Déclaration de M. Marc Ferracci, ministre chargé de l'industrie et de l'énergie, sur l'industrie spatiale, à Paris le 9 juillet 2025.

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  • Marc Ferracci - Ministre chargé de l'industrie et de l'énergie

Circonstance : Inauguration de la 4ème édition des Assises du New Space

Résumé

Mesdames, Messieurs,
Chers amis de l'espace,

C'est avec une profonde émotion que je prends la parole aujourd'hui. Car se tiennent actuellement, en Corrèze, les obsèques de Jean Grenier, ancien Directeur Général d'Eutelsat. Un homme d'engagement. Un bâtisseur de notre industrie spatiale à qui, collectivement, nous devons beaucoup. Un homme qui a su guider Eutelsat avec lucidité et détermination, au cours d'une période décisive de transformation.

Son oeuvre et son engagement ont façonné la puissance spatiale dont nous sommes aujourd'hui les héritiers. Cette puissance qui nous permet de tourner notre regard vers le ciel avec espoir, et avec ambition.

Car aujourd'hui, un peu grâce à lui, quand on parle d'espace en France, il y a toujours une part d'imaginaire. Il y a toujours une part de rêve.

Mais derrière le rêve, il y a une réalité exigeante : celle d'un monde en mouvement. C'est celle d'une compétition acharnée. C'est celle d'un défi pour notre souveraineté.

Dans l'espace, comme dans l'histoire des grandes puissances, rien ne nous est acquis. Rien n'est figé.

Marc Bloch le disait avec beaucoup de justesse : " Celui qui veut conserver ce qu'il a doit sans cesse le conquérir ". C'est vrai pour nos industries. C'est vrai pour nos technologies. C'est vrai pour l'espace.

Conquérir, cela ne veut pas dire rêver d'exploits isolés. Cela veut dire bâtir une stratégie. Assumer des choix. Cultiver la volonté, la vision et l'audace. Parce que dans l'espace, on ne s'improvise pas puissance. On le devient par l'effort, par l'innovation, et surtout, par le collectif.

C'est le sens de mon engagement. C'est le sens de notre ambition collective. Et cette ambition repose sur trois exigences que nous devons tenir ensemble.


[Un terrain de souveraineté]

La première exigence, c'est de regarder l'espace tel qu'il est. Un terrain de compétition, où se joue le déploiement de solutions concrètes, pour les États comme pour les acteurs économiques. Un terrain de souveraineté. Un terrain d'affirmation. Un terrain de puissance.

Les infrastructures spatiales irriguent le fonctionnement de nos sociétés modernes, dans toutes leurs dimensions. Je pense que je n'ai besoin de convaincre personne ici de cela. Toutes les grandes transitions de notre temps s'appuient sur le spatial.

Vous voulez comprendre le changement climatique ? Anticiper les évènements extrêmes ? Vous avez besoin de satellites d'observation.

Vous voulez renforcer notre agriculture ? Vous avez besoin de données spatiales pour gérer les sols et les ressources en eau.

Vous voulez sécuriser les transports ? Optimiser la logistique ? Connecter chaque territoire, y compris le plus isolé ? Le spatial est indispensable.

Vous voulez garantir l'accès à Internet partout, jusque dans les zones blanches ? Encore le spatial.

Vous voulez protéger nos communications, sécuriser nos réseaux, garantir la sécurité de nos concitoyens ? Là aussi, l'espace est un maillon-clé.

Je pourrais continuer longtemps.

Voilà ce qu'est le spatial : un levier stratégique. Une infrastructure critique, discrète au quotidien, mais décisive dans nos vies, dans notre économie, dans notre sécurité.

Et dans ce domaine, nous avons des atouts majeurs. Des entreprises parmi les leaders mondiaux. Des technologies de pointe. Des orbites et des fréquences réservées. Mais nous avons aussi une responsabilité qui est de défendre ces atouts, les développer, les transformer en avantage stratégique durable. C'est exactement le sens de notre investissement dans Eutelsat.

Pourquoi l'État a-t-il renforcé sa participation à hauteur de 717 millions d'euros ? La réponse est simple. Elle tient en un mot : souveraineté. Souveraineté des télécommunications. Souveraineté de notre connectivité. Souveraineté numérique. Tout cela se joue là-haut.

Eutelsat est un acteur européen unique. Un véritable trésor stratégique, parce qu'il dispose de la seule constellation européenne en basse orbite opérationnelle. Face aux géants américains et chinois qui investissent massivement, qui tente de faire de l'espace un monopole. Eutelsat, c'est un levier d'indépendance essentiel.

Et un trésor, ça ne se contemple pas. Ça se défend. Ça se renforce. C'est le sens de cet investissement : nous consolidons un champion européen. Nous préparons l'avenir, nous intégrons un leader français au coeur du projet IRIS². Cette constellation souveraine garantira une connectivité sécurisée.

Dans l'espace, un satellite qui cesse d'avancer retombe. Une nation qui cesse d'agir décline. Alors oui, nous devons avancer. Nous devons conquérir. Toujours. Et conquérir ne se fait pas sans risque.


[Bousculer le modèle et la filière]

J'en viens donc à notre seconde exigence : bousculer notre modèle et bousculer notre filière en acceptant la prise de risque.

Notre filière spatiale est une fierté nationale. C'est notre histoire, notre héritage. Mais l'histoire, aussi belle soit-elle, ne nous garantit rien. Le monde bouge. Les méthodes industrielles évoluent. Les usages aussi.

La fréquence de lancements et la masse en orbite explosent, grâce, notamment, aux lanceurs réutilisables et aux constellations. SpaceX l'a prouvé : Falcon 9 et Starlink ont changé la donne. Ils ont changé les règles du jeu.

Réduction des coûts, gains de performance, accélération des cycles : voilà ce que sont les nouveaux standards.

Face à cette révolution, j'ai la sensation qu'il faut retrouver de l'audace pour rester dans la course. Cette audace, je l'ai vue au Salon du Bourget, avec Prométhée et Thrust Me. Je la vois ici, dans

cette salle, dans le dynamisme du New Space français. Je l'ai dit, je le redis : la solution, c'est vous.

Vous, les entrepreneurs. Vous, les start-ups. Vous, les PME et les ETI qui inventez les lanceurs de demain, les satellites de nouvelle génération, les innovations technologiques. Vous êtes venus compléter et renforcer notre modèle industriel. Vous portez cette part d'agilité qui nous a manqué parfois. Vous portez ce souffle indispensable pour que la France et l'Europe restent dans la course.

Qui mieux que vous pour oser ? Pour défier l'impossible ? Puisque là où règne la gravité, vous faites décoller des fusées. Là où le silence est total, vous donnez au monde entier la parole grâce à la connectivité.

Qui mieux que vous, au fond, pour bousculer nos certitudes et ouvrir de nouveaux horizons ?

C'est votre audace, et notre détermination collective, qui feront notre force. Nous réussirons parce que nous soutenons nos champions. Parce que nous attirons les investisseurs. Et, surtout, parce que nous attirons les talents.

Je veux insister là-dessus. Car l'espace est un formidable levier pour revaloriser l'industrie. Pour susciter des vocations.

Je le dis avec force : la France dispose des meilleures écoles, des meilleurs laboratoires, d'un tissu industriel exceptionnel. Mais nous avons besoin de donner à nos jeunes des raisons d'y croire.

Dans une France où 70 000 emplois industriels restent non pourvus, le spatial est une opportunité pour attirer une nouvelle génération dans l'industrie. Pour lui transmettre l'excellence technique. Pour lui transmettre, aussi, l'esprit pionnier.

L'espace n'est pas un ailleurs lointain : c'est là que se joue l'avenir. C'est là que se forgent les solutions aux crises climatiques, aux besoins de connectivité, à la connaissance de notre planète. Le spatial suscite et suscitera les vocations car c'est une aventure scientifique, industrielle… et générationnelle.


[Un Etat présent, et porteur d'une vision stratégique]

Mais pour que cette aventure tienne ses promesses, elle a besoin d'une boussole. D'un cap clair. D'un État qui porte une vision stratégique. C'est notre troisième exigence.

L'État est engagé. France 2030 consacre plus d'un milliard d'euros au spatial. Ce sont des moyens publics massifs, pour faire émerger de nouveaux acteurs, pour bâtir une filière compétitive et souveraine.

Je crois au spatial. Je crois en cette filière. Je crois aux nouveaux acteurs que vous êtes.

J'ai porté cette conviction au plus haut niveau de l'État, lors du Comité Interministériel de l'Innovation. J'ai fait du spatial une des trois priorités pour la suite de France 2030. Parce que notre souveraineté se joue aussi là-haut.

Et France 2030 a investi dans des marchés à fort potentiel. Les services en orbite, par exemple. Nous avons fait naître de nouveaux acteurs. D'ailleurs, c'est révélateur, la moitié des aides vise les acteurs émergents, et 16 dispositifs ciblent les technologies de rupture. Avec des retombées déjà tangibles.

Regardez MaiaSpace, à Vernon, en Normandie, sur le site historique de la propulsion française, où je me suis rendu le 13 juin dernier avec Éric Lombard, Sébastien Lecornu et Philippe Baptiste. Grâce aux fonds publics – en partie – le futur est déjà là : un mini-lanceur réutilisable, une équipe ambitieuse, un projet capable de rivaliser avec les meilleurs. Ce succès est rendu possible par une chose simple : l'alliance d'un État qui se veut stratège et d'acteurs privés audacieux.

Mais il nous reste un cap à franchir. Ce cap c'est celui de l'industrialisation. Celui de la conquête des marchés export. Et pour cela, l'investissement est essentiel.

Là aussi, l'État est au rendez-vous. Je salue particulièrement l'action de Bpifrance, qui mobilise les capitaux privés et accompagne la filière. Car l'Etat, seul, ne peut pas tout.

Nous avons besoin des investisseurs privés. De leur engagement. De leurs capitaux. C'est le message que je leur porte, sur le terrain comme à Bercy. Et je le sais : l'excellence spatiale française les attire. Parce que le spatial n'est pas seulement une aventure industrielle. C'est une aventure économique. Et c'est la promesse de rendements de performance future.

Pour faire grandir nos start-ups et donner à nos PME les moyens de leurs ambitions : nous devons attirer ces financements. La dynamique est là. Depuis 2022, les lauréats de France 2030 dans le spatial ont levé plus de 725 millions d'euros, dont les deux tiers viennent du privé. Il s'agit à présent de l'amplifier. De changer d'échelle.

La prochaine étape, c'est l'Europe. Mutualiser les investissements. Accélérer l'industrialisation. Bâtir des champions paneuropéens.

C'est tout le sens du " Challenge européen des lanceurs " porté par l'ESA. C'est un premier pas vers la nouvelle génération de lanceurs. La France y prendra toute sa part.

Et nous pouvons – nous devons – aller plus loin. Les grands programmes sont déjà là : Galileo, Copernicus, IRIS²… Ils tracent la voie. L'ESA et la Commission, ensemble, ont les moyens de concrétiser cette ambition et de sécuriser les technologies critiques. Nous sommes dans une posture, nous, l'Etat, de soutien exigeant.

Pour mettre en oeuvre cette vision, nous devons bâtir de nouveaux partenariats stratégiques, avec le Canada, l'Inde, le Brésil, les pays du Golfe. L'espace est un défi collectif. Il n'appartient à personne, mais il engage tout le monde. L'espace est une ambition partagée, pour laquelle nous devons unir nos forces.


Mesdames, Messieurs, chers amis,

Nous savons que les défis sont nombreux. Mais aujourd'hui, il s'agit de bâtir une puissance. D'affirmer notre place.

C'est là-haut que se joue notre avenir industriel, économique et stratégique.

Un proverbe corse dit " Le courage ne se vend pas à l'auberge " (U curagiu ùn si vende micca à l'osteria).

Ici, aux Assises du New Space, vous montrez que la France n'a pas peur devant les défis de l'espace. Nous avons les talents. Nous avons les ambitions. Nous avons le courage.

Alors oui, soyons à la hauteur de cette ambition. Préparons l'avenir. Faisons en sorte que la France compte.

Là-haut aussi.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 11 juillet 2025