Conférence de presse de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur les relations entre la France et l'Albanie, le conflit en Ukraine, le Kosovo et la défense européenne, à Tirana le 17 mai 2025.

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Circonstance : Déplacement en Albanie : deuxième journée ; Conférence de presse conjointe avec le Premier ministre d'Albanie, Edi Rama

Texte intégral

Merci beaucoup,

Monsieur le Premier Ministre, cher Edi,
Mesdames, Messieurs les Ministres,
Madame l'Ambassadrice,
Monsieur l'Ambassadeur,
Mesdames, Messieurs.

Merci Monsieur le Premier Ministre pour votre accueil très chaleureux hier, vos mots hier comme aujourd'hui, et c'est pour moi un très grand bonheur d'être à nouveau là.

Vous l'avez rappelé, après la visite de l'automne 2023, votre visite du printemps 2024, nous voici donc pour poursuivre, et plusieurs de nos ministres ont également effectué des visites de part et d'autre pour scander cet agenda qui est à un niveau d'intensité inédit, puisque je rappelle qu'avant l'automne 2024, il y avait eu 110 ans sans visite de président.

Je veux commencer ici par vous féliciter pour votre réélection et les résultats, la confiance obtenue, qui est importante pour vous, mais pour nous tous, parce que c'est aussi ce mandat qui va vous permettre de poursuivre l'agenda extrêmement ambitieux que vous menez pour le pays depuis tant d'années, et puis vous féliciter pour l'organisation du 6ème Sommet de la Communauté politique européenne et le premier sommet qui s'est tenu dans la région des Balkans.

Merci donc pour cela, pour votre accueil, mais aussi pour ce que nous continuons de faire ensemble, car, vous l'avez dit, la relation bilatérale, nous l'avons ainsi voulue, est structurée à travers plusieurs ambitions.

D'abord, tout ce que nous avons lancé à l'automne 2024 et qui prend forme. Nous avons, en effet, ensemble, décidé à ce moment-là d'une politique d'innovation et de coopération forte. J'étais heureux à vos côtés de pouvoir avoir la première promotion de l'École 42 et la signature du plan d'action par nos ministres de la stratégie Green AI albanaise, appuyé par la France qui est un des axes importants de ce partenariat.

Ce qui avait été décidé à l'automne 23 en la matière a vu le jour en ce printemps 2025, l'École 42 est une réalité, les premières promotions arrivent, et nous continuons de transformer les choses à vos côtés. De la même manière, nous avions décidé d'avancer sur le lycée français de Korça et ce projet de réouverture que vous poursuivez. Tout ce qui avait été décidé est maintenant fait. L'étude de préfiguration nous a été présentée et nous allons continuer d'accélérer. En matière de coopération universitaire, le partenariat entre l'université de Tirana et l'université technologique de Compiègne devient une réalité et avance.

Nous avons ensuite décidé en avril 2024, quand vous êtes venu, d'un cadre de référence en matière économique, et les projets prioritaires se structurent : gestion de l'eau, innovation, tourisme, agriculture, avec plusieurs acteurs français qui m'accompagnaient il y a un an et demi et qui, aujourd'hui, sont en train de déployer des projets parmi vous.

Et puis, vous l'avez rappelé, des projets culturels qui nous tiennent à cœur, la Villa 31, où nous irons tout à l'heure, et des coopérations multiples. Tout ça pour dire que nos déclarations passées devant vous, sont devenues des réalisations présentes.

Nous avons également avancé sur les sujets de défense, et c'est, là aussi, extrêmement important. Nos ministres ont signé hier des accords et partenariats très structurants, et nous allons poursuivre dans tous les domaines, capacitaires comme opérationnels, et les coopérations en termes d'exercices sont très bonnes : radar de surveillance, coopération en termes, justement, de structuration aérienne.

Au-delà de ça, nous avons décidé ensemble aujourd'hui de poursuivre et d'avoir donc davantage d'acteurs français présents dans les infrastructures, la gestion de l'eau, des déchets, d'avoir davantage de présence à vos côtés dans les projets extrêmement structurants que vous souhaitez poursuivre pour toute la région, vous l'avez dit, et je partage totalement cet agenda très pragmatique qui est le vôtre, très ambitieux, et la France sera donc à vos côtés à travers ses capacités de financement et à travers aussi ses grands opérateurs et acteurs industriels.

Enfin, l'Agence Française de Développement, vous l'avez dit, vous accompagne. Plus de 300 millions de projets ont été déployés. Qu'il s'agisse, en effet, là aussi, des projets d'urgence de l'énergie, du tourisme durable, avec pour cible la région de Korçë, berceau historique de la francophonie en Albanie, nous continuerons d'être à vos côtés et ce qui a été décidé dès l'automne 2023 se poursuit avec la même ambition.

Au-delà de cette relation bilatérale, de tous ces projets, nous souhaitons, vous l'avez compris, aller encore plus loin et plus fort. C'est évidemment la place de l'Albanie dans l'Union européenne qui nous importe. Je veux ici redire la conviction profonde exprimée lors de ma précédente visite, celle au fond de la réunification du continent européen pour faire face à nos défis communs. L'Albanie montre le chemin. Vous avez accompli des progrès considérables ces derniers mois, marqués par l'ouverture de plusieurs blocs de chapitres de négociation.

Je veux ici vous dire que, d'abord, j'ai confiance dans ce que vous allez faire, ce que vous avez obtenu ce mandat très clair, que l'avenir de l'Albanie est sur ce chemin, vers l'Union européenne, la modernisation dans tous les secteurs, les réformes ambitieuses que vous conduisez et que derrière ces réformes ou ces blocs de négociations qui peuvent paraître très techniques pour souvent nos compatriotes, il y a le chemin d'une aventure qui elle est très sensible, dont on reparlait hier soir, qui est ce chemin européen.

La France sera à vos côtés pour vous accompagner sur ces réformes mais surtout pour vous défendre et vous accompagner pour que vos mérites soient reconnus et que l'agenda soit tenu parce que vous tiendrez le vôtre et donc nous tiendrons le nôtre pour que cette perspective de 2027 ne soit pas simplement une perspective mais une réalité.

Depuis le début de mon premier mandat, et en particulier aussi ce que nous avons en 2019 restructuré avec cette stratégie française pour les Balkans occidentaux, j'ai la conviction profonde de la destinée de cette région. A cet égard, l'Albanie montre le chemin de manière remarquable.

C'est aussi pour ça que je tenais à être présent au-delà de la Communauté politique européenne pour que nous ayons ce moment bilatéral, mais pour redire ici aussi ma confiance dans les réformes que vous menez, dans le chemin que vous poursuivez, et vous redire le soutien de la France dans cette aventure européenne qui va devenir une réalité.

Merci, Monsieur le Premier ministre, pour votre accueil et merci infiniment pour l'amitié entre nos deux pays.


Journaliste
Bonjour monsieur le Premier ministre. 9 personnes de nouveau depuis la mort en Ukraine dans une attaque russe. Alors, est-ce que c'est la réponse de Vladimir Poutine à votre proposition, enfin à la proposition européenne et américaine de cessez-le-feu. Faut-il dès lors, dès à présent, engager des sanctions supplémentaires contre la Russie ? Et demandez-vous aussi au président Poutine d'agir en ce sens ?

Emmanuel MACRON
Au président Trump. Écoutez, d'abord, je veux ici redire notre soutien au peuple ukrainien à ses dirigeants après, à nouveau, les pertes des dernières heures.

Je voudrais ici vous dire que nous n'avons jamais eu de naïveté et que cela n'a jamais cessé. Les propositions de cessez-le-feu, dont je rappelle que c'est une initiative américaine, n'ont pas été respectées par le président Poutine et ses armées. Donc les choses sont simples. Nous, nous sommes aux côtés des Ukrainiens depuis le premier jour. Depuis 2014, avec des sanctions, un processus qui avait été fixé à Minsk et un format dit de Normandie où nous avons accompagné.

Depuis la guerre d'agression massive lancée en février 2022, nous sanctionnons la Russie, nous sommes aux côtés de l'Ukraine.

Un président a été élu par le peuple américain. Il est arrivé avec une ambition salutaire, faire la paix. Il a dit qu'il allait engager tout le monde pour faire la paix. C'était une déclaration importante et les États-Unis d'Amérique doivent être respectés. Le président américain a d'abord fait une proposition de cessez-le-feu en février. Nous avons alors réagi en disant que le cessez-le-feu ne serait pas suffisant, nous devons avoir une paix robuste et durable.

C'est comme ça que nous avons construit, dès le premier rendez-vous de Paris en février, puis par des rendez-vous successifs et un travail extrêmement intense avec le Premier ministre Starmer, cette coalition des volontaires.

Mais c'est une proposition américaine, le cessez-le-feu. Elle a été ensuite agréée par le président Zelensky, quoique agressé en mars 2025 à Jeddah. Depuis mars, nous attendons la réponse de la Russie. Vous avez rappelé très justement l'effet, c'est non. Puis, réengageant tout cela, encore, samedi dernier à Kiev, il y a exactement une semaine, nous étions là avec le Premier ministre Starmer, le Premier ministre Tusk, le chancelier Merz, aux côtés du président Zelensky. Nous avons rassemblé la coalition des volontaires, puis appelé ensemble le président Trump en disant : voilà, on est tous derrière le cessez-le-feu, on réengagera tous derrière une coalition des volontaires avec des garanties de sécurité.

Maintenant, il faut mettre la pression sur la Russie. Accord du président Trump. C'est une force, c'est une chance que nous soyons alignés. Là-dessus, la proposition du président Poutine a été de dire, rencontrons-nous à Istanbul. Le dimanche accord du président Zelensky. Et aujourd'hui, qu'avons-nous ? Rien.

Donc, je vous le dis, face au cynisme du président Poutine, je crois que, je suis sûr même, que le président Trump, soucieux de la crédibilité des États-Unis d'Amérique, va réagir. Parce qu'en fait, la proposition de cessez-le-feu, la proposition de rencontre à haut niveau, ce sont des propositions américaines. Elles sont importantes. Elles ne peuvent pas avoir une telle réponse. Nous, nous continuerons de vrai pour que l'Ukraine résiste et pour qu'il y ait les garanties de sécurité le jour où la paix sera signée.

Journaliste
Bonjour. Bienvenue en Albanie Monsieur le Président. La première question, c'est pour vous. L'Union européenne a montré ses inquiétudes sur l'action de la police de Kosovo au nord du pays. D'autre part, la présidente, madame Vjosa Osmani-Sadriu, dans les travaux du Sommet, a dit que l'Union européenne n'est pas toujours balancée et équilibrée. Et elle est en train d'analyser la partie qui est en train d'appliquer l'ordre constitutionnel. Qu'est-ce que vous pensez de cette critique ? Est-ce que vous pensez que l'Union européenne est en train de perdre la crédibilité dans le dialogue contre la Serbie et le Kosovo? Maintenant une question concernant vos réserves sur l'alliance militaire. Comment vous commentez le fait que l'alliance militaire, le président Trump, fait une demande pour monter le budget de la défense à sa façon , est-ce que c'est juste pour des pays comme l'Albanie d'avoir des budgets de contribution aussi élevée que les grandes puissances?

Emmanuel MACRON
Sur votre première question, la feuille de route est claire. Pour avoir passé beaucoup de temps sur le dialogue entre Belgrade et Pristina, l'Union européenne est légitime à demander qu'il y ait des avancées concrètes sur la question politique, les élections dans les communes où celles-ci n'ont pas été satisfaisantes, les questions de sécurité, le cadre d'ensemble, tout ça est connu, il n'y a rien de nouveau.

Je pense que l'exigence, ce n'est pas la perte de crédibilité. Il faut sortir, en quelque sorte, d'un face-à-face qui va simplement bloquer la situation. Je souhaite que dans les prochaines semaines, on puisse reprendre le dialogue, et avec Pristina et avec Belgrade, puisque chacun des pays ont été confrontés à des difficultés aussi politiques, sociales, pour pouvoir avancer. Je pense que c'est très important pour toute la région. Je pense que les demandes qui sont faites sont légitimes. Je pense qu'il ne faut pas laisser s'installer le fait qu'il y aurait un dialogue biaisé, parce que ce n'est pas la manière correcte d'avancer sur ce sujet.

Il y a une volonté, en tout cas, vous pouvez me faire confiance, je la porte, de pouvoir avancer, parce que je pense que pour la sécurité de notre Europe, pour son unité, il nous faut faire ce chemin. Simplement, il est légitime d'avoir des exigences quand la situation est devenue instable. Je pense que ce n'est jamais une bonne idée quand on essaie de diviser les lignes ou de mettre en doute, en quelque sorte, le processus.

Donc on va avancer avec force, on va réengager, et nous allons en particulier, aux côtés de nos partenaires européens, réengager pour que les choses puissent avancer en Serbie et au Kosovo.

Sur l'OTAN et les exigences. La France, je pense aujourd'hui, a l'armée la plus efficace d'Europe. Nous avons une armée complète sur laquelle nous avons réinvesti depuis 2017 avec deux lois de programmation militaire qui auront doublé le budget de nos armées. Nous avons une capacité de dissuasion nucléaire. Nous avons une autonomie stratégique dans tous les segments du jeu, ce qui est inédit en Europe. Et nous avons une expérience opérationnelle, là aussi inédite, sur des théâtres d'opérations du Proche-Moyen Orient à l'Afrique, et j'en passe.

Nous sommes aujourd'hui à 2,1% du produit intérieur brut. Nous continuons d'augmenter. Nous allons augmenter. J'annoncerai dans les semaines à venir des décisions pour l'année en cours et l'année prochaine. Mais je n'ai jamais considéré que le pourcentage en produit intérieur brut était une fin en soi. Ce qui compte, c'est d'analyser les défis qui sont les nôtres et d'avoir, à côté de ça, le bon niveau d'engagement.

Ensuite, nous avons besoin, tous, de continuer à augmenter nos dépenses. Pourquoi ? Pour renforcer notre autonomie stratégique, pour renforcer ce pilier européen de l'OTAN. C'est une chance d'avoir les États-Unis d'Amérique depuis que l'OTAN existe. Elle porte environ un tiers de l'effort de défense de l'Alliance, en particulier sur son flanc Est. Mais soyons lucides, nos alliés américains de manière croissante regardent ailleurs.

Donc, ils nous demandent de prendre davantage en charge notre propre sécurité. C'est légitime. Mais donc, ça ne se chiffre pas simplement en pourcentage de produits intérieurs bruts, et ça ne doit pas se traduire simplement en achat de matériel américain, parce que ça n'aurait qu'une conséquence, accroître notre dépendance à l'industrie américaine.

Donc, il faut que nous, Européens en investissant davantage pour nous former, pour recruter pour certains pays davantage, pour nous équiper davantage, mais aussi pour construire une base industrielle et technologique de défense européenne qui renforcera vraiment notre autonomie en complémentarité et en confiance.

Je vous le dis très clairement, l'horizon des 3,5% du produit intérieur brut est un bon horizon pour les années qui viennent. Il ne se fera pas en 6 mois et il doit se faire en ayant de la substance, de la cohérence.

Enfin, je rappellerai juste deux choses pour finir ma réponse à votre question. D'abord, c'est un pourcentage de produit intérieur brut, donc c'est un taux d'effort qui est proportionnel au PIB pour chaque pays, ce n'est pas un montant absolu. La deuxième chose, l'engagement d'une armée ne se mesure pas à l'argent dépensé, mais aux noms qui sont gravés sur nos monuments aux morts et à celles et ceux qui tombent.

Je n'aime pas ce débat entre alliés qui ne regardent que les chiffres. Je connais beaucoup de pays dans notre Europe qui ont perdu beaucoup de soldats sur des théâtres d'opérations et s'étaient engagés à côté des autres. Ils ne méritent le respect, au moins autant que ceux qui dépensent beaucoup d'argent.

Merci beaucoup.