Texte intégral
Q - Monsieur le Ministre, merci de nous accorder cette interview, à la chaîne Al Arabiya. Vous avez co-présidé pendant deux jours une conférence internationale pour la mise en oeuvre de la solution à deux États avec votre homologue saoudien, le prince Faisal Bin Farhan, et à laquelle une quarantaine de pays ont participé. Mais avant de poser des questions sur cette conférence, permettez-moi de poser une question qui s'impose aujourd'hui. Comment qualifieriez-vous, la France, la situation à Gaza et la souffrance quotidienne des civils palestiniens qui se font tuer alors qu'ils essayent d'avoir leurs droits les plus essentiels en nourriture et en paix ?
R - Je suis très profondément choqué par la situation à Gaza depuis des mois. Mais je suis révolté par le bain de sang qu'a provoqué le système militarisé de distribution d'aide humanitaire mis en place par le gouvernement israélien. Plus de 1.000 personnes qui se pressaient dans des files de distribution alimentaire ont été abattues froidement alors qu'elles cherchent simplement à ne pas mourir de faim. C'est un scandale, c'est une honte et cela doit cesser. Et bien évidemment il faut que Gaza puisse se réouvrir à l'aide humanitaire dont elle a besoin massivement. Vous savez qu'il y a, à El-Arish, à quelques kilomètres de Gaza, 52 tonnes d'aide humanitaire française qui attendent de pouvoir être distribuées à l'intérieur de l'enclave. Et donc nous appelons, la France bien sûr, mais l'Union européenne également, à l'accès sans entrave de l'aide humanitaire maintenant.
Q - Revenons-en à la conférence internationale. Avant la conférence, vous avez fait 20 déplacements et vous avez coordonné étroitement avec votre homologue saoudien, avec d'autres partenaires de la France dans la région. Comment évalueriez-vous aujourd'hui le bilan de cette conférence ?
R - C'est un grand succès parce que nous avons réussi à relancer un processus qui était à l'arrêt. Nous avons réussi à sauver la solution à deux États qui était en danger de mort. Comment ? D'un côté, en créant un nouvel élan pour la reconnaissance de l'État de Palestine, et après la décision capitale du Président de la République, c'est le Royaume-Uni qui rejoint cet élan et qui, avec nous, va redoubler d'efforts pour donner toutes ses chances à cette solution à deux États. Et puis de l'autre, c'est la déclaration finale de cette conférence dans laquelle l'Arabie saoudite, les pays arabes de la région, pour la première fois, condamnent le 7 octobre, condamnent le Hamas, dont ils appellent le désarmement et l'exclusion de toute forme de participation à la gouvernance de Gaza, et qui réaffirment leur aspiration à des relations normalisées avec Israël et leur intention de s'insérer aux côtés de l'État d'Israël et de l'État de Palestine le moment venu, dans une organisation régionale. Bref, nous avons recréé les conditions pour que cette solution, la seule alternative à l'état de guerre permanent, puisse advenir.
Q - Les pays européens considèrent aujourd'hui qu'Israël enfreint l'article 2 de son accord d'association avec l'Union et qui porte sur le respect des droits humains qui sont bafoués aujourd'hui. Qu'est-ce qui empêche aujourd'hui d'imposer des sanctions contre Israël ? Est-ce que c'est l'absence de consensus entre les 27 ?
R - La Commission européenne présente aujourd'hui des propositions de mesures restrictives à l'encontre du gouvernement israélien, qui n'a jusqu'à présent pas répondu aux appels des pays européens pour l'arrêt de la colonisation, et en particulier des projets comme le projet E1, qui menace la contiguïté territoriale de Gaza, de la fin des opérations du système militarisé de distribution d'aide humanitaire à Gaza, du paiement par le gouvernement israélien des sommes qui sont dues à l'Autorité palestinienne. Ces mesures restrictives que la Commission va présenter ont de bonnes chances d'être adoptées. Je crois surtout qu'il faut que le gouvernement israélien saisisse la main qui lui est tendue ici à New York par la communauté internationale rassemblée, et qui consiste à dire une chose très simple : la sécurité d'Israël sera d'autant plus garantie que les Palestiniens disposeront d'un État. Et d'un État qui ne représentera pas de menace pour Israël. C'est un engagement qui a été pris très clairement par le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas lorsqu'il a écrit au Président de la République et au prince héritier d'Arabie saoudite, en assumant le principe d'un État palestinien démilitarisé, ce qui est une demande de longue date des gouvernements israéliens.
Q - Un nouveau cycle de discussion entre la troïka européenne et l'Iran s'est tenu à Istanbul il y a quelques jours. Vous avez décidé que le délai de réimposer des sanctions sur l'Iran soit prolongé. Pourquoi cette décision ?
R - Non, nous n'avons pas décidé que le délai sera prolongé. Ce que nous avons, c'est qu'il n'y a pas d'autre solution qu'une solution négociée à la question du nucléaire iranien. C'est ce que nous avons fait il y a dix ans, avec un accord robuste, qui a conduit à un retour en arrière très significatif du programme militaire iranien en échange de la levée des sanctions. Dix ans plus tard, c'est un fait, l'Iran est en violation de ses obligations au terme de l'accord qui a été trouvé il y a dix ans. Les participants à cet accord, dont la France fait partie, l'Allemagne, le Royaume-Uni, sont donc fondés individuellement à réappliquer les embargos qui avaient été décrétés il y a dix ans. Et si nous n'avons pas d'accord avec l'Iran d'ici la fin de l'été, alors même que nous avons laissé la place maximale à la négociation et à la discussion, alors nous n'hésiterons pas, nous n'aurons pas d'autre choix que de réappliquer les sanctions qui avaient été levées il y a 10 ans.
Q - Vous avez rencontré votre homologue syrien il y a quelques jours à Paris. Est-ce que vous avez évoqué avec lui les événements tragiques à Souweïda, au sud de la Syrie, vous qui avez appelé les autorités intérimaires à respecter toutes les composantes de la société syrienne ?
R - Nous avons évidemment évoqué la tragédie de Souweïda et nous avons appelé le gouvernement de la Syrie à montrer sa capacité à assurer la sécurité de toutes les Syriennes, de tous les Syriens. À mener une lutte implacable contre l'impunité, en désignant ou en tout cas en présentant à la justice les responsables des massacres qui ont eu lieu sur la côte est de la Syrie, dans le sud de la Syrie ou encore à l'encontre de chrétiens, il y a quelques semaines. Et puis, nous avons appelé le gouvernement syrien à mener un combat sans relâche contre le terrorisme de Daech, qui a ensanglanté la Syrie, qui a ensanglanté la France, et qui ne peut avoir aucun espace dans ce moment si critique de redressement de la Syrie.
Q - Cette question sur le Liban : est-ce qu'on peut s'attendre à une nouvelle conférence pour soutenir ce pays ?
R - C'est notre intention. Il faut que les autorités libanaises puissent affirmer leur volonté que le Liban soit un État fort, disposant du monopole de la force légitime, capable de protéger toutes les communautés. Il faut qu'Israël puisse se retirer des cinq points qu'il occupe encore au sud du pays. Et il faut que les réformes, et en particulier la réforme bancaire, puissent être adoptées par le parlement libanais. Ce n'est que si nous réussissons à progresser sur ces trois fronts que nous parviendrons à rendre tangible cet espoir nouveau qui s'est levé après le cessez-le-feu au Liban, l'élection du président Joseph Aoun et la nomination du gouvernement.
Q - Une dernière question sur l'Algérie. La France a décidé d'entraver la circulation des militaires algériens qui sont accusés de dénigrement de la France. L'Algérie va saisir l'ONU. Votre réaction ?
R - J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur ce sujet il y a quelques mois. Les autorités algériennes ont décidé de rompre brutalement le dialogue avec la France. C'est aux autorités algériennes que je vous invite à poser votre question.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 1er août 2025