Texte intégral
Q - Bonjour Jean-Noël Barrot. Merci d'avoir accepté cette interview. Aujourd'hui on n'est plus à Kiev, on est dans l'est de l'Ukraine, à quelques dizaines de kilomètres de la ligne de front. Pourquoi avoir choisi de venir jusqu'ici ?
R - Parce que Kharkiv est une ville symbole de la résistance et de la résilience ukrainienne. C'est une ville qui, à 30 km de la ligne de front, à 30 km de la Russie, a repoussé par trois fois l'envahisseur en 2014, en 2022, en 2024. C'est donc un exemple. C'est la deuxième ville de l'Ukraine, c'est une ville dont la population a été héroïque et que nous soutenons au travers d'un certain nombre de projets qui sont portés par des entreprises françaises ou des associations.
Q - Volodymyr Zelensky a annoncé un nouveau round de négociations mercredi à Istanbul avec la Russie. Est-ce qu'il faut en attendre sincèrement quelque chose, ou est-ce que finalement, c'est juste pour la forme, ces négociations ?
R - Cela fait cinq mois que l'Ukraine a marqué sa disponibilité pour un cessez-le-feu inconditionnel de 30 jours, permettant d'ouvrir des négociations conduisant à une paix juste et durable en Ukraine. Je crois que c'est à la Russie désormais d'accepter le même principe. Et quoi qu'il en soit, la condition pour y parvenir, c'est une rencontre au niveau des chefs d'Etat, entre Volodymyr Zelensky et Vladimir Poutine, et c'est un cessez-le-feu inconditionnel.
Q - Est-ce que la France doit avoir sa place à cette table des négociations ?
R - Ecoutez, on a eu ce débat pendant de longs mois jusqu'à ce que la France accueille pour la première fois les Ukrainiens, les Américains et les Européens à Paris. C'était il y a quelques mois. Nous jouons un rôle évidemment essentiel dans la résolution de cette crise. La semaine dernière encore, la France a joué un rôle majeur pour que l'Europe adopte des sanctions massives contre la Russie, pour forcer Vladimir Poutine à cesser le feu.
Q - Justement, ces sanctions, c'est le 18e train de sanctions. Qu'est-ce que ça veut dire, quand on en arrive à 18 trains de sanctions ? Est-ce que ça veut dire que les 17 premières n'ont pas suffisamment porté leurs fruits ?
R - Si, les 17 premiers paquets de sanctions ont amputé le budget russe de nombreuses ressources qui lui auraient permis, sinon peut-être, aujourd'hui, de fragiliser l'Ukraine un peu plus. Ce nouveau paquet de sanctions est beaucoup plus massif que les précédents. Nous avons beaucoup travaillé à faire en sorte qu'il permette d'assécher les ressources pétrolières notamment, sur lesquelles s'appuie Vladimir Poutine pour financer son effort de guerre.
Q - Vous avez parlé hier de fraternité d'armes avec votre homologue. Que peut faire aujourd'hui la France pour aider son frère d'armes, l'Ukraine, à gagner cette guerre ?
R - C'est d'abord accentuer la pression sur la Russie, en continuant à travailler sur des paquets de sanctions de plus en plus massifs, pour faire changer à Vladimir Poutine son calcul qui le conduit aujourd'hui à cibler de manière indiscriminée, de manière inhumaine et indigne les populations civiles, ici à Kharkiv ou encore à Kiev et dans les autres villes ukrainiennes. Et puis d'autre part, c'est de poursuivre notre soutien résolu à l'Ukraine - soutien budgétaire, soutien militaire, soutien économique également. Autant de chantiers sur lesquels nous avons échangé avec les autorités ukrainiennes depuis mon arrivée hier.
Q - Depuis le retour de Trump à la Maison-Blanche, on a vu quand même un changement de paradigme de la part des États-Unis au regard de l'Ukraine. Comment est-ce qu'on compose avec quelqu'un comme Donald Trump, qui peut changer d'avis entre le lundi, le mardi ou le mercredi ?
R - Je constate que le président Trump a fixé un ultimatum de 50 jours à Vladimir Poutine pour cesser le feu, sous peine de très lourdes sanctions, de droits de douane, de 100% sur la Russie et sur ses partenaires commerciaux. Je constate également qu'il a marqué sa disponibilité à fournir du matériel militaire à l'Ukraine, ce qui est sans doute le signal le plus crédible qu'il a choisi son camp et qu'il a décidé désormais de soutenir l'Ukraine pour aboutir à son objectif, exprimé très clairement depuis le début, qui est la paix, durablement, en Ukraine.
Q - Justement, ces sanctions promises par Trump en cas de refus de cessez-le-feu de la Russie, vous y croyez totalement, à leur mise en oeuvre, à l'issue de ces 50 jours, ou pas ?
R - Depuis des semaines, nous nous coordonnons avec les sénateurs américains qui ont eux aussi conçu un paquet de sanctions, un peu à l'image de celui que nous venons d'adopter au niveau européen, qui est très dissuasif et qui a vocation à presser, à pousser Vladimir Poutine à cesser le feu. Je souhaite vivement que ce paquet de sanctions américain, qui est aujourd'hui soutenu par la quasi-intégralité des sénateurs américains, puisse être adopté au plus vite.
Q - Dernière question, Monsieur le Ministre, très rapidement, en une phrase : est-ce qu'aujourd'hui l'Ukraine a les moyens de gagner cette guerre sur le terrain militaire ?
R - En tout cas, elle a la force d'armes pour le faire et c'est ce qui compte le plus puisque dans cette guerre d'agression, c'est avant tout au moral des Ukrainiens que Vladimir Poutine cherche à s'en prendre.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 juillet 2025