Déclaration de M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie, sur l'avenir de la sidérurgie française, à l'Assemblée nationale le 12 juin 2025.

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  • Marc Ferracci - Ministre chargé de l'industrie et de l'énergie

Circonstance : Débat à l'Assemblée nationale sur le thème : " L'avenir de la sidérurgie française "

Texte intégral

M. le président
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème : " L'avenir de la sidérurgie française ". La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties : dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le gouvernement ; nous procéderons ensuite à une séance de questions-réponses.

(…)

La parole est à M. le ministre chargé de l'industrie et de l'énergie.

M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie
Je remercie le groupe de la Gauche démocrate et républicaine d'avoir pris l'initiative d'organiser ce débat.

Vous l'avez tous dit : la sidérurgie est essentielle pour l'avenir de notre pays.

Dans mon propos liminaire, je tenterai de répondre à certains points qui ont été soulevés par les différents intervenants. Nous devons tenir un débat clair, franc et documenté sur ces sujets qui ne sont pas nécessairement consensuels.

La sidérurgie est l'industrie des industries. Elle se situe au fondement de nombreuses chaînes de valeur industrielles, de l'automobile à la défense, en passant par l'aéronautique et le spatial. C'est l'ossature invisible de notre puissance industrielle, mais aussi le socle de notre souveraineté et de notre résilience. Partout sur notre territoire, des centaines de milliers d'emplois en dépendent, directement ou indirectement. Cette industrie est au cœur de notre histoire et de l'identité de nombreuses régions –? les Hauts-de-France, le Grand Est, l'Auvergne-Rhône-Alpes et certaines régions méridionales.

Aujourd'hui, elle traverse une période de fragilité, voire de bouleversement. Il a été question de « menace existentielle » ; je souscris à cette expression. La sidérurgie se retrouve cernée, notamment en raison des surcapacités de production, comme l'a expliqué M. Christophe, et de la concurrence très largement déloyale de la Chine. Je donnerai quelques chiffres en guise d'illustration : la surcapacité mondiale équivaut à 2,75 fois la capacité de production de l'Union européenne. Si la tendance se confirme, ce chiffre montera à 3,5 fin 2026.

Nos industriels ne jouent pas à armes égales avec nos concurrents car ces derniers tirent avantage de subventions massives et de marchés protégés et ne respectent pas les mêmes normes sociales et environnementales. La compétitivité de nos sites industriels est pénalisée par des prix de l'énergie supérieurs à ceux dont bénéficient les producteurs d'acier chinois, américains ou canadiens.

Enfin, la crise que nous traversons a une dimension conjoncturelle. Les sidérurgies française et européenne pâtissent de la faiblesse de la demande mondiale, qui est liée à la baisse de la croissance et à des transformations dans d'autres filières industrielles, notamment aux difficultés que connaissent les filières de l'automobile et du bâtiment.

Dans le même temps, la sidérurgie est engagée dans un processus de décarbonation –? c'est un autre défi. Le gouvernement continue de penser que ce processus est absolument nécessaire, en premier lieu pour l'environnement ; la production d'acier consomme en effet beaucoup d'énergie et émet des quantités considérables de gaz à effet de serre. En France, elle est responsable d'un quart des émissions industrielles. La décarbonation est également cruciale pour la compétitivité et l'emploi. Le système européen de droits d'émissions a conduit à une hausse du prix des quotas carbone. Dès lors, la pérennité de nos sites industriels dépend de leur capacité à réduire rapidement l'empreinte carbone de leur production. Cela pose la question de l'investissement, notamment en ce qui concerne ArcelorMittal.

À cet égard, le durcissement de la compétition mondiale présente un risque majeur pour l'avenir de l'emploi, puisque seuls les sites qui déploieront des technologies de production à bas carbone pourront rester compétitifs dans les dix prochaines années, si le contexte ne change pas. Or ces technologies novatrices sont coûteuses et exigent généralement une prise de risque de la part des entreprises, les investissements se comptant souvent en milliards d'euros. Dans ce domaine, le soutien de l'État est indispensable. Je n'éluderai pas la question des aides, soulevée par certains d'entre vous.

La décarbonation est une priorité absolue, qui implique une véritable révolution industrielle et qui suppose des investissements massifs. Il faut des actions rapides et fortes, sans doute plus qu'actuellement. Il faut aussi travailler ensemble, que ce soit en France ou au niveau européen.

Nous devons trouver un équilibre entre, d'une part, la prise en compte des surcapacités, de la hausse des prix de l'énergie et de la contraction de la demande, et, de l'autre, la nécessité de décarboner.

La situation nous oblige à être lucides. Confrontée à ces défis, la sidérurgie fait face à un risque existentiel. Elle est fragilisée comme elle ne l'a probablement pas été depuis des décennies. Nous pensons tous à la récente annonce de la suppression de 636 postes, qui ne correspondent certes pas à autant de licenciements. Il y en aura malgré tout, et ils pèseront sur l'avenir des familles, en générant de l'anxiété. J'ai une pensée pour les salariés concernés et leurs familles.

Au-delà de l'avenir des sites d'ArcelorMittal en France, qui revêt une grande importance, une question plus générale se pose, pertinente pour l'ensemble de la filière sidérurgique : veut-on continuer à produire de l'acier en France dans trois ans, dans dix ans ou dans trente ans ? À cette question, le gouvernement répond par l'affirmative, résolument et définitivement.

Nous sommes en effet déterminés à nous battre pour préserver l'industrie sidérurgique sur le territoire français. Dans un monde où nous avons plus que jamais besoin d'autonomie stratégique, l'industrie de l'acier doit garantir une production sécurisée aux secteurs situés en aval. C'est dans cet état d'esprit que nous nous battons, avec mes équipes et avec l'ensemble des services du ministère de l'industrie et de l'énergie.

Notre priorité, c'est de soutenir la compétitivité de l'outil productif. Pour cela, nous avons besoin de mesures structurelles. Les prix de l'énergie sont l'un de nos principaux combats. La France dispose d'un avantage stratégique avec l'électricité nucléaire, qui est abondante, décarbonée et d'un prix abordable. Nous devons et nous allons en faire une force au service de la réindustrialisation, en particulier pour certaines filières électro-intensives, dont la sidérurgie. Je salue le travail engagé par la nouvelle direction d'EDF et son président, Bernard Fontana, pour relancer les négociations de contrats de long terme avec les industriels électro-intensifs. Certains contrats ont déjà été signés, comme avec Aluminium Dunkerque le 15 mai ; d'autres devraient l'être dans les prochaines semaines.

Notre objectif est de fournir à nos industriels, qui sont soumis à une concurrence très vive s'agissant des prix de l'électricité, la capacité de lutter à armes égales. C'est un sujet très concret, qui ne relève pas uniquement de la compétitivité industrielle, mais de la qualité de vie au travail des salariés. Ainsi, lors de mon déplacement, le 26 février, à l'aciérie Riva, en Seine-et-Marne, qui assure le recyclage de l'acier, j'ai pu observer une usine qui, pour réduire la facture d'électricité, ne peut fonctionner que la nuit, afin de bénéficier des heures creuses. Derrière cette contrainte, ce sont des hommes, des femmes et des familles entières qui s'adaptent et réorganisent leur vie autour des horaires de production. Les choix énergétiques soulèvent donc des enjeux très concrets, qui affectent la vie et façonnent l'existence des salariés ; ils ne se limitent pas à une question de bilan d'entreprise. Notre responsabilité est donc grande si nous voulons faire de l'énergie un levier de puissance industrielle et de justice sociale.

Moderniser l'outil productif passe par un soutien à la décarbonation. Dans cette perspective, l'État a investi et continuera d'investir des centaines de millions d'euros en complément des fonds privés engagés dans les projets de décarbonation à grande échelle. Vous avez adopté en ce sens, dans la loi de finances pour 2025, une autorisation d'engagement de 1,6 milliard d'euros ; cette mesure fut soutenue par des députés issus de différents bancs. Ainsi, nous continuons de donner aux industriels une perspective de décarbonation et nous réaffirmons le soutien de l'État aux grands projets en la matière. Cela permettra de pérenniser les sites industriels. J'en profite pour faire passer un message : j'espère que nous aurons à nouveau ce débat dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2026 et que nous pourrons préserver ces crédits.

M. Thomas Portes
Et voter !

M. Marc Ferracci, ministre
Notre priorité, c'est également la protection commerciale. En la matière, nous devons agir au niveau européen, car chacun sait que c'est à cette échelle que la réponse se construit. Les surcapacités chinoises dépriment la demande qui s'adresse à nos industriels, ce qui aboutit, sur certains sites, à des taux d'utilisation des capacités de production de seulement 60% ou 70%. Dans ce contexte, aucun modèle économique ne tient, même si nous devons débattre des propositions de nationalisation formulées par certains. Que l'entreprise soit privée ou publique, quand vous faites face à des surcapacités de cette nature, qui pèsent à ce point sur le modèle économique, la viabilité est compromise. Agir sur la protection commerciale est alors essentiel.

Cela passe, comme l'ont dit MM. Christophe et Maurel, par le renforcement du mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Je reviendrai plus précisément sur les propositions que nous avons défendues, sur celles qui ont été reprises par la Commission européenne et sur les solutions techniques que nous préconisons pour que ce mécanisme soit efficace. Celui-ci est actuellement en phase de reporting et entrera en vigueur le 1er janvier 2026. Nous avons insisté pour que sa révision intervienne avant son entrée en vigueur.

Protéger notre industrie relève du bon sens, pas du repli. Même si, pour ma part, je suis attaché au commerce international et au multilatéralisme, ce dernier suppose des règles et, surtout, de la réciprocité. Or, aujourd'hui, s'agissant de la sidérurgie, la réciprocité n'existe pas : des industries sont massivement subventionnées et deviennent surcapacitaires du fait des aides, qui irriguent l'ensemble de la chaîne de valeur. Cela vaut pour l'acier comme pour d'autres secteurs industriels, tels que ceux des véhicules électriques ou des batteries.

Dans ces combats pour davantage de protection, qui ont fait l'objet d'interpellations légitimes, la France est à l'initiative. J'ai moi-même réuni, lors d'une conférence ministérielle qui s'est tenue le 28 février à Bercy, les acteurs de la filière, mes homologues ministres de l'industrie européens –? en particulier espagnol et italien –, les représentants de la Commission européenne, des organisations syndicales européennes, des organisations professionnelles et d'ArcelorMittal. Nous avons, à cette occasion, lancé une alliance des pays européens pour soutenir l'industrie lourde –? qui comprend la sidérurgie et la chimie –, concrétisée il y a quelques jours à Bruxelles. Cette alliance a formulé certaines propositions qui ont été reprises par la Commission européenne.

Nous assumons d'avoir ainsi exercé une forme de pression sur la Commission. Je suis moi-même allé à plusieurs reprises à Bruxelles, pour négocier directement avec les instances européennes et discuter avec nos partenaires. Cela s'est traduit par un plan d'urgence pour la sidérurgie européenne, présenté le 19 mars par le commissaire Séjourné. Certes, ce plan comporte des annonces qui ont une dimension politique et je suis le premier à dire, avec M. Maurel, que les annonces politiques formulées au niveau européen peuvent parfois se perdre en route, lors de leur traduction législative. Nous devons donc demeurer très vigilants, jusqu'au dernier kilomètre, s'agissant de la concrétisation de ces annonces. Toutefois, ces dernières reprennent l'idée d'une révision du MACF et de clauses de sauvegarde plus mordantes –? certaines ont été concrétisées dès le 1er avril.

En effet, la clause de sauvegarde en vigueur depuis 2018 se révèle très insuffisante, car elle permet à une quantité trop importante d'acier chinois d'entrer en Europe, du fait de critères progressivement relâchés compte tenu des règles imposées par l'OMC. Cette clause de sauvegarde était définie par la limitation des importations d'acier à 15% du marché européen de 2016. Or comme le marché européen a, depuis, diminué, ces 15% représentent aujourd'hui à peu près 30% de notre consommation, ce qui permet à une trop grande quantité d'acier extra-européen de pénétrer en Europe. Nous avons donc besoin de resserrer ces clauses de sauvegarde et nous avons ainsi demandé à la Commission européenne qu'elle établisse un mécanisme durable de mesures de sauvegarde et de quotas face à l'acier extra-européen.

Dans ce dossier, la France, je le répète, a été à l'initiative. C'est le sens de l'action que j'ai menée, que ce soit avec mes équipes, avec la direction générale des entreprises et l'ensemble des services de Bercy, ou dans une démarche interministérielle. Nous allons conserver ce cap et maintenir la pression car il est essentiel d'agir au niveau européen, tout comme nous devons agir au niveau français.

Notre pays compte évidemment des sites en difficulté –? je reviendrai sur le cas d'ArcelorMittal. Mais des investisseurs continuent, aujourd'hui, de faire le choix de la France pour construire l'avenir de la sidérurgie. Nous avons ainsi de belles histoires en gestation. Dans la zone industrialo-portuaire de Fos-sur-Mer, par exemple, qui connaît une activité sidérurgique depuis les années 1960, l'entreprise GravitHy incarne le futur de la sidérurgie bas-carbone : elle vient de boucler un tour de table de plusieurs dizaines de millions d'euros pour y construire la première usine d'acier décarboné d'Europe. Pour cela, elle sera soutenue par l'État, car nous assumons de soutenir la production d'acier vert. Cette entreprise ambitionne de produire, dès 2029, l'équivalent d'une tour Eiffel d'acier par jour. La solution au problème de la sidérurgie se situe ainsi dans l'investissement, dans la décarbonation et dans une logique partenariale entre l'État et les investisseurs privés.

Un autre exemple de rebond industriel réussi est symbolisé par Marcegaglia qui a repris, toujours à Fos-sur-Mer, le site d'Ascometal qui se trouvait en grande difficulté et menacé de liquidation. Marcegaglia s'est engagé à investir plusieurs centaines de millions d'euros dans un nouveau procédé, ce qui représente des centaines d'emplois sauvés et des savoir-faire préservés dans nos territoires.

Cela a été dit, sans doute avec d'autres arguments que les miens : il n'y a pas de fatalité pour la sidérurgie française et européenne. La France n'est pas la seule à rencontrer des difficultés : ThyssenKrupp a annoncé, en Allemagne, 11 000 suppressions de postes et des fermetures de sites. Notre combat est d'éviter que de telles fermetures surviennent en France ; nous voulons faire en sorte que l'on continue à produire dans notre pays.

Les projets que je viens d'évoquer ne sont pas le fruit du hasard. Ils sont la preuve que la France demeure attractive pour des projets industriels et pour la sidérurgie de demain, et que notre stratégie industrielle est lisible et inspire confiance. À Fos-sur-Mer comme ailleurs, les investisseurs choisissent aussi la France en raison de cette constance, qui dépasse la politique industrielle –? mais je n'ouvrirai pas ici de débat sur la politique économique dans son ensemble.

L'Europe est née avec le charbon et l'acier ; nous sommes tous convaincus, quoique nos réponses diffèrent, que ce n'est pas en sacrifiant l'acier qu'elle se réinventera. Nous avons encore dans nos mains une large part de l'avenir de la sidérurgie française et européenne. Tel est le message que je veux faire passer aujourd'hui.

Pour finir, un mot sur les sites en difficulté, dont j'ai évoqué les sources structurelles et conjoncturelles. ArcelorMittal a notamment décidé de supprimer 636 emplois, incluant 385 licenciements –? qui sont 385 licenciements de trop. Néanmoins, je veux prendre position face aux propositions formulées ces dernières semaines, notamment les appels à la nationalisation, parfois qualifiée de « temporaire ». Une nationalisation temporaire est impossible pour une entreprise dont le modèle économique rencontre des problèmes –? coût de l'énergie, protection commerciale, concurrence déloyale – qui n'ont pas été résolus ; il faut donc assumer qu'il s'agirait d'une nationalisation pure et simple, ce dont je souhaite que nous puissions débattre.

Concernant ArcelorMittal, il n'est pas vrai que les salariés demandent la nationalisation. Les organisations syndicales sont divisées à ce sujet : dans La Tribune Dimanche du 8 juin, le représentant de la fédération Force ouvrière de la sidérurgie s'est dit opposé à la nationalisation d'ArcelorMittal. Ce débat est complexe ; il ne doit pas se limiter à des mots d'ordre mais nous conduire à analyser l'intégralité des paramètres.

Il en va de même de la question du moratoire ou de l'interdiction, pour reprendre le terme qui a été employé, des licenciements. Cela ne réglera pas les problèmes auxquels sont confrontées les filières en difficulté, en particulier la sidérurgie. Les interdictions de licencier sont le plus court chemin vers la disparition des entreprises en difficulté et vers l'abandon des investissements de la part de ceux qui souhaiteraient ouvrir ou consolider des sites. Il faut avoir les idées claires sur ce sujet.

Les réponses doivent être multiples ; elles ne peuvent reposer sur des solutions uniques ou unilatérales. Promettre qu'on réglera à très court terme les problèmes de la sidérurgie européenne et française, c'est se tromper et c'est tromper celles et ceux qui attendent des réponses, en particulier les salariés inquiets. On ne leur doit pas des illusions, mais des solutions et des mesures efficaces. La meilleure garantie pour maintenir les emplois et la production d'acier sur notre sol, ce n'est pas la nationalisation, mais l'investissement. Dans le dossier emblématique d'ArcelorMittal comme dans tous les autres, c'est la ligne que nous suivons. C'est en ce sens que je me suis battu, avec les équipes de Bercy –? dont je salue le professionnalisme et le dévouement – et avec les élus des territoires concernés –? M. Christophe, dont je connais l'engagement, M. Gokel, mais aussi le maire de Dunkerque, Patrice Vergriete, ainsi que le président de la région, Xavier Bertrand. Ce sujet dépasse les positions partisanes et doit faire l'objet d'un consensus.

En discutant, ces dernières semaines, avec la direction Europe d'Arcelor, nous avons essayé de comprendre les raisons profondes de la restructuration annoncée ainsi que celles des hésitations de leur politique d'investissement en matière de décarbonation. La Commission européenne, que nous avons interpellée à ce sujet, a intégré ces éléments dans le plan « acier » que j'ai précédemment évoqué. Cette méthode s'est traduite par des résultats : Arcelor a fait connaître, il y a déjà quelques semaines, son intention d'investir 1,2 milliard d'euros dans la décarbonation du site de Dunkerque. Si ce n'est pas là l'investissement prévu à l'origine –? il faut le reconnaître –, cette volonté d'investir indique que l'entreprise croit en l'avenir de la sidérurgie à Dunkerque et, plus profondément, à l'avenir de la sidérurgie en France.

Je suis moi aussi convaincu que la sidérurgie, en dépit de sa situation difficile, a un avenir dans notre pays. Nous ne laisserons en aucun cas la France se transformer en musée de son passé industriel : toute notre action vise, au contraire, à en faire un atelier pour l'avenir. Cet avenir à un prix : celui de la lucidité, du courage, de la détermination et du consensus –? consensus que je suis heureux d'essayer de bâtir avec vous, même si nous n'avons pas, tous, les mêmes réponses à ces questions.

J'en viens à certains des sujets abordés par les orateurs, en commençant par la question de la nationalisation d'Arcelor. Des exemples étrangers, comme celui de British Steel, ont été évoqués. Il ne s'agit cependant pas là d'une nationalisation, mais d'une mise sous tutelle. Arcelor n'est pas au bord de la faillite ni dans l'incapacité d'investir, comme l'était British Steel : le cas n'est pas transposable. Nous entendons créer, au niveau européen comme au niveau français, les conditions favorables à la réalisation d'investissements : c'est là, je crois, le meilleur moyen de garantir le maintien de l'emploi et d'une activité pérenne sur le site de Dunkerque –? et plus largement sur le cluster de Dunkerque, comme il est convenu de l'appeler.

La nationalisation –? qui ne saurait, en tout état de cause, régler les problèmes structurels du modèle économique de la sidérurgie – a par ailleurs un coût, qui fait l'objet de débats approfondis, en fonction du périmètre que l'on choisit. Permettez-moi simplement de rappeler que la capitalisation boursière d'Arcelor se monte aujourd'hui à 22 milliards d'euros : dans le contexte de nos finances publiques –? que chacun connaît –, il me semble que nous pourrions, compte tenu des solutions industrielles qui existent, faire un meilleur usage de l'argent des contribuables.

Le sujet des aides et de leur conditionnalité a également été abordé –? nous sommes souvent amenés à en débattre. Avant d'élargir mon propos, je voudrais commencer par le cas d'Arcelor et couper court à l'idée –? qu'on peut parfois trouver à lire dans les médias ou entendre dans les propos de certaines personnes – que les engagements de l'État destinés à financer le projet initial de décarbonation –? engagements à hauteur de 850 millions d'euros – ont effectivement été touchés par l'entreprise ; mais l'État ne s'engage jamais sans contrepartie, et l'investissement n'ayant pas été réalisé, aucun euro n'a été versé.

Les autres aides publiques –? le crédit impôt recherche (CIR), les aides à l'embauche – sont également toujours accompagnées de contreparties qui, pour ces grands projets d'investissement, font l'objet d'une contractualisation très rigoureuse. Permettez-moi, monsieur Portes, de revenir sur le Doliprane et sur la cession d'Opella à un fonds d'investissement américain –? sujet sans rapport avec la sidérurgie mais permettant d'illustrer la question de la contractualisation. Des engagements ont été pris relativement au maintien de l'emploi et au maintien de la production –? engagements qui sont allés jusqu'à préciser des volumes de production. On ne peut donc, en aucun cas, affirmer que l'on a laissé disparaître de notre territoire la production du Doliprane.

Cette logique de contractualisation concerne toutes les aides aux projets d'investissement. Si, maintenant, nous voulons soumettre ces aides à la condition du maintien de l'emploi, il nous faut un cadre juridique adéquat. Je suis un ministre de la République, qui applique les lois de la République. Si celles-ci venaient à changer, et subordonnaient certaines aides au maintien de l'emploi, nous ferions en sorte qu'elles soient appliquées ; ce n'est cependant pas le cas à l'heure actuelle, et l'on ne peut pas créer un cadre juridique ex post puis l'appliquer de manière rétroactive –? inutile de se raconter des histoires. Je suis prêt à engager ce débat. Alors que j'étais député, j'ai cosigné avec Jérôme Guedj un rapport sur les exonérations de charges sociales, exonérations assimilées à des aides : je peux vous assurer que la conditionnalité n'est pas simple à mettre en œuvre, pas plus que son opportunité n'est évidente.

De nombreux pays se battent pour attirer les investissements –? le cas de l'Espagne a été évoqué – et tous proposent des aides. Or ces aides ne se tiennent pas toutes –? sans que je puisse prétendre en avoir une vision exhaustive – au même niveau de contractualisation et de conditionnalité que les nôtres. Quand les investisseurs envisagent de se tourner vers l'Espagne, les Pays-Bas ou l'Allemagne, ils regardent l'ensemble de ce qui leur est proposé. On dit que nous subventionnons, avec de l'argent public, des projets qui, sinon, ne se feraient pas : c'est vrai, et nous l'assumons, dans un tel contexte de compétition pour attirer les investisseurs.

Au sujet de la protection commerciale, je ne reviendrai pas sur ce qui a déjà été engagé et sur ce qui a déjà été annoncé. Des mesures ont déjà pris effet, comme celle qui consiste, depuis le 1er avril, à baisser de 15% les importations d'acier chinois. Ce chiffre pourrait prêter à confusion : cette baisse, au demeurant insuffisante –? la filière, à commencer par Arcelor, nous le dit – n'est pas notre objectif. L'objectif que nous visons, en revanche, c'est de faire en sorte que la clause de sauvegarde –? autrement dit la quantité d'acier importé en Europe – représente 15% du marché européen : si le chiffre est le même, il ne se rapporte pas à la même réalité. Cela correspond à la clause de sauvegarde telle qu'elle a été introduite en 2018. J'ai eu des discussions approfondies avec la direction Europe d'Arcelor –? nous échangeons constamment –, au sujet, notamment, des droits de douane américains et de leurs conséquences : ce que demande la filière, c'est bien que les importations extra-européennes ne dépassent pas 15% du marché européen.

Nous demandons également, et le plan d'action rendu public par la Commission européenne le 19 mars l'assume clairement, qu'un mécanisme prenne la suite de ces mesures de sauvegarde, mécanisme destiné à devenir pérenne à partir de 2026. Nous en discutons avec la Commission et avec nos principaux partenaires –? notamment dans le cadre de l'alliance pour l'industrie lourde que nous avons créée ces dernières semaines et que j'ai évoquée tout à l'heure – dans le but de pouvoir défendre des propositions puissantes. Les annonces de Donald Trump –? le passage de 25 à 50% des droits de douane sur l'acier et l'aluminium – ont sans aucun doute contribué, ces derniers jours et ces dernières semaines, à dégrader encore le contexte. Si la France n'est pas le pays le plus directement exposé, les industriels craignent un effet direct sur les exportations à destination des États-Unis, mais aussi –? et surtout – une amplification des surcapacités chinoises, par un effet de redirection vers l'Europe, du fait de la fermeture du marché américain, des flux d'exportation chinois.

C'est à cela que nous tâchons, au niveau européen également, d'apporter des réponses. Nous avons obtenu de la Commission qu'elle mette en place un dispositif de surveillance qui déclenche des clauses de sauvegarde dès lors que sont observées des surcapacités, dans l'acier comme dans d'autres filières.

Je vais prolonger ce sujet de la protection commerciale en abordant un point que MM. Christophe et Maurel ont évoqué : le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières qui doit entrer en vigueur en 2026 et qui concerne un certain nombre de secteurs.

Nous faisons aujourd'hui le diagnostic de l'insuffisance de ce dispositif, qui se laisse contourner par trop de moyens. Quels sont ces moyens de contournement et quels sont les problèmes, en général, que soulève le MACF ?

Tout d'abord, il ne s'applique qu'à l'acier sans s'appliquer au secteur aval, celui des produits transformés. Ensuite, il ne permet pas d'éviter le resource shuffling –? pardonnez-moi cet anglicisme –, autrement dit le fait qu'un pays qui exporte sa production vers l'Europe, comme la Chine, y oriente préférentiellement sa production décarbonée. Parce que cette production utilise une électricité qui n'est pas elle-même produite à partir de charbon, par exemple, elle peut échapper à la taxation au titre du MACF. Cette pratique empêche le dispositif de faire baisser le niveau global des émissions chinoises, et l'empêche également de nous protéger contre ces exportations.

La Commission européenne a expressément mentionné le problème du resource shuffling dans le cadre du plan " acier ". Pour y remédier, nous proposons que le MACF ne soit plus appliqué usine par usine, mais qu'il le soit aux valeurs moyennes de l'ensemble de la production chinoise. Ce serait là également un moyen de simplifier considérablement ce dispositif, puisque nous ne serions plus dans la nécessité de contrôler chaque usine.

Cette position soulève quelques questions de conformité au droit de l'Organisation mondiale du commerce, mais je l'assume : dans un monde où certains pays –? notamment la Chine – ne respectent pas ces règles, nous devons trouver des solutions qui nous permettent de rétablir une forme de réciprocité. Nous essayons de proposer des solutions qui, techniquement, nous paraissent ne pas contrevenir aux règles de l'OMC. Si, cependant, nous devons être les gardiens du multilatéralisme, nous devons aussi sortir de la naïveté. Sur le sujet des " valeurs pays par défaut ", nous sommes en cours d'instruction. J'aurai l'occasion ces prochains jours, et comme j'ai déjà eu l'occasion de le faire, de défendre ces propositions auprès du commissaire Wopke Hoekstra. Nous espérons que la Commission va réviser le MACF en ce sens. Je n'ai, sur cette question, ni certitude ni boule de cristal, mais je prends l'engagement de me battre.

Le MACF, enfin, est la contrepartie du système européen d'échange de quotas d'émissions. Ce système impose, au fil du temps, des quotas de plus en plus bas et donc, pour nos industriels, un prix du carbone de plus en plus élevé. Nous l'assumons, dans une logique de décarbonation, de productivité –? et de souveraineté. M. Clavet, pour le Rassemblement national, a évoqué cette dernière question. Les énergies fossiles représentent 60% de notre production énergétique, pour un coût de 65 ou 70 milliards d'euros, selon les années : la décarbonation, en nous permettant de sortir de la dépendance aux énergies fossiles, qui pèse tant dans notre balance commerciale, nous fera économiser beaucoup d'argent. Cette décarbonation doit cependant avoir une contrepartie : que nos concurrents soient soumis aux mêmes contraintes –? c'est là le rôle du MACF.

Voilà pour la question des secteurs avals et pour celle des " valeurs pays par défaut ". Nous avons également défendu, dernier point, l'idée que nos industriels –? en particulier ceux qui exportent – puissent se voir proposer des quotas d'émission gratuits afin d'alléger la contrainte qu'ils subissent dans un contexte de concurrence internationale.

Telles sont, sur le MACF, nos positions. J'espère avoir ainsi répondu à l'interpellation finale de M. Christophe, qui me demandait ce que la France faisait au niveau européen.

Permettez-moi de revenir, pour terminer, au durcissement des droits de douane par l'administration américaine. Qu'ils soient l'occasion de nous faire prendre rapidement conscience de l'importance qu'il y a à veiller à notre autonomie stratégique, dans le secteur de l'acier comme dans les autres, et, surtout, de la nécessité dans laquelle nous nous trouvons d'investir dans les technologies, le numérique et la décarbonation.


M. le président
Nous en venons aux questions. Leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
La parole est à M. Édouard Bénard.

M. Édouard Bénard (GDR)
Agir sur la protection commerciale, monsieur le ministre, suppose aussi d'interroger le modèle économique. Quant au moratoire, je n'ai certainement pas l'esprit assez éclairé pour comprendre la différence subtile qu'il y a entre 637 emplois supprimés et 637 licenciements.

Ma question porte sur l'avenir du site ArcelorMittal de Gandrange. Ce nom évoque les promesses non tenues de Nicolas Sarkozy, qui avait affirmé en 2008 : " Avec ou sans Mittal, l'État investira dans Gandrange. " Le site, qui héberge un laminoir à couronnes et à barres, souffre de problèmes d'approvisionnement chroniques, si bien que l'activité pourrait disparaître purement et simplement lorsque le contrat avec ThyssenKrupp, évoqué tout à l'heure, arrivera à échéance, en 2027.

Les salariés du site attendent depuis plus de quinze ans l'adossement de Gandrange à une nouvelle aciérie électrique, qui pourrait fonctionner selon un modèle d'économie circulaire afin de donner un nouveau souffle à l'entreprise –? pourquoi pas en créant des synergies avec l'aciérie NoVasco d'Hagondange, toute proche, qui, comme vous le savez, est de nouveau en grande difficulté.

La volonté politique manque pour préserver et développer ce bassin d'emploi et le vivier de compétences que constituent les 4 000 à 5 000 sidérurgistes de la région. Nous avons pourtant l'occasion de moderniser cet outil industriel, de le rendre plus résilient, d'en améliorer significativement la performance environnementale et de développer les filières industrielles, alors que le site de Gandrange dépend encore à 80% de l'automobile thermique –? ArcelorMittal n'ayant pas procédé aux investissements nécessaires.

Êtes-vous prêt à travailler avec les salariés, les élus locaux et la représentation nationale pour faire avancer ce dossier industriel majeur et créer un pôle d'excellence de la sidérurgie française, tourné vers l'avenir et protecteur de notre souveraineté industrielle ?

M. le président
La parole est à M. le ministre.

M. Marc Ferracci, ministre
Je vous remercie pour votre engagement en faveur de votre territoire et du site de Gandrange en particulier. Je suis toujours disposé à travailler avec les élus et les parlementaires afin de trouver des solutions industrielles, sans a priori. Je suis également toujours d'accord pour travailler avec les salariés, les représentants syndicaux, y compris en l'absence de la direction –? ce que je fais dès que je me rends sur un site industriel. Je me montre toujours ouvert aux propositions qui me sont faites.

Le site de Gandrange produit des tubes, des fils machine. Si l'on s'en tient à la communication d'ArcelorMittal, c'est une production considérée comme performante et compétitive ; elle est d'ailleurs exportée, contrairement à celle d'autres sites français, notamment vers les États-Unis. À ce titre, les dernières annonces de l'administration américaine pourraient affecter ce site fortement exposé aux restrictions commerciales ; même si, à ce stade, nous n'avons pas détecté de signaux inquiétants, nous demeurons très vigilants. Je ne veux pas non plus pécher par naïveté : compte tenu de la situation du marché européen et mondial de l'acier, des difficultés pourraient apparaître. Pour l'heure, et comme je l'ai souligné dans mon propos liminaire, nous devons consolider l'activité, l'outil de production et investir.

M. le président
La parole est à M. Anthony Boulogne.

M. Anthony Boulogne (RN)
Pour l'élu de Meurthe-et-Moselle que je suis, ce débat est important, tant l'histoire de la Lorraine est liée au développement de la sidérurgie. Je me concentrerai sur un sujet central pour l'avenir de la filière: l'électrification de la production, et son corollaire, le renforcement du réseau de transport d'électricité.

L'électrification des moyens de production constitue un défi industriel de premier plan, qui nécessite d'importants investissements. À titre d'exemple, le site de Saint-Gobain à Pont-à-Mousson, dans ma circonscription, a investi 11 millions d'euros afin d'installer le plus grand four électrique d'Europe destiné à la production de fonte ductile, et 20 millions d'euros pour remplacer deux de ses fourneaux fonctionnant au charbon par des fours électriques Vulcain.

La modernisation de l'outil industriel répond à deux objectifs. Le premier, évident, est une priorité pour les acteurs économiques, mais aussi un impératif écologique : la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le second est tout aussi stratégique pour notre pays : la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles étrangères –? gaz et charbon –, en misant sur une production électrique nationale –? soit un enjeu de souveraineté important.

Notre pays dispose d'un parc électronucléaire complet, qui fournit une énergie massive, décarbonée, pilotable et souveraine. Mais dès lors que l'électrification de la production sidérurgique et industrielle suppose des infrastructures modernes, capables de transporter de très grandes quantités d'électrons, le défi est d'envergure.

La société RTE, Réseau de transport d'électricité, a-t-elle commencé à exécuter le plan d'investissements de 100 milliards d'euros qui a été annoncé ? Le gouvernement a-t-il anticipé la hausse de la demande d'électricité des grandes installations industrielles énergo-intensives, telles que celles de la sidérurgie, qui ont commencé à décarboner leur production et comptent sur la solidité de notre parc nucléaire ?

M. le président
La parole est à M. le ministre.

M. Marc Ferracci, ministre
Le site de Pont-à-Mousson est tout à fait stratégique car c'est le seul qui, en France, produit des tuyaux en fonte pour le transport de l'eau, lesquels sont indispensables à la résilience de nos réseaux. L'investissement dont il a profité a fait l'objet d'un accompagnement technique de la part de la direction générale des entreprises (DGE), notamment pour trouver les financements adéquats –? nous suivons ce dossier de très près.

RTE a effectivement annoncé un plan de développement et d'investissement pluriannuel en avançant ce chiffre de 100 milliards d'euros qui a beaucoup marqué les esprits. Comprenez bien que RTE investit de manière continue et que son plan n'a donc pas de date de démarrage : la société investit dans la résilience des réseaux et, parfois –? quand nous nous engageons en ce sens –, dans les interconnexions avec nos partenaires européens. Nous suivons aussi évidemment tout cela de près.
Nous anticipons en effet une consommation d'électricité plus importante dans les prochaines années, conformément à la stratégie qui vise à décarboner notre économie, à défossiliser l'énergie consommée et à être moins dépendants vis-à-vis des importations.

Tout cela suppose des investissements dans les réseaux. Si l'on se figure notre système électrique comme un triangle, nous devons agir sur ses trois sommets : accroître les capacités installées –? c'est ce que nous essayons de faire avec la programmation pluriannuelle de l'énergie, en soutenant le nucléaire et les renouvelables ; accroître l'électrification des usages, qui a tendance à stagner, grâce à de nouveaux relais de croissance comme le véhicule électrique, que nous avons essayé de soutenir, même s'il faut certainement remettre cet ouvrage sur le métier ; accroître la capacité des réseaux qui connectent l'offre et la demande. Les trois doivent progresser en même temps : c'est tout l'enjeu de la planification énergétique au sens large, et particulièrement de la planification électrique.

En ce qui concerne les industriels électro-intensifs, j'irai au-delà de mon propos liminaire où j'évoquais les négociations en cours. La compétitivité est l'enjeu. À cet égard, ma feuille de route est très claire : fournir de l'électricité à des prix compétitifs à suffisamment longue échéance pour que des investissements soient réalisables, et la fournir non seulement aux industriels électro-intensifs, mais à l'ensemble de nos industriels, parce qu'il n'y a pas que les électro-intensifs, il y a aussi les électro-sensibles –? qui utilisent moins d'électricité – et les industriels tout court.

L'accord de novembre 2023 a fixé un cadre juridique pour répondre aux besoins de ces industriels, en leur donnant la possibilité de signer des contrats d'allocation de production nucléaire (CAPN). Ce ne sont pas des contrats commerciaux mais des contrats de partenariat industriel, avec des règles de partage des risques entre les deux cocontractants, qui vont de pair avec des tarifs plus bas que ceux déterminés par le marché de l'électricité –? un tel dispositif permet de se conformer au droit européen de la concurrence.

Disons-le : les négociations de CAPN ont patiné pendant plus d'un an. Le gouvernement a donc pris ses responsabilités et a confié à la nouvelle direction d'EDF une feuille de route très claire. Depuis, des contrats ont été signés, notamment un avec Aluminium Dunkerque –? en l'occurrence il ne s'agit pas d'un CAPN mais d'un contrat spécial présentant à peu près les mêmes caractéristiques –, qui porte sur des volumes considérables d'électricité –? quatre térawattheures par an, c'est colossal ! D'autres seront bientôt signés, les négociations sont encore en cours. Les choses s'accélèrent depuis que EDF a proposé, au-delà des tarifs, d'assouplir le cadre juridique et le schéma de partage des risques. La discussion a aussi porté sur l'avance en tête devant être versée à EDF –? l'argent que les industriels mettent, dès le départ, sur la table.

M. le président
La parole est à M. Frédéric Weber.

M. Frédéric Weber (RN)
La sidérurgie française est à la croisée des chemins. Entre 2021 et 2024, notre production d'acier a chuté de 23 %. L'avenir de toute une filière ne tient plus qu'à une promesse : un éventuel investissement d'ArcelorMittal dans le site de Dunkerque –? promesse dont la confirmation a été repoussée après l'été. Nous ne pouvons pas –? je le dis avec gravité – rester dans l'attente passive d'une décision prise à huis clos, alors même qu'il y va de l'avenir de notre indépendance industrielle.

Député de Longwy, fils, petit-fils, arrière-petit-fils de sidérurgiste, je parle d'autant plus librement que j'ai travaillé pendant plus de vingt ans chez ArcelorMittal. Je viens d'une terre qui a fait la grandeur de la sidérurgie française, qui a connu l'humiliation de Florange, les promesses trahies, les hauts fourneaux qu'on a laissé s'éteindre. Je connais la réalité de ces sites, leur importance, mais aussi leur vulnérabilité : les sites de Dunkerque et de Fos-sur-Mer, derniers hauts fourneaux de production d'acier liquide sur notre sol, sont vieillissants ; leur pérennité nécessite des investissements massifs. Sans eux, la France ne produira plus d'acier liquide dans les années à venir. L'absence d'investissements signifierait une dépendance accrue à l'acier importé, notamment chinois ; elle marquerait la perte irrémédiable d'un savoir-faire industriel ainsi qu'un nouvel abandon de souveraineté dans des secteurs stratégiques, tels que l'automobile, la construction, l'acier pour emballage, la défense.

Mes deux questions sont précises et urgentes : de quelles garanties concrètes l'État dispose-t-il pour s'assurer que les investissements annoncés à Dunkerque seront bien réalisés ? Avons-nous la certitude que le remplacement des installations existantes par des fours électriques permettra de conserver la qualité, l'excellence, et la diversité des nuances d'acier actuellement produites par la filière liquide ? Ce débat dépasse largement les discours convenus sur la transition écologique. Il engage l'avenir industriel du pays. Si l'État continue de signer des chèques en blanc, il ne sera pas un arbitre, mais l'architecte impuissant de la disparition de la sidérurgie française, donc son fossoyeur.

M. le président
La parole est à M. le ministre.

M. Marc Ferracci, ministre
Je suis conscient de la marque laissée par la filière de l'acier sur les territoires –? en particulier ceux de votre circonscription –, dans l'inconscient collectif, l'histoire, l'âme des populations.

En ce qui concerne le site d'Arcelor à Dunkerque, les engagements de l'État ont été contractualisés. Autrement dit, les garanties –? l'investissement de 1,8 milliard d'euros pouvant faire l'objet d'un soutien de 850 millions d'euros – figurent dans le contrat qui a été écrit. Mais cet investissement a été suspendu.

Un autre investissement a été annoncé, d'une autre nature, concernant un seul four électrique. Arcelor a engagé sa parole en communiquant en ce sens, tout en évoquant le contexte de la sidérurgie européenne. Sans verser dans le fatalisme, j'appelle votre attention sur le fait que cet engagement est intervenu avant que l'administration américaine rehausse les droits de douane de 25 % à 50 % ; c'est aussi pour cela que je soulignais que le contexte avait changé. Je considère que cet investissement doit être réalisé. J'espère et je pense qu'il le sera. Cependant, je le répète, il ne s'agit que d'un engagement, par voie de communiqué.

S'agissant de la qualité de l'acier, je le confesse, j'ignore si la technologie du four électrique permettra ou non de la maintenir. Je demanderai à mes services de vous répondre par écrit.

De manière plus générale, sachez que la prise de conscience est globale : nous avons besoin d'agir, en particulier au niveau européen, et nous allons continuer à le faire. S'agissant d'Arcelor, je sais, pour avoir beaucoup discuté avec la direction, que ce qui se joue au niveau européen a des conséquences immédiates et concrètes dans les territoires. Ainsi les décisions d'investissement sont-elles suspendues –? la communication du groupe souligne explicitement cet aspect – à ce qu'il adviendra des clauses de sauvegarde ou du MACF.

De mon côté, je resterai sur ma ligne : ce qui garantit la pérennité des sites, ce sont les investissements –? nous avons la responsabilité de créer les conditions pour qu'ils soient engagés.

M. le président
La parole est à M. Stéphane Hablot.

M. Stéphane Hablot (SOC)
Vous avez préconisé, monsieur le ministre, un langage de sincérité, de transparence, un langage par lequel nous dire les choses malgré nos différences. Plusieurs de nos collègues ont fait valoir que les populations des territoires concernés ne feraient plus aucun cadeau –? ce qu'on a pu constater au vu de la forte sanction électorale infligée par les gens qui vivent dans la désespérance, lors des dernières législatives à Denain, Longwy, entre autres.

Je suis moi-même un enfant de la sidérurgie puisque j'ai grandi dans l'une des capitales de l'aciérie : Longwy. Je peux vous dire que ces territoires, en l'espace de quarante ans, sont devenus des friches industrielles, des terroirs de la misère.

La vraie question n'est pas seulement celle de la sidérurgie, les populations nous le disent, c'est l'avenir des territoires abandonnés de la sidérurgie, comme Gorcy, Mondorff, Forbach… qui ont un avenir du fait de leur proximité avec la Belgique, l'Allemagne, le Luxembourg. Que comptez-vous faire pour y apporter l'information, y développer l'économie, y assurer le partage ? En donnant des réponses uniquement techniques, on peut décevoir l'attente très forte de populations qui ont vraiment besoin de concret et dont on a abusé de la patience.

M. le président
La parole est à M. le ministre.

M. Marc Ferracci, ministre
Votre question est large : il s'agit au fond de savoir comment faire revivre des territoires percutés de plein fouet par les désastres industriels. Pour un grand nombre d'entreprises qui appartiennent à ces filières en difficulté –? sidérurgie, acier, équipementiers automobiles, chimie, fonderies, et nous avons annoncé, il y a quelques semaines, le sauvetage de Fonderie de Bretagne… –, l'enjeu est la diversification.

Une première réponse à votre question est de savoir quels outils nous nous donnons pour diversifier les activités soumises à une concurrence déloyale et qui subissent des chocs de transition comme la décarbonation –? c'est le cas de l'automobile. Nous agissons : j'ai créé avec cinq présidents de région –? dont celui de la région Grand Est – un groupe de travail qui livrera bientôt ses premières conclusions. Nous devons travailler de manière partenariale. Mes services recherchent des mécanismes de financement qui puissent consolider le modèle économique des équipementiers, et plus généralement des entreprises en difficulté. Ceux-ci ont besoin de se tourner vers des secteurs qui ont le vent en poupe, comme la défense et le nucléaire.

Après la recherche de solutions industrielles, nous devons nous soucier de la formation. Les gouvernements qui se sont succédé depuis 2017 ont investi, comme jamais auparavant, dans la formation des chômeurs. Le plan d'investissement dans les compétences (PIC) a été doté de près de 15 milliards d'euros. Cette reconversion des hommes –? et pas seulement des territoires – nous l'avons prise à bras-le-corps.

Avons-nous ainsi résolu tous les problèmes ? La réponse est non. Donnons-nous une perspective à tout le monde ? La réponse est non. Reste que les services de l'État sont très mobilisés. Plusieurs dispositifs spécifiques peuvent être adaptés aux problèmes de certains territoires. Lors du lancement du programme Territoires d'industrie, nous avions identifié 150 territoires qui avaient perdu des emplois industriels entre 2002 et 2020. Depuis 2020, 110 de ces territoires ont renoué avec la croissance de l'emploi industriel. Ce type de dispositif peut donc fonctionner et signifie qu'il n'y a pas de réponse unique à votre question.

M. le président
La parole est à M. Sébastien Martin.

M. Sébastien Martin (DR)
La sidérurgie est un pilier de la souveraineté industrielle française. Elle fait vivre des territoires emblématiques de l'histoire nationale –? nous l'avons beaucoup entendu au cours de la présente séance : Dunkerque, Fos-sur-Mer, Pont-à-Mousson, Le Creusot, Gueugnon… Ces villes traversent pourtant une crise d'une gravité inédite. Depuis vingt ans, la production mondiale s'est massivement déportée vers l'Asie ; les importations asiatiques ont bondi de 155 % en dix ans, pendant que la production européenne chutait de plus de 30 millions de tonnes. Ce recul frappe de plein fouet nos bassins industriels, comme le montre l'annonce récente de la suppression de 636 postes chez ArcelorMittal.

Tous les territoires ne sont toutefois pas logés à la même enseigne, grâce à la dynamique de relance dans le nucléaire et la défense–? vous venez de l'évoquer, monsieur le ministre. Certains sites se projettent vers l'avenir : Chalon-sur-Saône, avec Saint-Gobain, Saint-Marcel et Le Creusot, avec Framatome ou Industeel, du groupe ArcelorMittal, sans compter tout un tissu de petites et moyennes entreprises sous-traitantes portées par les commandes liées à la relance du secteur nucléaire.

Je pense au projet Framatome ForgePlus, au Creusot, et à ses 200 emplois prévus si le gouvernement valide la commande des huit EPR 2. Il sera un exemple concret de ce que c'est le marché qui permettra de créer de véritables débouchés et un avenir pour la filière.

Dans ce contexte de concurrence internationale féroce, l'échelon européen est crucial. Le plan d'action pour l'acier et les métaux –? visant à garantir une industrie sidérurgique et métallurgique compétitive et décarbonée en Europe –, présenté par la Commission en mars dernier, constitue une base. Il doit désormais produire des effets concrets et rapides. Pouvez-vous nous dire où en est ce plan, quels engagements précis l'État français a pris pour que les entreprises de notre pays en bénéficient ?

En outre, la sidérurgie est profondément enracinée dans nos territoires. Son avenir ne pourra se construire sans l'implication pleine et entière des régions, des départements et des intercommunalités. Comment le gouvernement entend-il associer les collectivités à l'application du plan européen ?

M. le président
La parole est à M. le ministre.

M. Marc Ferracci, ministre
La décision concernant les huit EPR 2 sera prise d'ici à la fin 2026. Nous en sommes pour l'heure à l'identification et à la qualification des sites possibles d'accueil. Ce processus est bien cadré par la délégation interministérielle au nouveau nucléaire (DINN).

En ce qui concerne le plan d'action européen, vous l'avez dit, nous en sommes aux annonces et il ne s'agit que d'annonces politiques. J'ai eu l'occasion d'en parler à plusieurs reprises avec le commissaire Stéphane Séjourné. Plusieurs commissaires sont d'ailleurs concernés, Wopke Hoekstra, pour le MACF, et Maros Sefcovic, pour les mesures de protection commerciale.

Nous sommes dans une phase de dialogue et de raffinage technique des propositions –? les annonces doivent être traduites en textes législatifs. La France fournit des propositions à la Commission européenne et les partage avec l'ensemble des pays qui les soutiennent, en particulier les membres de l'Alliance européenne de l'industrie lourde. Nous sommes en outre à une étape de construction politique du consensus puisque, à l'échelon européen, on ne peut faire adopter de décision qu'avec des majorités à la fois au Conseil et au Parlement. Je ne manquerai pas d'informer la représentation nationale de l'avancée des négociations –? je verrai d'ailleurs le commissaire Hoekstra dans quelques jours pour lui faire part de nos propositions.

J'en viens au travail partenarial avec les collectivités territoriales. Dans le secteur automobile, nous avons créé des groupes de réflexion ad hoc pour traduire le plan d'urgence pour l'automobile de manière très territorialisée. Cette déclinaison a des conséquences sur l'ensemble de la chaîne de valeur : identifier les équipementiers potentiellement en difficulté, discuter avec les constructeurs des relations commerciales qu'ils souhaitent continuer à entretenir. Dans le secteur nucléaire –? je sais qu'en la matière, votre territoire se révèle très dynamique – ou dans la défense –? je pense à Fonderie de Bretagne –, il s'agit d'identifier les opportunités de diversification.

Nous sommes donc dans une phase de cartographie des territoires industriels qui ont sollicité le gouvernement et de construction des outils financiers grâce auxquels accompagner la diversification.

M. le président
Le débat est clos.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 16 juin 2025