Entretien de M. Jean-Noël Barrot, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, avec France 24 le 29 juillet 2025, sur la reconnaissance par la France de l'État de Palestine et le conflit à Gaza.

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Média : France 24

Texte intégral

Q - Bonjour, merci beaucoup d'être avec nous sur France 24. Vous estimez donc que la solution à deux États est le seul chemin pour parvenir à la paix. Vous confirmez ainsi la volonté d'Emmanuel Macron de reconnaître un État palestinien. Pourquoi le faire seulement maintenant ? Qu'est-ce qui a changé ?

R - Parce que la solution à deux États, qui est la seule susceptible de ramener la paix et la stabilité dans cette région, est en danger de mort, et qu'il fallait créer les conditions pour qu'elle redevienne crédible. C'est pourquoi nous avons décidé, il y a à peu près neuf mois, avec l'Arabie saoudite, de prendre une initiative, de créer une dynamique conduisant les parties prenantes - à la fois l'Autorité palestinienne, les pays arabes de la région, mais aussi l'ensemble de la communauté internationale - à prendre des engagements. Ces engagements se cristallisent aujourd'hui à New York avec une déclaration des pays participants, qui est historique et inédite puisque les pays arabes - les pays de la région, du Proche et du Moyen-Orient -, pour la première fois, condamnent le Hamas, condamnent le 7 octobre, appellent au désarmement du Hamas, appellent à son exclusion de toute forme de participation à la gouvernance de la Palestine et expriment de manière claire leur intention d'avoir à l'avenir des relations normalisées avec Israël et de s'insérer, aux côtés d'Israël et du futur État de Palestine, dans une organisation régionale à l'image de l'ASEAN en Asie ou de l'OSCE en Europe. C'est un pas décisif qui est franchi, et qui a été rendu possible notamment par la décision du Président de la République.

Q - Et à l'instant, il y a le Royaume-Uni qui annonce qu'il va reconnaître aussi la Palestine si Israël ne prend pas certains engagements. Est-ce que vous saluez cette décision du Premier ministre Keir Starmer ? Il y a une dynamique qui est en place ?

R - Je la salue. Effectivement, le Royaume-Uni se joint à l'élan qui a été créé par la France pour la reconnaissance de l'État de Palestine. Avec ces décisions capitales qui ont été annoncées par la France et le Royaume-Uni, avec les efforts conjugués de toute la communauté internationale rassemblée ici à New York, nous voulons enrayer le cycle de la violence et de la guerre et rouvrir la perspective de la paix au Proche et au Moyen-Orient.

Q - Les États-Unis, eux, ne participent pas à cette conférence qui a lieu en ce moment à New York. Ils dénoncent, concernant votre initiative de prôner une solution à deux États, une initiative improductive, inopportune, qui s'apparente à un coup de publicité. Donald Trump a lui aussi estimé que la déclaration un peu plus tôt, jeudi dernier, d'Emmanuel Macron n'a pas beaucoup de poids. Qu'est-ce que vous leur répondez ?

R - D'abord, nous soutenons les efforts menés par les États-Unis aujourd'hui dans la région pour aboutir au cessez-le-feu immédiat, à la libération de tous les otages du Hamas et à l'accès sans entrave de l'aide humanitaire. Mais pour obtenir un cessez-le-feu, encore faut-il pouvoir dessiner les contours de l'après-guerre et l'horizon politique qui s'ensuit. C'est l'objectif de cette conférence des Nations unies que la France préside avec l'Arabie saoudite. Et dans le document que nous venons d'adopter, avec les pays qui y ont participé, nous traçons une perspective crédible, qui va contribuer positivement à ce qu'un cessez-le-feu puisse intervenir à Gaza. Par ailleurs, ces efforts que nous avons menés, ces concessions que les uns et les autres ont faites permettront, le moment venu, aux États-Unis de reprendre la logique des accords d'Abraham qu'ils avaient initiés au moment du premier mandat du président Trump. Nous espérons que ce moment viendra. Mais dans l'attente, il était évidemment inenvisageable de rester les bras ballants.

(...)

Q - Bonjour, Monsieur le Ministre. Vous avez déclaré à New York que la solution à deux États était la seule possibilité, qu'il n'y avait pas d'alternative. Vu la situation sur le terrain, pour le moment, la solution à deux États, vous l'avez dit vous-même, est quasiment en état de mort. Est-ce qu'il n'y a pas quand même une alternative : que peu à peu ce gouvernement israélien actuellement en place procède à la fin définitive de l'idée de tout Etat palestinien, annexe la Cisjordanie - bref, réalise le "Grand Israël" ?

R - Vous avez raison, l'alternative à la solution des deux États, c'est l'état de guerre permanent. Et ce que nous observons aujourd'hui, c'est que la solution à deux États est menacée par, d'un côté, les partisans du "Grand Israël", qui veulent nier aux Palestiniens le droit à disposer d'eux-mêmes, et qu'elle est attaquée par, de l'autre côté, les partisans du Hamas ou d'autres, qui considèrent que la Palestine va du Jourdain à la mer. Par la décision historique que le Président de la République a prise, que le Premier ministre britannique vient de prendre et que d'autres prendront, par les engagements qui sont pris aujourd'hui à New York par les pays arabes, nous donnons raison à tous les autres, au camp de la paix contre celui de la guerre. Nous rouvrons la possibilité d'une paix, qui passera par deux États vivant en côte à côte en paix et en sécurité, avec la sécurité pour Israël et le droit des Palestiniens à disposer de leur propre État.

Q - Hier, pour la première fois, deux ONG israéliennes ont utilisé le terme génocide à propos de ce qui se passe à Gaza. Plusieurs pays ont qualifié ainsi ce qui se passe dans l'enclave palestinienne. C'est le cas notamment de l'Espagne ou encore de l'Afrique du Sud. Quelle est la position de la France aujourd'hui ?

R - Le gouvernement de la France n'a pas de position à avoir sur ce qui relève de la qualification juridique des faits. Cela appartient aux juridictions internationales. Ce que je puis dire, c'est que la situation à Gaza est catastrophique. Gaza est désormais un mouroir où, comme je l'ai dit hier à la tribune de l'Assemblée générale des Nations unies, les corps portent les stigmates de la famine et les esprits sont gangrenés par la terreur. Il est inacceptable que dans des fils de distribution humanitaire des femmes et des enfants soient pris pour cible et abattus froidement. C'est une honte et cela doit cesser. C'est la raison pour laquelle la réunion qui s'est tenue aujourd'hui - ou qui se tiendra dans quelques minutes - à Bruxelles est si importante. Elle conduira l'Union européenne à donner de la voix pour que le gouvernement israélien entende enfin les attentes qui sont les nôtres : l'accès de l'aide humanitaire et la fin du système militarisé de distribution de l'aide, le paiement par le gouvernement israélien des 2 milliards d'euros qui sont dus à l'Autorité palestinienne, la fin et l'abandon des projets funestes de colonisation de la Cisjordanie, et en particulier le projet E1 qui, avec 3.400 logements, couperait en deux la Cisjordanie et porterait un coup fatal à la perspective des deux Etats et à l'émergence d'un État de Palestine.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 juillet 2025