Entretien de M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué, chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger, avec RTL le 7 juillet 2025, sur les tensions commerciales avec les États-Unis.

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  • Laurent Saint-Martin - Ministre délégué, chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger

Média : RTL

Texte intégral

Q - Bonjour Laurent Saint-Martin.

R - Bonjour.

Q - Avant de revenir sur le commerce avec nos amis américains, je m'adresse au ministre des Français de l'étranger. Un touriste français de 18 ans a disparu en Iran. Il voyageait à vélo. Ses proches sont sans nouvelles de lui depuis trois semaines. Est-ce que vous avez ce matin une quelconque information, rassurante ou pas, sur ce jeune homme ?

R - C'est une disparition qui est inquiétante. Nous sommes évidemment en lien avec la famille. C'est inquiétant parce que l'Iran a une politique délibérée de prise d'otages des Occidentaux. Et effectivement, nous allons continuer, dès les prochaines heures, dès les prochains jours...

Q - Donc vous redoutez que ce jeune homme soit aujourd'hui un otage de l'Iran ?

R - Oui, nous sommes inquiets, parce qu'effectivement, c'est une politique assumée aujourd'hui de l'Iran, de la même façon que depuis trois ans, hélas, Cécile Kohler, Jacques Paris sont emprisonnés dans des conditions que nous assimilons à de la torture. Donc oui, nous sommes inquiets, et nous continuons évidemment à entretenir le lien permanent avec la famille, avec les autorités iraniennes, et vous en saurez plus probablement dans les prochains jours.

Q - Pour l'instant, vous n'avez pas d'informations, donc ?

R - Non.

Q - Le Quai d'Orsay déconseille ou interdit d'aller en Iran ?

R - Le Quai d'Orsay dit : n'allez pas en Iran. Très clairement. Il le dit, et d'ailleurs j'en profite pour vous le dire comme ministre des Français de l'Etranger, sur son site "Conseils aux Voyageurs", qu'il faut suivre. Ce site "Conseils aux Voyageurs", ce n'est pas une recommandation basée sur un sentiment que peut avoir le ministère des affaires étrangères. C'est par rapport à la mise en danger que représente...

Q - Alors est-ce qu'il faut aller en Algérie, par exemple ?

R - Écoutez, chaque Français doit se référer au site du ministère des affaires étrangères, où les informations sont exposées de façon objective, claire. Et je vous rassure, la protection consulaire est de droit pour tous les Français qui en font la demande, de toute façon, dans un pays étranger. Mais si nous disons cela, si nous déconseillons, souvent très fortement, de se rendre dans des pays, c'est précisément pour ne pas se retrouver en danger.

Q - À deux jours de la fin des négociations commerciales, les États-Unis font monter la pression. Nous ne sommes plus menacés de 10% de droits de douane, mais désormais de 50% pour nos entreprises. Est-ce que vous pouvez nous raconter l'ambiance de ces négociations ? Eric Lombard, le ministre de l'Économie, parle des Américains comme de caïds dans une cour de récréation.

R - L'ambiance, elle est compliquée depuis maintenant plusieurs mois. D'abord parce que l'Union européenne et, finalement, ceux qui ont la charge de la négociation, ça ne se fait pas pays par pays, donc c'est la Commission européenne qui, au nom de tous les États membres, doit avoir cette négociation. Et côté américain, ce ne sont pas toujours les mêmes interlocuteurs. Vous avez parfois le secrétaire au Commerce, Howard Lutnick. Parfois c'est plutôt quelqu'un qui s'appelle Jamieson Greer. Parfois, ça peut être aussi Scott Bessent qui s'occupe des discussions. Et évidemment, à la fin, c'est Donald Trump qui tranche. Ce que moi je trouve intéressant, c'est que nous arrivons quand même à dialoguer depuis plusieurs semaines sur la nécessité de prendre en compte les intérêts de chaque partie. Et cela a été bien dit par Martial You tout à l'heure. Nous pouvons considérer qu'une augmentation faible de droits de douane peut être acceptée si, et seulement si, les droits sur certains secteurs clés d'exportation européens, et notamment français - je pense à l'aéronautique, je pense à nos vins et spiritueux, je pense à nos cosmétiques - sont, eux, réduits. Une négociation, ce n'est pas nécessairement asymétrique. Une négociation, ça peut aussi être dans l'intérêt des deux parties. Et on est vraiment dans le money time, on est dans les dernières heures et dans les derniers jours de discussion, et c'est cela qui est encore en train d'être discuté aujourd'hui.

Q - Mais est-ce que cette négociation avec les États-Unis est vraiment essentielle pour la France ? Martial You citait le chiffre, 2%. Pour dire les choses autrement, est-ce qu'on risque, nous, une crise économique majeure si demain nous avons 50% de droits de douane vers les États-Unis ?

R - Ce n'est pas parce que nous ne sommes pas les plus dépendants du marché américain qu'il n'y a pas une valeur extrêmement forte à ce rapport de force. Si l'Europe envoie le signal aux États-Unis et au reste du monde, finalement, qu'elle ne se soucie guère des droits de douane et qu'elle considère que de façon unilatérale les États-Unis peuvent imposer leurs lois, alors c'en est fini de la capacité commerciale de l'Europe dans le monde. Or l'Europe, comme vous l'avez dit justement, c'est une puissance économique et commerciale. C'est un marché de 450 millions de consommateurs.

Q - Et elle parle vraiment d'une même voix ? Quand chacun défend ses intérêts, les Allemands en particulier par exemple, quand nous on défend d'autres secteurs, est-ce que c'est facile de négocier ?

R - Alors, nous avons des intérêts prioritaires différents. Évidemment, l'Allemagne n'a pas les mêmes intérêts prioritaires de filière que la France, que l'Italie, que l'Espagne.

Q - Et c'est donc Ursula von der Leyen qui choisit ce qu'elle privilégie ?

R - Non, parce que la Commission européenne fait très attention à bien prendre la synthèse des intérêts des Etats membres. Et vous n'aurez jamais vu pendant ces six mois, contrairement à ce qu'on aurait pu craindre au début de l'année, de voix dissonantes. Vous n'avez pas vu l'Italie aller négocier de son côté avec Washington. Vous n'avez pas vu l'Allemagne outrepasser la Commission européenne. Et la France non plus. Personne ne s'est prêté à ce jeu solitaire qui aurait été extrêmement ravageur pour l'Unité européenne. On ressortira de cette période, moi je vous le dis, avec une Europe plus forte. On ressortira avec un rapport de force qui, je l'espère, sera le plus positif possible pour nos pays, et on ressortira avec une unité européenne qui servira pour la suite, et notamment pour aller chercher des accords commerciaux avec le reste du monde. Parce qu'il n'y a pas que les États-Unis dans la vie. On va aussi faire des accords commerciaux avec l'Inde, avec la Malaisie, avec les Philippines, avec l'Indonésie, avec l'Australie.

Q - Et probablement avant avec l'Amérique du Sud.

R - Et peut-être avec l'Amérique du Sud, si on arrive à faire évoluer effectivement l'accord.

Q - Est-ce que vous avez la garantie, justement, sur le Mercosur, qu'il y aura une forme d'accord dans l'accord, avec des exceptions pour la France, notamment pour nous protéger contre l'importation massive de viande sans aucune traçabilité ?

R - D'abord, ce pourquoi la France est fermement opposée aujourd'hui à l'accord, c'est précisément parce que nous n'avons aucune protection assurée sur notre filière bovine. Je reviens, moi, d'Amérique latine...

Q - Ma question, c'est est-ce qu'on est certain d'avoir des garanties supplémentaires avec une signature du Mercosur ?

R - À ce stade, non. Moi, je reviens d'Amérique latine. J'ai eu la garantie, côté argentin et brésilien, qu'ils étaient d'accord pour discuter sur le principe d'un protocole additionnel avec la Commission européenne.

Q - Donc on n'y est pas encore.

R - Aujourd'hui, la balle est dans le camp de la Commission, et moi je souhaite que la Commission puisse engager maintenant rapidement des discussions avec les pays du Mercosur. Faute de quoi, nous irons chercher une minorité de blocage.

(...)

Q - Merci Laurent Saint-Martin.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 juillet 2025