Interview de Mme Élisabeth Borne, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur, de la recherche, de l'innovation et du numérique, à RTL le 5 juin 2025, sur la montée de la violence dans la société, la réforme de l'orientation pour le secondaire et le supérieur et le recrutement et la formation des enseignants.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Élisabeth Borne - Ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur, de la recherche, de l'innovation et du numérique ;
  • Thomas Sotto - Journaliste

Média : RTL

Texte intégral

THOMAS SOTTO
Bonjour et bienvenue sur RTL, Élisabeth BORNE.

ÉLISABETH BORNE
Bonjour.

THOMAS SOTTO
Madame la première ministre, aujourd'hui, notre école, l'école de la République, est-elle devenue une machine à fabriquer des barbares ?

ÉLISABETH BORNE
Alors, notre école forme des citoyens et on a notamment des programmes d'éducation morale et civique. Évidemment, dans nos cours, nos différents cursus, on propose des éducations au respect, une éducation au respect de l'autre, au respect de soi.

THOMAS SOTTO
Vous savez pourquoi je vous pose la question ?

ÉLISABETH BORNE
Oui, je vois bien. Non, non, je vois bien.

THOMAS SOTTO
On entendait votre collègue du Gouvernement, Bruno RETAILLEAU, mettre en cause l'éducation pour expliquer les comportements, dit-il, de barbares, donc de ceux qui ont cassé, volé, pillé après le match du PSG.

ÉLISABETH BORNE
Je pense qu'on doit agir naturellement avec les parents pour apprendre le respect d'autorité. C'est un sujet qu'on doit porter collectivement, je vous dis, avec les élus locaux, avec les parents, avec l'école. En tout cas, l'école y prend sa part.

THOMAS SOTTO
Est-ce que l'école a une part de responsabilité dans ce qui se passe aujourd'hui ?

ÉLISABETH BORNE
Dans l'augmentation de la violence, moi, je parlerais plutôt des réseaux sociaux. Et c'est notamment pour ça que moi, je souhaite protéger les élèves de la surexposition aux écrans avec la banalisation de la violence que vous pouvez voir sur les réseaux sociaux. C'est un sujet auquel il faut s'attaquer. C'est pour ça que moi, j'ai annoncé la généralisation de la pause numérique, c'est-à-dire qu'on range son portable quand on arrive au collège.

THOMAS SOTTO
Ça, c'est clair, c'est réglé ? Portable interdit au collège dès la rentrée pour tout le monde ?

ÉLISABETH BORNE
Oui, moi, j'en reparlais hier avec le président du département de France, François SAUVADET. Il faut que chaque chef d'établissement, chaque principal de collège puisse discuter avec le conseil départemental sur la bonne solution qu'on trouvera. Vous savez qu'il peut y avoir des casiers, il peut y avoir des pochettes. En tout cas, je pense que c'est important que le temps qu'on passe au collège, ce soit un temps sans écran. J'ai pris la décision aussi qu'on ne mettrait plus à jour ce qu'on appelle les espaces numériques de travail, les logiciels de vie scolaire, le fameux Pronote, entre 20h et 7h du matin et tout le week-end, pour que ce ne soit pas une occasion pour les élèves d'être à nouveau sur leur écran. Et donc, je pense qu'il faut aussi qu'on éduque naturellement à l'utilisation des portables, des écrans, des réseaux sociaux. Et ça fait partie des enseignements qu'on propose aux élèves.

THOMAS SOTTO
Vous l'entendez, un vocabulaire qui est parfois dur, des mots qui sont employés à dessein, une école qui est mise en cause. Vous êtes et vous l'assumez, Élisabeth BORNE, une femme de gauche, femme de gauche dans un Gouvernement qui penche de plus en plus…

ÉLISABETH BORNE
Plus du centre, du centre.

THOMAS SOTTO
Du centre, mais plutôt de gauche, non ?

ÉLISABETH BORNE
Depuis 2017, je peux vous assurer que je suis engagée derrière Emmanuel MACRON.

THOMAS SOTTO
Sur l'échelle de borne RETAILLEAU - Gérald DARMANIN, vous êtes plutôt à gauche, non ?

ÉLISABETH BORNE
On peut dire ça, je pense.

THOMAS SOTTO
Est-ce que vous êtes encore à votre place dans ce Gouvernement ? Est-ce que vous êtes à l'aise, justement, autour de Gérald DARMANIN, de Bruno RETAILLEAU, même de Gabriel ATTAL, qui, rappelons-le, veut interdire le voile au moins de 15 ans ?

ÉLISABETH BORNE
Écoutez, moi, je suis sur une ligne qui me paraît nécessaire pour notre pays, de porter un projet au centre, de ne pas être sur des réponses toutes faites, des réponses souvent qu'on ressort régulièrement. Je pense que nos concitoyens, on leur doit des vraies réponses qui sont conçues de façon réfléchie, posée.

THOMAS SOTTO
Vous fédérez ce que vous faites ?

ÉLISABETH BORNE
Écoutez, je pense que vous avez vous-même la réponse.

THOMAS SOTTO
La réponse est dans la question.

ÉLISABETH BORNE
Absolument. Non, mais je pense que vous avez la réponse. Je pense que sur des sujets compliqués, et moi, je n'ai pas de doute qu'il y a une montée de la violence dans la société, qu'il faut y répondre, que nos concitoyens attendent des réponses fermes, mais que des réponses efficaces, il faut prendre le temps d'y réfléchir pour proposer des solutions qui soient réellement opérantes.

THOMAS SOTTO
Et vous pensez que vous pouvez toujours peser dans ce Gouvernement ? Je vous repose la question, est-ce que vous êtes toujours à votre place ?

ÉLISABETH BORNE
Oui, oui, je vous assure, je tiens ma place dans le Gouvernement, et je suis très attachée à cette ligne centrale qu'Emmanuel MACRON a incarnée en 2017 et en 2022. Parce que je pense que c'est fondamental pour notre pays qu'on continue, non pas à s'enfermer dans des réponses toutes faites, mais dans un monde qui change, qui fait face à de nombreux défis, qu'on porte cette force centrale, qui est en plus un facteur d'équilibre pour notre pays, pour notre démocratie, qui peut faire des coalitions, qui peut trouver des accords avec à la fois la gauche modérée, la droite républicaine, et que c'est comme ça que notre pays pourra avancer.

THOMAS SOTTO
On en vient à votre réforme de l'orientation pour le secondaire comme pour le supérieur, qui rentrera en vigueur à la rentrée de septembre, je parle sous votre contrôle, avec ce que vous avez appelé votre plan avenir. En quelques mots, madame la ministre de l'Éducation, comme si vous parliez à une classe pas très attentive, qu'est-ce qui va changer ?

ÉLISABETH BORNE
Alors d'abord, le constat, je pense qu'on peut tous le partager, c'est que l'orientation c'est un facteur de stress pour beaucoup d'élèves, pour beaucoup de parents, et on sait aussi que c'est un facteur de reproduction des inégalités. On peut parler des inégalités sociales, on sait qu'on a neuf enfants sur dix de cadre qui accèdent à une seconde générale ou technologique, et c'est un enfant d'ouvrier sur deux.

THOMAS SOTTO
C'est-à-dire que l'ascenseur social ne fonctionne pas dès l'école ?

ÉLISABETH BORNE
En fait, dès l'école, on n'ouvre pas suffisamment de possibilités à nos élèves, et des choix sont déterminés, je le disais, en fonction de votre milieu social, aussi en fonction de là où vous habitez. On sait notamment qu'il y a des grosses inégalités territoriales. Là encore, trois quarts des élèves qui vivent en centre-ville accèdent à une seconde générale ou technologique, et on a moins de 50% des élèves dans les zones rurales.

THOMAS SOTTO
Alors ça, c'est le constat, mais comment vous faites bouger tout ça ?

ÉLISABETH BORNE
Je pense que ce qui est important, c'est de se dire que l'orientation, ça s'apprend, ça s'enseigne. Et du coup, nos professeurs principaux nous le disent souvent, ils ont besoin d'être mieux formés, d'être mieux outillés, donc on va former tous nos professeurs principaux en démarrant par les 30 000 professeurs de 3e, qui auront une formation d'une demi-journée dès la rentrée. Et puis on doit proposer un vrai programme d'éducation à l'orientation, et on va donc publier un programme avec des compétences à acquérir de la 5e à la terminale.

THOMAS SOTTO
C'est-à-dire que l'orientation devient une matière scolaire ?

ÉLISABETH BORNE
Ça devient un sujet d'éducation, parce qu'il faut apprendre à faire des choix, il faut apprendre à se connaître, à voir quels sont les métiers qui peuvent vous attirer, donc ça veut dire qu'il faut non seulement avoir… Ces 4 demi-journées, elles vont permettre d'avoir une éducation à l'orientation, puis elles permettront aussi la découverte des métiers, d'aller dans les forums organisés par les régions pour ouvrir ces horizons.

THOMAS SOTTO
Ça, dès la rentrée prochaine, du coup ?

ÉLISABETH BORNE
Bien sûr, on va démarrer dès la rentrée prochaine. Et puis peut-être le dernier point, c'est aussi de se dire qu'on doit tenir compte des rythmes différents des élèves, certains qui ont besoin de plus de temps pour choisir, certains qui ont besoin, avant de démarrer leur parcours dans l'enseignement supérieur, d'avoir un renforcement de leurs compétences dans certaines disciplines. C'est pour ça que moi je crois beaucoup qu'il faut s'adapter aux différents profils. Je veux encourager la possibilité de faire une année de césure après le bac, d'aller dans une ONG.

THOMAS SOTTO
Ça coûte cher, tout le monde ne peut pas se le permettre l'année de césure ?

ÉLISABETH BORNE
Ça dépend de ce qu'on fait.

THOMAS SOTTO
Il y aura des aides ?

ÉLISABETH BORNE
Vous pouvez faire un service civique. Par exemple, vous pouvez aller travailler dans une ONG, vous pouvez aller voyager, et puis ensuite reprendre le cursus et bénéficier de ce qui vous a été proposé dans Parcoursup. Et vous aurez ce qu'on appelle des crédits ECTS, c'est-à-dire ce sont des points en plus pour valider des enseignements. C'est un système européen, donc c'est pour encourager à faire cette année de césure… Peut-être dire aussi qu'on veut développer ce qui s'appelle des années de propédeutique, c'est des années pluridisciplinaires où vous pouvez conforter vos compétences avant de vous engager dans le supérieur.

THOMAS SOTTO
Si je peux me permettre, pour les dispositifs, faites simple, parce qu'entre l'ENT, Parcoursup et tout le reste, on est un peu perdus.

ÉLISABETH BORNE
C'est riche, c'est un secteur où il y a beaucoup de dispositifs.

THOMAS SOTTO
ÉLISABETH BORNE, à Sens dans l'Yonne, une prof du lycée Janot-Curie a autorisé ses élèves de Seconde à observer une minute de silence en hommage aux victimes de la guerre à Gaza. C'était le 26 mars, elle était suspendue pour 4 mois à titre conservatoire. Aujourd'hui, cette enseignante demande sa réintégration. Y êtes-vous favorable ?

ÉLISABETH BORNE
Il y aura une décision. La suspension, comme vous l'avez dit, était conservatoire. Je pense qu'il ne faut pas confondre deux choses : la liberté d'enseigner… On a effectivement le droit d'aborder.

THOMAS SOTTO
Sachant qu'elle ne l'a pas imposée aux élèves. Les élèves ont demandé à le faire et ceux qui le souhaitaient ont observé cette minute de silence pendant une récré.

ÉLISABETH BORNE
Il y a une liberté d'enseigner et donc de parler du conflit au Proche-Orient. On ne décide pas, ça se fait dans un cadre organisé à l'éducation nationale, de faire une minute de silence. Parler du conflit israélo-palestinien, c'est une chose ; ensuite, prendre une position politique dans ce conflit, c'est autre chose. Et là, il y a une obligation de réserve de nos enseignants.

THOMAS SOTTO
Donc elle a fait une faute ?

ÉLISABETH BORNE
Je vous dis, elle est sortie du principe de neutralité qui s'applique à nos enseignants.

THOMAS SOTTO
À Dijon, l'Académie a lancé une expérimentation permettant à des enseignants d'autres matières d'enseigner le français après un entretien de 30 minutes. Là, on est bien dans l'école low cost, ce sont les profs au rabais. Déjà qu'on recrutait les profs en speed dating, maintenant, 30 minutes et hop, tu deviens prof de français. Ce n'est pas très rassurant.

ÉLISABETH BORNE
D'abord, il y a une réponse structurelle qui est la réforme du recrutement et de la formation de nos professeurs. Depuis qu'on recrute un Master 2, on a perdu 45% de nos candidats dans le premier degré, 20% dans le second degré. D'où la réforme du recrutement qui se mettra en place dès l'année prochaine. Ensuite ce n'est pas n'importe qui à qui on s'adresse.

THOMAS SOTTO
Ce sont déjà des profs ?

ÉLISABETH BORNE
Ce sont des professeurs certifiés qui ont une expérience d'enseignant, qui doivent justifier d'avoir des compétences, notamment dans le domaine vers lequel ils veulent aller. Ils seront naturellement… On vérifiera leurs compétences en amont et ils seront accompagnés. C'est une expérimentation que l'académie a voulue…

THOMAS SOTTO
Qui pourrait être généralisé si ça fonctionne bien ?

ÉLISABETH BORNE
Je ne me prononce pas à ce stade. Ce seront quelques enseignants qui pourront tester cette voie. Et je redis, ce sont des professeurs certifiés qui savent enseigner et qui pourront tester cette voie. Puis on évaluera naturellement l'expérimentation qui est menée à Dijon.

THOMAS SOTTO
J'ai une dernière question, Élisabeth BORNE. Dans quelques jours, ce sera l'épreuve du bac philo. A la question : quand on n'est pas tout à fait d'accord avec ses partenaires, vaut-il mieux se résigner ou se présenter à l'élection présidentielle ? Vous répondez quoi ? Et comme on n'a pas quatre heures, si vous pouviez aller directement à la conclusion, ça m'arrangerait.

ÉLISABETH BORNE
Non, je pense que quand on a une voie à porter, il faut le faire.

THOMAS SOTTO
Quitte à la porter jusqu'au bout ?

ÉLISABETH BORNE
Après ça, il faut apprécier effectivement. A la fin, l'objectif n'est pas que le Rassemblement national où La France insoumise remportent la prochaine élection.

THOMAS SOTTO
Pour dire les choses clairement, vous pourriez être candidate ? Vous n'excluez rien ?

ÉLISABETH BORNE
On en reparlera.

THOMAS SOTTO
Vous n'excluez rien ?

ÉLISABETH BORNE
Je ne vois pas pourquoi j'exclurais quand je vois aujourd'hui que chacun est candidat à l'élection présidentielle.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 juin 2025