Texte intégral
JEAN-JACQUES BOURDIN
Avec nous, Philippe BAPTISTE, ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, bonjour.
PHILIPPE BAPTISTE
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci d'être avec nous ce matin. Vous avez tenu à répondre parce qu'au sein du Gouvernement, les avis divergent. De quoi s'agit-il ? Il s'agit d'énergie renouvelable. Qu'a dit, dans une tribune publiée dans Le Figaro hier, le ministre de l'Intérieur, Bruno RETAILLEAU ? "L'intermittence des énergies renouvelables fait courir le risque de black-out. L'Union Européenne ne doit pas favoriser les énergies renouvelables, mais les énergies décarbonées. L'éolien et le photovoltaïque n'apportent au mix énergétique français qu'une intermittence coûteuse à gérer. Il n'y a aucune raison de continuer de les financer par des subventions publiques." Voilà, moratoire, plus d'argent public pour les renouvelables. Que lui répondez-vous ?
PHILIPPE BAPTISTE
L'avenir de l'énergie, c'est l'électrique. On a besoin d'augmenter notre production électrique pour réduire notre dépendance aux hydrocarbures. C'est fondamental, parce que d'abord, ça nous coûte très cher. Ce sont des enjeux géostratégiques. Ça veut dire qu'on importe de l'énergie qui vient de Russie, du Golfe, des États-Unis. On n'est pas autonome, donc on a besoin d'augmenter notre production électrique. Il faut d'abord faire du nucléaire, c'est évident. Mais ça ne suffira pas. Pour augmenter notre production, on a besoin de jouer toutes les cartes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le nucléaire associé, je ne sais pas moi, à l'hydro…
PHILIPPE BAPTISTE
Mais c'est ce qu'on fait aujourd'hui. Les capacités en hydro sont saturées. Le nucléaire, on fait le maximum. Les prochaines centrales arriveront vers 2038, etc. Donc on fait comment pour augmenter, pour aller au-delà ? Comment on fait ? Aujourd'hui, ce qui est disponible, ce qui est faisable, et ce qui a des coûts qui sont relativement compétitifs, c'est l'ENR.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y a un débat.
PHILIPPE BAPTISTE
Mais non ! Mais je veux dire que c'est…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il paraît que l'électricité produite par les éoliennes et par le solaire est plus chère. C'est vrai ou c'est faux ?
PHILIPPE BAPTISTE
D'abord, le coût de production des différentes sources d'énergie est un débat d'une technicité et d'une complexité sans nom.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, ça j'imagine.
PHILIPPE BAPTISTE
Honnêtement, le sujet n'est pas là. Le sujet, ce sont aujourd'hui les capacités disponibles si on veut décarboner. Effectivement, il y en a autour des ENR. Il y en a autour de l'éolien en mer, en particulier l'éolien en mer qui n'a pas du tout les problèmes d'intermittence qui sont mentionnés. Donc techniquement, toutes ces solutions…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais il faut stocker cette électricité produite.
PHILIPPE BAPTISTE
Justement, je prends l'exemple de l'éolien en mer qui n'est pas intermittent. Vous n'avez pas forcément les problèmes de stockage. Après, les problèmes de stockage, oui, ils existent. Mais après, on a un tel niveau de production nucléaire aujourd'hui qui permet d'assurer un stock qui est extrêmement fort qu'on peut développer les ENR. On a un boulevard pour faire ça. Donc pourquoi ne le ferions-nous pas ? D'ailleurs, le débat a été tranché. Je crois que le Président de la République l'a rappelé de manière extrêmement claire aujourd'hui, on est bien dans une logique de mixte. Si je peux faire cette mauvaise caricature, pour décarboner, on a besoin de faire feu de tout bois.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Lorsque notre pays finance la construction de renouvelables, il subventionne avec l'argent du contribuable français la consommation électrique de nos voisins.
PHILIPPE BAPTISTE
Non, je ne crois que non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non mais laissez-moi finir, ce n'est pas moi qui parle, c'est Bruno RETAILLEAU.
PHILIPPE BAPTISTE
Non, mais je crois que tout ça, ce débat est un peu caricatural.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais lorsqu'il dit ça, il dit vrai ou il ment ? Il ment ou il dit vrai ? Dites-moi ! Moi, je veux la réponse, Philippe BAPTISTE.
PHILIPPE BAPTISTE
Moi, je dis les choses très clairement. Je veux dire, tout ça, il y a effectivement… Il y a un peu de… Enfin, simplifier le débat, sursimplifier le débat en permanence sur des débats qui sont complexes. Derrière, il y a une forme de populisme, un petit peu. Et ça, je pense qu'il faut sortir de ça.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est un populiste ! Donc là, Bruno Retailleau, en s'exprimant…
PHILIPPE BAPTISTE
Je pense qu'il faut être clair sur le fait qu'aujourd'hui, on a besoin…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y a du populisme dans les mots de Bruno RETAILLEAU.
PHILIPPE BAPTISTE
Non, mais ce que je veux dire, c'est qu'aujourd'hui…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui ? Non ?
PHILIPPE BAPTISTE
Ce qui est important et ce qu'il faut expliquer aux Français, c'est qu'on a besoin d'augmenter notre production électrique. Parce que demain, on va avoir des voitures électriques, on va avoir du chauffage électrique. Et donc, on a besoin de planifier ça. Et pour ça, on a besoin de faire du nucléaire, à fond. Mais on a besoin de faire du renouvelable, à fond aussi. Parce que c'est ça, l'avenir.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, expliquez-moi pourquoi cette phrase est fausse. Pourquoi, lorsque Bruno RETAILLEAU dit, je le cite, "lorsque notre pays finance la construction de renouvelables, il subventionne, avec l'argent du contribuable français, la consommation électrique de nos voisins." Pourquoi est-ce que c'est faux ?
PHILIPPE BAPTISTE
Mais parce que… La subvention, quelque part, aux énergies et à la production énergétique, elle est dans tous les secteurs. C'est vrai pour le nucléaire. C'est vrai aussi pour les énergies qui sont les énergies renouvelables. Les ordres de grandeur, on parle de quelques milliards qui sont autour de la subvention pour les énergies renouvelables, sur une facture énergétique globale pour la France, qui doit tourner à peu près dans les 120-130 milliards, à peu près, par an. Donc je veux dire, on est sur des montants qui sont extrêmement faibles et c'est le moyen de prévoir et de préparer le système de production énergétique de demain. On en a cruellement besoin. On n'a pas le choix.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais pourquoi dit-il ça ? Que l'on finance la consommation électrique de nos voisins et de l'argent public ?
PHILIPPE BAPTISTE
Parce qu'aujourd'hui, on exporte de l'énergie. Donc comme on exporte de l'énergie, on peut réduire ce débat à ça, mais évidemment, ce n'est pas ça. Pourquoi aujourd'hui, on est en capacité de surproduire ? C'est parce que demain, ce qu'on voit aujourd'hui, c'est que demain, on va avoir besoin de plus d'énergie électrique parce que l'avenir de l'énergie en France, en Europe, c'est l'électricité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, ça j'ai compris. Vous teniez à faire cette mise au point ? Vous teniez, Philippe BAPTISTE ?
PHILIPPE BAPTISTE
Non, mais je pense que c'était important, parce que c'est un débat qui est un débat de science, c'est un débat de technologie aussi. Ce n'est pas simplement…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais c'est un débat pour votre Gouvernement. Pardon mais vous êtes ministre d'un même Gouvernement mais vous avez deux opinions diamétralement opposées sur la question.
PHILIPPE BAPTISTE
Je crois que le débat a été tranché hier de manière extrêmement claire par le Président de la République, qui a rappelé quelle était la position du Gouvernement.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Vous allez le dire à Bruno RETAILLEAU ? Comment se fait-il que Bruno RETAILLEAU ait cette position-là, selon vous ?
PHILIPPE BAPTISTE
Je pense qu'il faut demander à monsieur Bruno RETAILLEAU.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, mais vous allez lui dire ? Je ne sais pas, moi.
PHILIPPE BAPTISTE
Non, je pense que c'est…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, non, mais je vous sens remonté, en colère.
PHILIPPE BAPTISTE
Non, non, pas du tout.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Si.
PHILIPPE BAPTISTE
Je rappelle simplement ce que c'est que je pense que c'est fondamental de revenir en particulier quand il s'agit d'objets technologiques comme cela, à ce qu'est la science, qu'est la technologie, et à ne pas caricaturer les débats. Ça, c'est fondamental.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il les caricature, il fait du populisme. Vous l'avez dit. Assumez. Assumez ce que vous dites.
PHILIPPE BAPTISTE
Je ne parle pas spécifiquement de ce débat-là. Je vous dis en général. Ces grands débats qui sont des grands débats de science, de technologie, on ne peut pas les résumer à deux ou trois mots clés, simplement. Ce n'est pas vrai. Je veux dire que ce sont des débats qui sont complexes. Et expliquer aux Français qu'on peut résumer ça en trois opinions ou quelques mots comme ça, ce n'est pas vrai. Je veux dire, il faut expliquer la complexité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Moratoire sur l'argent public pour les renouvelables, vous dites non ?
PHILIPPE BAPTISTE
Mais non, mais je veux dire, la question c'est est-ce qu'on veut continuer à investir dans les énergies, oui ou non ? On va arrêter… Qu'est-ce qu'on va faire ? On va arrêter de construire des centrales et on va arrêter de construire des énergies… enfin des capacités d'énergies renouvelables.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est ça, oui. C'est ce qu'a dit Bruno RETAILLEAU.
PHILIPPE BAPTISTE
Bien sûr que non ! Et alors on fait quoi ? Ça veut dire que demain, on se met dans les mains de producteurs de gaz aujourd'hui, comme on le fait aujourd'hui, ou d'hydrocarbures. La réponse est non, évidemment. Ce n'est pas ça, l'avenir de la France.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, l'avenir de la France, c'est la recherche, et l'avenir de la France, c'est la recherche dans les énergies renouvelables.
PHILIPPE BAPTISTE
Entre autres, évidemment, la question de la recherche est fondamentale.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais il y a un débat sur les éoliennes sur terre. Il y a un débat autour des éoliennes terrestres.
PHILIPPE BAPTISTE
Bien sûr, mais c'est un débat.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous êtes d'accord…
PHILIPPE BAPTISTE
Mais c'est un débat…
JEAN-JACQUES BOURDIN
De plus en plus rejeté par les Français.
PHILIPPE BAPTISTE
Mais c'est un débat qui ne se résume pas à deux phrases. C'est un débat qui est complexe. Et la complexité, je crois qu'en politique, il faut aussi qu'on l'assume.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien. Merci beaucoup. Merci d'être venu, Philippe BAPTISTE, ministre français de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation. Dites-moi, à propos de recherche et d'innovation, dans le budget, vos crédits vont être rabotés un peu, ou pas ?
PHILIPPE BAPTISTE
Le débat budgétaire est en cours. Mais la question, moi, ce que je peux vous dire, c'est qu'investir dans la recherche, investir dans l'innovation, ce n'est pas simplement investir pour les laboratoires des chercheurs, c'est investir pour le pays demain. Parce que les produits qu'on voit aujourd'hui dans l'industrie, dans nos entreprises, ce sont les produits qui reposent sur la recherche. Donc ça veut dire que, quelque part, investir dans la recherche, c'est investir dans l'avenir, c'est investir dans nos emplois. Et donc ça, c'est fondamental. Et la France, malheureusement, sur ce sujet-là, on est en retard. Ça fait 25 ans qu'on n'investit pas assez. Et donc, moi, effectivement, je suis l'avocat ; il faut qu'on augmente notre effort de recherche. Et quand je dis "on", ce n'est pas seulement l'État, c'est l'État et surtout les entreprises.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Philippe BAPTISTE, j'ai une dernière question, j'allais l'oublier. Mais les étudiants étrangers, là encore, vous êtes en désaccord avec Bruno RETAILLEAU. Parce que, vous, vous pensez que c'est une chance pour la France, les étudiants étrangers. Il faut en faire venir. Il faut continuer à les accueillir.
PHILIPPE BAPTISTE
Mais, monsieur BOURDIN, expliquez-moi, comment on va faire pour construire les centrales nucléaires dont on parlait tout à l'heure si on n'a pas les étudiants internationaux, les étudiants étrangers ? Je prends cet exemple au hasard, justement pour rebondir. Vous savez, par exemple, dans le domaine des sciences et des technologies, les ingénieurs, les techniciens, les chercheurs, aujourd'hui, on n'a pas assez de Français et d'Européens qui font leurs études sur ces sujets-là. Et moi, si demain, je ne vais pas chercher des étudiants internationaux pour remplir ces filières et pour faire les talents de demain dont on a besoin dans les entreprises, mais c'est notre industrie qui s'effondre. On en a besoin.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais Bruno RETAILLEAU veut accueillir moins d'étudiants étrangers. Il a tort ? Est-ce qu'il a tort ?
PHILIPPE BAPTISTE
Je pense que, fondamentalement, ce qu'il faut, moi, je crois, aujourd'hui, la France est évidemment…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce qu'il a tort ?
PHILIPPE BAPTISTE
Laissez-moi reposer les termes du débat.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, non parce que vous pouvez répondre à la question et expliquer derrière. Renversons l'entonnoir.
PHILIPPE BAPTISTE
Moi, ce que je peux vous dire, c'est qu'on est une grande puissance pour l'enseignement supérieur. On attire beaucoup d'étudiants étrangers. C'est une force de la France. Par contre, maintenant, il y a des vraies questions. La vraie question, c'est, est-ce qu'on a une politique claire pour savoir, en gros, quelles filières on privilégie ? Moi, je vous dis, aujourd'hui, non. Je pense qu'il faut qu'on travaille là-dessus. Je vous ai dit, par exemple, plus de sciences, plus de technologies. Est-ce qu'on a les bons étudiants ? C'est-à-dire, est-ce que les étudiants qu'on fait venir aujourd'hui, ils sont top au niveau académique ? Il y en a qui sont très, très bien, mais il y en a qui sont un petit peu moyens. Donc peut-être qu'il faut faire un vrai effort là-dessus. D'accord ? Ça, c'est le deuxième point.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Dans le choix de l'étudiant accueilli.
PHILIPPE BAPTISTE
Le choix des disciplines, le choix de l'étudiant. Et puis, le troisième sujet, c'est, est-ce qu'on n'a pas un sujet de précarité, aussi, des étudiants qu'on fait venir ? Et ça, il faut travailler.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc pas moins ?
PHILIPPE BAPTISTE
La question, ce n'est pas moins, mais c'est mieux. Et ça, là-dessus, on travaille. On va travailler avec Jean-Noël BARROT, le ministre des Affaires étrangères, pour justement mettre en place un dispositif qui nous permet d'améliorer tout ça.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci, Philippe Baptiste, d'être venu nous voir ce matin.
PHILIPPE BAPTISTE
Merci beaucoup !
Source : Service d'information du Gouvernement, le 10 juillet 2025