Texte intégral
Madame la sénatrice,
Monsieur le préfet,
Monsieur le maire,
Monsieur le président du Conseil départemental de l'Eure,
Mesdames et Messieurs les conseillers régionaux et départementaux,
Monsieur l'inspecteur général des armées - Gendarmerie,
Officiers généraux, officiers, sous-officiers et militaires du rang, d'active et de réserve,
Mesdames et Messieurs les Anciens combattants et porte-drapeaux,
Mesdames et Messieurs les décorés,
Chères Vernonnaises, chers Vernonnais,
À 11h, le 11 novembre 1918, cette longue nuit que l'on a appelée "la Grande Guerre" prenait fin, c'est l'armistice !
À Vernon, les cloches de la Collégiale sonnent. On se rassemble dans les rues et sur les places. On brandit des drapeaux tricolores, on chante La Marseillaise, on s'embrasse.
Bientôt, les soldats belges stationnés à Port-Villez se joignent à la foule en liesse. Les plus jeunes n'ont jamais vu pareilles fêtes.
La vie, enfin, reprenait ses droits, ici, à Vernon, et partout en France.
Hélas, les larmes qui coulaient ce jour-là sur le visage de beaucoup de femmes et d'hommes étaient mêlées de tristesse autant que de joie. Tant de fils, comme ce jeune dormeur du Val, étaient morts et ne reviendraient pas. Tant de pères, de frères et de jeunes fiancés.
10 millions de vies furent arrachées à leur pays et à leur famille. Des millions de blessés rentrèrent le corps et l'âme meurtri à jamais. Des gueules cassées, des sourds, des aveugles et tant de muets, muets devant l'inhumanité.
Après la fureur des premières offensives, ce fut l'horreur des tranchées. Les nuits sans sommeil, le froid et la faim, le sang mêlé à la boue, la puanteur et la saleté, les rats.
À l'été 1914, pourtant, ils étaient partis enthousiastes au combat. La victoire était sûre, la guerre serait courte. On reviendrait bien vite finir la moisson dans les champs et le travail dans les ateliers. On rentrerait bientôt embrasser les siens.
À Vernon, les soldats mobilisés défilaient par milliers, drus comme les blés, avant de rejoindre le front, avant d'être fauchés par la guerre.
Comme ce jeune Léon VARDON, natif de Saint-Just, tué à l'ennemi le 21 août 1914 à Pont-de-Loup, en Belgique, à l'âge de 22 ans. Il fut le premier Vernonnais à mourir au combat.
Comme ses deux frères, les lieutenants Georges et Henri BABÉ, tués à deux jours d'intervalle, les 4 et 6 mai 1917, à Craonne, dans l'Aisne, à l'âge de 25 et 27 ans.
Et comme tant d'autres enfants de Vernon et des villages alentours, ils étaient 292 et ils ne sont pas morts pour rien.
Chaque année, nous nous rassemblons ici, Place de la République, pour leur rendre hommage au pied de ce monument sur lequel campe un poilu, le fusil croisé devant sa poitrine, comme pour barrer la route à l'ennemi.
Au pied de ce monument, où sont gravées les campagnes de la Somme, de la Marne, de l'Artois et de Verdun, Verdun, la porte de France, où, grâce à l'héroïsme de nos soldats, "l'ennemi ne passera jamais" pour reprendre les paroles du célèbre chant de 1916.
Chaque année, nous rendons hommage à l'esprit de sacrifice dans une lettre à ses parents, le 1er juin 1915, le sergent et futur grand historien Marc BLOCH écrit : "J'ai fait le sacrifice de moi-même, c'est la plus belle des fins".
Qu'est-ce qui pousse un homme ou une femme à s'engager jusqu'au sacrifice suprême ? Un idéal, celui de la liberté, l'amour de son pays, qui n'est pas autre chose que l'amour des siens, mais aussi, sans doute, l'attachement profond, charnel, à une vie simple, paisible, humaine.
C'est pour cette vie-là que les jeunes d'à peine 20 ans se sont battus.
Et ils ne sont pas morts pour rien.
Vernon est une commune de France dans l'épreuve de la guerre. Une petite ville d'alors d'un peu plus de 8 000 habitants, avec ses commerces, ses tanneries, ses boucheries, ses fermes, ses écoles et ses hôpitaux, avec son maire, Émile STEINER, issu d'une famille alsacienne qui, en 1871, avait fait le choix de la France, une ville mobilisée qui a formé, soigné et approvisionné des dizaines de milliers de militaires durant les 4 années de la guerre.
Car si sur le front les lignes se sont très vite figées, la vie à l'arrière était en mouvement et n'a jamais cessé de l'être. Une vie faite de travail, d'efforts, de tickets de rationnement, d'angoisse aussi, pour des mères sans nouvelles ou si peu de leurs fils partis à la guerre.
Les femmes remplacent les hommes à l'usine et au champ. Les enfants sont adultes avant même d'être devenus adolescents. Chacun est à la tâche. Et c'est ainsi, grâce à la mobilisation de tous, que le cœur de notre pays a continué de battre au moment où la France, elle, perdait son sang.
Malgré son éloignement du front, la Normandie ne fut pas épargnée, ni par les raids aériens sur Orwan, ni par les incursions de sous-marins allemands devant le Havre. Il fallait briser le moral des Français et freiner l'avancée des renforts britanniques. Même la commune de Vernon fut bombardée dans la nuit du 14 au 15 août 1918.
Une Normandie meurtrie donc, mais une Normandie héroïque. En pleine bataille du Mont Kemmel, à quelques mois de la victoire, le général FOCH s'exclamera : "Je suis tranquille", dit-il, "les Normands sont là et ils ne sont pas morts pour rien".
Toutes celles et ceux qui se sont battus et sont tombés au champ d'honneur nous laissent des braises ardentes, celles de la mémoire et du souvenir.
Nous savons désormais le prix de la paix, et l'histoire sans cesse nous le rappelle, du second conflit mondial à la guerre sur le sol ukrainien, où des obus et des tranchées forment encore des trous et des crevasses qui ressemblent à des plaies.
La première génération du feu donna naissance à de nouvelles solidarités au sein des associations d'anciens combattants, avec le soutien du Bleuet de France, qui célèbre cette année son centième anniversaire.
Après ceux de 14, il y eut ceux de Bir Hakeim et des plages du débarquement, ceux d'Indochine, d'Algérie, d'Afghanistan, ceux des Balkans, du Sahel, et tous ceux et celles qui luttent dans l'ombre contre le terrorisme qui a durement frappé notre pays il y a 10 ans.
En ce 11 novembre, la nation honore tous les morts pour la France, et cet hommage porte en lui une double exigence, celle de la fidélité et celle de l'engagement.
Issus de la Gendarmerie nationale, de l'armée de l'Air et de l'Espace, et notamment de la base aérienne 105 d'Évreux, vous en êtes, mesdames et messieurs les décorés et récipiendaires, les dignes représentants, soyez-en chaleureusement félicités.
Dans un contexte inédit, marqué par le retour de la guerre en Europe, le durcissement du monde et l'accélération des transformations technologiques, défendre la paix, c'est être prêt, toujours prêt.
Grâce à ses armées, la France est prête à défendre ses valeurs et ses intérêts partout dans le monde, sur terre, en mer et dans les airs, mais aussi dans les nouveaux champs de conflictualité, l'espace, le cyber, les fonds marins, avec courage et dévouement. Nos militaires prennent tous les risques pour répondre aux missions qui lui sont confiées et qui leur sont confiées demain par le chef des Armées, toujours au péril de leur vie.
J'ai une pensée pour le caporal Jimmy GOSSELIN, du 7e bataillon de chasseurs alpins, mort en Guyane, il y a quelques jours, le 3 novembre dernier, et pour tous nos soldats morts en opération ou en exercice ces dernières années. J'ai notamment une pensée émue pour la maréchale des logis chefs Fany CLAUDIN, morte pour la France et pour la paix, le 15 novembre de l'année dernière au Liban.
Ils ne sont pas morts pour rien.
C'est à nous tous qu'il revient aujourd'hui de continuer à bâtir cette paix.
Par le dialogue, la diplomatie, par l'amitié entre les peuples, mais aussi, et peut-être avant tout, par l'éducation. Et je le dis aux enfants qui sont ici, cette paix, elle s'apprend sur les bancs de votre école, elle s'écrit dans vos cahiers d'écoliers et elle se vit toujours dans le respect.
Il faudra demain que cette mémoire combattante s'invite de plus en plus dans la vie de l'école de la République et j'ai demandé au ministre de l'Éducation nationale de faire des propositions dans les tout prochains jours.
Mesdames et messieurs, ce matin, sous l'Arc de triomphe, comme tous les jours depuis un siècle, la flamme du soldat inconnu a été ravivée. Elle ne s'éteindra pas.
Les héros de Verdun et de l'Armistice ne sont plus parmi nous, mais ils restent présents dans nos mémoires et continuent à parler à notre conscience.
Ils nous commandent de ne pas vivre à notre tour pour rien.
Vive la mémoire de nos morts,
vive la République
et vive la France !
Source https://www.info.gouv.fr, le 17 novembre 2025