Conférence de presse de M. Manuel Valls, ministre d'État, ministre des outre-mer, sur la situation à Mayotte, dans le cadre du projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte, Paris le 23 juin 2025.

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Mesdames et Messieurs,
 

Six mois après le passage dévastateur du cyclone Chido et alors que l'Assemblée nationale s'apprête, cet après-midi, à examiner, à son tour, le projet de loi de programmation pour la refondation de Mayotte, je tenais à vous réunir pour un point de situation.

Notre objectif principal est très concret : améliorer la vie quotidienne des Mahorais.

C'est d'abord pour eux que l'État est pleinement mobilisé, et ce, depuis le déclenchement de l'alerte violette qui a précédé l'arrivée de Chido.


Mayotte, c'est d'abord l'histoire d'un lien indéfectible avec la France. L'île est française depuis 1841, c'est-à-dire avant Nice et la Savoie.

Dès 1958, chefs de village et dignitaires religieux se réunissaient pour manifester leur attachement à la France et appeler à la départementalisation, lors du "Congrès des notables" de Tsoundzou.

Lors du référendum de 1976, les Mahorais ont voté à 99,4 % pour le maintien au sein de la République française.

En 2009, enfin, 95 % d'entre eux ont dit "oui" à la départementalisation, mouvement qui drainait d'immenses espoirs.


Malgré toutes ces étapes, les nombreux plans mis sur la table et des améliorations évidentes, nos compatriotes mahorais expriment une forme de sentiment d'abandon.

Quelque chose de particulièrement important se joue donc à Mayotte : la restauration de la crédibilité de la parole publique, et à travers elle, celle du lien de confiance entre la population et l'État.

À l'heure des ingérences étrangères et de la volonté de déstabiliser la République, il est plus que jamais nécessaire d'agir et concrétiser la promesse républicaine à Mayotte. L'enjeu est aussi l'affirmation de notre souveraineté dans le canal du Mozambique.


Ce point de situation doit notamment permettre de balayer une contre-vérité : non, l'État n'a pas abandonné Mayotte.

Dès mon arrivée au ministère des outre-mer, j'ai fait de la situation de l'archipel l'une des grandes priorités de mon action.

Entre le mois de décembre 2024 et aujourd'hui, je me suis rendu quatre fois dans l'archipel, dont une fois avec le Premier ministre le 30 décembre et une autre fois avec le Président de la République, en avril dernier.

J'ai pu suivre, au plus près du terrain, l'état d'avancement des différentes phases: gestion de l'urgence, stabilisation, enclenchement de la reconstruction.

Si de nombreux défis sont encore devant nous et, qu'en tout état de cause, le retour à une situation semblable à ce que nous connaissions avant Chido n'est pas satisfaisant – je pense en particulier à la question de l'accès à l'eau – il est serait malhonnête de ne pas reconnaître que des signaux de reprise sont perceptibles.


Dans un premier temps, je tiens à insister sur la mobilisation massive des services de l'État et l'implication personnelle du préfet François-Xavier Bieuville dans la phase de gestion de crise.

L'intensité du cyclone Chido, catastrophe naturelle la plus importante dans l'histoire contemporaine de notre pays, a provoqué des dommages considérables, avec près de 90 % de bâtiments endommagés, la destruction des réseaux d'infrastructures électriques, téléphoniques et la mise en péril des installations de production d'eau.

Pendant les quinze premiers jours, l'enjeu a été celui de la survie de la population.

L'appareil d'État s'est pleinement mobilisé pour protéger, secourir les habitants et rétablir les fonctions vitales.

Immédiatement après le cyclone, des opérations "d'aller vers" ont été déployées, avec les forces de sécurité intérieure et les associations agrées de sécurité civile. Elles ont permis de prendre en charge 9 327 personnes en urgence absolue ou en urgence relative et réaliser plus de 35 000 contacts de secouristes.

Un hôpital de campagne, l'ESCRIM, a reçu 5 533 patients entre le 24 septembre et le 3 février.

Les effectifs de secours se sont déployés pour généraliser les opérations de déblaiement et de bâchage des bâtiments.

Sapeurs-sauveteurs et sapeurs-pompiers, en lien avec les mairies, se sont engagés sur les bâtiments et dans les ravines. Plus de 15 kilomètres de ravines ont été purgés.

Le rétablissement complet du réseau électrique a été réalisé une semaine avant l'échéance fixée par le Président de la République au 30 janvier 2025, soit 54 000 clients alimentés en électricité.

Un travail de fond a été mené dans le rétablissement des réseaux et infrastructures essentiels pour la population : plus de 700 fuites ont été identifiées et réparées grâce à la collaboration entre la société mahoraise des eaux et le génie militaire.

Les ponts aériens et maritimes mis en place depuis La Réunion et l'hexagone ont représenté 141 vols militaires : 1 860 tonnes de fret ont été livrées par le seul aéroport.

Le système partenarial avec les communes et les mosquées a permis de distribuer plus de 134 tonnes de vivres et 2 millions de bouteilles d'eau, ainsi que 4 802 mètres cubes d'eau potabilisée. 700 000 mètres carrés de bâches ont aussi été livrés.

Ce sont au total près de 500 millions d'euros de dépenses d'urgence qui ont été engagées par l'État en décembre 2024 et janvier 2025.

C'est la somme de tous ces efforts et cette mobilisation massive qui ont permis de sortir de la phase d'urgence en quelques semaines, et, je le dis, de limiter le nombre de morts et de blessés graves.

Je tiens à saluer l'ensemble des fonctionnaires, bénévoles, associations, collectivités, entreprises, particuliers également – comme l'illustre l'ampleur des dons récoltés par la Fondation de France – qui se sont mobilisés pour Mayotte.

La force et la cohérence de la réponse de l'État à la situation de Mayotte post-Chido réside surtout dans l'effort engagé simultanément sur trois priorités : l'urgence, la reconstruction et la refondation. C'est le choix fait par le Premier ministre lors de la présentation du plan "Mayotte debout" le 30 décembre 2024 : ne pas se limiter à la gestion de crise.


En ce qui concerne la reconstruction, j'entends dire qu'elle n'aurait pas véritablement démarré.

D'abord, qui peut prétendre reconstruire un territoire dévasté, avec autant de difficultés structurelles, en quelques semaines ?

Ensuite, la stabilisation de la situation permet déjà la réalisation de projets structurants qui étaient engagés avant Chido : extension d'une mairie à Chiconi, crèche municipale à Sada, maison de santé à Passamainty, premières voies du Caribus, rentrée scolaire qui a pu se tenir dans les écoles, collèges et lycées, ou encore première pierre de la deuxième station d'épuration de Mamoudzou.

Mais pour approfondir et accélérer l'effort de reconstruction, il est nécessaire de mettre en place les outils adéquats et s'assurer que l'ensemble des maillons de chaîne seront opérationnels.

C'est dans cet esprit que le général Pascal Facon a été nommé le 9 janvier 2025. Son rôle est d'élaborer une stratégie quinquennale qui viendra décliner les actions concrètes devant concourir à la reconstruction et à la refondation de Mayotte d'ici 2031. Il est accompagné de la sénatrice mahoraise Salama Ramia, placée en mission à ses côtés.

L'ordonnance créant l'établissement public pour coordonner les travaux de reconstruction a été publiée le 23 mai 2025. Elle prévoit notamment de confier sa présidence au président du conseil départemental.

La phase de recrutement du directeur général est en cours, avec l'objectif d'une nomination au 15 juillet 2025. Le conseil d'administration du futur établissement public se réunira en septembre.

La stratégie me sera présentée cet après-midi. Les élus du territoire en prendront connaissance et seront concertés dans les jours qui viennent, avant sa présentation lors du comité interministériel des outre-mer du 10 juillet prochain.

La loi d'urgence pour Mayotte, adoptée à l'unanimité par le Parlement, et promulguée le 24 février 2025, a permis de donner les principaux outils nécessaires à l'enclenchement de la phase de reconstruction.

C'est cette loi qui a permis d'autoriser le Gouvernement à transformer, par ordonnance, l'actuel établissement public foncier et d'aménagement de Mayotte; d'adapter les règles d'urbanisme et de construction; de faciliter les travaux de reconstruction des ouvrages des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité ; de modifier les règles de la commande publique en favorisant la participation des petites entreprises et artisans mahorais; de donner à l'État la possibilité de reconstruire les écoles publiques à la place des communes, à leur demande ; ou encore de faciliter les dons.

Cette loi a également permis de prendre plusieurs mesures temporaires en faveur des Mahorais et des entreprises locales, de la majoration des taux de prise en charge de l'activité partielle au prêt à taux zéro pour faciliter la reconstruction, par les Mahorais, de leurs logements. À l'heure actuelle, les banques réceptionnent et instruisent les dossiers de demande. La dynamique est lancée.

Pour soutenir les collectivités territoriales, 100 millions d'euros de crédits d'amorçage ont été inscrits en loi de finances. Près de 51 millions d'euros ont déjà été engagés pour soutenir la reconstruction des écoles, les dépenses d'urgence liées à la gestion des déchets, ou encore la reconstruction des bâtiments des communes.

Sur le plan opérationnel, il faut souligner l'engagement remarquable des 326 militaires du bataillon de reconstruction qui sont actuellement à pied d'œuvre pour la reconstruction d'infrastructures sportives, scolaires ou administratives.

Les entreprises, durement affectées par le passage du cyclone, bénéficient des différentes mesures de soutien de la loi d'urgence mais aussi de dispositifs spécifiques, tels que l'aide exceptionnelle visant à compenser la perte de chiffre d'affaires, versées pour les mois de décembre et janvier, et prolongée pour une durée de deux mois. 22 millions d'euros ont déjà été versés.

Le fonds de secours outre-mer a été activé pour les agriculteurs, mobilisant 15 millions d'euros.

Nous sommes donc en train de poser les bases et créer les conditions nécessaires à l'enclenchement d'une dynamique durable et solide de reconstruction.


Mais sans une action plus fondamentale de refondation, nous reviendrons au mieux à la situation très insatisfaisante de l'avant-Chido. j'en viens donc à la refondation de Mayotte, objet du projet de loi dont l'Assemblée nationale est saisie cet après-midi.

Avec ce projet de loi, l'État porte une ambition politique sans précédent pour Mayotte.

Depuis des années, pour ne pas dire des décennies, les Mahorais attendent ce texte qui doit répondre à leur aspiration à l'égalité réelle et au parachèvement de la départementalisation : nous y sommes.

Le projet de loi pose d'abord un constat implacable : si nous ne nous attaquons pas avec force à l'immigration illégale et aux bidonvilles, alors nous reconstruirons Mayotte sur du sable.

C'est pourquoi le texte comporte un volet durcissant les conditions d'accès au séjour pour l'immigration familiale et améliore les dispositifs de lutte contre les reconnaissances frauduleuses de paternité. Au regard du poids des titres liés à l'immigration familiale à Mayotte, la portée de ces dispositifs sera très importante.

Comme vous le savez, à l'initiative des 4 rapporteurs, les députés – dans un esprit transpartisan que je tiens à saluer – ont adopté en commission un amendement relatif à l'abrogation du titre de séjour territorialisé à compter du 1er janvier 2030, demande forte et historique des Mahorais. Les équilibres politiques et la position des responsables publics concernés au premier chef, en particulier le ministre de l'intérieur, sont connus. L'examen parlementaire permettra au Parlement de se prononcer sur cette question.

Pour atteindre l'objectif de 35 000 éloignements par an, la montée en gamme du dispositif de surveillance et d'interception, à terre, en mer et par voie aérienne est nécessaire. C'est tout l'enjeu du "mur de fer" pour lequel l'État prend des engagements concrets dans le projet de loi.

En complément de l'action opérationnelle, il est primordial d'entretenir des rapports fondés sur la fermeté avec les États à l'origine des flux migratoires, au premier rang desquels les Comores.

Un article du projet de loi prévoit par ailleurs un certain nombre de dispositions qui doivent faciliter l'action des services de l'État dans la résorption des bidonvilles.

Sur le plan social, les Mahorais expriment depuis longtemps leur aspiration à l'égalité réelle. C'est la question de la convergence sociale. Le projet de loi doit permettre au Gouvernement de légiférer par ordonnance en douze mois maximum pour agir, en tenant compte du dialogue social.

2031 est une échéance, ce n'est pas un point de départ. La première étape de convergence sociale interviendra dès le mois de janvier 2026. C'est désormais clairement inscrit dans le texte. Mon objectif est la prospérité de Mayotte, ce qui implique de prioriser la valeur travail : le préalable à l'alignement des allocations de solidarité sera donc l'alignement du SMIC net.

Depuis la départementalisation, c'est la première fois que le Gouvernement inscrit dans la loi la convergence sociale. C'est un effort inédit, massif, mais c'est un enjeu de justice et d'égalité.

Sur le plan institutionnel, le projet de loi consacre le Département-Région, collectivité unique exerçant les compétences régionales et départementales, avec un mode de scrutin adapté.

En ce qui concerne la réalisation des infrastructures prioritaires et essentielles au développement de l'archipel, ce qui n'étaient qu'annonces et promesses deviennent des dispositions législatives.

L'État clarifie son discours. La décision d'implanter un aéroport doté d'une piste longue en Grande Terre, complémentaire d1un grand port maritime à Longoni, en est l'illustration.

Le projet de loi porte un engagement financier sans précédent, à hauteur de près de 4 milliards d'euros sur six ans.

Fin des coupures d'eau et des rotations scolaires, développement de l'intermodalité, gestion durable des déchets, lutte contre l'insécurité, ou encore construction d'un nouvel aéroport : ces investissements auront un impact direct sur la vie quotidienne des Mahorais.

Mesdames et messieurs, vous le voyez, l'État est mobilisé depuis la première heure pour Mayotte et les Mahorais et l'étape de refondation que nous engageons est historique.

Si l'ambition de l'État pour Mayotte est forte, il faut également dire la vérité à nos compatriotes et ne pas faire preuve de démagogie : les difficultés structurelles du territoire sont importantes.

État, collectivités, élus, distributeurs, entreprises, assurances, associations : chacun doit faire preuve de responsabilité, au service de l'action collective en faveur de Mayotte.

Une fois encore, je me souviens de cette rencontre marquante, en début d'année, avec l'un des élus historiques de Mayotte, à Mtsamboro, et de ses mots : "la France, c'est la liberté".

L'attachement des Mahorais à la République est à l'image de la beauté de son lagon, de la ferveur de sa jeunesse et de la beauté de ses traditions: formidable et source de fierté pour la France.

Plus que jamais, il nous revient de concrétiser la promesse républicaine.

Pour cela, il n'existe qu'une méthode : l'action.


Cette méthode, je l'applique d'ailleurs sur chacun des dossiers et pour tous les territoires, depuis désormais 6 mois que le Président de la République et le Premier ministre m'ont fait l'honneur de me nommer ministre d'État, ministre des outre-mer, le 23 décembre.

Au cours des 6 derniers mois, je me suis déplacé dans quasiment l'ensemble des territoires ultramarins : à 4 reprises à Mayotte, en Nouvelle-Calédonie et à La Réunion pour gérer les crises au contact de la population; mais également aux Antilles et en Guyane. Je me rendrai, à la mi juillet, en Polynésie et, tout début septembre, à Saint-Pierre-et-Miquelon. Je retournerai aussi, en septembre, en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane. Je me rendrai enfin très vite à Wallis-et-Futuna.

Au cours des 6 derniers mois, je me suis aussi engagé clairement sur certains dossiers. Je pense à la crise de l'eau en Guadeloupe, à la responsabilisation des constructeurs automobiles sur le dossier tragique des airbags Takata, à l'accompagnement financier des entreprises touchées par les émeutes de l'automne dernier en Martinique, à l'intégration des enseignants du premier degré à Wallis-et-Futuna, ou à la mise en place d'un groupe de travail sur la péréquation du prix de l'électricité en Polynésie.

Au cours des 6 derniers mois, j'ai aussi agi pour faire face aux urgences. j'ai déjà parlé de Mayotte. En Nouvelle Calédonie, j'ai recréé les conditions d'un dialogue indispensable à un accord pour sortir l'archipel de la crise. Cet accord reste possible. À La Réunion, j'ai garanti une réponse de l'État pour faire face aux conséquences désastreuses du cyclone Garance. j'ai aussi fait une priorité de la lutte contre le narcotrafic qui menace de faire s'effondrer les sociétés des Antilles et de la Guyane, avec davantage de forces sur le terrain, ou une loi de lutte contre le narcotrafic donnant de nouveaux moyens aux forces de sécurité et aux magistrats. Nous devons encore aller plus loin, c'est pourquoi j'ai adressé une note aux ministres concernés. Je me suis aussi fortement engagé sur la question de la vie chère, un fléau qui nourrit légitimement un sentiment d'injustice et d'inégalité. Une circulaire et trois décrets seront signés en marge du CIOM du 10 juillet et un projet de loi sera présenté également en juillet.

Enfin, et c'est sans doute le plus important, au cours des 6 derniers mois, j'ai voulu initier la construction d'un nouveau rapport entre l'hexagone et les outre-mer. Ces territoires nous font rayonner, mais je souhaite aussi qu'ils puissent rayonner par eux-mêmes et pour eux-mêmes. C'est pourquoi j'ai indiqué vouloir engager un processus de démétropolisation de nos rapports.


Mesdames et Messieurs, Je n'ignore pas qu'il reste beaucoup à faire.

Le plus dur sera de rétablir la confiance.

Cela nécessite de l'action. C'est ce à quoi je m'emploie. Nos compatriotes, en particulier ultramarins, peuvent compter sur mon engagement sans faille.


Je vous remercie.


Source https://www.outre-mer.gouv.fr, le 24 juin 2025