Texte intégral
Q - Laurent Saint-Martin, bonjour.
R - Bonjour.
Q - Vous êtes ministre du commerce extérieur et des Français de l'Étranger. On va commencer par l'avertissement d'Emmanuel Macron ce matin, à la Une d' "Aujourd'hui en France/Le Parisien" - qu'on va voir - et dans plusieurs quotidiens régionaux aussi. Le Président de la République dit ne pas avoir de leçons à recevoir en matière d'écologie, au moment où s'ouvre le sommet mondial sur les océans à Nice.
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R - D'abord, il parle de son bilan. Et effectivement, pas franchement de leçons à recevoir, surtout des oppositions, quand on a réussi depuis 2017, enfin, à baisser significativement les gaz à effet de serre dans notre pays, près de 20%. Personne n'avait réussi à mieux là-dessus. On n'a jamais eu des moyens et un budget publics alloués à la transition écologique dans notre pays aussi importants que ces dernières années. J'en sais quelque chose : c'est moi qui l'avais proposé il y a quelques mois.
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Je rejoins le Président de la République quand il dit que l'ambition environnementale que la France porte depuis 2017 est inédite. D'abord, en efficacité et en résultats, et surtout - c'est le ministre du commerce extérieur qui parle - à ce que cela porte comme voix dans le monde. Aujourd'hui, ce soir, le Président de la République va recevoir plus de 50 chefs d'État et de Gouvernement à Nice pour lancer, demain, la Conférence des Nations unies sur l'Océan. Cette ambition environnementale, la France en est un porte-voix, maintenant, parmi les plus puissants au monde. Et donc, il est - et il a raison de le dire - important de ne pas faire marche arrière, non seulement sur tout ce qui a été fait, mais surtout sur ce qu'il reste à faire. Ensuite, ça ne veut pas dire qu'il ne peut pas y avoir de prise en considération, notamment, de la compétitivité de nos entreprises. Et ça, le Président l'entend parfaitement. Ça ne veut pas dire qu'il ne peut pas y avoir de prise en considération de choix budgétaires et de priorités. Vous citiez par exemple MaPrimRénov', d'autres outils là-dessus. Nous verrons quels seront les arbitrages.
Q - C'est-à-dire, si je vous entends bien, que l'écologie ne doit pas être un handicap ou un obstacle au développement économique ?
R - C'est-à-dire qu'on n'a jamais voulu choisir entre écologie et croissance.
Q - Oui, mais parfois, il faut. Regardez Donald Trump : lui, il fait l'inverse. Lui, il dit justement : "Trop d'écologie, trop d'environnement, ça plombe les entreprises". Donc il supprime tout.
R - Mais nous ne partageons non seulement pas cette opinion, mais en plus, nous considérons que la transition écologique est un atout concurrentiel pour nos entreprises françaises et européennes. Ce qu'il ne faut pas, c'est que la réglementation soit si lourde parfois qu'elle empêche effectivement les entreprises de libérer leur développement économique. C'est d'ailleurs ce que la Commission européenne a proposé en termes de simplification - que ce soit sur les sujets environnementaux, comme souvent les sujets réglementaires en général. Et donc, il n'y a pas d'opposition entre la transition environnementale, écologique, énergétique et le développement de nos entreprises et leur compétitivité. C'est ce chemin-là qu'il faut trouver.
(...)
Q - Donc, en fait, c'est un rappel à l'ordre de la part d'Emmanuel Macron, là ?
R - Ce n'est pas un rappel à l'ordre, c'est une prise de position ferme. Et ça permet aussi de rappeler quand même tout ce qui a été fait, parce qu'on est dans un pays - ce n'est pas vous qui allez me dire le contraire - où gâteau avalé n'a vite plus de saveur. Et on oublie un petit peu les succès qui ont été ceux du Président de la République toutes ces dernières années sur le sujet environnemental. Il avait dit lors de la campagne pour sa réélection en 2022 : "Le second quinquennat sera écologique ou ne sera pas."
Q - Il l'avait dit à Marseille.
R - Vous vous souvenez de ce meeting à Marseille. Il est important aussi que régulièrement soit remise sur la table cette ambition-là. Et évidemment, le lancement de UNOC3 à Nice à partir de demain est une occasion formidable de le rappeler.
Q - On en vient aux États-Unis, toujours, qui imposent des droits de douane de 20% sur tous les pays européens depuis deux mois. On ne parle pas des 50%. D'abord, ce qui est imposé depuis deux mois. Quel est le premier bilan ? Quels sont les secteurs qui en subissent le plus les conséquences ?
R - Alors, aujourd'hui, vous avez à date, à l'heure où on se parle - puisque ça change à peu près tous les quelques jours - 50% d'augmentation de droits de vote pour tous les pays du monde sur l'acier et l'aluminium, 25 % sur le secteur automobile. Et puis, en fonction des pays et des zones du monde, vous avez ce qui s'appelle les "tarifs de réciprocité" que Donald Trump a mis en place. Et concernant l'Union européenne - puisque vous savez que c'est l'Union européenne qui a la compétence de la négociation tarifaire avec les États-Unis - nous avons aujourd'hui 10%, avec une négociation qui est en cours jusqu'au 9 juillet. Voilà où nous en sommes, pour que chacun comprenne bien la situation. C'est lourd, en impact.
Q - Et en impact, sur les entreprises françaises, ça veut dire quoi ? Quels sont les secteurs les plus touchés ?
R - Les secteurs les plus touchés, ça va être, aujourd'hui, les secteurs industriels qui exportent le plus vers les États-Unis, notamment ceux qui sont dépendants, effectivement, d'acier, d'aluminium, ou l'automobile, puisque ce sont ceux qui sont aujourd'hui les plus taxés. Mais ce qui compte, c'est de se projeter un petit peu vers demain. Ça impacte aujourd'hui l'ensemble de l'Union européenne, à hauteur, à peu près, de 400 milliards d'euros. C'est beaucoup. 400 milliards d'euros - qu'on se fasse une idée - c'est beaucoup d'impact sur nos exportations. Mais les premières victimes de cette guerre tarifaire voulue par les États-Unis, ce sont les Américains eux-mêmes. Vous avez vu les dernières estimations de croissance des États-Unis par l'OCDE cette semaine ? Elles sont en baisse comme jamais nous l'avions vu. Nous allons avoir peut-être des projections de 1,5%-1,6% de croissance américaine. Ce sont les plus basses qu'on avait jamais vues depuis des années. Ce que je veux dire par là, Francis Letellier, c'est que la guerre commerciale qu'a initiée Donald Trump, elle est mauvaise pour tout le monde, à commencer par sa propre économie. Et je ne désespère pas, dans les jours qui viennent, que la Commission européenne, et notamment le commissaire Maros Sefcovic, qui est en charge de cette négociation, enfin, parvienne à faire comprendre, par les résultats concrets - ce que cela impose négativement à l'économie américaine - de revenir à la raison et de revenir à des niveaux d'échange commerciaux et de droits de douane qui soient évidemment beaucoup plus bas, comme nous l'avions auparavant.
Q - Vous ne désespérez pas, mais on sait que la France, justement, veut imposer des taxes en retour sur les produits américains, en disant "donnant-donnant", en gros. Sauf que, justement, beaucoup de pays de l'Union européenne ne sont pas d'accord avec ça. Ça va commencer à être un problème ?
R - Les mesures de rétorsion sont des mesures qui permettent d'avoir un dialogue et un rapport de force. Vous savez, le président américain et son administration, ils rentrent dans un rapport de force, quand ils imposent ces droits de douane.
Q - Et ça, c'est le système de défense de la France ?
R - Mais c'est aussi celui du Canada, de la Chine...
Q - Oui, mais pas de tous les pays de l'Union européenne. C'est bien le problème.
R - Oui, mais c'est l'Union européenne qui a la compétence exclusive.
Q - Donc ?
R - Et nous, nous soutenons, en France, la Commission dans le travail qu'elle fait, qui est très simple. Premièrement et prioritairement, ce qu'on appelle un "agenda positif", c'est-à-dire qu'on ne veut pas d'augmentation de droits de douane, ni de leur part, ni de notre part. Donc on fait tout, dans la négociation, pour désescalader. Deuxièmement, si la négociation échoue, nous avons les moyens de riposter, que ce soit sur les biens américains qu'on importe sur le sol européen ou sur les services, notamment numériques. L'Union européenne a les moyens d'une vraie puissance, et elle répondra.
Q - D'accord, mais elle ne fait rien. Concrètement, il n'y a pas de...
R - Mais nous sommes en négociation, M. Letellier.
Q - D'accord, mais la France voudrait pousser, voudrait que ça aille plus vite, non ?
R - Non, non, attendez...
Q - La France ne veut pas que ça aille plus vite ?
R - Il faut garder son sang-froid dans ces périodes-là. Vous avez vu que Donald Trump était capable de changer d'avis, de position sur les questions tarifaires régulièrement. Il ne sert à rien de paniquer, il ne sert à rien de se précipiter. Il faut négocier dans le calme.
Q - J'entends. Mais vous pensez que les entreprises françaises, elles sont en mesure d'attendre et de garder leur sang-froid ?
R - Là où je vous rejoins, c'est que la période actuelle crée une source d'incertitude que nous n'avons pas souhaitée, en Europe, encore une fois.
Q - Et en France.
R - Et en France, encore moins. Créer une période d'attentisme économique qui fait effectivement ralentir notre économie et qui menace effectivement le développement de nos entreprises et les emplois, c'est vrai que c'est peut-être, en fait, le plus grand danger. Parce que tout se tient. Les droits de douane, c'est une chose, mais si ça crée de l'incertitude dans les décisions d'investissement, ce sont nos entreprises qui ralentissent. Ça crée aussi des impacts directs avec les importations de produits venus de Chine, notamment, puisque la guerre entre la Chine et les États-Unis fait que les Chinois ont besoin de marchés tiers pour vendre leurs produits. Et donc ça, ça devient des conséquences directes. Quand je dis que tout se tient, c'est qu'une décision de tarif de la part de Donald Trump, évidemment, bouscule tout commercial mondial.
Q - Justement, la Chine, concurrente. Les marques Shein, Temu, on en a beaucoup parlé ces derniers jours, symboles de surconsommation et qui sont dans le collimateur des associations de consommateurs et des parlementaires aussi.
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Laurent Saint-Martin, la Chine, qui fait l'objet de droits de douane très élevés aux États-Unis - vous aviez commencé à en parler - pourrait expédier en masse ses produits vers l'Europe. Est-ce que c'est une vraie menace ? Est-ce qu'on le sent déjà ?
R - Oui, C'est ce qu'on appelle les surcapacités industrielles chinoises.
Q - On les sent déjà ?
R - Bien sûr, on les sent déjà, puisqu'il y a des augmentations d'exportations de la part de la Chine vers l'Europe, pas que la France. Et donc, effectivement, l'Europe, si elle veut, dans cette nouvelle donne commerciale que j'évoquais tout à l'heure, s'affirmer comme puissance, elle doit aussi savoir se protéger. Et c'est effectivement l'objet, notamment, de ce rapport sénatorial : c'est être en capacité à dire que des produits qui sont très fortement subventionnés en Chine, qui arrivent à bas coût et qui, finalement, viennent concurrencer de façon totalement injuste et totalement déséquilibrée nos propres industries, menacent nos industries.
Q - Donc il faudra des droits de douane supplémentaires sur les produits chinois ?
R - Donc il faut aussi savoir protéger le continent européen, effectivement.
Q - Ça veut dire quoi ?
R - Ça veut dire, effectivement... Cela peut être des tariffs, cela peut être des mesures...
Q - Des tariffs, ce sont des droits de douane, en français.
R - Oui, ça peut être parlant, et on discute aussi avec la Commission européenne, là-dessus. Mais sur le sujet juste de la fast fashion, ce n'est pas qu'un sujet commercial, industriel et d'emplois, c'est aussi un vrai sujet environnemental et écologique. Vous avez ouvert l'émission là-dessus : pardon, c'est un pur scandale écologique ! Et donc il faut aussi d'abord lutter pour être cohérents avec nos propres ambitions écologiques. C'est ce que nous faisons quand nous taxons et quand nous souhaitons taxer notamment les frontières européennes sur les émissions carbone. Effectivement, la fast fashion créé le même problème. On parle à peu près de 35 vêtements par seconde jetés par les Français. Avec la fast fashion, on accélère, effectivement, le risque environnemental. Et c'est évidemment lutter contre cela, ce qu'il faut faire.
(...)
Q - Vous êtes aussi le ministre des Français de l'étranger. La grand-mère de deux enfants français de 6 et 9 ans, morts à Gaza lors d'un bombardement de l'armée israélienne en octobre 2023, a porté plainte pour génocide. Elle estime qu'en tant que Français, ces enfants auraient dû être rapatriés. Est-ce qu'il y a beaucoup de Français, d'abord, qui demandent à être rapatriés de Gaza ?
R - Il y a des Français qui demandent à être rapatriés de Gaza.
Q - Beaucoup ?
R - On ne cite évidemment jamais les chiffres sur les questions de sécurité de nos ressortissants. Il y en a, et nous étudions systématiquement, effectivement, le rapatriement des Français encore dans la bande de Gaza qui le demandent. Ça, c'est la chose la plus importante à bien entendre là-dessus. Il y a ce qui s'appelle la protection consulaire. Le Consulat général de France à Jérusalem est en lien avec les Français qui sont dans la bande de Gaza. Et si demande de rapatriement, il y a évidemment toujours un traitement, et prioritairement avec notre cellule de crise qui, je me permets de le dire devant vous, fait un travail absolument exceptionnel, peu connu de nos compatriotes.
Q - Parce que j'imagine que c'est en terrain de guerre. Cette cellule de crise, elle est où ? À Gaza même ?
R - Elle est basée surtout à Paris, au centre de crise et de soutien du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. Mais évidemment, nous travaillons avec tous les postes et particulièrement tous les consulats autour, qui peuvent aider. Mais ce qui est sûr, c'est que nous avons une cellule de crise d'une qualité exceptionnelle, avec des agents du ministère de l'Europe et des affaires étrangères qui sont toujours là pour la protection de nos compatriotes.
Q - Il y a beaucoup de Français encore à Gaza ?
R - Encore une fois, je ne cite aucun chiffre là-dessus. C'est un principe sur n'importe quel pays, et particulièrement dans les théâtres de guerre. Mais croyez bien que la France n'abandonne jamais ses ressortissants dans aucun pays du monde, quel que soit le contexte. C'est ce qui fait aussi la force et, toujours, la valeur de notre identité partout dans le monde.
Q - Il y a une ressortissante française, accompagnée de plusieurs humanitaires, qui s'appelle Rima Hassan, députée européenne LFI, qui est actuellement au large de Gaza, à bord d'un bateau humanitaire. Elle a indiqué sur les réseaux sociaux se sentir en insécurité. Est-elle assurée d'avoir le soutien et l'accompagnement de la France si nécessaire ?
R - Bien sûr. Je crois qu'ils sont six ressortissants français sur ce bateau. Les six Français sur ce bateau bénéficient de la protection consulaire qui leur est due. Donc il n'y a aucun débat là-dessus.
Q - Et donc, la situation est suivie de minute en minute, d'heure en heure ?
R - Bien sûr. Et puis nous discutons évidemment avec les autorités israéliennes, sur la question de nos ressortissants qui sont sur ce bateau, vous vous en doutez. Mais c'est le fond qui compte le plus, là-dedans. Nous, le Gouvernement français, nous avons toujours été très clairs sur le fait que nous ne pouvons tolérer aucune entrave à l'apport de l'aide humanitaire à Gaza. Et c'est ça le plus important. Et effectivement, évidemment, les Français qui sont sur cette expédition bénéficieront, comme n'importe quel compatriote, de la protection consulaire.
Q - Merci, Laurent Saint-Martin, d'avoir accepté notre invitation dans "Dimanche en politique".
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 juin 2025