernement encourage, partout où cela est techniquement possible, le passage aux pompes à chaleur, d'autant que ces dernières sont souvent fabriquées en France.
Si le développement de la production devait toutefois être plus rapide que la croissance de la demande française, l'exportation continuera de fournir un débouché à l'énergie produite. Nous ne cherchons pas à surproduire, mais la surproduction est un mal moindre que la sous-production, surtout pour un pays comme le nôtre, qui connaît une balance commerciale très déficitaire.
Chaque source d'électricité doit donc être jugée à l'aune des critères que j'ai mentionnés, en toute transparence et en toute objectivité : électricité souveraine, électricité abondante, électricité compétitive, électricité décarbonée. Si ces quatre conditions sont remplies, il faut investir ; dans le cas contraire, nous ne devons pas hésiter à remettre en cause nos choix.
À cet égard, je note une convergence entre les orientations du Gouvernement et celles qui sont développées dans la proposition de loi portant programmation nationale et simplification normative dans le secteur économique de l'énergie de Daniel Gremillet, adoptée par le Sénat le 16 octobre dernier. (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Fabien Gay s'exclame.)
L'une de nos convictions communes est que le socle de notre mix électrique doit être la production d'énergie nucléaire, grâce à laquelle la France est aujourd'hui une véritable puissance électrique et la première exportatrice d'électricité en Europe en 2023.
Décarbonée, souveraine, abondante, compétitive : l'énergie nucléaire remplit tous les critères annoncés.
Il s'agit d'une énergie décarbonée. C'est parce que nous disposons du nucléaire que notre système électrique actuel a l'un des taux d'émission de CO2 par kilowattheure d'électricité les plus bas au monde : 21,3 grammes, contre 350 pour nos voisins allemands, qui se sont privés de l'atout nucléaire.
Il s'agit d'une énergie souveraine. La France a développé, dans le domaine du nucléaire, une filière industrielle nationale complète, qui lui permet de maîtriser la conception et la construction de ses propres installations de production d'électricité, d'enrichissement d'uranium et de fabrication du combustible, en passant par le recyclage. Le nucléaire permet à la France d'être, dans ce secteur, indépendante, ce qui est une force considérable pour notre souveraineté énergétique.
Nous savons bien que nous n'avons plus de mines actives sur notre sol, mais nous disposons de stocks importants d'uranium, nous garantissant des années de disponibilité du combustible. Le conseil de politique nucléaire présidé à la mi-mars par le Président de la République a également validé une stratégie de développement des activités minières d'Orano.
Il s'agit, enfin, d'une énergie compétitive. Le coût complet de l'électricité nucléaire a ainsi été estimé par la Commission de régulation de l'énergie (CRE) à environ 60 euros par mégawattheure, ce qui est particulièrement avantageux par rapport aux autres moyens de production, et qui explique que notre électricité soit moins chère qu'ailleurs en Europe.
Au regard de ces caractéristiques, il est juste que nous investissions dans cette filière. Il est juste que le choix d'une véritable relance du nucléaire, déterminée et continue ait été fait.
Pour autant, nous ne pouvons nous reposer sur les investissements réalisés, si judicieusement, dans les années 1970, dans le cadre du plan Messmer. Ce dernier a permis de doter la France de réacteurs nucléaires en un temps record et d'assurer à notre pays son indépendance énergétique.
Nous devons prendre conscience du fait que, si nous ne faisons rien, un abîme dangereux risquerait de s'ouvrir sous nos pieds. En effet, l'essentiel de notre parc ayant été mis en service entre 1980 et 1995, ses capacités de production pourraient s'arrêter d'ici à 2040, si nous étions négligents. Le risque serait alors celui de ce que les observateurs appellent l'effet falaise : une chute brutale de la production d'électricité en quelques mois.
Afin de lisser cet effet falaise, nous devons tout mettre en œuvre pour prolonger, en toute sécurité, le fonctionnement de notre parc nucléaire. De nombreux experts évoquent une durée de soixante ans, voire davantage, en respectant toutes les exigences de sûreté, lesquelles, de surcroît, sont constamment renforcées.
Il nous faut aussi préparer l'avenir et investir dans le nouveau nucléaire français. Le Gouvernement soutient donc fermement le développement du programme EPR2 (Evolutionary Power Reactor 2), qui vise à construire six nouveaux réacteurs de forte puissance, pour une première mise en service d'ici à 2038. Certes, ces réacteurs seront plus coûteux que les réacteurs existants déjà amortis, mais ils devraient produire une électricité à un prix maximal de 100 euros le mégawattheure.
M. Fabien Gay. Vraiment, 100 euros ?
M. François Bayrou, Premier ministre. Ce programme est la priorité d'EDF pour les années à venir. Nous en connaissons bien l'enjeu : il s'agit de démontrer la maîtrise industrielle de l'entreprise, afin d'envisager la construction de nouveaux réacteurs. Il en est prévu quatorze au total d'ici à 2050, dont le coût unitaire devrait baisser grâce à l'effet de série.
Nous devons également envisager de repousser la frontière technologique du nucléaire, en encourageant le développement des projets français de petits réacteurs nucléaires et en progressant dans la fermeture du cycle nucléaire. Cela passe notamment par le développement d'installations de traitement-recyclage et de réacteurs de quatrième génération à neutrons rapides, ainsi que l'a décidé le dernier conseil de politique nucléaire. Grâce à ce nouveau nucléaire, nous avons l'espoir d'annuler environ la moitié de l'effet falaise d'ici à 2050.
Le récent accident qui a touché l'ensemble de la péninsule ibérique a montré une chose, du moins si l'on écoute attentivement les experts les plus pertinents de notre système de distribution : il est dangereux de concentrer l'ensemble de la consommation sur une seule source d'énergie.
M. Guillaume Gontard. Exactement !
M. François Bayrou, Premier ministre. Notre meilleure garantie, c'est un équilibre qui comprend les énergies renouvelables, particulièrement celles qui sont immédiatement pilotables. En particulier, je rappelle les vertus de l'hydroélectricité, laquelle permet de mobiliser instantanément des puissances considérables et qui dispose de la capacité de stockage la plus significative.
Mme Cécile Cukierman. Oui. C'est pourquoi nous luttons contre la privatisation de l'hydroélectricité !
M. François Bayrou, Premier ministre. Ainsi, ces sources d'énergie renouvelable méritent un soutien raisonné. Cet équilibre est une garantie. Le mix électrique qui nous paraît le plus à même d'assurer à la France une indépendance énergétique suppose d'associer à notre première orientation, pronucléaire, celle du soutien raisonné aux énergies renouvelables, qui est aussi affirmé dans la proposition de loi de M. Daniel Gremillet récemment adoptée par le Sénat.
Par soutien raisonné, j'entends un soutien progressif, suivant certaines conditions, qui correspondent aux quatre critères précédemment énoncés.
Une énergie décarbonée ? Cela suppose de prendre en compte dans le bilan objectif le carbone émis lors de la fabrication des équipements nécessaires à la production de l'énergie.
Une énergie abondante ? La question qui se pose est plutôt celle de la disponibilité de ces énergies, qui sont intermittentes, donc difficilement pilotables. Pour certaines énergies renouvelables, comme le solaire, les pics de production ne correspondent pas aux pics de consommation. Ainsi, l'énergie solaire est surtout produite à la mi-journée, à un moment où la consommation est plus faible. Pour traiter ce problème, il faut accentuer la flexibilité de nos usages et déplacer la demande vers les heures méridiennes, ce que permettra l'évolution prochaine des heures creuses. Il faut également développer les capacités de stockage. En outre, nous devons prendre en compte, comme l'a souligné M. Jean-François Longeot dans le récent courrier qu'il m'a adressé, le repowering, qui permet d'augmenter la capacité des installations existantes.
Les énergies renouvelables sont-elles souveraines et compétitives ? J'aimerais ici soulever toutes les questions qui demeurent et auxquelles notre débat doit, je crois, apporter des réponses.
Tout d'abord, force est de constater que, pour le moment, nous ne maîtrisons pas la filière photovoltaïque.
Mme Cécile Cukierman. Et pour cause !
M. François Bayrou, Premier ministre. Nous importons aujourd'hui la quasi-totalité de nos panneaux photovoltaïques, à 85 % en provenance de Chine, de sorte que notre déficit commercial dans ce domaine est de 1,1 milliard d'euros en 2024.
M. Fabien Gay. Eh voilà !
M. François Bayrou, Premier ministre. Le Gouvernement souhaite accompagner les projets de gigafactories, pour localiser en France la production d'une partie des panneaux solaires que nous installons. Ces projets, qui doivent encore être consolidés, sont essentiels pour que notre politique énergétique aille de pair avec notre politique industrielle.
J'en viens à la compétitivité. L'énergie photovoltaïque nous revient à environ 100 euros le mégawattheure, lorsqu'elle est installée sur toitures.
Elle pourrait être très compétitive si l'on disposait de grandes installations au sol, dans des endroits très ensoleillés. C'est le cas en Espagne, où le prix de l'énergie descend jusqu'à 40 euros le mégawattheure.
Une question ne peut être éludée : sommes-nous prêts à accepter l'artificialisation de très grandes surfaces afin de développer, dans les régions qui s'y prêteraient, une production massive d'énergie solaire très bon marché ? (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)
L'éolien constitue l'autre grande source d'électricité renouvelable intermittente. L'éolien terrestre est doté d'équipements principalement importés. Son coût de revient est assez compétitif, entre 80 et 90 euros le mégawattheure. Toutefois, son acceptabilité diminue à mesure que le nombre d'éoliennes augmente.
C'est pourquoi le développement de cette source d'énergie ne peut être que mesuré, toujours selon les recommandations de M. Longeot, en privilégiant l'augmentation de la puissance des champs éoliens existants.
Contrairement à ses voisins de la mer du Nord, la France a accusé un certain retard dans le développement de la filière de l'éolien en mer. Cela lui offre l'avantage un peu paradoxal de ne pas avoir à essuyer les plâtres, si j'ose dire.
Aujourd'hui, une filière industrielle est en train de se développer, non seulement avec la fabrication de turbines, notamment au Havre, de pales d'éoliennes à Cherbourg et de sous-stations électriques à Saint-Nazaire, mais aussi avec un projet d'usine de câble sous-marin, conduit par Réseau de transport d'électricité (RTE), et des investissements importants dans plusieurs ports français.
L'éolien en mer produit-il une énergie compétitive ? Oui, si l'on parle d'éolien en mer posé. En se fondant sur les coûts constatés lors des derniers appels d'offres, son coût total est compris entre 70 et 80 euros le mégawattheure, en intégrant le coût du raccordement.
Si elle est très adaptée à la mer du Nord, qui est peu profonde, cette technologie l'est beaucoup moins pour nos autres façades maritimes, surtout si, pour des raisons d'acceptabilité, nous souhaitons éloigner les éoliennes de la côte. Dans ce cas, la technologie de l'éolien flottant peut être envisagée, mais elle est plus risquée et plus coûteuse – de l'ordre de 150 euros le mégawattheure, raccordement compris.
C'est un domaine dans lequel la France se situe à la frontière technologique. Nous avons donc besoin d'avancer avec mesure.
Je l'ai dit, je souhaite que ce débat n'élude aucune question et serve à exprimer la vérité la plus simple. La coexistence à long terme des énergies renouvelables et du nucléaire dans notre mix électrique est une question que nous devons traiter.
La semaine dernière, de nombreux députés ont exprimé des inquiétudes sur ce sujet. Je répondrai à trois d'entre elles.
Premièrement, les énergies renouvelables risquent-elles de déstabiliser le système de production ?
Le nucléaire a pris une part importante au sein de notre mix électrique à partir des années 1980. De ce fait, sa modulation est une réalité ancienne à laquelle nous sommes habitués. Elle permet de suivre les variations de la consommation au sein d'une même journée.
Si nous électrifions davantage nos usages et réussissons notre réindustrialisation, la demande électrique augmentera et le nucléaire devra beaucoup moins moduler à la baisse. Cela limitera les effets de concurrence entre les énergies renouvelables et le nucléaire.
J'ajoute quelques mots sur le blackout intervenu la semaine dernière dans la péninsule ibérique. Une analyse provisoire nous permet de penser que la situation de la France n'est pas absolument comparable à celle de l'Espagne.
Tout d'abord, la part des énergies renouvelables dans notre mix électrique est bien moindre : 27 %, contre 52 % en Espagne en 2023.
Ensuite, le nucléaire est le socle de notre mix électrique et a vocation à le rester. En outre, nous avons l'énergie hydroélectrique pour atout.
Enfin, notre situation géographique nous permet de bénéficier de plus grandes et utiles interconnexions.
Pour ces raisons, nous sommes structurellement moins à risque ; je le dis toutefois avec prudence. Il n'empêche que nous continuerons à veiller à la sécurité et à la continuité de notre approvisionnement électrique.
Deuxièmement, le prix des énergies renouvelables risque-t-il d'augmenter la facture d'électricité des Français ?
Nous devons comparer ce qui est comparable et considérer les coûts complets, c'est-à-dire les coûts de production, auxquels s'ajoutent les besoins en flexibilité et les coûts d'adaptation du réseau. C'est ce que je me suis efforcé de faire devant vous pour chaque source d'énergie que j'ai mentionnée, mesdames, messieurs les sénateurs.
Le coût complet de l'électricité renouvelable, intégrant le coût du soutien public, doit être un élément déterminant dans chacune de nos décisions. Nous devons déployer les filières les plus compétitives, tout en poursuivant le développement des filières en devenir, afin de rester à la frontière technologique.
Troisièmement, le coût des énergies renouvelables pour la collectivité s'élève-t-il à 300 milliards d'euros, comme nous avons pu l'entendre ?
Il faut ici être mesuré et critique, au vrai sens du terme, c'est-à-dire distinguer précisément les éléments dont nous parlons. Ce montant inclut tout d'abord les coûts des réseaux jusqu'en 2040, soit 100 milliards d'euros pour les réseaux de transport et 100 milliards d'euros pour les réseaux de distribution, dont une partie minoritaire concerne l'adaptation du réseau au changement climatique, la modernisation de lignes installées il y a parfois cent ans et le raccordement de nouveaux clients. Je pense notamment aux nouveaux réacteurs nucléaires ou aux data centers, qui sont extrêmement gourmands en énergie.
Les 100 milliards d'euros restants correspondent à une estimation maximaliste du coût du soutien public jusqu'en 2060, par le biais du mécanisme de tarif d'achat garanti de l'électricité. Si le prix de marché est inférieur au prix de référence, l'État paie la différence ; à l'inverse, si le prix de marché est supérieur, les producteurs reversent des recettes à l'État.
La programmation annuelle de l'énergie, telle qu'elle est actuellement envisagée, retient un scénario de prix médian, selon lequel le coût du soutien public à la production d'énergie éolienne et photovoltaïque devrait être compris entre 31 milliards et 50 milliards d'euros.
Étant donné la difficulté à prévoir l'évolution des prix de l'électricité, nous devons, dans un souci de vérité, envisager plusieurs scénarios possibles. Si les prix sont bas, le soutien public pourrait avoisiner les 100 milliards d'euros. En revanche, si les prix sont élevés, l'État empocherait 42 milliards d'euros.
Quoi qu'il en soit, je serai attentif à ce que la programmation annuelle de l'énergie, dans sa version finale, optimise le coût des énergies renouvelables pour la collectivité. Je pense que des améliorations sont possibles sur ce point.
Au sein du mix d'énergies renouvelables, je n'oublie pas nos barrages hydroélectriques, sources – au sens littéral du terme – d'énergie, qui nous permettent d'injecter rapidement de grandes quantités d'électricité.
Il est nécessaire de relancer les investissements dans cette énergie particulièrement vertueuse, ce qui suppose de sortir du contentieux avec la Commission européenne qui nous paralyse depuis plus de quinze ans.
L'hydroélectricité est, à ce jour, le moyen le plus efficace pour stocker de grandes quantités d'électricité. C'est une énergie souveraine qui permet d'assurer entre 10 % et 15 % de notre production électrique, en fonction des années et de la météo, et dont la flexibilité est essentielle au bon fonctionnement de notre système électrique.
Je dirai un mot enfin de l'hydrogène, méthode de stockage direct d'électricité non dépendante des réseaux. Le 15 avril dernier, l'État a présenté sa nouvelle stratégie nationale, qui prend en compte la réalité du temps de développement des électrolyseurs.
Cette stratégie met l'accent sur le développement de l'hydrogène dans l'industrie et les mobilités lourdes, avec des dispositifs de soutien pour décarboner les usages dans ces secteurs. Le développement des biogaz, des biocarburants et des carburants de synthèse doit permettre d'atteindre le même objectif.
Enfin, nous devons tenir compte de la dernière source d'électricité dont nous disposons : les énergies fossiles. Il faut regarder avec lucidité la situation actuelle, même si nous n'aurons plus à parler de cette source d'énergie à l'avenir.
Notez que ces énergies restent marginales dans notre mix électrique, puisqu'elles ne représentent que 3,7 % de notre production totale d'électricité.
La France doit mettre à l'arrêt l'ensemble de ses centrales à charbon d'ici à 2027, conformément à l'engagement pris par le Président de la République de sortir notre pays de la dépendance aux énergies fossiles d'ici à 2050.
Dans cette perspective, le Gouvernement a soutenu la loi visant à convertir des centrales à charbon vers des combustibles moins émetteurs en dioxyde de carbone pour permettre une transition écologique plus juste socialement, qui permet la conversion au gaz de la centrale à charbon de Saint-Avold.
Il convient désormais de traduire cette avancée dans la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie. En effet, le gaz émet deux à trois fois moins de CO2 que le charbon pour produire la même quantité d'énergie, et encore moins si l'on recourt au biogaz issu de la biomasse.
Les quatorze centrales à gaz dont nous disposons n'ont pas vocation à beaucoup fonctionner dans l'année, mais, en complément des barrages hydroélectriques, elles constituent des moyens de production très flexibles et utiles pour absorber les variations de la demande ou de l'offre d'électricité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, dans notre réflexion sur la souveraineté énergétique de notre pays, deux mots doivent guider nos analyses : prospective et perspective. Il s'agit en effet de voir les choses dans l'espace et dans le temps.
C'est bien ce que le Gouvernement a cherché à faire. Dans la présente déclaration, vous avez entendu les orientations qui sont les nôtres, vous avez entendu une parole fondée sur des faits et des données précises et rigoureuses, vous avez aussi entendu les interrogations qui demeurent.
S'ouvre maintenant le débat.
Je veux réaffirmer, ici, que nous serons très attentifs aux arguments avancés par tous ceux qui interviendront, car c'est d'arguments fondés sur des faits et des données objectives que nous avons besoin. Si des éléments nous ont échappé, nous les intégrerons à notre raisonnement sans hésiter.
Les choix que le Parlement et le Gouvernement prendront de manière coresponsable engageront pour des décennies l'avenir de notre pays, sur l'un des principaux socles de notre équilibre économique, écologique et social.
Ces décisions lourdes méritent d'être éclairées par un débat honnête et exigeant, guidé par la raison et le sens de l'intérêt général. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE, RDPI, INDEP et Les Républicains.)
(…)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Ferracci, ministre auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie et de l'énergie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il me soit permis, avant de répondre aux différents orateurs des groupes politiques, de les remercier de leur participation à ce débat.
Ce débat est en effet utile : il nous donne l'opportunité de confronter nos convictions et, surtout, comme le Premier ministre l'a souligné, de faire évoluer la programmation pluriannuelle de l'énergie, puisque c'est l'engagement que nous avons pris. Il ne s'agit donc pas d'un débat pour débattre. Au contraire, ce débat contribuera à faire évoluer la stratégie que nous défendrons et vient compléter un certain nombre de consultations qui ont eu lieu ces dernières années autour de la programmation pluriannuelle de l'énergie.
Pour ma part, je souhaite que le caractère documenté et factuel des propos de la plupart des intervenants demeure le fil conducteur de nos échanges. Je tâcherai de m'y tenir tout au long de mes réponses.
Il m'appartient de rappeler d'abord un principe qui guide la stratégie énergétique de ce Gouvernement – je vous rassure, je n'ai évidemment pas l'intention de refaire le discours liminaire du Premier ministre (Sourires.) –, celui qui vise à sortir d'une forme de dépendance vis-à-vis des énergies fossiles.
Je ne reviens pas sur le coût des énergies fossiles, qui pèse aujourd'hui entre 60 milliards et 70 milliards d'euros par an dans notre balance commerciale. C'est même parfois beaucoup plus, lorsque certains pays, comme la Russie, en viennent à utiliser le gaz comme une arme de guerre. Cette situation a conduit à une dépense supplémentaire de quelques dizaines de milliards d'euros pour protéger les Français via le bouclier énergétique.
Cette dépendance est extrêmement coûteuse. Elle nous empêche notamment de prétendre à une véritable souveraineté énergétique. C'est donc fondamentalement sur cet objectif de réduction de notre dépendance que se fonde notre action : nous avons l'ambition de rendre notre système énergétique résilient. Il s'agit de pouvoir faire face aux crises et aux ruptures d'approvisionnement, de le rendre pilotable en parvenant à gérer les variations de notre consommation – l'enjeu est particulièrement prégnant pour ce qui est de l'électricité – et de le rendre compétitif. La compétitivité, qu'un grand nombre d'orateurs ont évoquée, est l'un des enjeux absolument essentiels qui doit guider notre stratégie énergétique.
Ce débat va se poursuivre. Le Premier ministre s'y est engagé. Les analyses qui résulteront de nos échanges seront prises en compte dans la future programmation pluriannuelle de l'énergie. La proposition de loi de Daniel Gremillet devrait être examinée à l'Assemblée nationale vers la mi-juin ; la discussion à laquelle elle donnera lieu pèsera évidemment sur nos conclusions. En outre, le groupe de travail animé par le même sénateur Daniel Gremillet et le député Antoine Armand contribuera aux évolutions à venir.
J'en viens maintenant aux éléments de réponse que je souhaite apporter aux uns et aux autres.
Monsieur Gremillet, vous avez souligné la nécessité d'adapter les objectifs figurant dans la programmation pluriannuelle de l'énergie. Nous partageons cette idée : nous avons en effet besoin de souplesse et d'agilité. Cela étant, vous le savez, ces objectifs ont déjà été adaptés dans le cadre de la version de la programmation pluriannuelle de l'énergie que nous avons soumise à la consultation publique à la fin de l'année 2024.
À titre d'exemple, les objectifs en termes de capacités de production photovoltaïque installées, qui atteignaient entre 75 et 100 mégawatts, sont désormais compris entre 65 et 90 mégawatts. C'est dire si nous sommes ouverts à votre idée, monsieur le sénateur : nous l'avons déjà mise en œuvre.
Dans cette même veine a été introduit dans le dernier projet de programmation pluriannuelle de l'énergie le principe d'un suivi de l'électrification de notre pays. Cela rejoint d'ailleurs un certain nombre de remarques qui ont été formulées : il faut que les usages progressent au même rythme que les capacités installées, ce qui suppose un suivi très fin, quantitatif, des consommations électriques et du processus d'électrification. Il convient véritablement de tenir compte de ces usages.
Vous avez également appelé à sortir d'une logique de décroissance. Comme cela a été souligné par un certain nombre d'orateurs, la programmation pluriannuelle de l'énergie ne participe aucunement d'une telle logique. Certes, l'objectif de consommation énergétique globale baisse entre 2022 et 2035, passant de 1 509 térawattheures à environ 1 100 térawattheures en 2035, mais cette réduction ne traduit absolument pas une quelconque volonté de limiter la production, l'activité ou l'emploi. Nous nous inscrivons en réalité dans une logique qui repose sur les principes de sobriété et d'efficacité énergétiques. Il me semble important de le rappeler, parce que le terme décroissance semble relever d'une conception qui ne correspond pas à ce qui figure dans la future programmation pluriannuelle de l'énergie.
Vous avez insisté sur la nécessité de ne pas opposer les énergies renouvelables et le nucléaire. La proposition de loi que vous défendez, monsieur Gremillet – j'en profite pour vous en remercier au nom du Gouvernement –, a fait l'objet de nombreux échanges, qui contribueront à trouver l'équilibre que nous recherchons, au carrefour des principes de pilotabilité, de résilience et de compétitivité que j'évoquais.
Vous avez affirmé que la construction des EPR était de l'ordre du discours. Sur ce point, je suis un peu moins d'accord avec vous.
Vous le savez, le conseil de politique nucléaire que le Président de la République a présidé il y a quelques semaines a pris des décisions qui s'inscrivent dans le prolongement des décisions actées lors de précédentes réunions de ce même conseil, en particulier la décision d'accélérer le processus de fabrication des six EPR2 et celle de confirmer la recherche d'un certain nombre de solutions autour des SMR et des petits réacteurs modulables, notamment les réacteurs à neutrons rapides qui offrent des potentialités très importantes.
Sachez également que le schéma de financement de ce nouveau nucléaire, plus particulièrement de ces six EPR, sera finalisé très bientôt en lien avec la direction d'EDF et qu'il fera l'objet dans la foulée d'une notification pour approbation auprès de la Commission européenne au titre du régime des aides d'État.
Vous avez appelé de vos vœux une augmentation de 26 gigawatts à 29 gigawatts de la capacité installée d'hydroélectricité. Cette hausse, vous le savez comme moi, dépend non pas de la construction de nouvelles installations, mais d'investissements supplémentaires dans les installations existantes.
Comme l'ont indiqué plusieurs de vos collègues, pour réaliser ces investissements, nous avons besoin de sécuriser le cadre juridique relatif aux installations hydroélectriques, donc de régler le contentieux avec l'Union européenne. Ce n'est qu'une fois que ce contentieux – pour lequel nous attendons les conclusions de la mission d'information consacrée aux modes de gestion et d'exploitation des installations hydroélectriques, menées par Mme Battistel et M. Bolo – aura été tranché que nous pourrons lancer les investissements dont je viens de parler.
Sur la stratégie hydrogène que j'ai eu l'honneur d'annoncer il y a quelques semaines, nous avons là encore une divergence de vues, à tout le moins une interprétation différente. Vous estimez que cette stratégie serait très décevante pour la filière hydrogène. Ce n'est pas l'impression que j'ai eue : la filière voulait de la visibilité, elle a donc plutôt bien perçu l'annonce de cette stratégie – je pense du reste qu'en discutant avec ses divers acteurs vous avez eu le même son de cloche que moi.
Certes, les objectifs en termes de capacités installées de production d'hydrogène ont été revus à la baisse, mais cela résulte d'une analyse fine du modèle économique de la filière, des usages actuels, dont certains n'ont pas trouvé leur modèle économique – je pense en particulier aux véhicules légers. C'est bien cette réflexion qui nous a amenés à réévaluer notre stratégie.
Monsieur Montaugé, je vous remercie de votre intervention. Vous avez avancé l'idée, comme l'ont fait d'autres sénateurs, que la méthode globale retenue par le Gouvernement, et pas simplement l'adoption de la programmation pluriannuelle de l'énergie par décret, constituerait un déni démocratique. Je me permets tout de même de vous faire remarquer que cette adoption par décret est prévue par la loi ; certes, une loi de programmation était prévue, mais les circonstances n'ont pas permis de l'adopter dans les temps.
La programmation pluriannuelle de l'énergie est compatible dans ses objectifs, malgré quelques nuances, avec la proposition de loi qui sera prochainement examinée à l'Assemblée nationale, M. Daniel Gremillet l'a d'ailleurs souligné. Cela signifie qu'il y a eu un débat et un vote, puisque vous avez vous-même eu l'occasion, ici, dans cet hémicycle, d'amender le texte.
Certes, il ne s'agit pas d'un projet de loi, mais je ne peux pas laisser dire qu'il n'y a pas eu et qu'il n'y aura pas de débat avec vote autour de ce projet de programmation pluriannuelle de l'énergie. Le Premier ministre s'y est engagé : les modifications qui seront décidées, à la lumière de nos échanges d'aujourd'hui, de ceux qui ont eu lieu la semaine dernière à l'Assemblée nationale et au regard des discussions qui se dérouleront lors de l'examen de la proposition de loi Gremillet seront pris en compte. À mon sens, une telle méthode laisse toute sa place au débat démocratique, puisque nous ne nous contentons pas d'un débat sans vote. Il était important, là encore, de le rappeler.
Vous l'avez souligné, toutes les énergies induisent une dépendance. Il est vrai qu'il existe une dépendance du nucléaire, celle qui résulte de l'approvisionnement en combustibles nucléaires, en particulier en uranium. Vous avez abordé, au registre des dépendances, un sujet un peu plus vaste, celui de la dépendance du secteur des énergies renouvelables, dans sa version industrielle, vis-à-vis des métaux rares – c'est le cas du lithium, du graphite, de tout ce qui entre dans la composition des batteries, et j'en passe.
Sur ces sujets, le conseil de politique nucléaire a mis en avant un principe très clair, celui de la diversification des sources d'approvisionnement d'Orano en matière de combustibles. Cela fait désormais partie de la stratégie nucléaire de la France que de sécuriser les approvisionnements, tout comme de les diversifier. C'est un élément important sur lequel je tiens à insister.
Le problème de dépendance sera résolu aussi par la technologie et la science. Je pense en particulier à la recherche autour de ce que l'on appelle la fermeture du cycle nucléaire, c'est-à-dire la réutilisation du combustible nucléaire usé. Évidemment, nous n'y sommes pas encore, mais le conseil de politique nucléaire a réaffirmé son soutien à un certain nombre de projets de recherche, en particulier autour des réacteurs à neutrons rapides, qui doivent permettre de fermer ce cycle.
Ce n'est qu'une promesse à ce stade, mais vous me permettrez de la considérer comme assez formidable, puisque cette avancée nous permettrait de ne plus dépendre de sources d'approvisionnement externes et de recycler le combustible nucléaire. C'est ce que nous promet l'avenir. Je ne suis pas moi-même chercheur dans le nucléaire, mais je peux vous dire que les chercheurs dans ce domaine y croient. Je pense par conséquent qu'il faut soutenir ces initiatives.
Nous avons établi une stratégie de sécurisation des métaux précieux ou rares, qui passe par la diversification des approvisionnements. J'ai réaffirmé cette stratégie lorsqu'il y a quelques semaines j'ai lancé un inventaire des ressources minérales au cours de ma visite du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) à Orléans. Il s'agit de diversifier nos approvisionnements pour tout ce qui ne se trouve pas sur notre territoire, mais aussi de relancer un inventaire minier pour ce qui s'y trouve ! Nous disposons de gisements de tungstène ou de lithium, par exemple, qui pourraient offrir des potentialités qu'il nous faut explorer. C'est ce que nous sommes en train de faire. J'espère que nous trouverons de nouveaux gisements, dans les trois prochaines années.
Enfin, combattre la dépendance passe aussi par le recyclage des matériaux. La structuration de la filière industrielle du recyclage des métaux, des batteries relève également de cette stratégie. Il ne me semblait pas inutile de vous apporter toutes ces précisions, monsieur Montaugé.
Vous m'avez également interpellé sur des sujets qui concernent notre politique industrielle et non pas le sujet qui nous réunit aujourd'hui. Même si nous aurons l'occasion d'en débattre plus longuement, je tiens à vous dire qu'il serait préférable d'inverser la logique que vous promouvez, celle qui consisterait à calibrer notre politique et notre trajectoire énergétiques en fonction d'hypothèses relatives à l'évolution de l'emploi industriel ou de l'activité industrielle ; il faut au contraire partir du principe que la création ou le maintien d'emplois industriels, la création d'activité dépendent de notre capacité à garantir des prix de l'énergie compétitifs à nos industriels. On le voit bien avec le groupe Arcelor, j'en ai discuté avec ses dirigeants il y a peu de temps.
Pour moi, je le redis, il faut inverser la logique et cesser de fonder notre stratégie sur des projections industrielles, qui sont comme toujours très difficiles à établir. Il faut au contraire créer les conditions, notamment au regard des prix de l'énergie, d'un développement de l'emploi dans notre pays.
Enfin, vous m'avez interpellé sur le scénario de RTE que je reprendrais à mon compte pour la trajectoire de la programmation pluriannuelle de l'énergie. C'est précisément l'objet de ce débat et des débats qui auront lieu autour de la proposition de loi de Daniel Gremillet, à savoir déterminer s'il faut s'arrimer à ce scénario ou plutôt l'adapter. Pour ma part, je ne veux pas préempter ce débat.
Monsieur Chauvet, vous avez insisté sur le fait que la trajectoire qui figure dans ce projet de programmation pluriannuelle de l'énergie est une trajectoire volontariste en termes d'électrification. Certains ont des doutes, au regard du constat d'une stagnation de notre consommation d'électricité depuis un certain nombre d'années, qui a été rappelé par le Premier ministre et par d'autres.
Cette stratégie d'électrification se déploie à travers trois grands axes.
Le premier axe est la décarbonation de l'industrie au sens large. Je pense aux milliards d'euros que nous dépensons au titre du plan France 2030 et de la compensation carbone pour accompagner nos industriels électro-intensifs dans cette voie. Comme vous le savez, l'État s'est engagé, si d'aventure des investissements étaient consentis, à financer la décarbonation du groupe Arcelor pour un montant avoisinant les 850 millions d'euros.
J'aurais aussi pu évoquer toutes les initiatives qui concernent les data centers. Un data center de grande puissance, d'un gigawatt par exemple, représente 8 térawattheures de consommation annuelle. Si l'on veut faire progresser la consommation d'électricité dans notre pays, installons des data centers et concrétisons les projets d'investissement qui ont été annoncés, notamment par le Président de la République lors du Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle. C'est un élément essentiel.
Le deuxième axe consiste à financer les efforts d'investissement dans le domaine des mobilités. Nous maintenons un bonus que les Allemands ont supprimé. Certes, le maintien de ce bonus se fait moyennant une baisse de crédits – vous connaissez notre situation budgétaire –, mais nous le maintenons tout de même.
Nous maintenons aussi le leasing social selon des modalités de financement différentes. Nous incitons notamment à l'électrification des flottes professionnelles pour renforcer la demande de véhicules électriques. Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2025, le Gouvernement a déposé un amendement qui tend à créer une incitation fiscale pour les entreprises qui électrifient leurs flottes. Un véhicule neuf sur deux vendu aujourd'hui en France est ainsi acheté par une flotte d'entreprises. Il y a là un levier considérable d'électrification ; nous nous engageons fortement sur ce sujet.
Le troisième axe est le logement. Nous soutenons la filière des pompes à chaleur et le basculement des énergies fossiles vers d'autres sources d'énergie – pas forcément de l'électricité d'ailleurs, c'est peut-être de la chaleur renouvelable. Nous allons continuer à le faire.
Monsieur Chauvet, vous avez parlé de la faible acceptation sociale des EnR. Il n'a échappé à personne qu'un certain nombre de projets d'énergies renouvelables étaient source de conflits. Je fais miens vos propos sur la nécessité de s'appuyer sur les infrastructures existantes – éoliennes, installations photovoltaïques… – pour les rendre plus performantes, sans artificialiser davantage les sols. De ce point de vue, ces dispositifs seraient évidemment très vertueux.
L'expérience que j'ai acquise en tant que ministre chargé de l'industrie et de l'énergie me laisse penser que l'acceptabilité sociale des EnR repose aussi sur notre capacité à démonter qu'il y a derrière ces énergies un vivier d'emplois industriels dans nos territoires. Je le constate tous les jours : si l'emploi industriel se maintient et que les sites industriels continuent d'ouvrir, c'est principalement le fait des industries vertes et des industries liées aux énergies renouvelables. Cette réalité devrait convaincre nos concitoyens, notamment les élus locaux et tous les Français qui sont sensibles à cette préoccupation.
Vous avez souligné le risque d'un déséquilibre à terme entre nos capacités de production d'EnR et la demande – cela rejoint les échanges que l'on vient d'avoir sur l'électricité. En réalité, notre pays a besoin de conserver des marges de production de capacités ; au fond, cela n'est pas un problème, dès lors que nous disposons de débouchés naturels via nos exportations. Le Premier ministre l'a du reste indiqué, en 2024, nous avons exporté 90 térawattheures nets.
Enfin, vous appelez de vos vœux un lancement rapide des nouveaux EPR. Comme je l'ai dit, le schéma de financement de ces réacteurs sera très prochainement finalisé, puis notifié à la Commission européenne. Sachez que la fabrication des composants des EPR2 a déjà commencé. L'usine Framatome du Creusot, que j'ai visitée il y a quelques mois, produit les cuves des futurs EPR.
En réalité, la filière s'est déjà mise en mouvement. Elle a déjà élaboré un plan de gestion de ses ressources humaines : 100 000 recrutements dans la filière nucléaire seront nécessaires dans les dix prochaines années pour assurer le programme du nouveau nucléaire. La filière est prête, mais, j'y insiste, la décision d'investir ne sera prise que dans les prochains mois sur le fondement des échanges qui auront eu lieu avec la Commission européenne.
Monsieur Louault, vous avez évidemment raison de rappeler que nos industriels ont besoin de bénéficier de prix compétitifs.
À cet égard, un certain nombre de dispositifs existent déjà pour soutenir les industriels, en particulier, les industriels les plus électro-intensifs. Le taux d'accise applicable à ces derniers, c'est-à-dire aux industriels dont le processus de production implique plus de 6 euros de valeur ajoutée par kilowattheure, ainsi qu'à ceux qui sont les plus exposés à la concurrence internationale, s'élève à 50 centimes d'euros par mégawattheure, contre un taux moyen qui atteint plus de 30 euros par mégawattheure. Certains dispositifs en vigueur permettent donc déjà de soutenir fortement ces industriels électro-intensifs, même si, comme vous, je pense qu'il faut aller plus loin.
Vous avez mentionné les contrats d'allocation de production nucléaire (CAPN), contrats en cours de négociation entre EDF et nos industriels. Au regard du contexte actuel, je suis confiant dans notre capacité à signer un volume significatif de contrats avec les industriels électro-intensifs avant le 1er janvier 2026, puisque c'est le terme prévu de l'Arenh.
Le parcours de Bernard Fontana, qui est désormais président-directeur général du groupe EDF, témoigne de sa sensibilité aux enjeux des industriels, notamment à la nécessité pour eux de lutter à armes égales dans la compétition internationale. Nous verrons bien ce qu'il adviendra – je ne préjuge évidemment pas ce qui sera signé ou annoncé –, mais nous aurons l'occasion d'en dresser le bilan et je tiendrai au courant la représentation nationale de l'évolution de ce dossier.
J'ai cru comprendre, dans vos propos, que la trajectoire de la programmation pluriannuelle de l'énergie suivrait une courbe décroissante. Je m'inscris en faux contre cette analyse, qui découle très directement des chiffres globaux de la consommation énergétique. Encore une fois, c'est en renforçant notre efficacité et notre sobriété que l'on pourra consommer moins, certainement pas en désindustrialisant le pays. C'est le ministre chargé de l'industrie et de l'énergie qui vous le dit.
Le débat sur les contributions au service public de l'électricité (CSPE), dont vous avez parlé, est à mon sens nécessaire.
Je rappelle que les hypothèses relatives au coût de ces fameuses charges de service public qui figurent dans la programmation pluriannuelle de l'énergie dépendent, par nature, du niveau des prix de marché. Chacun le sait, il est très difficile de prévoir l'évolution de ces prix à horizon aussi lointain. Néanmoins, par souci de transparence, nous nous sommes livrés à cet exercice.
Je rappelle également que les CSPE peuvent coûter de l'argent à l'État lorsque les prix de marché sont inférieurs à celui qui est prévu dans les contrats signés, mais qu'elles peuvent aussi lui en rapporter. C'était le cas en 2022-2023 : 6 milliards d'euros sont alors entrés dans les caisses.
M. Yannick Jadot. Exactement !
M. Marc Ferracci, ministre. Vous rétorquerez qu'il s'agissait d'une situation exceptionnelle, mais, par principe, notre modèle économique doit aussi permettre de pallier ce type de situation.
M. Yannick Jadot. Eh oui !
M. Marc Ferracci, ministre. Ce principe, qui consiste à compenser dans un sens et dans l'autre, est également celui sur lequel repose notre plan de financement du nouveau nucléaire, qui est assumé par EDF dans le cadre d'un contrat pour différence. Il serait donc délicat de critiquer ce principe lorsqu'il s'applique aux EnR et de l'approuver quand il concerne le financement du nouveau nucléaire.
M. Vincent Louault. Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Marc Ferracci, ministre. C'est vrai, monsieur le sénateur, mais je me permets de faire ce parallèle, parce que le principe est le même.
Pour en finir avec cette question de la compétitivité et des prix des différentes sources d'énergie, qui, vous avez eu raison de le dire, est un critère essentiel, je tiens à souligner qu'un certain nombre d'EnR sont aujourd'hui d'ores et déjà compétitives, y compris vis-à-vis du nucléaire existant. Je ne parle même pas du nouveau nucléaire, qui coûtera plus cher, puisque les six EPR2 coûtent plus cher que les réacteurs actuellement en service.
M. Yannick Jadot. Très bien !
M. Marc Ferracci, ministre. Je vous donne un exemple : l'appel d'offres pour l'éolien en mer posé, signé en 2023 et figurant sous le numéro 4, a fixé le prix du mégawattheure à 45 euros pour les contrats à venir.
M. Yannick Jadot. Exactement !
M. Marc Ferracci, ministre. Je me dois de dire que c'est compétitif.
M. Yannick Jadot. Très bien !
M. Marc Ferracci, ministre. Certes, ce n'est pas le cas de toutes les EnR. M. le Premier ministre l'a souligné lui-même : il faudra du temps pour que l'éolien posé atteigne la maturité technologique ; en outre, les coûts de raccordement sont plus élevés. Toutefois, il ne faut pas mettre toutes les solutions énergétiques dans le même panier, si vous m'autorisez cette expression. Nous devons étudier en détail ce que permettent les unes et les autres.
Enfin, monsieur le sénateur, je tiens à revenir sur un de vos propos qui me laisse très circonspect.
On peut tout à fait prolonger la durée de vie de nos réacteurs existants de soixante, soixante-dix ou quatre-vingts ans, comme vous le suggérez. À vous entendre, l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR) elle-même le confirmera bientôt. Je rappelle que la prolongation des réacteurs existants, annoncée par le Président de la République, suppose un processus de sécurisation extrêmement rigoureux : à chaque visite décennale, EDF leur consacre une analyse spécifique, laquelle doit ensuite être validée par l'ASNR.
Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs et, pour ma part, je ne tenterai jamais d'anticiper les conclusions de l'ASNR. (M. Yannick Jadot acquiesce.) Peut-être ira-t-elle dans le sens que vous évoquez ; peut-être estimera-t-elle aussi, au regard des multiples contraintes dont il faut tenir compte, qu'elles soient technologiques ou industrielles – je pense en particulier aux contraintes de gestion du combustible –, que la prudence doit l'emporter.
J'en suis sincèrement convaincu : le volontarisme, si puissant soit-il, ne saurait nous dispenser des précautions qui s'imposent en la matière. Je suis volontariste et je soutiens le programme grand carénage. Pour autant, j'y insiste, nous devons suivre un certain nombre de procédures, destinées avant tout à assurer la sécurité – c'est tout le sens des avis de l'ASNR.
Monsieur Buis, je partage pleinement l'idée que la souveraineté passe par la décarbonisation. J'ai rappelé au début de mon propos ce que nous coûtaient les énergies fossiles, je n'y reviens pas.
Vous m'avez posé des questions précises, en particulier au sujet des huit nouveaux EPR qui pourraient faire l'objet d'une décision d'ici à la fin de l'année 2026.
Le processus d'instruction de ces EPR2 est en cours. Au total, douze sites sont envisagés. Je ne peux évidemment pas communiquer à ce titre, pour des raisons que vous comprenez bien. Je précise toutefois que cinq d'entre eux ont déjà fait l'objet, de la part d'EDF, d'une étude reposant sur de nombreux critères, notamment l'hydrogéologie, la gestion des déchets ou encore la viabilité du site pour accueillir un EPR2.
Le Président de la République l'a rappelé lors du conseil de politique nucléaire : le choix sera arrêté d'ici à la fin 2026, lorsque la décision finale d'investissement pour les six premiers EPR sera annoncée, c'est-à-dire lors du lancement formel des chantiers.
Vous m'interrogez également sur les moyens de développer l'éolien offshore. Pour ce faire, il existe une solution simple et rapide, à savoir publier le décret de la programmation pluriannuelle de l'énergie. C'est en effet la condition nécessaire au lancement des futurs appels d'offres. L'un d'eux est d'ailleurs prêt : il ne demande qu'à être mis en œuvre. Toutefois, pour le lancer, nous avons besoin du cadre juridique de la PPE, donc de la publication de ce décret.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vos collègues députés ont peut-être plus insisté que vous sur ce point : il est impératif de maximiser l'empreinte industrielle.
Derrière les EnR comme derrière le nucléaire – j'ai déjà pris soin de le relever –, il y a des filières industrielles et des créations d'emploi. Ces filières industrielles nous demandent aujourd'hui de leur donner de la visibilité. Nous devons prendre en compte l'empreinte industrielle et, plus largement, le développement industriel de nos territoires. Une fois franchies les différentes étapes que j'ai évoquées et que le débat démocratique impose, il sera d'autant plus important d'assurer la publication du décret de la PPE, notamment pour l'éolien en mer.
Monsieur Buis, vous insistez sur la nécessité d'accorder toute sa place à l'hydroélectricité. Nous sommes évidemment d'accord avec vous sur ce point. Nous attendons les conclusions de la mission d'information Bolo-Battistel, à l'Assemblée nationale, ainsi que de la mission lancée par la commission des affaires économiques du Sénat : ces travaux ne manqueront pas de nourrir nos réflexions sur le cadre juridique des concessions.
Quant à notre stratégie relative à l'hydrogène, elle ne fait pas l'impasse sur les mobilités lourdes, mais elle identifie à ce titre des modes de transport probablement dotés d'un modèle économique plus solide que d'autres. (M. Bernard Buis acquiesce.) En particulier, les expérimentations menées dans le domaine ferroviaire ne me semblent aujourd'hui pas forcément à la hauteur d'autres usages de l'hydrogène.
M. Gay déplore ce qu'il appelle un "déni démocratique", observant que l'on attend la programmation pluriannuelle de l'énergie depuis maintenant trois ans. Je ne reviens pas sur les circonstances politiques, qui, de fait, ne sauraient tout expliquer. Toutefois, je rappelle qu'une consultation a été menée, il l'a d'ailleurs évoquée, à laquelle 50 000 citoyens ont participé ; des débats ont eu lieu et, sur ce sujet, une proposition de loi a été déposée.
Selon lui, le groupe de travail Armand-Gremillet serait même le "comble du déni démocratique". Pour moi qui suis un ancien parlementaire, il est tout de même surprenant d'entendre de tels propos, alors même que cet organe est composé de députés et de sénateurs. Vous l'aurez compris, je n'approuve pas cette vision des choses.
En revanche, je me range à l'analyse de M. Gay quand il insiste sur l'urgence à sortir des énergies fossiles : il s'agit là d'un point de convergence entre nous. M. Gay affirme que ces énergies représentent 40 % de notre mix énergétique : la part est même de 60 %. Il est évident que nous devons limiter notre dépendance.
En revanche, M. Gay avance à tort que, si les EnR ne produisent pas au titre des contrats signés, elles sont "payées à ne rien faire". Non ! Les EnR n'ont aucun intérêt à rester improductives : si elles ne produisent pas, elles ne sont pas payées. (M. Jean-Pierre Corbisez proteste.) Il est très important de le rappeler.
M. Gay critique également le coup de rabot dont a fait l'objet MaPrimeRénov'. Ce dispositif a bien été amputé d'une partie de ses crédits, du fait du contexte budgétaire, mais il n'en continue pas moins. Je rappelle tout de même qu'il a été créé, puis prolongé par les majorités qui se sont succédé depuis 2017. Sa mise en œuvre remonte plus précisément au 1er janvier 2020. Jusqu'alors, aucun gouvernement ne s'était engagé de manière si résolue dans la rénovation thermique des logements.
De même, selon M. Gay, rien n'est fait pour contrer le photovoltaïque chinois : ce n'est pas vrai. Aujourd'hui, deux usines produisent des panneaux photovoltaïques en France. De plus – M. le Premier ministre l'a rappelé –, plusieurs projets de gigafactories de panneaux photovoltaïques sont en train de consolider leur modèle économique. Elles verront le jour avec le soutien de l'État.
Notre stratégie ne consiste pas à produire tous les panneaux dont nous avons besoin. Notre but est d'assurer une forme de résilience quant à la production de panneaux, pour toutes nos installations photovoltaïques. Il est important de le rappeler.
Enfin, je me dois de répondre à une affirmation qui ne correspond à aucune donnée statistique ni à aucun des éléments factuels dont je dispose : à en croire M. Gay, les prix de l'électricité augmenteront de 10 % en 2026.
Les simulations dont nous disposons, sur la base du schéma qui va prendre la suite de l'Arenh, n'annoncent absolument pas d'augmentation des prix. Les tarifs réglementés de vente de l'électricité (TVRE) ont même baissé de 15 % le 1er février dernier. Je serais heureux que M. Gay m'indique ses sources, car, à mon sens, une telle affirmation ne repose sur rien.
Madame Carrère, vous le savez, j'estime comme vous qu'il est nécessaire de sortir de la dépendance énergétique. En outre, vous insistez avec raison sur un impératif majeur : en la matière, nous devons "peser chaque denier public" – je reprends les termes que vous avez employés.
Cet effort est indispensable pour décarboner : il convient de maximiser la dépense publique au regard du coût d'abattement. Combien coûte l'abattement d'une tonne de CO2 ? Voilà un critère très concret, très précis, qui doit guider nos décisions.
À ce titre, je prêche pour ma paroisse en tant que ministre chargé de l'énergie : au regard du coût d'abattement, 1 euro dépensé pour la décarbonation de l'énergie est mieux employé que dans beaucoup d'autres secteurs. Il faut évidemment tenir compte de ce critère.
En parallèle, vous soulignez qu'il faut minimiser les risques : je ne peux que partager vos propos, notamment à la lumière de l'épisode espagnol. À cet égard, nous ne disposons pour l'heure d'aucune piste ou d'aucun élément d'enquête probant…
M. Yannick Jadot. Exactement !
M. Marc Ferracci, ministre. J'y reviendrai dans un instant.
La diversification des sources relève de l'évidence. On l'a vu en 2022 et 2023 : lorsque notre parc nucléaire a connu de grandes difficultés du fait de la corrosion sous contrainte (CSC), les EnR et l'importation d'électricité ont pris le relais. Il est évident que la flexibilité et la diversification des sources d'énergie sont des solutions.
Enfin, je répète, nous avons l'ambition de relancer les investissements dans l'hydroélectricité. Pour cela, il faut sécuriser le cadre juridique et résoudre le contentieux avec l'Union européenne.
Monsieur Jadot, j'ai la faiblesse de croire que notre discussion d'aujourd'hui n'est pas "juste un débat". (Mme Mélanie Vogel s'exclame.)
Vous soulignez la nécessité de prendre en compte le contexte géopolitique, en citant la guerre en Ukraine : je partage tout à fait ces propos, à l'instar de M. le Premier ministre. Ces crises renforcent, à nos yeux, la nécessité de sortir de la dépendance aux énergies fossiles et, plus largement, de toute forme de dépendance énergétique. Le contexte que nous connaissons ne remet pas en question cette stratégie ; au contraire, il la renforce. J'en suis profondément convaincu.
Vous avez évoqué le coût des EPR2.
Notre schéma de financement, qui fait l'objet d'un certain nombre de réflexions, sera bientôt notifié à la Commission européenne. Le coût de ce programme est estimé non pas à 100 milliards d'euros, mais à 67 milliards d'euros. Même si nous sommes bien placés pour savoir que les programmes peuvent évoluer, c'est l'hypothèse de travail que nous prenons pour base aujourd'hui. Ce montant sera officialisé lors de la notification ; il est important de le souligner.
À vous entendre et vous l'avez dit à plusieurs reprises, le nouveau nucléaire ne serait pas finançable. Je conteste ces propos en suivant, en quelque sorte, un raisonnement par l'absurde.
Nous proposerons à la Commission européenne un schéma de financement équilibré, avec deux composantes.
D'une part, pour la phase de construction, nous prévoyons un prêt bonifié de l'État à EDF, dont le quantum précis reste à déterminer et qui représentera plus de 50 % de l'ensemble – ce choix a été retenu pour d'autres schémas nucléaires, comme le projet de Dukovany, en République tchèque.
D'autre part, pour la phase d'exploitation, nous envisageons un contrat pour différence, que j'ai évoqué en répondant à M. Louault.
Le schéma de financement existe ; il a été tracé noir sur blanc, négocié avec EDF, puis validé. Je ne peux donc pas vous laisser dire que le nouveau nucléaire n'est pas finançable. On peut bien sûr débattre de son coût plus ou moins élevé, en abordant la compétitivité relative des différentes sources d'énergie. Reste que, pour ce qui est de notre capacité à financer le nouveau nucléaire, vos propos ne correspondent pas à la réalité.
En parallèle, vous semblez laisser croire que les EnR représentent la quasi-totalité des capacités qui se développent actuellement en Europe. La France n'est pas seule, en Europe, à investir dans le nucléaire.
Je suis à la tête d'une alliance des pays du nucléaire négociée il y a maintenant deux ans par Agnès Pannier-Runacher, alors ministre de la transition énergétique, qui réunit aujourd'hui une dizaine de pays. Certains d'entre eux disposent d'ores et déjà de réacteurs dans leur territoire, tandis que d'autres envisagent d'en construire ; tous en tout cas défendent le nucléaire et la neutralité technologique à l'échelle européenne, c'est-à-dire le fait que le nucléaire puisse être financé au même titre que les énergies renouvelables.
Dans ce domaine, la France n'est donc absolument pas isolée en Europe. (M. Yannick Jadot s'exclame.) Je le souligne, même si ce n'est pas ce que vous avez dit. On observe aussi une dynamique en faveur du nucléaire sur notre continent (Marques d'ironie sur les travées du groupe GEST.), il est important de le répéter.
Selon vous, nous freinerions l'électrification. Je ne reviendrai pas sur toutes les mesures permettant de soutenir ce vaste chantier, malgré les contraintes budgétaires avec lesquelles nous devons composer, contraintes que vous connaissez et que nous assumons.
Enfin, je ne peux pas vous laisser dire que l'agenda climatique est attaqué.
La France – vous le savez mieux que quiconque ici – est à l'origine des accords de Paris. Nous défendons l'agenda issu de ces accords. Nous défendons en particulier l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050 et nous continuerons de le défendre. Pour autant, et cet élément a toute son importance pour le Gouvernement, nos objectifs de décarbonation doivent être rendus compatibles avec une politique industrielle ambitieuse (M. Yannick Jadot acquiesce.), en particulier à l'échelle européenne.
Notre politique industrielle ne saurait être mise au rebut. C'est le message que j'ai transmis à tous les commissaires européens que j'ai rencontrés, quels que soient leurs domaines d'attribution.
Notre agenda climatique demeure, mais il doit être assorti d'initiatives ambitieuses à l'échelle européenne, qu'il s'agisse de protections commerciales ou de soutien à l'industrie. Pour ma part, je continuerai de défendre ce point de vue.
Enfin, je répondrai à M. Hochart sur la panne espagnole. À l'en croire, les premiers rapports des experts en Espagne et au Portugal tendent à montrer que l'origine de cette panne tient au mix énergétique espagnol, qui, comme chacun le sait, repose plus que d'autres sur les renouvelables.
Après m'être entretenu hier avec mon homologue espagnole, Sara Aagesen Muñoz, après avoir mené de longs échanges avec les représentants de RTE quant aux premières analyses fournies par cet acteur, je peux vous l'assurer : aujourd'hui, il est impossible d'affirmer quoi que ce soit sur l'origine de cette panne. Je ne peux donc privilégier aucune interprétation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir m'excuser si j'ai été trop long et, au nom du Gouvernement, je tiens à remercier très chaleureusement l'ensemble des participants à ce débat. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI, INDEP, RDSE, UC et Les Républicains.)
Source https://www.senat.fr, le 21 mai 2025