Déclaration de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, en réponse à des questions d'actualité sur le conflit entre l'Iran et Israël, au Sénat le 18 juin 2025.

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Circonstance : Questions d'actualité au Gouvernement, en séance publique, au Sénat

Texte intégral

Monsieur le sénateur [Cédric Chevalier],

Merci pour l'hommage que vous venez de rendre aux agents du ministère de l'Europe et des affaires étrangères qui, à Tel Aviv, à Jérusalem, à Téhéran, exercent leur mission dans des conditions extrêmement difficiles et parfois dangereuses. Et vous le savez, c'est leur mission, leur vocation et leur honneur que d'être dans toutes circonstances, et en particulier les plus difficiles, aux côtés de la communauté française. C'est vrai qu'il y a d'autres pays qui ont fait le choix d'évacuer tous leurs agents. Ce n'est pas le choix que nous avons retenu, parce que, je l'ai dit, c'est l'honneur de la diplomatie française de se tenir aux côtés des communautés françaises, quelles que soient les circonstances.

Dès vendredi dernier et le début des opérations militaires israéliennes, nous avons pris l'attache de nos ressortissants inscrits au registre, ceux qui habitent en Israël ou en Iran, pour les appeler à respecter les consignes de sécurité, et nous avons invité tous les Français de passage dans ces deux pays à s'inscrire sur "Fil d'Ariane", qui nous permet de rester en lien avec eux. Nous avons ouvert une ligne téléphonique 24h/24, 7j/7. Je l'ai testée ; elle fonctionne. Et nous avons réuni ou informé nos chefs d'îlots, c'est-à-dire les représentants des Français à l'étranger chargés de la sécurité de régions, en Israël comme en Iran.

Hier, j'ai réuni toutes les ambassades concernées et les services de l'État, et j'ai décidé que nous allions renforcer le dispositif d'écoute pour améliorer et faciliter la prise en charge, que nous allions également prendre contact avec les compagnies aériennes pour nous assurer de la disponibilité des places, que nous allions clarifier les voies de sortie d'Iran vers l'Arménie et la Turquie, les voies de sortie d'Israël vers la Jordanie et vers l'Égypte. Et j'ai demandé à ce que nous soit proposé un ensemble de solutions, qui seront présentées dans quelques minutes au conseil de défense que le Président de la République a convoqué, notamment pour faciliter et sécuriser la sortie de nos ressortissants du territoire israélien ou du territoire iranien.

Vous le voyez, c'est malheureusement une situation que nous avons connue par le passé, mais nos agents sont pleinement mobilisés pour être aux côtés des Françaises et des Français.

Et je le rappelle à chacune et à chacun d'entre vous : il convient, lorsqu'on se déplace à l'étranger, de veiller à la situation de ce pays. Il y a notre site, la rubrique "Conseil aux voyageurs", qui depuis des mois maintenant recommande formellement à tous nos ressortissants de ne jamais se rendre en Iran et qui depuis novembre 2023 prescrit à nos compatriotes de ne pas aller en Israël, sauf pour raisons impératives. Donc suivez les conseils de notre site et nos "Conseil aux voyageurs".


Madame la sénatrice [Sophie Briante Guillemont],

Vous aussi, vous avez eu l'honnêteté de reconnaître le courage de nos agents. Dans les frappes qui ont eu lieu hier ou avant-hier, certains des logements des agents de notre ambassade à Tel Aviv ont été touchés. C'est dire à quel point le métier qu'ils exercent n'est pas dépourvu de danger. Et je vous l'ai dit, ils restent mobilisés. C'est d'ailleurs l'une des particularités de la diplomatie française que de ne pas fuir devant le danger et de rester au plus proche des communautés.

Je vous l'ai dit, s'agissant des ressortissants français, notamment ceux qui sont de passage en Israël et en Iran, le centre de crise et de soutien de mon ministère a élaboré un certain nombre de scénarios et de propositions qui seront tranchés dans quelques minutes par le conseil de défense et de sécurité nationale que le Président de la République a convoqué.

S'agissant plus particulièrement de nos deux ressortissants otages depuis trois ans du régime iranien, Cécile Kohler et Jacques Paris, je voudrais d'abord vous dire que nous avons adressé aux autorités iraniennes comme aux autorités israéliennes des messages les alertant sur la présence dans la prison d'Evin de nos deux compatriotes et sur la nécessité, s'agissant des autorités iraniennes, de les libérer sans délai pour assurer leur sécurité.

Enfin, puisque vous élargissez la focale et que vous nous appelez à réfléchir à la manière dont nous pouvons mieux protéger nos ressortissants dans un monde qui devient plus brutal, je voudrais à mon tour lancer un appel à nos compatriotes - et je ne parle pas de ceux qui se sont fait prendre par surprise par cette escalade militaire entre Israël et l'Iran, mais plus généralement - à veiller à se tenir à l'écart des zones de conflit pour éviter eux-mêmes de se retrouver en situation de danger.

Nous aurons dans quelques heures, vous l'aurez compris, un dispositif permettant de répondre à bien des inquiétudes qui se sont exprimées. Et je salue le travail des sénatrices, des sénateurs des Françaises et des Français établis à l'étranger qui, ces dernières heures et ces derniers jours, se sont fait les interlocuteurs en première ligne des attentes, des inquiétudes de nos compatriotes.


Monsieur le sénateur [Jérôme Darras],

La France refuse, depuis longtemps, que l'Iran puisse accéder à l'arme nucléaire, ce qui soulèverait des risques insupportables pour Israël, pour la région, pour l'Europe, mais également et plus largement pour l'ordre international.

Pour autant, la France considère, depuis longtemps, qu'il n'y a pas de solution militaire au problème nucléaire iranien. C'est la raison pour laquelle nous appelons aujourd'hui à la retenue, à la désescalade, à l'arrêt des frappes. Nous disons d'ailleurs que toute nouvelle frappe entraînerait, soulèverait des risques substantiels, sans permettre pour autant d'éliminer définitivement le programme nucléaire iranien.

C'est la raison pour laquelle nous appelons l'Iran à se rendre disponible immédiatement à la poursuite de négociations. Négociations auxquelles nous nous tenons prêts à participer, puisque nous les avons conduites il y a dix ans, que cela fait des mois que nous avons, avec les Britanniques et les Allemands, réamorcé ce travail, à l'approche de l'expiration de l'accord sur le nucléaire iranien, et que nous avons les idées très claires sur la manière d'obtenir des engagements de la part de l'Iran sur ce programme nucléaire.

Ensuite, la France dénonce l'attitude du régime iranien vis-à-vis de son propre peuple, vis-à-vis de la région, et vis-à-vis de la France et de ses intérêts. C'est le programme nucléaire, le programme balistique, que nous avons évoqués, c'est la livraison à la Russie de centaines de missiles, de milliers de drones dans la guerre d'agression contre l'Ukraine, c'est la répression du mouvement "Femme, Vie, Liberté" et c'est la détention arbitraire de Jacques Paris et Cécile Kohler, otages depuis trois ans, otages d'État, comme vous l'avez dit.

Pour autant, la France défend et promeut le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Elle considère qu'on ne vient pas provoquer de changement de régime par la force, qu'il appartient aux peuples de décider de leur propre destin, et elle fait confiance au peuple iranien pour décider du moment et des circonstances pour se libérer de ce régime, contre lequel il a héroïquement résisté.

C'est dans cet esprit-là que nous appelons les partis à la désescalade et au dialogue.


Monsieur le sénateur [Pascal Allizard],

Au contraire, je crois que la position de la France est très claire.

S'agissant, en premier lieu, du régime iranien, nous avons évoqué le programme nucléaire, le programme balistique, qui fait peser un risque existentiel pour Israël, la région, mais aussi pour nos propres intérêts européens et nationaux. Vous avez évoqué les actions de déstabilisation régionale de l'Iran, qui a soutenu des groupes terroristes, qui s'est félicité du massacre antisémite du 7 octobre, à la suite duquel 50 de nos compatriotes ont perdu la vie. Je voudrais citer également le soutien désinhibé de l'Iran à la Russie dans sa guerre d'agression contre l'Ukraine, à hauteur de plusieurs centaines de missiles et milliers de drones, et puis la détention arbitraire de nos deux compatriotes, Jacques Paris et Cécile Kohler, otages depuis trois ans, détenus dans des conditions indignes, assimilables en droit international à de la torture.

La position de la France - je dirais la voix de la France - repose sur la volonté d'atteindre la paix et la sécurité pour tous dans cette région, dont une part de notre avenir dépend. Et le moyen d'y parvenir, c'est un double refus.

Le refus, d'abord, de l'Iran nucléaire, pour les raisons que vous avez très bien citées.

Le refus, d'autre part, de voir Gaza occupée, de voir la Cisjordanie colonisée, de voir un groupe terroriste, le Hamas, continuer à retenir dans ses tunnels des innocents comme otages. Et tout cela passe par une solution à reposant sur deux Etats vivant côte à côte en paix et en sécurité.

Donc en résumé, s'agissant de la crise actuelle, c'est la retenue, la désescalade et la réouverture des négociations, seules susceptibles de permettre l'élimination du programme nucléaire iranien. Et s'agissant de la crise que nous n'oublions pas, qui se déroule à Gaza, où 51 Palestiniens affamés sont morts hier encore en allant chercher des vivres à une distribution alimentaire, c'est la conférence que nous avons préparée activement, qui a enclenché une dynamique qui est désormais inarrêtable et que nous allons poursuivre, parce que c'est la seule solution, la seule alternative à l'état de guerre permanent.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 juin 2025