Déclaration de M. Emmanuel Macron, président de la République, sur les relations franco-allemandes et la construction européenne, à Sarrebruck le 3 octobre 2025.

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Circonstance : Déplacement à Sarrebruck pour la journée de l'unité allemande ; Remise du titre de Docteur Honoris Causa au président de la République

Texte intégral

Monsieur le Président — je répondrai tout à l'heure à Madame la Présidente du Bundestag —
Monsieur le Chancelier, cher Friedrich,
Madame la Présidente du Bundestag,
Monsieur le Recteur de l'Université de la Sarre,
Madame la Professeure,
Monsieur le Doyen de la Faculté,
Mesdames et Messieurs, en vos grades et qualités,
Chers amis,

C'est une immense fierté et un très grand honneur d'être parmi vous aujourd'hui, d'abord pour cette journée si importante — et nous y reviendrons tout à l'heure — mais aussi pour ce moment et ce doctorat honoris causa de l'Université de la Sarre. C'est une distinction qui me touche beaucoup, d'autant qu'elle émane d'une institution qui incarne, si je puis dire, depuis sa création, l'esprit de réconciliation et de coopération qui unit nos deux nations. Une université qui n'est pas un lieu comme les autres. L'Université de la Sarre, en effet, n'est pas une université comme les autres. Elle nous est chère, à nous Français, car son histoire en fait la sœur de l'Université de Nancy, sous l'égide de laquelle elle a été fondée en 1948. Votre université est née de l'histoire mouvementée de nos relations intellectuelles, sociales, politiques. Mais elle a incarné dès l'origine la promesse d'un avenir commun.

Avec ses projets de recherche franco-allemands, ses cursus binationaux, elle s'inscrit parfaitement, et vous l'avez rappelé, dans cette Europe dans laquelle nous croyons, ce réseau soutenu par l'Université franco-allemande, cette institution unique au monde qui initie, renouvelle et coordonne depuis 25 ans de multiples formats de coopération universitaire entre nos deux pays. La Sarre a compris qu'elle pouvait être — et qu'au fond son destin était d'être — ce trait d'union entre nos systèmes d'éducation, nos écosystèmes d'innovation français et allemand, au fond, entre la France et l'Allemagne.

L'histoire du XXe siècle de la Sarre fut mouvementée, elle aussi. Oserais-je rappeler qu'il y a eu un franc sarrois, il y a même eu, quelques années durant, une Miss France sarroise           ? Nous avons décidé, retour de l'histoire, de choisir même un gouverneur de la Banque de France enraciné en Sarre maintenant. En tout cas, c'est la force de la Sarre d'être enracinée dans ce passé, mais projetée vers l'avenir. Et vous l'avez rappelé, votre Stratégie France, qui fait de la coopération entre la Sarre et la France une priorité dans l'éducation, la recherche, l'économie, est un exemple unique en son genre en Allemagne, qui montre à quel point nos territoires frontaliers peuvent être gagnants d'une intégration plus poussée.

Je veux saluer ici le caractère précurseur de la Sarre, qui a choisi de jouer l'atout de la francophonie, prenant de vitesse notre relation bilatérale avec l'intégration de votre Land comme membre fondateur et observateur de l'OIF en 2024. Je voudrais ici remercier, parmi toutes les présentes et tous les présents, toutes les institutions actives en faveur de la francophonie, ainsi que les représentants du Lycée franco-allemand et du Club des Affaires Saar-Lorraine. Tous ceux sur qui vous pouvez aussi vous appuyer fidèlement, je le sais, ces grands piliers du lien franco-allemand dont le siège se trouve dans la Sarre : ProTandem, l'Office franco-allemand dédié aux mobilités des apprentis, qui a déjà accompagné 100 000 jeunes depuis 1980 dans 50 métiers ; l'OFAJ, l'Office franco-allemand de la jeunesse ; la Chambre de commerce et d'industrie France-Allemagne, dirigée par Monsieur Frédéric Berner, que je salue parmi nous, et qui a accompagné l'implantation de 1 600 entreprises françaises de ce côté du Rhin ; et tous les élus, de part et d'autre du Rhin, ainsi que les services de nos États qui sont porteurs de cette relation transfrontalière de chaque jour. Et je veux les en remercier solennellement.

Nous aurons besoin de toutes vos forces pour ce nouveau chapitre de la relation bilatérale que nous ouvrons cette année. En effet, avec le Chancelier Merz, nous avons co-présidé le 25? Conseil des ministres franco-allemand à Toulon, le 29 août dernier, consolidant notre coopération dans plusieurs domaines, dont les technologies de pointe, l'innovation de rupture en matière d'espace, d'intelligence artificielle, de calcul de haute performance, de cloud, de semi-conducteurs, et j'en passe, capitalisant ainsi sur tout ce que nous avions bâti lors de la visite d'État que nous avons eu l'honneur, avec mon épouse, d'effectuer il y a quelques mois parmi vous, à l'invitation de Monsieur le Président, cher Franck.

Pour réussir ce virage du XXIe siècle, ce sont les racines de cette coopération transfrontalière qui sont importantes, celles de la proximité, de la confiance. Je pourrais citer parmi d'autres les domaines de la cybersécurité, de l'intelligence artificielle, qui lient aussi la Sarre à notre pays. La Sarre, pôle d'excellence scientifique, avec ses instituts de recherche, ses clusters d'innovation, aura un rôle crucial à jouer dans la formation et la coopération scientifique. C'est toute l'ambition de l'incubateur Startup The Bridge, créé récemment au sein de votre université. Faire émerger des jeunes entreprises issues de notre recherche universitaire conjointe, c'est aussi le sens des coopérations entre nos instituts nationaux de recherche en intelligence artificielle, l'INRIA et le DFKI — dont l'un des sites est ici à Sarrebruck — ou bien entre l'INRIA et le CESPA, centre d'excellence en cybersécurité, lui aussi situé sur le campus.

En unissant les esprits, en coordonnant les actions, en joignant les projets, vous bâtissez l'Europe jour après jour. Et je vous le dis ici avec beaucoup de force : vous êtes des acteurs essentiels de ce projet que nous portons entre la France et l'Allemagne, avec tous nos partenaires européens. Et vous l'êtes aujourd'hui peut-être plus encore qu'hier. Parce que dans un monde où la liberté académique est mise à l'épreuve, où des chercheurs et des chercheuses sont persécutés pour leurs idées, où des programmes de recherche sont fermés à cause des mots qu'ils contiennent, où des étudiantes et des étudiants sont bridés, nous réaffirmons ici avec force que la liberté de savoir, de penser, est une condition de notre avenir.

Votre premier recteur, qui a été cité ici à plusieurs reprises, Jean Barriol, voyait à raison votre université de Sarrebruck comme l'instrument d'une pensée européenne. Il faut bien une pensée, et pas seulement des contrats, pour unir nos peuples. Une pensée, et des femmes et des hommes qui se lient dans une communauté de destin et de savoir. Vous avez rappelé, Madame la Professeure, que j'évoquais à quelques reprises Madame de Staël. J'ai retrouvé un passage plus précis de De l'Allemagne où elle dit quelque chose qui, je trouve, s'adapte parfaitement à votre université : " Il faut se mesurer aux idées en allemand et avec les personnes en français. Il faut creuser à l'aide de l'allemand, et il faut arriver au but en parlant français. L'un doit peindre la nature et l'autre, la société. " Fin de citation.

Je vous laisse apprécier si ces caractérisations sont justes, mais elles montrent la force de penser, de parler, d'agir dans ces deux langues, la force de ce que vous représentez et du fait qu'au fond, de manière native, l'Université de la Sarre est cette Europe de l'éducation qui se vivifie par les esprits. Et en effet, nous avons su créer ensemble, ces dernières années, ces alliances d'universités européennes qui sont une force. Mais l'Université de la Sarre en est, en quelque sorte, la synthèse.

Il faut pour cela de nouvelles générations de citoyens européens, ceux qui porteront plus loin encore notre relation privilégiée au service d'une Europe forte, unie et souveraine. C'est pourquoi, c'est avec beaucoup d'honneur, d'humilité aussi, conscient de tout ce que cela représente, que je reçois cette distinction aujourd'hui, avec beaucoup de reconnaissance à votre égard, à l'égard de vos représentants fédéraux, des représentants de la Sarre ici présents et de toute la communauté universitaire, mais aussi de toutes celles et ceux qui font vivre la relation bilatérale.

C'est celle qui a bâti cette Europe des Lumières, celle d'un Kant lisant Rousseau, d'un Voltaire discutant avec Frédéric II. Au fond, votre université rappelle à l'Europe tout entière que son avenir se construit dans les écoles, les bibliothèques, les amphithéâtres et les laboratoires, partout où l'esprit libre se côtoie et discute, dans la controverse respectueuse, dans l'amour du savoir, dans la volonté de construire des connaissances nouvelles.

Je vous remercie infiniment pour cela.