Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur les relations entre la France et Singapour et les défis de l'Union européenne face à la situation internationale, à Singapour le 30 mai 2025.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Discours de M. Emmanuel Macron, Président de la République, à la communauté française de Singapour

Texte intégral

Bonjour.

Madame, Monsieur le ministre, 
Madame la députée, chère Anne,

merci Monsieur l'ambassadeur d'avoir organisé ce rendez-vous, 
merci Monsieur le directeur de nous accueillir dans votre lycée, 
Mesdames, Messieurs les conseillers consulaires, conseillers du commerce extérieur, 
Mesdames et Messieurs à vos grades d'égalité,

chers compatriotes, chers amis et chers élèves, heureux de vous retrouver.


Écoutez, je suis venu avec mon épouse, les ministres et nos délégations pour vous dire quelques mots au milieu de cette tournée régionale et de ce voyage à Singapour. Dans un moment important d'abord de la relation bilatérale, en effet, vous le savez mieux que quiconque, cela fait 60 ans, 60 ans que Singapour est indépendant, 60 ans que la France l'a aussitôt reconnu et a engagé des relations diplomatiques fortes, 60 ans que nous avons une relation bilatérale qui est extrêmement forte et au fond très singulière. Elle est d'ailleurs assez unique pour nous deux parce qu'elle a une diversité que nous avons avec très peu de pays de la région et elle a une profondeur que Singapour a avec très peu d'autres partenaires.

Il y a en effet très peu de pays pour lesquels nous formons les pilotes, ce qui est fait à Cazaux, comme vous le savez, pour l'armée de l'Air singapourienne, avec lesquels nous avons une telle relation qui va des équipements militaires, en effet, ces formations, à l'intelligence artificielle en défense, qui est une des choses les plus sensibles, avec lesquelles on entretient une coopération scientifique et académique inédite qui ont, au fond, commencé avant même l'indépendance de Singapour, c'étaient nos scientifiques qui ont fait les revues des espèces, de la faune et de la flore ici même, et qui s'est poursuivie à travers des liens économiques dans tous les domaines que vous incarnez. Et au fond, vous parlez de ce que depuis 60 ans nous avons fait ici, c'est vous parler de vous et vous dire avant toute chose ma reconnaissance. C'est pourquoi je souhaitais que nous puissions nous voir dans ce moment et que vous soyez étudiante ou étudiant à l'ESSEC ou ailleurs, entrepreneur, VIE, expatrié de longue date aux nouveaux arrivés, vous représentez la force de ce lien bilatéral. On ne sait jamais dire combien nous sommes exactement, 20 000, 30 000, sans doute un peu plus. Je peux vous dire une chose, c'est qu'hier soir, quand on est arrivé avec mon épouse et les ministres dans le marché, où le Premier ministre avait pour ambition de nous montrer la culture culinaire et la tradition singapourienne, il a lui-même été surpris de ne croiser à peu près que des Français.

Et donc nous avons eu un échantillon de la diversité, de la présence ici qui est la nôtre, et je veux vous dire ma fierté de cela. Mais en effet, il y a des entreprises qui sont ici depuis très longtemps et qu'il s'agisse de CMA-CGM, héritière de la Compagnie des messageries maritimes, qui ouvraient dès 1862 les premières liaisons, aux négociants qui sont toujours présents ici, qu'il s'agisse de toutes les entreprises dont vous portez ici l'ambition, Total, CMA-CGM, mais je ne veux pas faire des jaloux Thalès, comme Alstom, qui porte des enjeux importants que nous sommes venus défendre, et à peu près toutes les grandes entreprises françaises qui sont ici présentes. 1 000 filiales françaises qui emploient 40 000 personnes, 200 chercheurs qui sont là aussi présents, la haute couture, les parfums, les bons vins, les hautes technologies. Voilà. Vous êtes cette diversité de la présence française à Singapour qui porte ici notre ambition, l'amitié depuis 60 ans.

En vous remerciant, je veux aussi remercier les équipes de l'ambassade, l'ensemble des services et de nos consulats. Je sais tout le travail qui a été fait ces dernières années : dématérialisation de l'État civil, vote par Internet, démarche à distance, là aussi l'innovation mise au service de l'action de l'État. Et merci, monsieur l'ambassadeur et l'ensemble de vos équipes pour tout ce travail fait. Et puis je veux aussi remercier évidemment notre lycée, vaisseau amiral d'un enseignement du français dans toute la sous-région, Madame la directrice, et ici plus de 3 000 élèves. Alors avec l'extension, on aura une capacité de 4 000 à terme, mais je veux remercier l'ensemble du corps enseignant, des personnels administratifs, des familles aussi qui sont ici présentes et qui portent cette ambition qui est la nôtre. Et, chère Anne, Madame la députée, je sais combien vous avez toutes ces années défendu la force de cette relation bilatérale, la force aussi de, voilà, cette politique qui est collectivement la nôtre et qui porte une ambition entrepreneuriale, scientifique, académique, et la force de tous ces liens et de cet enseignement pour faire rayonner ici la France comme vous le faites.

Alors, je veux surtout maintenant vous parler aussi de l'avenir, parce que nous avons, ces dernières années, ouvert de nouveaux chapitres. En 2012, en effet, la France a signé un nouveau partenariat stratégique qui a consolidé le lien bilatéral. Et comme vous le savez, il y a quelques mois, nous avons décidé d'ouvrir un nouveau segment avec ce "Comprehensive strategic partnership" avec le Premier ministre. Et il s'est concrétisé par beaucoup de signatures, ce matin par nos ministres et nos grandes administrations, et toute la journée aussi par plusieurs signatures d'accords. D'abord, nous consolidons, c'est le premier axe, un combat commun pour le développement durable et la croissance décarbonée. Je vais ici dire combien le modèle singapourien est impressionnant à ce titre, et la France veut être un partenaire de cela. Et c'est une manière de continuer à porter l'excellence de nos coopérations, scientifique et entrepreneuriale, mais d'être un partenaire de l'énergie décarbonée ici. Pour vous donner un seul exemple, nous avons signé un des plus gros contrats TotalEnergies en Indonésie de panneaux solaires. C'est pour fournir l'énergie décarbonée à Singapour. Et ça s'intègre dans cet ASEAN Power Grid auquel nous voulons participer par cette offre. Et la plupart, d'ailleurs, des compétitions auxquelles nous nous livrons, face à des amis et adversaires américains, européens ou asiatiques, c'est souvent pour participer à ces projets de décarbonation. En particulier, les grands projets de transport en commun, où Alstom et l'offre française sont là et nous continuons à avancer.

Nous sommes aussi engagés dans le cadre de la finance internationale pour poursuivre cet agenda. Et je dois dire que Singapour, par sa capacité à dialoguer, à tirer toute la région, est un fer de lance de ce combat dans lequel nous croyons et nous avons engagé le pays qui, au fond, crée des emplois, est compétitif et décarbone nos économies. Le deuxième axe dans lequel nous nous engageons encore à un autre avantage et qui est lié au premier, c'est celui des transports. Je l'ai souligné tout à l'heure, Singapour est un hub aéroportuaire et à travers, en effet, CMA-CGM, Alstom, RATP Dev, mais aussi Thalès et IDEMIA pour la gestion et le trafic, donc les modèles de sécurisation du trafic aérien, nous avons, là aussi, des partenariats et des ambitions encore supplémentaires pour aller plus loin et accompagner Singapour dans ses ambitions. Le troisième axe, c'est le développement de coopérations universitaires et scientifiques. Nous allons créer un campus professionnel franco-singapourien entre Schneider Electric et l'Institute of Technical Education, centré sur l'usage des numériques dans les secteurs de l'énergie, mais aussi développer justement un modèle de formation plus professionnalisante et notre souhait est que cette coopération aille encore plus loin dans l'avant-garde technologique. Le quatrième axe, ce sont justement : intelligence artificielle, quantique, énergie nucléaire, durabilité, c'est-à-dire les axes d'innovation profonde et d'innovation de rupture. Singapour est notre partenaire le plus intime, en particulier en termes d'IA, c'est-à-dire qu'il croit comme nous à l'innovation, qu'il veut développer des capacités supplémentaires qu'il ne veut pas dépendre ni des Etats-Unis ni de la Chine, mais qu'il croit aussi dans une IA éthique. Et donc ce que nous avons signé ces dernières heures est, là aussi, un point important, comme ce que nous avons scellé en matière de nucléaire civile, qui est, là aussi, une manière de décarboner l'énergie, mais d'aller sur les segments les plus innovants. Et puis le dernier axe, ce sont les échanges culturels et académiques, mobilité des étudiants, mais aussi, offre culturelle avec des expositions croisées, avec aussi un partenariat pour le développement futur du Louvre.

Je pourrais continuer d'accumuler les secteurs, mais ce sont là les principaux axes de cette nouvelle feuille de route bilatérale. Et celle-ci vient servir au fond une ambition plus large. Et je voulais, ici, le partager avec vous dans l'environnement qui est le vôtre et comme compatriote aussi dans un moment où la question est posée. Quid de la France et de l'Europe face au défi du monde et de la région. Je crois qu'il y a beaucoup à faire entre Singapour et la France et entre l'ASEAN et l'Europe, et plus largement entre justement le partenariat transpacifique et l'Europe. Pourquoi ? Parce que nous avons exactement les mêmes enjeux. Nous sommes des économies ouvertes qui dépendent beaucoup du commerce international, qui dépendent beaucoup de la capacité à innover, qui ont des défis de décarbonation massif, et qui sont soumis aujourd'hui à une instabilité et une incertitude de l'évolution géopolitique. Que vont décider les États-Unis d'Amérique sur les tarifs ? Que vont-ils décider sur leurs grands alliés et leur solidarité militaire ? Et une incertitude quant au choix que la Chine va faire. Est-ce qu'il y aura encore une liberté de navigation en Mer de Chine méridionale ? Est-ce qu'il y aura encore une liberté de la souveraineté pour toutes les puissances de la région ? Et nous ne sommes pas des superpuissances, mais nous représentons, si on regarde les espaces que j'ai évoqués, à peu près un tiers de la croissance mondiale et un peu plus même du commerce international.

Et donc, si nous décidons, nous, de coopérer, de nous donner des règles, de défendre un monde qui repose sur des principes communs, le respect de la souveraineté des peuples et de leur intégrité territoriale, qui croit encore dans un monde ouvert qui respecte les règles du jeu, nous avons la possibilité de ne pas céder à la tyrannie des superpuissances. Mais ça, ça suppose d'être cohérent, d'être compétitif et d'être ambitieux. Et c'est exactement l'agenda que nous voulons pour le partenariat entre l'ASEAN et l'Europe et que nous sommes venus sceller par ce chemin. Et c'est celui que nous nous devons à nous-mêmes.

Et je conclurai par là pour vous donner des nouvelles du pays, si je puis dire. La question qui est posée aux Européens et aux Français, c'est : voulez-vous, au fond, continuer à écrire l'histoire ou pas ? Nous avons pendant des décennies tiré les dividendes de la paix. On l'a oublié. Le monde redevient incertain et brutal. Et donc, nous devons participer de ce réveil et en tirer les leçons pour nous-mêmes. Et donc, il ne faut pas arrêter les réformes de compétitivité ni en France ni en Europe. Et donc, nous devons poursuivre un chemin d'exigence qui, pour nous-mêmes, doit nous offrir la possibilité d'avoir un modèle productif et de financer un des modèles de socialisation les plus généreux au monde. Vous, vous le savez, ô combien, qui vivez dans cette région qui n'a pas tout à fait les mêmes standards. Parfois, on l'oublie en Europe. Et le niveau de socialisation est extrêmement généreux, c'est une force, aussi longtemps qu'on sait la financer avec une économie productive. Donc, il faut une France et une Europe qui continuent d'être plus productives. Et donc, qui s'engage sur le chemin de la simplification, de la compétitivité, des réformes pour, justement, être en capacité d'être à la pointe de l'innovation, de créer de la richesse sur notre continent et d'être maître de nos choix sur le plan de la compétitivité et de nos finances. Ensuite, il faut, dans tous les registres du jeu, nous renforcer pour être plus autonomes en termes technologiques, industriels et de défense et de sécurité. La France a une avance, son modèle, son modèle énergétique, son modèle technologique, son modèle d'armée qui est moins dépendante des États-Unis que d'autres. Nous avons u ne force, c'est qu'on s'est réveillé plus tôt. Dès 2018, on a commencé à augmenter notre budget des armées. On l'aura doublé après ces deux lois de programmation.

Mais l'Europe n'est pas au bout du chemin. Et donc, nous avons à bâtir une autonomie stratégique beaucoup plus forte, au fond, une indépendance. Tout ça va supposer des investissements, des choix profonds, c'est ce que nous aurons à conduire. Et donc, je voulais aussi vous dire ici ma détermination à continuer le chemin pour la France et pour l'Europe, d'avoir cette indépendance, cette autonomie stratégique, de l'expliquer à nos compatriotes et aux autres Européens pour garder, justement, cette capacité à faire dans les années qui viennent, mais aussi à bâtir le partenariat essentiel avec la région dans laquelle nous nous trouvons, précisément parce que nous avons une communauté de destin dans ce monde instable.

Voilà, mes chers compatriotes, ce que j'étais aujourd'hui venu vous dire et la raison de ce déplacement dans la région depuis le début de semaine, vous dire ma gratitude de vous avoir ici. Vous portez, pour les uns depuis quelques mois, pour les autres depuis des décennies, une part de France ici à Singapour, une part de ce partenariat si singulier, de cet attachement et de ce respect réciproque que nous avons les uns pour les autres, mais une part aussi de notre ambition commune. Moi, je suis profondément convaincu qu'il y a dans ce que je viens de dessiner à la cavalcade, que j'essaierai de défendre ce soir au dialogue du Shangri-La et que nous portons vraiment avec le Premier ministre comme le président ici une part de notre avenir désirable, celui qui est fidèle au passé que nous avons eu et qui nous permet d'embrasser la modernité au service d'un humanisme que nous partageons. Je ne crois pas à la logique du plus fort, je ne crois pas au retour des superpuissances de manière durable, je ne crois pas non plus au retour du monde d'avant. C'est cette transition que nous sommes en train de vivre, elle est exigeante, mais nous saurons la porter parce que nous avons déjà, et Français et Singapouriens, su faire de tels miracles. Soyez fiers de ce que vous portez ici. Moi, je suis très fier, en tout cas, de ce que vous défendez dans notre éducation, notre système de recherche, nos entreprises ou les nombreuses associations auxquelles vous participez et qui sont si importantes. Et je veux vous dire ici à nouveau mes remerciements et ma confiance dans notre avenir commun.


Vive l'amitié entre Singapour et la France, 
vive la République et vive la France !