Texte intégral
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Q - On va revenir sur les chances de négociation, de retour aux négociations. C'est ce que vous allez tenter de faire demain, avec les ministres des affaires étrangères allemand et britannique, en rencontrant demain votre homologue iranien à Genève. Est-ce que tenter par la négociation de mettre un terme à ce conflit, c'est un voeu pieux ?
R - Non, pas du tout. C'est une obligation presque morale. C'est ce à quoi je m'emploie depuis les premières heures de ce conflit, en multipliant les contacts avec toutes les parties prenantes dans la région, pour amener les uns et les autres à l'évidence, qui est que oui, nous considérons que le programme nucléaire iranien constitue une grave menace, une menace même existentielle pour Israël, pour la région, pour la France et pour l'Europe ; mais non, nous ne considérons pas que ce problème peut être résolu par la force seule. Nous devons, comme nous l'avons fait il y a dix ans, par la négociation - c'est la France, à l'époque, avec l'Allemagne et le Royaume-Uni, qui a trouvé la solution - obtenir un retour en arrière durable, crédible de ce programme, ainsi que le programme de missiles qui l'accompagne, pour garantir la sécurité, la paix. Et je crois que c'est le moment, peut-être l'un des derniers moments, pour rouvrir un canal de discussion et faire primer le dialogue sur la force.
Q - Ce n'est pas trop tard ? Israël n'est pas dans une logique de discussion, il est dans une logique de destruction. Donc les choses paraissent absolument incompatibles.
R - Je crois qu'il est essentiel de montrer que cette voie du dialogue est la seule qui peut - qui doit - primer. D'abord, parce que c'est la seule susceptible de produire l'effet recherché. Quel est l'effet recherché ? C'est qu'on puisse se débarrasser une bonne fois pour toutes de ce programme nucléaire, du risque des missiles, de l'attitude du régime iranien, qui déstabilise la région en soutenant le Hamas, le Hezbollah, etc.
Q - Donc c'est ce que vous allez demander demain au ministre des affaires étrangères ?
R - Non, ce que je dis, c'est qu'il faut convaincre la communauté internationale que la seule manière d'obtenir ces résultats, c'est de le faire par la négociation. Nous en avons la conviction intime. C'est ce que nous disons depuis de nombreuses années. D'ailleurs, l'Iran aurait peut-être mieux fait de nous écouter, parce que s'il était entré de bonne foi dans les négociations que nous lui proposions, peut-être n'en serions-nous pas là.
Q - Est-ce que vraiment la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne parlent d'une même voix ? Quand on entend le chancelier allemand dire qu'Israël "fait le sale boulot pour nous", évidemment, ce n'est pas la position de la France ?
R - Ce qui est clair c'est que la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni ont condamné l'attitude du régime iranien, ses attaques tournées contre son propre peuple, contre Israël ou la région. Que ce soit sur son programme nucléaire ou son programme de missiles, que ce soit sur son soutien à tous les groupes terroristes - félicitant le Hamas pour l'attentat meurtrier du 7 octobre, suite auquel 50 de nos compatriotes ont perdu la vie -, que ce soit sur la répression du mouvement "Femme, Vie, Liberté", ou encore la détention arbitraire de deux de nos compatriotes, Jacques Paris et Cécile Kohler, qui sont otages depuis plus de trois ans, détenus dans des conditions indignes, assimilables à de la torture, nous partageons ce constat. Et nous partageons un deuxième constat, c'est que la négociation est, dans l'histoire récente, la seule voie qui a permis à l'Iran de faire marche arrière sur son programme nucléaire. Ça s'est passé il y a dix ans, c'est ce qu'on appelle le JCPOA. C'est un accord sur le nucléaire iranien dont tous les éléments qui l'ont analysé ont montré qu'il avait conduit l'Iran à réduire très considérablement son stock d'uranium enrichi, ses capacités d'enrichissement. Donc c'est cela qu'il faut viser.
Q - Comment, selon vous, le ministre des affaires étrangères iranien a perçu les propos, les mots du chancelier allemand ?
R - Je ne vais pas commenter la perception par un ministre iranien de propos allemands. Ce que je peux vous dire, c'est que nous essayons, nous nous efforçons, avec mes collègues britannique et allemand - je les ai beaucoup poussés dans cette direction - à rouvrir ce canal de discussions, seule alternative à la poursuite de ces frappes qui menacent d'entraîner la région dans un embrasement dont nous ne pouvons pas mesurer les conséquences qu'il aurait. Il l'aurait pour la région, mais également pour nos partenaires et nos intérêts. Je rappelle que nous avons 1.000 ressortissants français qui habitent aujourd'hui en Iran - même si certains souhaitent partir et que nous allons les accompagner - et près de 200.000 compatriotes en Israël, dont 100.000 inscrits au registre des Français établis hors de France.
Q - Quel est l'objectif de guerre d'Israël ? C'est assez clair.
R - Il faut le demander à Patrick Cohen.
Q - C'est de renverser le régime par la force, par la destruction, par l'élimination, l'assassinat de son no 1 ?
R - Je vous ai dit ce que nous pensons de ce régime. J'aurais pu ajouter que ce régime s'est rendu coupable de fournir à la Russie des centaines de missiles et des milliers de drones qui ont permis à la Russie, comme elle l'a montré encore il y a deux jours, de frapper avec une cruauté sans limite le peuple ukrainien. Mais la France défend en toutes circonstances le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Nous considérons que ce n'est pas par la force qu'on peut redessiner les contours d'une nation et qu'il appartient aux peuples de décider de leur propre destin. Nous devons faire confiance au peuple iranien pour choisir par lui-même le moment et les circonstances pour repousser et pour se défaire des joues que ce régime a placées sur lui-même.
Q - Et le droit international ?
R - Et la France défend toujours le droit international.
Q - Une guerre préventive, ça respecte le droit international ?
R - Mais nous n'avons ni soutenu, ni participé à aucune guerre préventive que ce soit.
Q - Bien sûr que vous l'avez soutenue.
R - Pas du tout.
Q - Vous avez dit qu'Israël était légitime à attaquer l'arsenal nucléaire iranien.
R - Non, pas du tout. Nous n'avons ni soutenu, ni participé à ces frappes. Et nous avons d'ores et déjà appelé à la désescalade, à la retenue et à l'arrêt des frappes. La France est toujours du côté du droit international.
Q - Pardon, Jean-Noël Barrot, j'ai cru comprendre dans les propos d'Emmanuel Macron qu'il approuvait l'action qui était celle de l'armée israélienne contre l'arsenal nucléaire iranien, non ?
R - Emmanuel Macron a toujours dit - en tout cas, depuis le début de cette opération militaire - que nous ne l'avions pas soutenue et que nous n'y avions pas participé. Il a appelé à l'arrêt des frappes parce qu'il considère, à juste titre, que seule la négociation permettra de résoudre durablement ce problème, qui est un problème, il est vrai, très sérieux, très grave, très existentiel pour nous.
Q - Donald Trump a assuré hier soir d'avoir pas encore pris sa décision sur une éventuelle participation des Etats-Unis aux frappes d'Israël contre l'Iran. Il a affirmé devant la presse : "Je vais peut-être le faire et peut-être pas le faire". À l'intérieur même de son camp, les discussions sont vives sur l'opportunité d'une intervention américaine. Témoin, ce débat très animé entre l'ancien animateur de Fox News Tucker Carlson et le sénateur républicain Ted Cruz.
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Que vous inspire cet échange ?
R - Cela m'encourage à poursuivre les efforts que j'ai engagés dès les premières heures de ce conflit pour montrer que la voie de la négociation est possible.
Q - Elle est encore sur la table, aux États-Unis ?
R - Je crois qu'il y a aux États-Unis beaucoup de responsables politiques qui sont convaincus qu'il ne faut pas refaire les erreurs du passé. Ce qu'on a vu en Libye, en Afghanistan, en Irak, nous ne voulons pas le voir se reproduire. Et je le dis tout particulièrement pour la France, parce que nous sommes dans une situation qui est différente de celle des États-Unis. Il y a le plan des principes qui nous conduit à agir, à oeuvrer pour le dialogue et la négociation. Mais n'oublions pas qu'il s'agit, pour répondre à la question de M. Tucker, d'un pays de 90 millions d'habitants, qui par le passé a montré sa capacité, dans des guerres précédentes, à se défendre bec et ongle, jusqu'à la fin des combats et pendant longtemps. Si nous laissons la région s'embraser, c'est à nos portes, aux portes de l'Europe, un foyer d'instabilité majeur qui s'installera et dont nous payerons les conséquences très lourdement et très chèrement.
Q - Vous les avez évoqués tout à l'heure, Cécile Kohler et son compagnon Jacques Paris, qui sont détenus depuis plus de trois ans dans cette prison d'Evin à Téhéran qui est menacée par les bombardements. Et hier soir sur ce plateau, nous recevions la soeur de Cécile Kohler, Noémie, qui est plus inquiète que jamais.
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Vous avez des nouvelles, des informations à donner aux proches de Cécile Kohler et Jacques Paris ?
R - D'abord, je veux saluer le courage des familles. Quand on a un proche qui est retenu otage en Iran, dans des conditions indignes, assimilables à de la torture - j'ai d'ailleurs porté plainte à ce sujet devant la Cour internationale de justice -, c'est un calvaire que l'on vit. Et dans les circonstances que nous connaissons aujourd'hui en Iran, c'est évidemment un enfer, pour reprendre les mots de Noémie. C'est pourquoi je me suis entretenu avec la famille de Cécile et de Jacques longuement mardi, pour leur faire part de ce que nous savons et de ce que nous faisons. Ce que nous savons à ce jour, c'est que les frappes, même si certaines ont touché le quartier dans lequel la prison est située, n'ont pas touché la prison elle-même, fort heureusement. Ce que nous faisons, c'est d'abord de solliciter l'Iran pour que nous puissions avoir accès à Cécile et Jacques, c'est-à-dire que nous puissions obtenir une visite consulaire. Visite dont ils ont été privés depuis plus d'un an, jusqu'à ce que je dépose ma plainte devant la Cour internationale de justice, et que nous ayons la possibilité, deux fois, pour dix minutes, de nous entretenir avec eux. La deuxième chose, c'est que le Président de la République, à son niveau, et moi-même au mien, nous avons attiré l'attention des autorités israéliennes et des autorités iraniennes sur la présence de nos deux compatriotes et sur notre très vive préoccupation qu'il puissent se trouver pris dans des phénomènes d'émeute ou autre - qui peuvent très bien se produire lorsque la situation sécuritaire se dégrade - ou pire encore, qu'ils se retrouvent victimes d'une frappe, comme les populations civiles qu'on a vues dans le reportage que vous montriez tout à l'heure. On va rester en lien avec eux évidemment, comme on le fait depuis longtemps, mais de manière plus régulière, tous les jours, pour leur donner les informations dont on dispose, en espérant aussi pouvoir obtenir ce que nous n'avons pas obtenu depuis trois ans, c'est-à-dire leur libération.
Q - Et dans ces circonstances, vous avez appelé les Français qui souhaitent quitter l'Iran à le faire via l'Arménie et la Turquie. Pour ceux qui sont dans l'Israël aussi à fuir ou à partir via l'Égypte ou la Jordanie. Ça veut dire que, dans les deux cas, vous conseillez aux ressortissants français de partir ?
R - Nous avons surtout conseillé à nos compatriotes en Israël de rester très à l'écoute des consignes de sécurité. Nous leur avons indiqué, pour ceux qui le souhaiteraient, ils pouvaient se rendre à la frontière nord d'Israël pour gagner la Jordanie et l'aéroport d'Amman, ou la frontière sud d'Israël pour gagner l'aéroport de Charm el-Cheikh en Égypte ; qu'à la frontière, ils rencontreraient des équipes que nous avons déployées ce jour, qui leur faciliteront la tâche ; et qu'au-delà de la frontière, des bus seront mis en place dès demain matin pour les acheminer vers l'aéroport ; et pour les plus vulnérables - les personnes françaises en situation de vulnérabilité ou d'urgence - nous pourrions les acheminer depuis Tel Aviv jusqu'à Amman et qu'un vol serait affrété d'ici la fin de semaine pour qu'ils puissent rentrer à Paris.
Et s'agissant de l'Iran, nous les avons encouragés à ne pas rester à Téhéran, qui a été la cible de nombreuses frappes, nous les avons appelés aujourd'hui à se signaler s'ils ne l'ont pas déjà fait pour pouvoir les convoyer jusqu'à la frontière avec l'Arménie ou la Turquie, pour qu'ensuite ils puissent prendre des bus qui les emmèneront vers les aéroports des deux pays concernés. La frontière reste ouverte et, pour les Français, il est possible d'accéder à l'Arménie ou à la Turquie sans visa.
Q - Un dernier mot pour vous interroger sur la situation du député du groupe écologiste et social Pouria Amirshahi, qui s'est vu refuser un visa pour les États-Unis. Il devait y rencontrer les élus démocrates.
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C'est un acte hostile des États-Unis contre un élu français ?
R - C'est un acte qui n'est pas définitif. Et au menu de ma discussion avec mon homologue américain, que j'espère avoir ce soir, il y aura le cas de ce député, qui mérite, puisqu'il le souhaite, dans le cadre de ses activités parlementaires, de pouvoir se rendre aux États-Unis.
Q - Mais comment expliquez-vous la première intention ?
R - Je ne me l'explique pas. Et c'est pourquoi nous sommes intervenus pour indiquer aux représentants des Etats-Unis en France que cette décision partielle était sans fondement et qu'il était encore temps de l'inverser.
Q - Il est arrivé, le nouvel ambassadeur ?
R - Il arrive dans les prochaines semaines.
Q - Ah oui, c'est ça, il n'est pas encore là.
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Q - Monsieur le Ministre, face au cas avéré de traite humaine en Champagne, quelles mesures concrètes doit-on engager pour mettre fin au réseau de passeurs ?
R - D'abord, c'est une situation qui, comme vous l'avez dit, est indigne. Et surtout, c'est extrêmement grave. La traite d'êtres humains est sans doute l'un des qualificatifs juridiques assortis des peines les plus lourdes dans notre droit. Et je pense qu'il faut le rappeler, parce que ce n'est pas juste une affaire de travail illégal. Ce qu'il faut faire, c'est d'abord réprimer ce type de comportement et de réseau. Et c'est ce que nous avons commencé à faire dans la dernière loi immigration qui a été votée, où ceux qui transportent, ceux qui emploient à ces fins de travail illégal des personnes étrangères ont vu les sanctions contre elles se durcir.
Concernant l'action que je mène pour ma part, l'objectif c'est de les mettre en faillite, c'est-à-dire d'éviter que des jeunes femmes, des jeunes hommes se trouvent en situation de devoir quitter leur famille, leur village, leur pays en prenant tous les risques pour se retrouver entre les mains de ce type de passeurs. Et pour cela, il y a bien évidemment la coopération internationale, bien sûr. Il y a aussi l'extinction des foyers de crise. Et quand la France et sa diplomatie se déploient au Liban, se déploient en Syrie, et aujourd'hui tentent d'éteindre le feu entre Israël et l'Iran, c'est également pour atteindre cet objectif et éviter ces vagues migratoires qui fuient les persécutions et les désordres géopolitiques.
Q - Puisqu'on parle des passeurs, Jean-Noël Barrot, j'ai une question sur la situation en Méditerranée. Les ONG de sauvetage en mer ont secouru plus de 175.000 migrants en Méditerranée durant les dix dernières années, un chiffre révélé hier par plusieurs organisations humanitaires. Vous avez dû le voir comme nous. Malgré ces sauvetages, plus de 20.800 personnes, dont 3.500 enfants, sont décédées ou ont disparu en Méditerranée. Dès lors, les ONG qui ont donné ces chiffres hier exhortent les Etats à prendre encore plus leurs responsabilités. Est-ce que l'Union européenne peut faire encore plus ?
R - Je crois que la première responsabilité de l'Union européenne et la responsabilité de la France, c'est d'éviter ou d'éteindre les foyers d'incendie. Comme je le disais, je pense à la Syrie. La Syrie, en 2015, suite à la répression dans le sang de la révolution par le régime sanguinaire de Bachar al-Assad, a été l'origine du départ de plusieurs millions de Syriennes et de Syriens, dont plus d'un million vers l'Europe, prenant tous les risques, perdant la vie, pour certains d'entre eux, dans la Méditerranée, qui est devenue un cimetière. Donc je crois que cette première responsabilité, c'est d'éteindre les incendies et de permettre aux peuples de vivre en paix et en sécurité chez eux.
Q - Merci, Jean-Noël Barrot, d'être venu ce soir sur le plateau de "C à vous".
R – Merci.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 juin 2025