Texte intégral
SIMON LE BARON
Et notre invitée est la seule ministre à avoir dit son opposition à la loi Duplomb, en tout cas à sa mesure la plus contestée, la réautorisation de l'acétamipride, cet insecticide de la famille des néonicotinoïdes. Et ce n'est pas n'importe quel ministre sur ce dossier, puisqu'elle est en charge de la Transition écologique et de la Biodiversité. Agnès PANNIER-RUNACHER, bonjour.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Bonjour Simon LE BARON.
SIMON LE BARON
C'est le feuilleton de l'été, cette pétition contre la loi Duplomb. 2 millions, plus de 2 millions de signatures désormais. Il devrait y avoir un débat à la rentrée en septembre à l'Assemblée nationale, mais qui ne remettra pas en cause, ont dit notamment la présidente de l'Assemblée nationale ou la ministre de l'Agriculture, l'adoption de cette loi. Est-ce que vous, vous demandez par exemple au président de la République d'aller plus loin en demandant à l'Assemblée nationale, il peut le faire, une nouvelle délibération sur cette loi ?
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Alors ce qui a conduit à voter cette loi, c'est le rapport de force à l'Assemblée nationale. Donc si c'est pour se recompter et se réapercevoir que le rapport des forces n'est pas forcément dans le sens de la pétition, je ne suis pas sûre que l'activité…
SIMON LE BARON
Sauf que depuis, il y a ces 2 millions de signatures et cette mobilisation populaire, ça peut changer des votes.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Tout à fait, mais comme vous avez pu le constater, beaucoup de députés et beaucoup de sénateurs ont confirmé leurs positions. Et moi, ce que je souhaite d'abord, c'est qu'effectivement, on remette de la science et de la rationalité dans le débat. Et c'est pour ça qu'avec Gabriel ATTAL, non seulement, effectivement, les ministres prennent acte des décisions de l'Assemblée nationale, mais je suis favorable à la conduite de ce débat et je suis favorable à ce qu'on redise quels sont les éléments scientifiques dans la pièce. Parce qu'on est allé très loin, d'un côté comme de l'autre, pour sur-argumenter pour ou contre la loi Duplomb.
SIMON LE BARON
Donc vous demandez à l'ANSES, l'agence de sécurité sanitaire, un avis sur cette loi, un avis scientifique. Mais ça va prendre combien de temps ? 18 mois ?
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Non, on n'a pas besoin de 18 mois pour donner un avis. C'est juste de dire de quoi il est question. Quels sont les risques ? Je rappelle que le Gouvernement lui-même avait déposé un amendement de suppression de cette mesure de réintroduction des néonicotinoïdes au Sénat, que cet amendement, dans son exposé des motifs, rappelait les doutes scientifiques que nous avions, notamment sur l'impact de perturbateurs endocriniens et de neurotoxiques du développement. Donc c'est un sujet sur lequel, scientifiquement, il y a des doutes d'un côté. De l'autre côté, cette loi restreint, et c'est bien ce qu'avait fait cet amendement du Gouvernement, il avait été battu par les sénateurs, mais il avait obligé les sénateurs à mettre de l'eau dans leur vin et à restreindre très fortement cette mesure de réintroduction. Cette nuance, on ne l'entend nulle part. Cette loi ne va pas plus effondrer l'agriculture qu'elle va lui permettre de doubler sa compétitivité. Cette loi ne va pas non plus induire un impact massif sur les cancers pédiatriques, parce qu'il se trouve que cette molécule est soupçonnée, pas d'avoir un impact sur les cancers pédiatriques, mais d'autres choses. Donc, il ne faut pas tomber…
SIMON LE BARON
Tous les scientifiques disent que le principe de précaution devrait s'appliquer. Vous-mêmes, vous étiez contre.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Non mais je le redis Simon LE BARON, je suis contre la réintroduction des néonicotinoïdes.
SIMON LE BARON
Mais vous êtes entrée dans le rang gouvernemental.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Mais ce que je trouve dangereux dans le débat public aujourd'hui, c'est qu'on remet en cause ce que raconte l'autorité de référence européenne, c'est qu'on voit…
SIMON LE BARON
Qui dit elle-même qu'il y a un doute, et vous le rappelez, sur le développement du foetus notamment.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Tout à fait. Encore une fois, je suis d'accord avec le doute, mais n'allons pas invoquer d'un côté l'effondrement de l'agriculture parce que c'est faux, et n'allons pas de l'autre utiliser des arguments qui sont également infondés en disant que par le simple fait de cette loi, nous allons déclencher des milliers de morts de cancers pédiatriques. Parce que c'est honteux, parce que ce débat qui n'est plus nuancé, qui n'adresse plus la science, ne permet pas justement de savoir exactement de quoi on parle. Ça c'est le premier point. Le deuxième point, vous m'interrogez sur l'Assemblée nationale.
SIMON LE BARON
Mais je me permets juste que vous parlez de l'effondrement de l'agriculture.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Attendez, juste je vais jusqu'au bout.
SIMON LE BARON
Oui.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Sur l'Assemblée nationale. Le député Éric BOTHOREL, par exemple, a dit qu'il était prêt à déposer une proposition de loi pour faire évoluer la loi. Donc s'il y a effectivement matière à changer la loi, cette matière, elle appartient aux députés et aux sénateurs, mais lorsque vous êtes, et ça c'est un petit peu difficile à faire comprendre, lorsque vous êtes le pouvoir exécutif, qu'une loi est votée démocratiquement, que le rapport de force qui est défavorable à ma position, c'est un constat que je fais, est donné, et bien vous êtes tenu d'appliquer la loi.
SIMON LE BARON
Et puisque vous dites " Il ne faut pas faire croire que l'interdiction de l'acétamipride, qui d'ailleurs était en cours depuis plusieurs années, ferait effondrer l'agriculture française ", on parle notamment de la filière betterave. L'ANSES dont vous demandez un avis, a déjà dit, évidemment très clairement, les dangers des néonicotinoïdes et a déjà dit aussi qu'il existait des alternatives crédibles et efficaces à l'acétamipride.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Et dès lors qu'il existe des alternatives crédibles et efficaces aux néonicotinoïdes, enfin à l'acétamipride, alors on ne peut pas donner une dérogation. C'est ce que dit la loi. Donc il suffit de l'appliquer aussi. S'il y a des alternatives, alors on ne peut pas donner une dérogation aux néonicotinoïdes. C'est ce qui est écrit dans la loi.
SIMON LE BARON
Et ceux qui se sont penchés sur cette loi, en tout cas des scientifiques, des militants environnementaux disent que ce principe de dérogation est trop flou et laisse trop de possibilités d'autorisation de l'acétamipride.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Donc vous voyez là, tout d'un coup, on rentre enfin dans la nuance sur la loi. Est-ce que la portée de ces dérogations, est-ce que les contraintes qui sont imposées sont suffisantes ou ne sont pas suffisantes ? Et ça, c'est un débat intéressant. J'ai un point de vue sur ce débat, mais je trouve qu'il est important de rentrer dans la réalité du débat, c'est-à-dire est-ce que les contraintes qui sont posées sont suffisantes, suffisamment protectrices ou pas ?
SIMON LE BARON
Et donc avec la possibilité de faire évoluer la loi. Vous dites de toute façon immanquablement que cet insecticide sera de nouveau interdit dans les années à venir.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Je ne vais pas me substituer à l'autorité de référence européenne, mais comme vous le savez, la France, par ma voix, l'année dernière avait soumis un certain nombre de questions à l'autorité européenne scientifique de référence, en disant : " Voilà les dernières études scientifiques, elles posent question, est-ce qu'elles peuvent être prises en compte dans l'examen de l'autorisation ou est-ce que ça peut éventuellement vous amener à changer votre opinion ? " Et l'autorité européenne avait très précisément dit : " C'est un vrai problème. Nous avons néanmoins besoin de données complémentaires parce que les études que vous nous mettez sur la table ne sont pas statistiquement suffisamment précises, donc nous demandons des compléments et par principe de précaution, nous baissons au minimum les résidus, les limites de résidus sur les produits traités ". Donc vous voyez, il y a eu une action, mais cette action n'est pas allée jusqu'au bout et nous attendons des compléments pour que l'autorité européenne puisse se prononcer.
SIMON LE BARON
Il y a d'autres mesures très contestées, on parle évidemment de l'acétamipride mais il y a aussi les méga bassines, en tout cas les retenues d'eau qui sont consacrées au rang d'intérêt général majeur.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Oui. Alors ça pour le coup, on est complètement dans la caricature. Non, ce n'est pas ce que dit la loi.
SIMON LE BARON
La facilitation de la création d'élevage intensif. Certes beaucoup d'opposants à ce texte disent c'est la victoire de la FNSEA, de l'élevage intensif.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Ce n'est pas ce que dit la loi. Donc là, il faut être aussi assez précis, c'est-à-dire que ce que dit la loi, c'est que les projets de stockage d'eau sont des projets qui sont d'intérêt public. C'est vrai.
SIMON LE BARON
Intérêt général majeur.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Oui, c'est vrai. Mais ça n'empêche pas…
SIMON LE BARON
Donc on peut plus difficilement les contester.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Oui, mais parce que, si je peux aller jusqu'au bout, ça n'empêche pas que s'ils ont un impact environnemental problématique, ils ne sont pas autorisés. Et ça, personne ne le dit. Parce que moi, je suis en charge des procédures environnementales et lorsque ces projets, il est démontré et je parle de projets de stockage d'eau, pas de méga bassines encore une fois. Le stockage d'eau, ça peut être la récupération de l'eau de pluie, si vous voulez. Et oui, c'est d'intérêt public majeur et oui, il va falloir développer du stockage d'eau parce que malheureusement, et vous le disiez très bien tout à l'heure, 88% des territoires vont être privés d'eau d'ici 2050. Donc nous allons devoir, comme les autres pays, comme Israël, comme l'Espagne, comme tous les pays exposés à des sécheresses, stocker l'eau, faire en sorte de beaucoup mieux gérer notre eau et nous devons avancer en ce sens. Mais ce projet de loi n'est pas la porte ouverte aux méga bassines, c'est une caricature. De même sur les installations classées et sur les élevages, même sujet. Ce que prévoit la loi, c'est juste de transposer la directive et encore, elle le fait de manière incomplète et elle ne change aucun des seuils des exploitations qui sont soumises à autorisation.
SIMON LE BARON
Un mot de l'accord sur les droits de douane entre l'Union européenne et les États-Unis. Au-delà des 15% dont on a parlé, il prévoit aussi l'achat de 750 milliards de Dollars d'énergie aux États-Unis, notamment du gaz de schiste. Est-ce que Donald TRUMP force les Européens à sacrifier leurs engagements environnementaux ?
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Les Européens ont des lois et ces lois ne sont pas changées par monsieur Donald TRUMP. La loi européenne, elle prévoit la neutralité carbone de l'Europe d'ici 2050. Elle prévoit que l'on baisse nos émissions de gaz à effet de serre de 55% collectivement d'ici 2030. Ceci n'est pas changé. Et ce chiffre de 750 milliards d'Euros, j'avoue que j'ai été très surprise, juste pour vous donner une idée…
SIMON LE BARON
Guillaume BENOIT, qui est ici, de l'édito Eco, nous disait hier qu'il était largement exagéré.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
En fait, on importe aujourd'hui en Europe 20 milliards d'Euros de gaz russe. Je veux bien qu'on remplace le gaz russe, si vous voulez. Ça, ce n''est pas idiot de remplacer du gaz russe par du gaz américain. Mais à un moment, on n'aura pas besoin ni de pétrole et de gaz. On ne va pas boire le pétrole si on n'en a pas besoin.
SIMON LE BARON
Merci beaucoup Agnès PANNIER-RUNACHER. On suivra donc ces débats sur la loi Duplomb et l'évolution de cette pétition qui est à plus de 2 millions de signatures. On a bien entendu en tout cas votre souci de nuance sur cette loi et sur ces débats.
AGNÈS PANNIER-RUNACHER
Je pense que c'est essentiel parce que la démocratie est en train de souffrir de cette espèce de sortie d'Urgut où on polarise le débat entre des positions extrêmes, extrême à droite, extrême à gauche.
SIMON LE BARON
Agnès PANNIER-RUNACHER, ministre de la Transition écologique, merci beaucoup.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 31 juillet 2025