Entretien de M. Laurent Saint-Martin, ministre délégué, chargé du commerce extérieur et des Français de l'étranger, avec LCI le 6 juillet 2025, sur les tensions commerciales avec les États-Unis.

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  • Laurent Saint-Martin - Ministre délégué, chargé du commerce extérieur, de l'attractivité et des Français de l'étranger

Média : LCI

Texte intégral

Q - Et nous voici avec l'un des principaux acteurs de ce bras de fer entre les États-Unis d'une part, l'Europe et la France de l'autre. Monsieur le Ministre, bonsoir.

R - Bonsoir.

Q - Vous êtes, Laurent Saint-Martin, le ministre délégué chargé du commerce extérieur. Nous sommes avec Pascal Perri qui est resté là. Merci beaucoup Pascal Perri. Tout le monde se demande évidemment si vous avez reçu les fameuses lettres que Donald Trump envoie de manière assez erratique. On n'est pas très au clair sur qui les reçoit, comment... Avez-vous reçu quelque chose ?

R - Alors concernant l'Europe, c'est la Commission européenne l'interlocuteur, parce que c'est la Commission européenne qui a la compétence exclusive de la négociation de la politique commerciale et donc des droits de douane avec les États-Unis. A l'heure où on se parle, la négociation n'est pas terminée et on voit bien effectivement aujourd'hui, vous l'avez dit tout à l'heure, que Donald Trump tend plutôt à prolonger les discussions et si c'est pour parvenir à un meilleur deal, moi cela me va bien. À la fin, moi ce qui m'intéresse comme ministre français du Commerce extérieur, c'est que les filières, les entreprises françaises soient les mieux protégées possible et les moins impactées possible, voire pour certaines d'entre elles, qu'elles puissent être gagnantes dans la négociation actuelle.

Q - Avons-nous un indice ? Les décisions sont tombées concernant le Japon et concernant la Corée du Sud. Et ce sont plutôt de mauvaises décisions pour eux. Ce sont des amis, théoriquement, de Donald Trump, notamment la Corée du Sud. Ça ne se passe pas très bien pour eux. 25% de droits de douane ?

R - Oui. Alors, pour être précis, en fait, ce sont les mêmes niveaux de droits de douane qui avaient été énoncés le 2 avril. Dit autrement, Donald Trump a décidé de prolonger la période de négociation, puisqu'il a dit au 1er août, elles seront définitives s'il n'y a pas eu de deal. Donc pour le dire dans des termes simples pour ceux qui nous écoutent, Donald Trump, pour le Japon et la Corée, a prolongé de deux-trois semaines la période de négociation.

Q - En gros, il se montre têtu.

R - En fait, Donald Trump veut le meilleur deal possible pour lui. C'est un négociateur pur, et il considère depuis le début que les droits de douane sont à son désavantage. Nous nous contestons depuis le début en Europe ce constat-là, partant du principe d'abord que la balance commerciale entre l'Europe et les États-Unis, si on prend en compte les services et pas uniquement les biens, n'est absolument pas déséquilibré, comme il le dit. Et puis l'Europe, c'est une puissance. Et donc la négociation prend du temps. Et nous devons aussi savoir défendre nos intérêts pour ne pas que cela impacte trop nos exportations. Voilà où on en est aujourd'hui.

Q - Ah oui, c'est-à-dire les services, il faut l'expliquer. Les Américains nous vendent des services. Et de façon excédentaire pour eux. On héberge en Europe des entreprises qui sont des entreprises du service, qui bénéficient d'ailleurs de conditions fiscales très avantageuses, en Pays-Bas ou en Irlande. Est-ce que vous excluez que finalement, Trump, un peu fidèle d'ailleurs à sa stratégie, fasse monter les enchères pour ensuite reculer ?

R - Ce qui est sûr, c'est que souvent Donald Trump varie, et on l'a vu ces derniers mois, il change régulièrement de position. C'est une technique de négociation maintenant qui lui est fidèle et qu'on connaît bien. C'est pour ça qu'il faut aussi garder son sang-froid et qu'il n'est absolument pas exclu que la période de négociation puisse aussi se prolonger. Attention, néanmoins, je le redis, mon intérêt, moi, c'est que nos filières françaises soient gagnantes dans cette négociation. Attention à ne pas trop prolonger les négociations ad vitam aeternam, parce que ça crée de l'incertitude, ça crée de l'attentisme dans l'investissement. Et à la fin, c'est ça l'effet le plus récessif, plus que les droits de douane eux-mêmes.

Q - Parce qu'aujourd'hui, l'automobile est à 25%, si je ne me trompe pas, et l'aluminium, l'acier sont à 50%, c'est ça ?

R - C'est ça.

Q - Et le reste, c'est-à-dire 70% des échanges, est à 10%. Ce serait satisfaisant de rester à 10% pour tous ?

R - Non, ce serait asymétrique. Ce qui serait acceptable, ce serait effectivement que 10% puisse être une base de travail, si et seulement si certains secteurs importants pour l'Europe et pour la France venaient à avoir, comme on le dit en termes techniques, "zéro pour zéro", c'est-à-dire des baisses effectives de droits de douane.

Q - Mais qui y croit, Laurent Saint-Martin ? Hier, sur notre antenne, Thierry Breton lui-même, Dieu sait s'il connaît ce genre de dossier, disait que ce serait un miracle, un miracle pour la France, si elle s'en tirait à 10%, c'est-à-dire le même tarif que les Anglais ont eu.

R - Non, je crois qu'il y a un vrai chemin de négociation, et je le sais. Les discussions que la Commission européenne a aujourd'hui avec les États-Unis, ce sont des discussions qui rendent possible le schéma que je vous décris. Ce n'est pas un fantasme de parler de 10% de base, puisque c'est l'existant. En revanche, là où l'Europe doit effectivement engager cette négociation difficile, c'est un bras de fer, c'est d'expliquer que sur certains secteurs d'activité, je pense notamment à l'aéronautique, je pense aux vins et spiritueux, je pense aux cosmétiques, là où on exporte beaucoup, pour les Allemands, plutôt l'industrie automobile, pour nous la chimie, effectivement... Là, il faut qu'on aille tirer vers le "zéro pour zéro". Et là, ce sera acceptable d'avoir effectivement un compromis, où les intérêts américains puissent être entendus, mais les intérêts européens aussi. On n'arrivera pas, et il ne faut pas arriver, à quelque chose de totalement asymétrique. Sinon, effectivement, l'Europe devra montrer qu'elle est une puissance.

Q - À ce sujet, y a-t-il une voix unique en Europe ? J'entends les Allemands, les Italiens, et on compte sur vous pour faire la clarté sur le sujet, qui eux ont des intérêts à signer un accord, parce que ce sont des pays industriels qui exportent beaucoup vers les États-Unis, qui nous disent en substance : "il faut signer vite, rapidement." Est-ce qu'il y a cette équipe-là, et puis une autre équipe derrière la France, qui dit en substance, "non, vous faites monter les enchères" ?

R - Non, la France dit aussi qu'il faut signer vite, parce qu'encore une fois, au-delà des secteurs d'activité, c'est néfaste pour tout le monde d'être dans une période d'incertitude. Donc de toute façon, il faut sortir de cette période-là. De façon macroéconomique, c'est important pour tous les pays. Et puis, il y a une solidarité européenne. Avez-vous vu...

Q - Sérieuse, réelle ?

R - Avez-vous vu un pays européen faire cavalier seul pendant cette période et aller négocier tout seul à Washington les droits de douane ?

Q - Mme Meloni, un peu...

R - C'est ce qu'on a voulu croire au début de la période, et ce n'est pas arrivé. Et donc on est resté unis derrière la Commission européenne. Et ce n'est pas toujours simple, la gouvernance européenne dans ces périodes-là, je vous l'assure, mais on est resté unis.

Q - Monsieur le Ministre, vous savez très bien que la réalité, elle est pire, c'est-à-dire qu'on ne sait pas très bien qui négocie. Vous avez vu Mme von der Leyen, elle a eu droit à quelques secondes de poignée de main avec Donald Trump en marge des funérailles. C'est ça, la réalité.

R - D'accord, mais en attendant les négociations elles ont bien lieu.

Q - Qui lui parle ? Qui parle à Trump ?

R - Mme von der Leyen parle à Donald Trump.

Q - Non, non, il ne lui parle pas, pardon. On a vu une poignée de mains de quelques secondes.

R - Les chefs d'État parlent à Donald Trump, et effectivement la négociation, ce n'est pas Donald Trump qui la mène tous les jours, c'est son secrétaire au commerce qui s'appelle Howard Lutnick, c'est Jamieson Greer, c'est éventuellement Scott Bessent aussi. Ce sont des personnes qui négocient directement avec la Commission européenne, le commissaire européen en charge, qui s'appelle Maroš Šefčovič, qui est tous les jours évidemment en discussion, et puis les services, évidemment...

Q - Est-ce que vous-même, vous avez eu des contacts avec vos homologues ?

R - Oui, je discute avec Jamieson Greer, notamment en marge du G7. Ce sont des choses qui, évidemment, arrivent. Et surtout, je parle à mes homologues européens. Parce que c'est surtout avec eux qu'il faut qu'on se mette d'accord pour que la Commission puisse avoir ce mandat-là. Mais à nouveau, il n'y a pas eu de division en Europe. Et moi, je vous fais un pari. C'est que de cette période-là, l'Europe ressorte plus forte. Je le pense profondément. Donald Trump, version une, ça a rendu l'Europe de la défense plus forte. Vous vous souvenez : le réveil par l'OTAN. Donald Trump version 2, ça rendra l'Europe plus forte d'un point de vue commercial. S'il faut passer par des périodes difficiles comme celle que nous vivons en ce moment de négociations, qui réveillent l'Europe sur la nécessité à ne plus être naïf, à être un marché ouvert mais pas offert, de savoir se défendre notamment des surcapacités asiatiques et chinoises qui vont être une conséquence directe des droits de douane américains, si tout cela, à la fin, ça nous permet d'être plus fort, alors je crois que l'Europe sortira gagnante. Et n'oublions pas les accords commerciaux que l'Europe va aller négocier de façon beaucoup plus rapide et efficace désormais avec le reste du monde. Je pense notamment aux pays d'Asie, aux pays de l'Indopacifique, avec qui on a beaucoup à faire ensemble.

Q - M. Lombard avait parlé d'un risque d'environ un point de croissance, c'est le chiffre qu'il avait articulé, un point de croissance. Dans la situation où la France se trouve, c'est beaucoup.

R - Oui, et vous savez que le risque récessif est plus important pour les États-Unis. C'est ça qui est assez stupéfiant dans cette période-là. C'est que Donald Trump met en risque récessif sa propre économie. Et nous, nous passons notre temps à dire depuis le début qu'entre pays alliés, qui avons quand même des ambitions communes, notamment sur la défense, je le répète, est-ce que Donald Trump peut d'une main dire "je veux que l'Europe sache se défendre par elle-même et arrêter d'être sous parapluie américain" ? - ce que je respecte et comprends - et en même temps dire, "je vous impose des droits d'ordre qui affaiblissent votre économie" ?

Q - Est-ce que vous êtes si sûr que ça ? Regardez les cours de la bourse. C'est quand même une très mauvaise nouvelle pour tous les commentateurs. Pas Pascal Perri qui est une exception, qui ne se trompe jamais. Mais la plupart des commentateurs ont dit, "vous allez voir, Trump va faire périr sa propre économie". On a beaucoup entendu ça. Et beaucoup de politiques comme vous ont dit "en réalité, il se fait du mal à lui-même"...

R - Non, mais là vous parlez de choses différentes. Là vous parlez de la valorisation...

Q - On peut ajouter un élément qui est, c'est vrai, le DoS est très puissant en ce moment, mais le chômage remonte aux Etats-Unis, il y a de l'inflation...

Q - Oui mais encore un instant sur la bourse. Regardez la bourse. J'insiste. Beaucoup de politiques français, européennes nous avaient dit : "Vous allez voir, ça va être un désastre". Regardez la tête du désastre. En réalité, la bourse américaine se porte très bien. Comment est-ce que vous expliquez ce miracle ?

R - Mais elle rebaissera et elle réaugmentera au gré des annonces.

Q - Pour l'instant, ça marche.

R - Là, vous me parlez de valorisation, capitalisation boursière, là où se passent les échanges. Et vous voyez très rapidement aussi que sur le marché obligataire américain, cela peut descendre très rapidement en fonction des risques.

Q - Tout peut toujours descendre, mais pour l'instant, ça monte.

R - Là, vous ne me parlez pas de ce qui va toucher concrètement la vie des Américains, à savoir l'effet inflationniste, l'effet récessif. Là, vous me parlez de la valorisation boursière des entreprises américaines, celles qui sont cotées sur le marché américain. Ce sont deux choses différentes. Vous pouvez avoir des augmentations. Je rappelle que le CAC 40 suit cette même tendance, que le Nikkei suit cette même tendance, que le DAX suit la même tendance. Bref, il y a une économie mondiale qui réagit au gré et qui est en croissance globale. Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas des risques récessifs et des risques extrêmement négatifs à l'augmentation des droits de douane. Et moi, encore une fois, ce qui m'intéresse, c'est l'Europe. Vous avez raison de poser les questions sur le côté atlantique, c'est l'actualité brûlante. Mais regardons ce qui se passe ailleurs. Qu'est-ce qui se passe si j'ai des augmentations de droits de douane côté américain, marché important certes, mais qu'en parallèle il baisse sur les pays d'Amérique latine, il baisse sur l'Inde, il baisse sur l'Australie, il baisse sur la Malaisie, sur l'Indonésie, sur les Philippines à la fin de l'année ? Moi je pense que l'Europe peut ressortir gagnante de cette période de guerre commerciale.

Q - Monsieur le Ministre, à la fin, et je pose la question évidemment aussi à Pascal Perri, si je peux me permettre... À quel moment ferez-vous sentir le fer à Trump ? De quoi a-t-il peur ? Il faut qu'il ait un peu peur. Il ne peut pas avoir que le bon côté du bâton. De quoi a-t-il peur s'il fait du mal à l'Europe ?

R - D'abord, Donald Trump et son administration connaissent parfaitement la capacité du marché européen à pénaliser les entreprises américaines. C'est vrai, notamment, vous parliez des services digitaux...

Q - Comment ? Qu'est-ce que vous ferez ? Exemple ?

R - On ne va pas faire les choses dans le désordre. Moi, je refuse ce débat-là qui consiste à mettre la rétorsion avant la négociation. D'abord, c'est une très mauvaise idée pour nos propres entreprises.

Q - Lui, il le fait. Regardez, il l'a fait le 12 avril. Il ne s'est pas gêné.

Q - Mais il est revenu dessus après.

R - Il revient dessus. Encore une fois, gardons notre sang-froid. Moi, ce que je crois, c'est que Donald Trump sait pertinemment qu'à la fin, ses droits de douane sont mauvais pour sa propre économie. C'est un outil de négociation permanent venant de la première économie du monde. Donc, il serait profondément naïf de dire que ce n'est pas important et qu'il ne faut pas s'en occuper, qu'il ne faut pas négocier. L'Europe, c'est 450 millions de consommateurs. L'Europe, c'est une épargne privée supérieure aux Américains. L'Europe, ce n'est pas très loin d'être le PIB américain. Et même si vous rajoutez des alliés de poids, le Canada, le Royaume-Uni, ça devient à peu près le PIB américain. Donc, l'Europe, elle a les moyens de riposter, que ce soit sur les biens américains ou sur les services digitaux américains. Est-ce qu'on veut l'actionner ? La réponse est non, parce que ça créerait une escalade dans la guerre commerciale qui serait encore plus négative. Donc la négociation, elle a beaucoup plus d'intérêt par le bas, c'est-à-dire démontrer, convaincre que cette guerre commerciale, elle est néfaste pour tout le monde. Protéger nos filières, protéger nos filières. Je sais que vous êtes convaincu.

Q - Je partage votre avis sur la technique...

R - Mais la rétorsion, c'est une dissuasion dont les États-Unis ont parfaitement conscience et qu'ils ne veulent pas qu'on l'actionne. Et ils ont raison de ne pas vouloir qu'on l'actionne. Donc, nous sommes en cours de négociation, précisément parce que l'Europe a les moyens de répondre. Et ça, les États-Unis le savent pertinemment.

Q - La seule chose qui a fait défaut jusqu'à présent à l'Europe, c'est la volonté. Les outils de rétorsion, on les a. La surface économique, le périmètre économique...

R - Mais parce que Pascal Perri, l'escalade, nous n'en voulons pas.

Q - Non, non, mais je suis d'accord. Mais vous savez que dans une partie de bras de fer, il faut quand même tenir le bras de l'adversaire.

R - Mais s'il n'y avait pas de bras de fer, ça serait déjà réglé. S'il n'y avait pas de négociation, ça serait déjà plié. Donc vous voyez bien qu'on est à un moment de négociation qui est complexe. Il ne faut pas le nier, il est complexe. Donald Trump a décidé de redéfinir les cartes commerciales du monde.

Q - Avec des obsessions, quand même...

R - Effectivement, et même certaines convictions que nous ne partageons pas. Ça ne vous a pas échappé. Et donc la question, c'est de ne pas perdre le bras de fer avec les États-Unis et de tout de suite regarder ailleurs aussi. Pardon d'insister sur la diversification commerciale. Si l'Europe ne regarde que vers l'Ouest, elle ressortira perdante de la période. On a beaucoup d'autres choses à faire avec le reste du monde.

Q - Laurent Saint-Martin, est-ce qu'il y a un problème de rapport de force psychologique ? Vous avez face à vous un homme qui a bombardé avec ses B2 l'Iran, qui dit avoir, vu de lui évidemment, mais de fait, voilà, il a mené son opération en 20 minutes, fini. Vous avez face à vous un homme dont, je le disais, les commentateurs ont dit, "vous allez voir, il est protectionniste, ça va provoquer un krach mondial". Au lieu du krach mondial, la bourse se porte bien. Il est en apesanteur, il est en état vraiment d'hypertrophie du moins, et pour de bonnes raisons. Est-ce que ce n'est pas compliqué de négocier avec un tel interlocuteur ?

R - Bien sûr que c'est compliqué de négocier, mais moi ce qui m'intéresse c'est l'avenir de la puissance européenne. Je ne me pose pas la question matin, midi et soir de l'avenir de la puissance américaine. La puissance américaine, c'est une puissance alliée, amie. Me concernant, je la considère toujours comme telle. Mais en revanche, qui nous fait aujourd'hui de mauvaises manières sur nos échanges commerciaux. Et pardon de revenir un petit peu sur le lien avec la défense, parce que ça peut paraître un peu séparé, mais en fait c'est très lié. On ne peut pas être unis, et Donald Trump l'appelle de ses voeux, cette unité avec l'Europe d'un point de vue de la défense. On ne peut pas être uni et nous attaquer commercialement. Et donc à un moment donné, oui c'est difficile, mais surtout il faut être cohérent. Et moi je ne désespère pas, parce que si souvent Donald Trump varie, il peut encore varier. Je ne désespère pas qu'il y ait quand même une compréhension mutuelle, que l'Europe n'est pas tout à fait un interlocuteur comme les autres pour lui, et que cela peut évoluer.

Q - Laurent Saint-Martin, restez avec nous, avec Pascal Perri. Dans quelques instants, on verra les bonnes et les mauvaises nouvelles. Vous êtes aussi d'ailleurs le ministre en charge des Français à l'étranger. On verra les quelques nouvelles qu'on peut avoir du Français dont on n'a pas trace pour l'instant en Iran. Évidemment, c'est source d'inquiétude. Mais aussi, ça c'est plutôt le chapitre des mauvaises nouvelles, le fait qu'aujourd'hui la France emprunte désormais plus cher que l'Italie de Mme Meloni. Et c'est un cap, évidemment. A tout de suite.

(...)

Q - Bonsoir ou rebonsoir, c'est le grand suspense que nous vivons ensemble avec le ministre Laurent Saint-Martin. Merci beaucoup, Monsieur le Ministre, d'être là avec Pascal Perri. Quels sont les droits de douane que Donald Trump imposera à l'Europe et à la France ? On s'accroche aux moindres signaux qui viennent des États-Unis avec les effets sur l'économie française qui déjà rencontre un certain nombre de difficultés. Ce sont ces révélations, y compris celles du ministre, M. Lombard, sur l'état des taux avec la France, qui maintenant emprunte plus cher que l'Italie, annonce faite par le ministre de l'économie. Dites un mot d'abord de ça, Pascal Perri, qu'on comprenne bien le sens de cette nouvelle sur l'état de l'économie française et la confiance des marchés dans l'économie française.

Q - Le taux, c'est l'indicateur de la prime de risque, au fond. C'est-à-dire que ça mesure la crédibilité des politiques publiques. Et donc, on prête toujours à la France. L'Agence France Trésor lève de l'argent chaque jour. Elle n'a aucune difficulté, je crois, à la lever sur les marchés. Elle la lève un peu plus cher parce que les prêteurs considèrent qu'il y a une prime de risque supérieure à l'Italie. Alors, je veux ajouter un élément de correction, c'est que l'Italie a reçu 200 milliards d'euros de l'Europe, et que ça aide à faire les courses, comme on dit. C'est-à-dire que ça facilite la situation budgétaire. Et donc, Mme Meloni est parvenue à résorber une partie de son déficit. Elle a aujourd'hui des chiffres macroéconomiques, budgétaires notamment, qui sont meilleurs que les nôtres, mais pour des raisons qui sont exogènes à la situation italienne. Il n'empêche, Monsieur le Ministre, que les prêteurs considèrent qu'il y a un risque sur la France.

R - Oui, c'est vrai que les efforts de réduction de déficit primaire italien - vous avez raison, sur les crédits européens - ont été bons, indiscutablement. On continue à prêter à la France dans des conditions qui sont tout à fait acceptables. Il y a le spread vis-à-vis de l'Allemagne et cette course avec l'Espagne, l'Italie, c'est un débat permanent. Ce qu'il ne faut pas, et que ce soit bien aussi un rappel à l'ensemble des oppositions politiques, ce qu'il ne faut pas, c'est que la France change de catégorie d'investisseurs. Là, pour le coup, ça coûterait beaucoup plus cher, il y en aurait beaucoup moins, et on se retrouverait effectivement dans une situation où on devrait rembourser notre dette à des taux d'intérêt très difficilement soutenables.

Q - C'est un risque de court terme ?

R - Non, ce n'est pas un risque de court terme, mais si on n'engage pas le redressement de nos comptes publics et la réduction de notre déficit primaire, parce que c'est cela qui est regardé par les marchés, alors à terme, le risque existe.

Q - Pour expliquer, le déficit primaire, c'est avant d'avoir remboursé les intérêts d'emprunt.

R - Exactement. Aujourd'hui, vous avez un service de la dette qui va frôler les 80 milliards d'euros. Il faut juste se rendre compte de ce dont on parle. Moi, quand j'étais rapporteur du budget au moment de la crise Covid, on était à un peu moins de 20 milliards d'euros.

Q - Parce que les taux étaient très bas.

R - Parce que les taux étaient très bas. On a quand même pris une facture de 60 milliards d'euros sur le remboursement de la dette. Ce qui ne s'explique pas que par la politique française. C'est l'augmentation aussi, le retournement des taux.

Q - Mais Monsieur le Ministre, il y a une bascule. Regardez ce graphique, c'est la Cour des comptes qui l'a produit dans son rapport des jours derniers, où on voit les courbes qui se croisent avec l'Italie. On parle précisément de l'Italie, et je vous laisse poursuivre, pardon de vous avoir interrompu, mais parce que ce graphique dit beaucoup de choses. On voit ici que la France, en réalité, la courbe s'est croisée avec l'Italie, c'est l'Italie en rouge. Et la France en bleu. Et l'Italie, dont on a si souvent dit, il y avait même une forme un peu de condescendance pour les pays du Sud. Rappelez-vous, quand on disait :"ce sont les cigales", etc. Les cigales, même l'Italie, qui avait vraiment un déficit colossal, va mieux.

R - Ce n'est pas à moi qu'il faut dire ça. J'étais ministre du Budget avec le même discours que vous. Il y a urgence à réduire le déficit public de notre pays de façon très importante. Très importante, si on veut effectivement avoir une trajectoire crédible et soutenable de nos finances publiques. Il y a quelque chose qu'il faut bien comprendre, c'est qu'avoir des finances publiques qui s'assainissent, ce n'est pas une idéologie, ce n'est pas croire en quelconque vertu orthodoxe budgétaire, c'est simplement se donner les moyens demain de pouvoir continuer à financer nos services publics. Les Français adorent notre modèle de protection sociale. Moi aussi. Sauf que moi, j'aime aussi pouvoir le financer, pouvoir l'équilibrer, arrêter d'être en déficit chronique. Et c'est pour ça que je lance un message aux oppositions. Parce qu'un budget de redressement des comptes, c'est un budget immanquablement difficile à faire accepter. Et pour ne pas qu'il soit réellement douloureux, voire décidé par d'autres dans quelques années... Il nous faut être responsable collectivement. Et évidemment, je lance un appel un peu en avance de phase pour cet automne, pour l'avoir connu l'an dernier. C'est que si on considère qu'il n'y a pas de place pour un budget de redressement des comptes dans notre pays, c'est repousser le problème plus tard et c'est surtout le sacrifier pour les générations futures. Ça, c'est irresponsable.

Q - Laurent Saint-Martin, vous êtes aussi le ministre des Français de l'étranger. Regardez évidemment l'image de Lennart Monterlos, ce jeune franco-allemand, 18 ans, qui s'est rendu en Iran. On va l'entendre même, puisqu'il a fait un certain nombre de vidéos où il l'annonçait, il communiquait beaucoup sur son voyage. C'était le 12 juin, sur son compte Instagram. Écoutons-le, parce que ça dit quelque chose d'une partie de touristes qui continue à y aller sans doute avec une prise de risque. Écoutez-le.

(...)

Q - Et si j'ai bien compris, il a disparu depuis le 16 juin, c'est bien juste ?

R - Oui.

Q - Quelles sont les nouvelles que vous avez ?

R - Elles sont inquiétantes et le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a eu encore son homologue iranien au téléphone. Oui, nous sommes inquiets parce que l'Iran a une politique délibérée de prises d'otages des Occidentaux. Et c'est pour cela que nous répétons, et j'insiste et je profite de votre antenne pour le redire, que les Français ne doivent pas se rendre en Iran. Nous le répétons et nous le faisons régulièrement dans tous les pays où il y a un risque de déplacement. Et de la même manière que nous devons assistance et protection consulaire à tous ceux qui sont emprisonnés dans des conditions qui sont considérées comme inacceptables, comme Cécile Kohler, Jacques Paris, plus de trois ans, évidemment nous sommes très inquiets, à nouveau, et nous sommes en lien avec la famille, et tout ce qui pourra être communiqué le sera en temps voulu. Mais oui, c'est une source d'inquiétude majeure.

Q - S'il avait été arrêté, est-ce que vous le sauriez ?

R - Je ne peux pas répondre à cette question-là. Ce sont des échanges que nous avons avec les autorités iraniennes qui doivent, pour la protection des personnes concernées, rester confidentiels.

Q - Je vous pose la question, parce qu'il y a l'hypothèse de l'accident aussi.

R - Je comprends votre question, mais nous avons des raisons d'être inquiets, effectivement. Et les échanges avec la famille, évidemment, se feront en toute transparence, autant que nous aurons d'informations.

Q - Pour ce qu'on en sait, la République islamique d'Iran a des pratiques particulières. Est-ce que c'est une pratique possible que, pendant un certain nombre de jours, ils gardent le silence alors même qu'ils ont un otage ?

R - Oui. Encore une fois, je l'ai dit, c'est une stratégie délibérée. La prise d'otages, elle existe et c'est bien ce qui nous rend inquiets.

Q - Merci beaucoup, Monsieur le Ministre, d'avoir été avec nous. Merci infiniment.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 juillet 2025