Texte intégral
Monsieur le Préfet,
Monsieur le député, cher Jean-François,
Madame la sénatrice, chère Emilienne,
Monsieur l'adjoint au maire de Toulouse,
Monsieur le Conseiller Régional représentant Madame la présidente du conseil régional d'Occitanie,
Monsieur le Conseiller départemental, représentant du président du Conseil Départemental,
Mesdames et messieurs les membres du conseil régional,
Mesdames et messieurs les membres du conseil départemental,
Mesdames et messieurs les élus,
Monsieur le représentant du commandant de la région de gendarmerie Occitanie, général,
Monsieur le directeur départemental de l'office national des combattants et des victimes de guerres,
Mesdames et messieurs les présidents et représentants d'associations patriotiques,
Monsieur Maxime Saint Germes, ancien directeur départemental de l'office national des combattants et des victimes de guerres,
Mesdames et messieurs, en vos rangs, grades et qualités,
Mesdames et messieurs les anciens combattants, porte-drapeaux et membres de la Fédération Nationale des Anciens Combattants en Algérie, Maroc et Tunisie (FNACA),
Monsieur le Président, Cher Guy Darmanin,
Aujourd'hui est un moment de reconnaissance et de gratitude. Nous sommes réunis pour distinguer les mérites particulièrement éminents de Guy Darmanin au service de la République et pour rappeler, à travers le récit de sa vie, les valeurs qui sont chères à notre Nation.
Cher Guy Darmanin, se préparer à évoquer votre vie, en tracer les lignes directrices, c'est se retrouver en prise directe avec un événement qui marqua si profondément et durablement l'histoire de notre pays au XXe siècle : la guerre d'Algérie, qui changea à tout jamais votre vie, comme elle changea celle de tant d'autres de vos camarades.
Pour la Nation dont je me fais la porte-parole, cette décoration est l'expression d'une profonde reconnaissance car nous, ici réunis, savons que la vie de centaines de milliers de vos camarades, que notre mémoire collective, qu'en un mot la République n'auraient pas été tout- à-fait les mêmes si votre existence, votre engagement, votre travail inlassable n'avaient pas contribué à leur donner une certaine forme et une certaine direction.
Vous naissez le 17 mars 1940 à Béja, au Nord-Ouest de la Tunisie, non loin, déjà, des terres algériennes auxquelles votre vie allait rester si étroitement et tragiquement liée. Comme un présage du destin.
Appelé sous les drapeaux en mai 1960 dans les transmissions, vous effectuerez vos deux ans de service, et partirez en Algérie du 6 septembre 1961 au 31 mai 1962.
Comme les appelés évoqués par Laurent Mauvignier dans son beau roman Des hommes, dont " toute la vie fut perforée de ce coup de sirène qui annonçait le départ " vers l'Algérie, on peut dire, je crois, que votre vie fut percutée par ce conflit, si fortement que sa trajectoire s'en trouva à tout jamais changée.
Vous étiez partis, avez-vous raconté ensuite, pour mener des opérations de « maintien de l'ordre » dans un département français.
Vous avez rencontré une guerre âpre, acharnée, dans laquelle 30 000 soldats sont morts, des soldats qui pour la plupart n'avaient pas 20 ans. Des inconnus, des amis ; vos camarades.
Il y avait parmi eux des combattants épris de valeurs militaires, des pacifistes pétris d'idéalisme après le traumatisme à peine dépassé de la guerre précédente, des engagés d'Indochine, des adolescents tout juste sortis de l'enfance qui rêvaient encore de vivre la vie qu'ils avaient imaginée, des Français ordinaires qui étaient là, simplement là, parce qu'ils étaient Français, parce qu'ils étaient de la classe, parce qu'on les avait envoyés pour rétablir l'ordre dans les douars.
A leurs côtés, vous avez pris part aux combats. À quelques jours du cessez-le-feu, vous êtes durement marqué par la mort d'un de vos frères d'armes. Libéré de vos obligations militaires le 2 juillet 1962, vous partagez le sort singulier de tous ceux qui regagnent alors leur foyer.
Le moment du retour venu, il n'y eut pour vous accueillir, pour accueillir nos soldats, nos appelés, vos camarades, ni défilé, comme ceux qui avaient célébré le retour des combattants de la première puis de la deuxième génération du feu, ni cérémonie collective.
À l'obéissance fidèle à l'appel du devoir, au sacrifice consenti, répondit le silence.
Ils avaient 20 ans, et à la joie de retrouver une fiancée ou une épouse, une sœur ou un frère, une mère ou un père se conjugua la difficulté de raconter ce qu'ils avaient vécu, à la difficulté d'être entendus. Témoigner. Car comment dire et faire entendre les vérités sur une guerre qui pendant trop longtemps s'est dérobée à sa véritable définition ?
Comment partager l'expérience singulière de l'ultime engagement du contingent, quand ces jeunes appelés ne pouvaient évoquer la guerre, quand le retour dans les foyers ne fut pas accompagné d'une
reconnaissance collective. Quand, comme pour les blessés, ils furent rapatriés dans l'ombre pour ne pas inquiéter l'opinion publique, dans des conditions trop souvent indignes des dangers auxquels ils avaient été exposés, des sacrifices qu'ils avaient consentis. Quand ils savaient que les cercueils de leurs camarades morts pour la France avaient été débarqués dans la nuit et le silence.
Ils sont rentrés d'une guerre dont on avait trop vite voulu tourner la page dans l'espérance collective d'une société promise aux progrès étourdissants des Trente Glorieuses.
Pour cette génération, il a fallu après la guerre travailler pour rétablir les conditions de la reconnaissance de la Nation. Elles passaient par les mots : appeler guerre ces opérations. Par les droits : se voir reconnaître la qualité de combattants. Par les cérémonies : établir officiellement une date qui rassemble le souvenir des combattants d'Afrique du Nord.
Ces combats, Guy Darmanin, vous les avez menés sans relâche, et nous pouvons le dire aujourd'hui : vous les avez gagnés.
Dès 1967, vous franchissez la porte à Fronton des réunions d'information d'anciens combattants, et acceptez d'occuper la responsabilité de secrétaire. C'est alors que vous rencontrez la FNACA, ou plutôt, devrait-on dire, c'est alors que la FNACA rencontre Guy Darmanin…
En réalité, vous êtes d'une génération qui a dû se battre deux fois : contre l'adversaire, par les armes, puis contre l'oubli, dans cette deuxième guerre qui allait durer des dizaines d'années, il fallait un homme capable d'affronter des campagnes rudes, sans faiblir, sans jamais désespérer.
Il fallait quelqu'un qui soit à la fois général et soldat du rang : vous avez été cet homme-là. Des plus doués, des plus engagés.
Non content de faire prospérer vos talents dans l'administration des postes et télécommunications puis à France Télécom, où vous avez connu une carrière couronnée de réussite, vous les avez mis au service de vos camarades.
Vous ne le saviez pas alors, sans doute, mais vous aviez en vous les ressources d'un destin politique d'envergure, si vous l'aviez voulu.
Des ressources de charisme, d'énergie, de négociation et de rapport de force, aussi, quand il le fallait pour faire avancer votre cause.
Je peux le dire sans faux-semblant, cher Guy : vous êtes un homme puissant et inspirant.
Mais vous n'avez pas voulu chercher d'autre suffrage que celui de vos camarades, vous n'avez pas souhaité d'autres honneurs que celui de servir parmi eux, en particulier, les plus déshérités, les plus fragilisés, les oubliés.
D'emblée, vous êtes marqué par l'ampleur des dommages causés par la guerre auprès des jeunes de votre classe d'âge, tant par les blessures physiques que psychiques et sociales.
Vous avez vu défiler un cortège interminable de 250 000 malades ou blessés, certains marqués à vie. Des garçons, comme vous l'avez dit, parfois contraints de commettre des actes qui leur avaient fait perdre la raison.
De ça, on ne parlait pas. Ni de ceux enfermés dans les asiles psychiatriques, comme à l'hôpital Marchant de Toulouse.
Quand tout le monde autour d'eux n'aspirait qu'à les laisser dans cette ombre, vous ne les avez pas oubliés.
Il n'y a que les ignorants, les historiens amateurs les plus crédules, pour croire que l'on peut établir une hiérarchie parmi les générations du feu.
Les conflits changent de physionomie, et l'on peut espérer ne jamais refaire la Grande guerre, avec l'effroyable démonstration de mort industrielle qui l'accompagna. Cela ne veut pas dire que les appelés d'Algérie eurent à livrer un combat moins dur, ni que le traumatisme qu'ils emportèrent pour le reste de leurs jours fut moins lourd parce qu'il ne charriait pas les mêmes images de tranchées et de masques à gaz.
C'est pourquoi il est si important de commémorer le 11 novembre le sacrifice commun de tous nos soldats morts pour la France.
Et c'est pourquoi il est si important de commémorer les morts d'Afrique du Nord. Vous qui aviez connu directement la période du cessez-le-feu, son attente et ses contradictions, vous avez œuvré à la reconnaissance officielle du 19 mars 1962 comme Journée nationale du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires.
Vous saviez que pour les centaines de milliers d'appelés et d'engagés qui s'étaient succédés sur les rives sud de la Méditerranée, dans les montagnes de Kabylie, dans les gorges des oueds, pour ceux qui s'y trouvaient encore, le 19 mars fut d'abord un soulagement, l'espoir que les balles cesseraient de siffler.
Dans vos différentes responsabilités, vous avez toujours défendu les droits matériels et moraux des anciens combattants, et ainsi permis l'obtention de la reconnaissance de la qualité de combattant et l'attribution de la carte du combattant aux anciens d'Afrique du Nord, ainsi que la reconnaissance officielle de cette guerre qui était longtemps restée sans nom.
Ces combats, vous les avez menés sans jamais vous départir ni de votre ancrage territorial, ni de votre attachement aux plus humbles.
Vous n'êtes pas de ceux que l'air parisien a vite fait de griser, qui sitôt parvenus à quelque fonction d'importance, plus ou moins relative, ne pensent plus qu'à courir les salons dorés et les honneurs.
Non, vous êtes resté fidèle à chacun des comités, aimant plus que tout vous rendre au pied des monuments aux morts des plus petits villages, pour rencontrer ceux qui restent, ceux qui seront toujours vos camarades, les écouter, les informer de leurs droits.
Il y a toujours les retrouvailles entre frères d'armes, évidemment, autour d'un repas ; mais aussi les actions sociales via la caisse de solidarité et l'intervention de l'ONaCVG en matière de frais d'obsèques et d'aides aux difficultés financières de certaines familles, la sensibilisation inlassable aux dispositifs existants.
Pour vous, la FNACA ce sont d'abord des hommes, mais aussi des femmes (et je pense particulièrement aux veuves isolées), partout en France, notamment dans les zones rurales, qui ont parfois tout perdu, et pour lesquels l'allocation de reconnaissance peut être un enjeu vital.
Vous évoquiez ainsi avec émotion cet ancien combattant de 80 ans, isolé, qui avait appris qu'il avait droit à la carte du combattant et par voie de conséquence à la retraite du combattant qu'il aurait pu demander dès l'âge de 65 ans. Même une fois les droits acquis, ce combat-là n'est jamais fini.
Attachement à un territoire, enfin, dans cette magnifique région d'Occitanie qui m'est chère également : vous avez célébré il y a 4 ans votre 40e anniversaire à la tête de la FNACA de Haute-Garonne. Je crois même savoir que vous êtes président du comité cantonal de la FNACA de Fronton depuis 1972 !
Vous avez œuvré à l'érection du Mémorial destiné à perpétuer le souvenir des 195 militaires Hauts-Garonnais morts pour la France en Afrique du Nord, et vous témoignez dans les collèges et lycées du département depuis de nombreuses années.
Depuis 2011, à la tête de la plus grande fédération d'anciens combattants en France avec ses 345 000 adhérents, vous avez accompli un travail immense au service de la mémoire des combattants d'Afrique du Nord.
Je sais que vous êtes mû par le souci de projeter cette mémoire vers l'avenir également, dans le cadre des réflexions en cours, notamment en permettant désormais l'adhésion des descendants de ces combattants, pour perpétuer la mémoire et ne laisser personne réinventer l'Histoire.
Cher Guy Darmanin, personne ne peut aujourd'hui nier qu'au-delà même de votre devoir, accompli au prix de sacrifices qui ne laissent pas indemne un homme, vous avez consacré votre vie au service de vos camarades et, en cela, mérité la reconnaissance sincère de la République.
Je vais donc m'arrêter là et, pour prolonger mes propos, vous remettre cette décoration.
Guy Darmanin, au nom du Président de la République, et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons commandeur dans l'Ordre national du Mérite.
Source https://www.defense.gouv.fr, le 9 septembre 2025