Déclaration de Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, sur la Politique agricole commune et l'accord entre l'Union européenne et les pays du Mercosur, à Bruxelles le 14 juillet 2025.

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  • Annie Genevard - Ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire

Circonstance : Arrivée au Conseil Agriculture et pêche

Texte intégral

Annie GENEVARD  : Bonjour. Comme vous le savez, le 14 juillet, en France, c'est la fête nationale, mais compte tenu de l'imminence des annonces qui vont être faites, j'ai évidemment privilégié ma présence à Bruxelles pour signifier que les questions agricoles sont de très grande importance et signifier évidemment le soutien de la France à ses agriculteurs et à l'agriculture européenne. Donc nous avons, comme préoccupation, le cadre financier pluriannuel qui va être présenté dans les heures qui viennent ainsi que le budget de la politique agricole commune. Vous le savez, 20 pays de l'Union européenne, par la voix de leur ministre de l'Agriculture, ont exprimé leur vive préoccupation sur les rumeurs qui courent à la fois sur le CFP et sur la PAC. Je rappelle que ce qui nous craignons évidemment beaucoup, c'est une dilution du budget de la PAC qui lui ferait perdre son caractère spécifique. Et la dilution, évidemment, ne garantit pas que nous aurons une PAC à la hauteur des enjeux, une PAC organisée en deux piliers. Et ce point fait l'objet d'une très grande attention de la part de la France, mais également de 19 autres pays européens qui l'ont exprimé lors du dernier Conseil agriculture.

Haut niveau de préoccupation aussi sur les relations commerciales internationales : les récentes déclarations des États-Unis sur des niveaux de droits de douane portés à 30% plongent évidemment de nombreuses filières agricoles en France dans la plus grande inquiétude, notamment la filière viticole, et puis aussi tout ce qui touche à l'épicerie, aux produits laitiers. Et naturellement, nous espérons que l'Union européenne va pouvoir conduire une action très coordonnée de résistance et de négociation ferme à l'égard des États-Unis.

Haut niveau de préoccupation également sur le Mercosur. Je rappelle que la France ne valide pas le projet d'accord de libre-échange tel qu'il a été paraphé à Montevideo, parce qu'il expose particulièrement les filières du bœuf, de la volaille, du sucre et de l'éthanol, et l'effet cumulatif que ces mesures pourraient avoir sur ces filières. Je rappelle qu'il y a l'Ukraine, il y a d'autres accords de libre-échange, et qu'il y a un effet cumulatif, notamment sur les filières d'élevage. Donc la France a fait une proposition concrète d'un protocole additionnel qui permettrait d'instaurer des mesures de sauvegarde robustes pour protéger ces filières. Je rappelle aussi que la quasi-unanimité des ministres de l'Agriculture européens, lors du dernier Conseil agri-pêche, ont posé très clairement les critères qui devraient être mis en œuvre pour les prochains accords de libre-échange. Cela recouvre notamment : une étude d'impact au niveau européen et pour chacun des pays membres de ce que pourraient emporter les accords de libre-échange ; deuxièmement, un suivi attentif de ces accords de libre-échange ; troisièmement, des clauses de sauvegarde robustes qui protègent nos filières agricoles ; quatrièmement, une réciprocité des normes assorties de contrôles, et notamment en matière de produits phytosanitaires. On ne peut pas imposer à nos propres agriculteurs des contraintes en matière de produits phytosanitaires et tolérer des productions qui ne les respecteraient pas. C'est un haut niveau de préoccupation. Je crois que tous les accords de libre-échange doivent vraiment être regardés à l'aune de ces critères, ce que ne fait pas le Mercosur. C'est bien la preuve que le projet d'accord avec le Mercosur est un accord d'un autre âge. Il n'obéit pas aux exigences que nous devrions mettre davantage en avant. Voilà, je vous remercie.


Question  : Petite question sur la PAC. Vous avez parlé un peu du budget. Globalement, sur les autres aspects de la PAC, il y a aussi des préoccupations, des inquiétudes par rapport à ce qu'on attend dans les prochains jours, mercredi a priori ?

Annie GENEVARD : Vous savez que nous sommes attachés d'abord aux politiques qui garantissent le revenu aux agriculteurs. Nous sommes très attentifs à tout ce qui touche au renouvellement des générations, parce que c'est le mur qui est devant nous, et dans toute l'Europe. Sans agriculteurs, il n'y a pas d'agriculture, donc il faut véritablement encourager le renouvellement des générations, et le revenu apporté aux jeunes agriculteurs est tout à fait important. Nous sommes attachés également à la question de la simplification. Les politiques agricoles européennes sont trop compliquées, souvent mal comprises, et donc, quand elles sont mal comprises, elles sont parfois mal respectées, en dépit de l'effort que font les agriculteurs, qui passent beaucoup trop de temps devant leur ordinateur et dans leurs papiers, alors qu'ils ont tant de travail dans leurs exploitations. C'est quelques-uns des critères à l'aune desquels nous regarderons cette future PAC. Nous sommes attachés évidemment à la préservation des piliers. C'est absolument fondamental que les mesures environnementales, auxquelles nous sommes attachés, soient davantage incitatives pour être mieux appliquées. Vous savez que la France conditionne les aides à hauteur de 40% dans le deuxième pilier sur les mesures environnementales. Donc c'est un vrai choix que nous faisons. Mais pour inciter davantage encore, il faut être moins dans la coercition que dans la pédagogie de l'incitation.

Question  : Est-ce que j'ai bien entendu que la France est maintenant pour l'accord avec le Mercosur si ce protocole-là est robuste ? Qu'est-ce qui dans le protocole n'était pas dans l'accord ?

Annie GENEVARD : Je ne formulerai pas les choses comme ça. Nous sommes toujours dans une posture d'opposition au projet d'accord tel qu'il a été paraphé. Je crois que c'est vraiment ça qu'il faut entendre. La position de la France n'est pas isolée. De nombreux pays partagent les mêmes inquiétudes que nous. C'est important de le dire, parce que longtemps on a considéré que au fond, tout le monde était d'accord. Mais en réalité, beaucoup de pays se rendent compte des implications que cela a sur leurs propres productions et sur leurs propres agriculteurs.

Qu'est-ce qui n'était pas dans l'accord ? Ce qui n'est pas dans l'accord et qui pose véritablement problème : il y a une clause de sauvegarde dans l'accord, mais qui est générale et dont l'application pose énormément de problèmes. En revanche, les Brésiliens ont obtenu une clause de sauvegarde spécifique sur l'automobile. Donc on voit bien qu'il y a une asymétrie de positions qui n'est pas acceptable.

Deuxièmement, l'accord UE-Mercosur a introduit une disposition qui est une première, totalement inédite, qui consiste en un rééquilibrage des concessions. Cela veut dire que, dès lors que l'UE exigerait de nouvelles normes – après tout, c'est évolutif cette question, on peut voir disparaître certaines normes ou se durcir certaines dispositions – et si cela a des conséquences sur les pays du Mercosur, cela pourrait réouvrir les conditions de l'accord. Donc là, on voit bien que ce qui est en jeu, c'est l'autonomie réglementaire de l'Union européenne. Et cela n'est pas acceptable. C'est même incroyable qu'on ait accepté une telle disposition, qui n'a jamais été mise en œuvre. Quant aux clauses de sauvegarde robustes, elles sont mises en œuvre dans d'autres types d'accords, je crois avec le Japon notamment, et d'autres pays. Donc on va les mettre en œuvre pour le riz dans les accords qui sont conclus avec les pays asiatiques. Donc ça existe, les clauses de sauvegarde des agriculteurs. Il faut absolument les réintroduire. Et je dirais qu'à un moment où le Brésil est challengé par des mesures américaines qui renchérissent énormément les droits de douane, l'accord UE-Mercosur va devenir stratégique, encore plus stratégique pour le Mercosur. Donc ça nous donne, je dirais, de quoi négocier avec le Mercosur, en tout cas je l'espère. Je pense que si à la fois la Commission et le Mercosur acceptent ce protocole additionnel et acceptent des mesures de sauvegarde robustes, légitimes, un bon accord, c'est un accord gagnant-gagnant. Lorsque l'une des deux parties est perdante, ça ne peut pas être un bon accord. Ça ne peut pas être un accord durable. Ça ne peut que porter préjudice aux accords de libre-échange, dont on sait qu'ils sont une source de prospérité pour l'Union européenne. Il ne s'agit pas pour nous de stigmatiser les accords de libre-échange. Ils peuvent être bons pour nos producteurs, mais à la condition qu'ils soient équilibrés. Et c'est dans cette voie de la recherche de l'équilibre que nous devons encore travailler avec le Mercosur et avec l'Union européenne.

Question  : Avec la mise en place des taxes par TRUMP, ne craignez-vous pas que ça accélère le processus de ratification de l'accord Mercosur en l'état ?

Annie GENEVARD : Je ne crois pas. Je ne le crois pas. Je crois que ce qui est mauvais dans un accord avant l'est après. Donc il faut que la France et tous les pays qui ont rejoint cette position et exprimé des inquiétudes – la Pologne, la Hongrie, l'Autriche, les Pays-Bas, l'Irlande, et même l'Italie. Je vous rappelle qu'il y a quinze jours, j'étais en Italie avec le ministre de l'Agriculture italien. Nous avons signé un communiqué de presse qui exprime très clairement nos inquiétudes partagées. Par conséquent, accélérer le processus alors que tant de pays de l'Union européenne font part de leurs réserves me semble périlleux. Et puis, l'histoire n'est pas finie. Vous savez qu'il y a plusieurs étapes : il y a la présentation du projet, il y a la discussion entre États membres, il y a l'avis de la Commission, il y a le Parlement. Tout ça jalonne une affaire qui n'est pas encore conclue. Je vous remercie.


Source https://ue.delegfrance.org, le 16 juillet 2025