Texte intégral
STEPHANE BOUDSOCQ
Il est 7 h 46, jusqu'à demain, 170 pays sont réunis à Genève pour essayer de se mettre d'accord sur la limitation de la pollution au plastique. Un enjeu majeur des années qui viennent, enjeu environnemental mais aussi économique, puisque le coût de cette pollution est estimé à 1 500 milliards de dollars chaque année. La France est évidemment présente, en Suisse une délégation tricolore emmenée par celle qui est notre invitée ce matin, la ministre de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche. Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour Stéphane BOUDSOCQ.
STEPHANE BOUDSOCQ
Avant d'évoquer ce sommet sur le plastique, un mot évidemment de la canicule et des incendies. C'est aussi votre domaine de compétence, parce que tout ça nous ramène au réchauffement climatique. On imagine que vous avez suivie de très près cette vague de chaleur qui touche la France depuis le week-end dernier, ces canicules, on le sait, malheureusement, vont se répéter, s'aggraver. Votre ministère prévoit plus quatre degrés à l'horizon 2100. Vous avez lancé un troisième plan national d'adaptation au changement climatique l'hiver dernier. Si je vous demandais ce matin, Agnès PANNIER-RUNACHER, la mesure phare, ce qui est pour vous le plus emblématique dans ce plan ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Je crois que c'est l'adaptation de tous nos logements et de tous nos bâtiments à ce dérèglement climatique. Je préfère le mot dérèglement parce que ça rend bien compte de ce que nous vivons : plus de chaleur, mais on va avoir plus d'orages dans les heures qui viennent. C'est en fait le climat qui se détraque et nous en subissons les conséquences. Alors pourquoi adapter les bâtiments ? Parce qu'en fait, nous avons construit dans un monde qui n'était pas à plus 1,5°C, comme c'est le cas grosso modo aujourd'hui. Et en fait, on se rend bien compte, et votre reportage le montrait très bien ce matin dans le cas d'un étudiant, que ce n'est pas adapté à des températures qui dépassent 35°C, voire qui montent jusqu'à 40°C. C'est insoutenable. Donc il faut adapter ce bâti. Il faut mieux construire aussi, et ça c'est un des grands axes du Plan national d'adaptation au changement climatique, avec des aides de l'État pour les collectivités locales quand il s'agit des écoles, avec un accompagnement du bâti hospitalier, avec l'obligation qui est ancienne d'avoir une pièce rafraîchie dans tous les EHPAD, parce que ce sont des personnes vulnérables. Et on peut filer cette métaphore dans toutes les formes de bâti. Il faut nous adapter.
STEPHANE BOUDSOCQ
Alors, vous parlez argent, justement, c'est un des nerfs de la guerre contre le réchauffement climatique et ses conséquences. Quand on prépare l'avenir, quand on est ministre de la Transition écologique, et que les caisses de l'État ne sont pas tout à fait en bonne santé, il faut des idées, mais il faut des sous aussi.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait, c'est pour ça que moi, je me suis battue pour mon budget. La copie telle qu'elle sort aujourd'hui des arbitrages interministériels prévoit une progression légère de ce budget. Alors, cette progression est confrontée à des besoins massifs d'investissement, mais il n'y a pas que le budget de l'État. Il y a les collectivités locales qui sont en train d'investir massivement aussi dans la transition écologique, là où il y a quelques années, ce n'était pas un sujet. Elles pouvaient construire des infrastructures sportives, s'intéresser à d'autres sujets. Là, moi, je discute beaucoup avec des maires, avec des présidents d'agglomérations qui me disent : " Le fait est que la demande de mes habitants, c'est d'adapter au dérèglement climatique tous les services publics ". Donc, ils le font et on les aide. Et puis, les entreprises ont également un rôle à jouer dans cela. Derrière le dérèglement climatique, il y a l'adaptation d'abord du bâti des entreprises, mais aussi les solutions qu'elles peuvent inventer pour nous permettre de mieux vivre ces périodes d'inondation, de chaleur, de vent, enfin, tout ce dérèglement climatique que nous subissons.
STEPHANE BOUDSOCQ
Alors, on en vient à ce Sommet mondial sur la pollution plastique. Ça se passe donc à Genève, vous vous y trouvez Agnès PANNIER-RUNACHER. Il y a des chiffres quand même assez effarants : quinze tonnes de plastique rejetées chaque minute dans l'océan sur les 430 millions de tonnes qui sont produites tous les ans. On arrive bientôt au terme des discussions à Genève. Est-ce que vous avez le sentiment que les choses ont avancé et qu'il va sortir du concret de ce Sommet ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
D'abord, je veux redire que la pollution plastique est un fléau. Vous mentionnez l'enjeu pour l'environnement, l'enjeu économique puisque ça coûte très cher de dépolluer et d'aller rechercher notamment les microplastiques dans les océans. Mais c'est un enjeu sanitaire majeur, dont on n'a pas complètement pris la mesure encore parce que les études sont en cours, mais les scientifiques nous alertent très fortement sur les risques pour la santé humaine et sur le fait que si on continue comme ça, le risque, c'est un triplement de la production plastique dans les 25-30 ans qui viennent. Et face à ce triplement, on pourra mettre toutes les mesures de collecte et recyclage, on sera totalement débordée par cette pollution. Donc l'ambition française est élevée. Nous avons réussi à coaliser autour de moi 96 pays pour soutenir un traité ambitieux. Mais je ne vous cache pas que les négociations sont particulièrement difficiles parce qu'une poignée de pays bloquent aujourd'hui. Ce sont des pays producteurs de pétrole dont est issu le plastique, ce sont des pays producteurs de plastique et on a beaucoup de mal à avancer. Donc tout l'enjeu c'est effectivement de voir dans les 48 dernières heures ce que l'on est capable de produire comme texte, en ayant en tête qu'il vaut mieux sans doute avoir un texte qui permette vraiment de baisser cette pollution plastique qu'un bout de papier qui se concentrerait sur la gestion des déchets et le recyclage qui sont vraiment des réponses mais pas du tout à la hauteur du fléau qui est la pollution plastique.
STEPHANE BOUDSOCQ
Oui, c'est-à-dire du concret et pas juste des bonnes intentions.
AGNES PANNIER-RUNACHER
Même au-delà, c'est-à-dire qu'on peut avoir une démarche qui dise : " On se met d'accord sur le fait qu'on doit d'ici vingt ans réduire notre production plastique et on le fait de manière organisée par cycle de négociations successives ". Rien que ça, c'est une avancée par rapport à un texte qui dirait : " Il faut bien trier les déchets et bien les recycler ", parce qu'en fait on ne prendrait que le petit bout du sujet et donc on passerait à côté de ce qu'est cette pollution plastique. Il faut avoir en tête que les pays en développement les plus pauvres sont débordés par cette pollution et attendent des pays développés qui prennent leur responsabilité aussi sur cette question de production.
STEPHANE BOUDSOCQ
Alors on a vu avec la récente loi DUPLOMB, même si elle était en partie censurée sur la réintroduction d'un pesticide interdit, qu'il est difficile souvent de lutter contre les habitudes de l'industrie ou de certaines corporations. Il y a des lobbies du plastique qui sont aussi présents en coulisses à Genève, au sommet, qui veulent lutter contre le plastique. C'est assez décourageant quand même, non ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Écoutez, c'est décourageant mais en même temps je pense que c'est important que la société civile, que les ONG, que les scientifiques, que l'opinion publique se disent qu'elle a du pouvoir. Elle a du pouvoir. Elle a du pouvoir en France. Le Gouvernement est particulièrement ambitieux et moi, je porte vraiment une vision très ambitieuse pour ce traité plastique, pour faire bouger les lignes de mes collègues. Mais on a vu beaucoup de pays, par exemple d'Afrique, qui ont pris conscience de l'impact qu'a cette pollution plastique sur leur économie, sur la santé de leurs habitants et qui sont très engagés. Donc il ne faut pas désespérer. Ce sont des négociations qui sont évidemment difficiles où des intérêts privés mais des intérêts aussi nationaux parce que vous avez des économies qui ont une production plastique importante et qui craignent pour leur emploi. Ces intérêts-là, il faut les écouter, mais il faut aussi leur apporter des réponses et leur dire que leur position est intenable dans la durée et que se réfugier derrière ce pseudo enjeu économique va leur coûter très très cher. Très très cher en santé, très très cher économiquement, très très cher en dépollution et qu'il nous appartient, aujourd'hui, de prendre les bonnes décisions.
STEPHANE BOUDSOCQ
Un mot de politique également, Agnès PANNIER-RUNACHER. Le Gouvernement va faire sa rentrée d'ici quelques jours avec l'épineux dossier du budget, cette menace d'une censure à l'Assemblée. On voit que le climat social est quand même très tendu sur les retraites, l'indemnisation du chômage ou des jours fériés éventuellement supprimés. Vous faites partie de cette équipe BAUROU. Vous vous sentez comment là ? Vous êtes d'humeur combative ou vous êtes déjà un petit peu résignée ?
AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, je suis d'humeur combative parce que ce qui est en jeu c'est la stabilité de notre pays, la capacité à sécuriser les entreprises et à les faire investir pour qu'elles créent de l'emploi, pour qu'elles créent de la richesse en France. Et donc il ne faut surtout rien lâcher. Moi je ne veux pas qu'on se laisse entraîner dans la spirale dans laquelle nous poussent les extrêmes, qui est une spirale d'immobilisme et de risque par rapport à notre situation financière. Il faut agir, c'est douloureux. Ce sont des mesures qui ne sont pas populaires. On en est tout à fait conscient. On essaye d'avoir le meilleur niveau de dialogue avec les syndicats, avec les entreprises, avec les Françaises et les Français pour trouver les mesures les plus justes. Je crois que si on arrive à montrer que les mesures les plus justes, je crois que si on arrive à montrer que la contribution de chacun à cet effort est proportionnée à ce qu'il peut faire et qu'il n'y a personne qui y échappe et que c'est fait de manière équitable, peut-être alors on aura, je ne dirais pas, un soutien enthousiaste, parce que toute mesure d'économie n'est jamais enthousiasmante, mais au moins un accord de principe en disant : " Bon, c'est équitable, il faut avancer, on est bien conscient de la situation financière ", et les Français connaissent cette situation financière. Ce qu'ils ne veulent pas, c'est être les dindons de la farce, et je l'entends parfaitement. Ils veulent que chacun fasse sa part d'effort et que cet effort soit équitable.
STEPHANE BOUDSOCQ
Merci Agnès PANNIER-RUNACHER, Ministre de la Transition écologique, de la Biodiversité, de la Forêt, de la Mer et de la Pêche, d'avoir été notre invitée ce matin sur RTL en direct de Genève pour ce sommet mondial de lutte contre le plastique. Très bonne journée à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 août 2025