Entretien avec M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué, chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger, avec "La Tribune Dimanche" le 24 mai 2025, sur l'Union européenne et les droits de douane américains.

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Intervenant(s) : 
  • Laurent Saint-Martin - Ministre délégué, chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger

Texte intégral

Q - Que cherche Donald Trump avec cette annonce de 50% de droit de douane ? Mettre l'Europe à genou ? La diviser ?

R - Je ne pense pas qu'il faille en permanence faire de la psychologie et se demander quelles sont les tactiques de négociations de Donald Trump. Avant tout, nous devons conserver notre son sang-froid. Ce n'est pas la première fois que le président américain menace l'Union européenne, ni les autres puissances d'ailleurs. Il faut donc raison garder et poursuivre une discussion respectueuse entre les États-Unis et l'Union européenne. Aujourd'hui, ce qui est sur la table, c'est une période de discussion de quatre-vingt-dix jours, où sont suspendus à la fois les 20% de droit de réciprocité américains et la liste de contre-mesures européennes. La Commission dialogue en permanence avec les États membres, et discute en direct avec l'administration américaine. Sauf que Trump dit qu'il ne veut plus dialoguer... Encore une fois, la période de suspension court jusqu'à la mi-juillet. Il faut la respecter, et pendant ce laps de temps donner sa chance à la négociation. Nous souhaitons que ce rapport de force dans lequel nous sommes entrés se termine par une issue favorable qui ne grève pas l'investissement et le commerce. Mais pour cela, l'Europe ne doit pas douter de sa puissance. Elle doit au contraire l'affirmer, dire ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. L'Europe ce n'est pas le Far-West ! Nous respectons les règles. C'est ce qui fait notre force.

Q - La menace d'un passage à 50% le 1er juin n'est donc pas à prendre au sérieux ?

R - Qu'il y ait une nécessité d'accélérer et d'intensifier les discussions, c'est une bonne chose. Après, de notre côté, il faut toujours rester cohérent avec nos intérêts et nos valeurs. Une guerre commerciale n'entraînera que des pertes, en particulier pour les États-Unis. Des études montrent qu'avec cette augmentation de 50% le recul du PIB y serait deux fois plus important qu'en Europe. Il faut donc mettre un petit peu de rationalité dans les débats, faire entendre à Donald Trump et à son administration que c'est d'abord contre eux qu'ils agissent quand ils font cette surenchère. L'administration américaine estime que son déficit commercial avec l'Europe s'élevait à 235 milliards de dollars en 2024. Un chiffre réfuté par la Commission européenne. N'est-il pas difficile de négocier dans ces conditions ? C'est vrai, il y a un désaccord sur le diagnostic. Mélanger la TVA et les droits de douane comme le font les Américains n'a aucun sens, pas plus que de regarder la balance des biens sans regarder les services. Ça ne facilite pas la discussion. Mais les responsables politiques qui actuellement souhaitent préserver la prospérité économique aux États-Unis comme en Europe, ils sont du côté de la Commission européenne.

Q - Mais cela fait des semaines que la Commission négocie. Cette annonce de Trump ne signe-t-elle pas son échec ?

R - À mes yeux, la Commission européenne fait ce qu'il faut faire. Elle se montre responsable et ne cherche pas l'escalade. Parce qu'au final ce qui comptera, c'est que nos filières, nos entreprises, nos emplois soient protégés et qu'à l'issue de cette séquence l'Europe se soit affirmée comme puissance. La Commission sur cette question joue un rôle essentiel. Et je trouve qu'elle le joue bien.

Q - N'y a-t-il pas malgré tout un risque que chaque État de l'UE aille négocier à Washington ?

R - C'était sans doute l'objectif initial de Donald Trump. Mais nous ne sommes pas tombés dans ce piège. Nous sommes conscients que si chacun mène une négociation dans son coin, à la fin, nous perdrons tous. Moi, je participe au Conseil des affaires étrangères en format commerce, et je constate une vraie unité au sein de l'Union. C'est extrêmement puissant, parce que c'est la condition de notre réussite dans cette séquence. Alors, bien sûr, nous ne partageons pas tous le même avis sur les niveaux de réponse à apporter. Il y a des nuances qui dépendent des vulnérabilités, des sensibilités, du rapport aux filières de chaque Etat membre. Mais c'est normal. C'est ça l'Europe.

Q - Si ces droits de douane passaient effectivement à 50%, l'Europe ferait-elle face à une catastrophe ?

R - Ce serait évidemment une catastrophe pour tout le monde, mais, j'insiste, d'abord pour l'économie américaine. Concernant l'Europe et la France, je suis convaincu que pour certaines de nos filières, comme les vins et spiritueux, les cosmétiques, l'aéronautique et toutes celles de réussite à l'export, cela déboucherait sur une situation absolument intenable sur le long terme. Ce n'est donc pas une issue souhaitable.

Q - Y a-t-il déjà un consensus dans l'UE sur la réplique européenne ?

R - Nous sommes encore en période de discussion pour finaliser ces contre-mesures. Nous devons être très vigilants sur ce point. Il ne faudrait pas que cela vienne mettre une cible dans le dos de nos propres filières. Mais nous avons à notre disposition un éventail de mesures de rétorsion qui pourra répondre de manière proportionnée. Tout est sur la table.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 juin 2025