Texte intégral
Cher Andrii, merci beaucoup de m'accueillir en Ukraine pour la troisième fois, ce qui témoigne de l'engagement de la diplomatie française aux côtés de la nation ukrainienne.
Merci du fond du coeur de m'avoir confié à témoigner ce matin devant les ambassadrices et les ambassadeurs ukrainiens.
Ce qui a été pour moi l'occasion d'abord de rappeler que la guerre menée par la Russie contre l'Ukraine est une guerre coloniale, une guerre contre la liberté et la souveraineté de l'Ukraine, mais aussi une agression contre l'Union européenne, le projet démocratique qu'elle porte, une agression contre les Nations unies, et le projet porté depuis 80 ans pour un ordre international fondé sur les règles.
L'occasion devant les ambassadrices et les ambassadeurs de me féliciter de la fraternité d'armes entre la diplomatie française et la diplomatie ukrainienne. Une fraternité d'armes que nous avons éprouvée dans l'adversité aux Nations unies, notamment au mois de février dernier, et que nous allons continuer d'éprouver ensemble, car nous avons, s'agissant de la résolution [des Nations unies] sur la guerre d'agression russe en Ukraine, et s'agissant plus généralement des grands enjeux de notre époque, une vision commune.
Puis ça a été aussi l'occasion pour moi de saluer ton travail, cher André, travail remarquable, à la tête de la diplomatie ukrainienne, dans un moment critique. Et je veux le dire ici, chez toi, en Ukraine, que ce soit à Bruxelles, à Washington, à New York, à Rome ou ailleurs, à Antalya, Andrii Sybiha est un ministre des Affaires étrangères qui force le respect de ses interlocuteurs. Et je veux te dire à titre personnel, mon admiration, mon estime et toute mon amitié.
Je veux aussi remercier le président Zelensky, qui m'a fait l'immense honneur de me remettre la médaille de Iarsolav le Sage, décernée pour service distingué rendu à la nation ukrainienne, une distinction que bien évidemment je partage avec l'ensemble des agents du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, et singulièrement notre ambassadeur et son équipe, dont je salue l'engagement et le courage. Parce que comme de très nombreux Ukrainiens, de trop nombreux Ukrainiens, notre ambassadeur et son équipe ont passé une bonne partie de la nuit dernière, de 3h à 5h du matin, aux abris.
Une nouvelle fois, Vladimir Poutine a provoqué un déluge de fer et de feu sur les villes ukrainiennes. 450 drones et missiles lancés à des centaines de kilomètres du front, ciblant stations de métro - je me suis rendu ce matin à Lukianivka - supermarchés, jardins d'enfants, zones résidentielles, avec un bilan très lourd, à Kiev : un mort, 6 blessés, un enfant polytraumatisé.
Cette violence inhumaine, cynique et cruelle n'a pas de vocation militaire. Elle ne permet pas à Vladimir Poutine de gagner du terrain sur la ligne de front, où il se heurte d'ailleurs à la résistance indomptable des forces armées ukrainiennes. Non. Elle ne vise qu'à terroriser les civils pour tenter en vain de saper le moral ukrainien. C'est une guerre qui est à la fois indigne et lâche.
Une guerre qui vise aussi les infrastructures énergétiques au mépris du droit international, de la sécurité et de la sûreté nucléaire. Je me suis rendu cet après-midi à Tchornobyl pour constater des dégâts considérables provoqués par un drone Shahed russe qui a perforé le sarcophage de confinement construit il y a 10 ans par des entreprises françaises, pour prévenir les émissions radioactives et permettre le retrait des déchets nucléaires les plus dangereux. Trois mois après ce grave incident provoqué par la Russie, la France - la première - a apporté une contribution de 10 millions d'euros à la Banque européenne de reconstruction et de développement pour les travaux de réparation. L'Union européenne lui a remboîté le pas et j'appelle les partenaires et alliés de l'Ukraine à se joindre à cet effort tant les travaux sont essentiels pour que rapidement le risque provoqué par cet incident soit contenu.
Et ce n'est évidemment que l'un des éléments de cette stratégie systématique menée par Vladimir Poutine pour fragiliser les infrastructures énergétiques, efforts que nous devons contrecarrer par tous les moyens.
Face à tant de lâcheté et tant d'indignité, l'Ukraine n'est pas seule. Et c'est le message que je suis venu porter ici à Kiev au nom du Président de la République. La France se tient aux côtés de l'Ukraine pour accentuer la pression sur la Russie et pour donner aux Ukrainiens les moyens de se défendre.
Accentuer la pression sur la Russie avec un paquet de sanctions massives qui a été adopté jeudi dernier par les Européens. Un paquet de sanctions qui a été coordonné avec nos partenaires, les Britanniques, mais aussi les sénateurs américains, Graham et Blumenthal, qui eux aussi ont planché sur un paquet de sanctions, dont je souhaite qu'il soit le plus rapidement possible adopté.
Des sanctions qui visent à assécher les ressources mobilisées par Vladimir Poutine pour financer son effort de guerre et notamment ses recettes pétrolières. Avec le plafonnement du prix du pétrole, avec des embargos, un embargo sur les produits raffinés en provenance de pays important du pétrole russe, avec la désignation de plus de 70 navires de la flotte fantôme que la Russie utilise pour contourner les sanctions que nous avons d'ores et déjà appliquées.
Face à ces décisions historiques de l'Union européenne, chacun doit entendre que lorsque ses intérêts de sécurité sont menacés, l'Union européenne réagit. Et avec un PIB, comme tu l'as rappelé Andrii, avec une richesse dix fois supérieure à celle de la Russie, chacun doit mesurer que l'Union européenne ne se laissera pas faire.
Accentuer la pression sur la Russie et donner à l'Ukraine les moyens de se défendre.
Au plan budgétaire d'abord, et je me réjouis qu'en 2025, l'Union européenne aura apporté 30 milliards d'euros de soutien budgétaire à l'Ukraine. Avec la facilité Ukraine d'un côté, avec les revenus tirés des actifs russes gelés de l'autre.
Au plan militaire ensuite, la réunion du 10 juillet de la Coalition des volontaires, réunie par le Président de la République et le Premier ministre britannique, a rassemblé 30 pays qui ont démontré à cette occasion un haut niveau de détermination à soutenir l'Ukraine jusqu'à un cessez-le-feu et au-delà. Un haut niveau d'unité, puisqu'à cette réunion, les États-Unis pour la première fois étaient représentés. Et un haut niveau de préparation, puisque les plans opérationnels sont prêts pour que dès qu'un cessez-le-feu sera trouvé, une force multilatérale Ukraine, puisse être mise en oeuvre pour contribuer à la régénération des forces ukrainiennes et apporter un haut niveau de réassurance. Et nous nous félicitons que le quartier général de cette Coalition des volontaires se soit installé à Paris. En parallèle et au niveau bilatéral, toujours au plan militaire, le travail se poursuit pour la fourniture d'équipements, pour la formation et aussi pour la coproduction de l'équipement militaire.
En réunissant l'expertise française et l'expertise ukrainienne, je me suis rendu tout à l'heure sur l'un des sites de production de drones ukrainiens et j'ai pu mesurer l'expertise considérable qui a été accumulée ces dernières semaines et ces derniers mois. Notre objectif est d'augmenter le nombre de pilotes formés pour rendre possible de nouvelles cessions, et notamment des cessions de Mirages, dont tu as rappelé Andrii qu'ils avaient pu faire la différence sur la ligne de front.
Au plan économique, avec la Première ministre ukrainienne, que je félicite pour sa brillante nomination, nous avons signé deux lettres d'intention. La première sur la coopération entre la France et l'Ukraine dans les domaines stratégiques, que le ministre a rappelée tout à l'heure. Et puis ensuite, une deuxième lettre d'intention sur les suites que nous entendons donner à une initiative inédite qui a été portée par la France, qui est ce fonds de 200 millions d'euros qui a permis d'attirer des entreprises françaises sur 19 projets dans le domaine de la santé, dans le domaine des infrastructures, dans le domaine du déminage, pour les amener à apporter des réponses très concrètes pour les besoins ukrainiens.
A cela s'ajoutent les 450 millions d'euros de l'Agence française de développement déployés pour permettre aux collectivités territoriales ukrainiennes de financer leurs projets d'investissement. A cela s'ajoute également la nouvelle initiative, l'initiative européenne flagship de capital investissement qui a été annoncée lors de la Conférence pour la reconstruction qui s'est tenue la semaine dernière à Rome et qui, avec près de 500 millions d'euros, viendra financer la reconstruction de l'Ukraine.
Et puis au plan européen, enfin, la France soutient pleinement, depuis le premier jour, le processus d'adhésion de l'Ukraine à l'Union européenne qui a été initié lorsque la France présidait le Conseil de l'Union européenne. Nous sommes à vos côtés pour faire avancer ce processus qui ne doit être l'otage d'aucun chantage et d'aucun conflit de voisinage.
C'est donc par la pression sur la Russie d'un côté, le soutien résolu à l'Ukraine de l'autre que nous parviendrons à mettre fin à cette guerre lâche et indigne qui menace la souveraineté et la liberté de l'Ukraine, la sécurité européenne et aussi notre vision de l'Homme et du monde.
Q - Le président Volodymyr Zelensky a annoncé la reprise de pourparlers avec la Russie mercredi. C'est l'Agence France Presse qui l'annonce. On sait que lors de la dernière rencontre qui s'est déroulée à Istanbul début juin, la partie russe a présenté à la partie ukrainienne un mémorandum sous forme de position extrêmement maximaliste - en gros, une capitulation de l'Ukraine et un retrait pur et simple des quatre régions de Zaporijjia, Kherson, Lugansk et Donetsk. Pensez-vous, Messieurs les Ministres, que la partie russe peut arriver mercredi avec une autre position que ce mémorandum et qu'une discussion de bonne foi peut s'engager avec la partie russe ce mercredi ?
R - Je peux compléter, même si je souscris très largement à ce que Andrii Sybiha vient de dire. La première des choses, c'est que ça fait maintenant cinq mois que l'Ukraine a marqué sa disposition à un cessez-le-feu inconditionnel de 30 jours, sur proposition américaine ; et ça fait 5 mois que nous attendons que la Russie fasse de même. Deuxième élément : les exigences maximalistes de la Russie sont connues. Elles sont connues depuis 10 ans, puisque ce sont les mêmes demandes maximalistes qui sont formulées à chaque fois. Elles sont inacceptables. Les discussions doivent s'engager, mais sur une base qui respecte les intérêts des deux parties. Parce que la diplomatie, ce n'est pas la soumission. La diplomatie commence par des rencontres au niveau des chefs d'État et de gouvernement, ce que Volodymyr Zelensky a demandé à plusieurs reprises. Cela commence par un cessez-le-feu. Comme l'a très bien dit le président des États-Unis, on ne peut pas négocier sereinement sous les bombes. Nous autres avons en souvenir les négociations qui s'étaient engagées en 2022 sans qu'un cessez-le-feu ne soit intervenu et qui ont dû être interrompues par les massacres de Boutcha ou d'Izioum, qui ont démontré la cruauté, le cynisme et l'insincérité de Vladimir Poutine. Il faut donc un cessez-le-feu. C'est pourquoi nous avons accueilli très favorablement l'ultimatum de 50 jours qui a été fixé par le président des États-Unis. Et c'est pourquoi, pour ma part, alors que nous venons d'adopter un paquet de sanctions européen jeudi dernier, j'ai demandé à mes équipes de reprendre le travail pour que nous puissions bâtir un paquet de sanctions encore plus massif si Vladimir Poutine ne consentait pas un cessez-le-feu permettant à des négociations en bonne et due forme de se tenir.
Q - Today you met with President, with our member of Ukrainian government, and the main issue was the production of drones. But could you provide us more details ? I absolutely understand this is a sensitive issue. Will it be co-production or it will be like investment for our production ? And one more important question. What about risks ? Because we understand that Russia continue to attack every Ukrainian cities every day or from week to week. So what about risks ?
R - So, if I may, on the first question, the question you asked to Andrii Sybiha, one thing I'd like to say is that alongside the announcements on the ultimatum and the potential tariffs that would apply to Russia and its partners, the announcement of the President of the United States that he would be open to provide weaponry to Ukraine is the strongest possible signal that the U.S. have chosen their side. And this is no surprise because President Trump has said repeatedly that he wants peace. Ukraine has accepted the ceasefire proposal five months ago. And what we've seen over the past five months is the drone and missile attacks be multiplied fivefold and targeting more and more civil and residential areas. And so it's no surprise that now the president of the U.S. has understood the game that Vladimir Putin is playing and is willing to allow Ukraine to defend itself. On the second question, again, I visited today a production site of Ukrainian drones, and I was amazed by the level of innovation and technological development that the Ukrainian producers have reached. And this is the reason why there is so much appetite, there is so much willingness on the French side to cooperate with Ukrainian drone producers. And I felt from my interactions with some of the leaders of the these companies that there was appetite in the other direction as well. Last month, a major French company announced that they would enter into a cooperation with Ukrainian drone producers. And last week, 80 companies from our national defense, industrial and technological basis came to Ukraine and met a large number of Ukrainian companies. 200 meetings took place, which is a testament to the willingness on both sides to accelerate on the cooperation and the co-production of weapons and drones in Ukraine.
Q - Le président Trump a annoncé avoir trouvé un accord pour vendre des armes américaines aux pays de l'OTAN, qui seraient après distribuées à l'Ukraine. C'était pour savoir si la France prendrait part à cette initiative, et pourquoi ?
R - Je vais répéter la réponse que je viens de faire. En complément de l'annonce par le président Trump d'un ultimatum de 50 jours - le conduisant à prendre, le cas échéant, des sanctions dévastatrices, en appliquant des droits de douane de 100% sur la Russie et les partenaires de la Russie -, le fait pour le président des États-Unis de marquer sa disposition à fournir du matériel militaire à l'Ukraine est le signal le plus crédible qu'il a désormais choisi son camp. Ce n'est pas une surprise, puisque depuis sa réélection, le président des États-Unis a exprimé à de nombreuses reprises qu'il voulait la paix. Or, cela fait désormais cinq mois que l'Ukraine a accepté la proposition d'un cessez-le-feu de 30 jours inconditionnel, et cela fait cinq mois que la Russie esquive et amplifie en réalité ses attaques indiscriminées contre des zones résidentielles et des civils en Ukraine - des frappes qui ont été multipliées par cinq en intensité depuis que l'Ukraine a accepté la proposition américaine de cessez-le-feu. Donc cette décision du président américain est évidemment une très bonne nouvelle, qui fait écho à la participation des représentants américains lors de la réunion de la Coalition des volontaires conviée par le Président de la République et le Premier ministre britannique, qui - comme je vous l'ai dit tout à l'heure dans mon propos introductif - a démontré un haut niveau d'unité, de préparation et de détermination.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 juillet 2025