Interview de Mme Annie Genevard, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la souveraineté alimentaire, à France Inter le 20 novembre 2025, sur l'accord avec le Mercosur, la loi Duplomb, le déficit commercial et le débat budgétaire.

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Média : France Inter

Texte intégral

ANNIE GENEVARD
Bonjour.

BENJAMIN DUHAMEL
Bonjour.

FLORENCE PARACUELLOS
On est de nouveau dans un moment de de grande tension du monde agricole. Les manifestants reprennent, hier encore, à Arras, en marge du visite d'Emmanuel MACRON. Les agriculteurs refusent absolument l'accord que l'Europe veut conclure avec les pays d'Amérique latine du Mercosur. Vous, madame la ministre, continuez à dire que cet accord est inacceptable en l'état, malgré ce qui ressemble à des hésitations du Président de la République, eh bien, que la France n'ait pas les moyens de le bloquer, cet accord, face à une majorité d'états européens qui sont pour, et à la commission de Bruxelles, qui veut signer avant le 20 novembre. Alors, la question est simple, madame la ministre : ils ont raison d'être inquiets, les agriculteurs ?

ANNIE GENEVARD
Bien sûr qu'ils ont raison d'être inquiets. Cet accord n'est pas acceptable, nous l'avons dit clairement. Et la France parle d'une seule voix en la matière. En l'état, il n'est pas acceptable en raison des risques sanitaires, des risques économiques qu'il fait peser sur des filières qui sont pour nous stratégiques : le boeuf, la volaille, le sucre, l'éthanol. Donc, si, effectivement, cet accord peut être conclu en l'état, ce serait très mauvais, très préjudiciable à notre agriculture.

BENJAMIN DUHAMEL
On va détailler, Annie GENEVARD, ce qu'il y a dans ce Mercosur, ce que la France pousse aussi pour tenter d'amodier les effets négatifs. Simplement, et je suis frappé par le début de votre réponse, vous dites : " On a toujours dit les choses de façon clair ". Le 6 novembre dernier, Emmanuel MACRON, qui, en déplacement au Brésil, se dit plutôt positif quant à la ratification par la France de l'accord. En février 2024, donc, il y a plus d'un, il disait : " C'est un mauvais texte tel qu'il a été signé. Et donc, on fera tout pour ne suivre pas son chemin ". Et à Toulouse, il y a une semaine, il promet un non très ferme. Donc, quelques jours après avoir dit que c'était plutôt positif. Moi, je ne trouve pas ça très clair comme position du Gouvernement et de l'exécutif sur le Mercosur.

ANNIE GENEVARD
J'étais présente à l'entretien qu'il a eu avec les agriculteurs à Toulouse. Et son propos a été très clair : la France n'accepte pas ce projet d'accord en l'état, parce qu'il est très préjudiciable au monde agricole.

BENJAMIN DUHAMEL
Et pourquoi le 6 novembre, il se dit plutôt positif quant à la ratification du traité par la France ?

ANNIE GENEVARD
Mais écoutez. On a... Je ne suis pas là pour faire l'exégèse des propos du Président de la République.

BENJAMIN DUHAMEL
Donc, vous n'avez pas compris quand il a dit ça ?

ANNIE GENEVARD
Ce que j'entends, et constamment dans la voix de la France, qu'elle s'exprime par le Président de la République, le Premier ministre, ou le Gouvernement, c'est que ce projet, en l'état, n'est pas acceptable. Ursula VON DER LEYEN l'a signé il y a un an.

BENJAMIN DUHAMEL
C'est la Présidente de la Commission européenne.

ANNIE GENEVARD
Sur la forme et sur le fond, il n'est pas acceptable. Et nous avons, depuis un an, travaillé à constituer une minorité de blocage. Elle n'est pas certaine. Et dans l'hypothèse où nous ne l'atteindrions pas, il nous faut absolument corriger les effets négatifs de ce projet d'accord.

BENJAMIN DUHAMEL
Juste sur la minorité de blocage. Vous, vous maniez l'euphémisme quand vous dites : " Elle n'est pas certaine ". Il n'y a pas de minorité de blocage aujourd'hui des pays dont vous espériez un changement de pied, notamment l'Italie. Cette minorité de blocage, elle n'existe pas. Ça veut donc dire pour ceux qui nous écoutent ce matin que, quand bien même à la fin, vous voudriez vous aider à la ratification de ce traité, vous n'en avez pas les moyens.

ANNIE GENEVARD
Alors, d'une part, la France n'est pas isolée. La Pologne, la Hongrie, l'Autriche, la Belgique, probablement l'Irlande.

BENJAMIN DUHAMEL
Mais ça ne suffit pas ?

ANNIE GENEVARD
Il y a un certain nombre de pays. Mais dans l'hypothèse où cet accord ne serait pas bloqué par une minorité, eh bien, il nous faut absolument peser pour imposer les règles que nous voulons voir appliquées pour protéger les agriculteurs.

FLORENCE PARACUELLOS
Alors, on y vient. Hier, il y a eu une première série de mesures de sauvegardes, qui ont été adoptés par les États membres pour tenter de séduire la France. C'est-à-dire que, sur un nombre de filières sensibles, la viande bovine, la volaille, les oeufs, on va pouvoir refermer les marchés s'il y a de trop grosses tensions. Ce n'est pas suffisant, ça, comme protection, Annie GENEVARD ?

ANNIE GENEVARD
Nous, nous avons demandé à la Commission européenne des précisions sur les conditions d'application de cette clause de sauvegarde. C'est un avancé non négligeable, je tiens à dire. Elle vise à protéger économiquement nos filières, parce que si nous ne sommes pas hostiles, par principe, aux accords de libre-échange... Le commerce est ouvert, on exporte, on importe, même si, on y reviendra peut-être au cours de l'entretien, en matière d'excédent commercial, la France est dans une situation extrêmement périlleuse. Là, c'est la…

FLORENCE PARACUELLOS
Oui, oui, on va y venir.

ANNIE GENEVARD
Il nous faut quand même pouvoir mettre des freins d'urgence si jamais, il y a une déstabilisation trop forte.

BENJAMIN DUHAMEL
Et vous considérez que ça, c'est en bonne voie ? Est-ce que vous êtes relativement optimiste sur le fait d'obtenir ces freins-là, ces mesures de sauvegarde, ce qu'on appelle des clauses miroirs ?

ANNIE GENEVARD
Je pense... Alors, ce n'est pas la même chose. Je pense que sur la clause de sauvegarde, elle semble être en bonne voie d'être adopté, mais nous demandons encore des précisions sur les conditions de son application.

FLORENCE PARACUELLOS
Et ce n'est pas suffisant, on imagine ?

ANNIE GENEVARD
Ce n'est absolument pas suffisant. Et vous évoquiez les mesures miroirs. Il y a une chose que les Français ne peuvent pas comprendre, ne peuvent admettre, et singulièrement les agriculteurs, c'est que les importations s'affranchissent des règles qu'on leur impose à eux-mêmes : en matière d'utilisation de produits phytosanitaires, de médicaments, notamment antibiotiques de croissance. C'est interdit sur le sol de l'Union Européenne, à juste titre, comment admettre ? Comment l'agriculteur peut-il admettre ? C'est injuste pour lui d'imaginer des règles différentes pour les importations. Et c'est inacceptable pour le consommateur aussi.

BENJAMIN DUHAMEL
Mais si on reste sur ce point précis, Annie GENEVARD, quand bien même vous réussiriez à tenir ces mesures de sauvegarde, cette assurance qu'on ne peut pas utiliser dans ce qu'on importe, des produits qui sont interdits sur le sol européen. Vous faites confiance aux contrôles ? On pourrait aller regarder derrière chaque stock, chaque morceau de viande, qu'il n'y a pas d'utilisation d'hormones, qu'il n'y a pas d'utilisation antibiotique ? C'est vraiment possible, ça ?

ANNIE GENEVARD
C'est la troisième condition que nous mettons. Et elle est fondamentale, parce que vous pouvez dicter toutes les règles que vous voulez. Si leur application n'est pas contrôlée, c'est vain. Et donc, la question du contrôle est fondamentale. Contrôle à la fois dans les pays d'émission, dans les pays d'importation, et puis également, contrôle aux frontières de l'Union Européenne, et contrôle en France aussi. Et j'envisage de mettre en oeuvre très rapidement des contrôles puissants, parce qu'il faut aussi fiabiliser et rassurer le consommateur.

BENJAMIN DUHAMEL
Juste, Annie GENEVARD, avant d'entendre un auditeur, quand on vous écoute ce matin, on a le sentiment qu'en fait, vous êtes en train d'habiller un certain nombre de petites victoires que vous allez obtenir, parce qu'il faut s'y faire. Le Mercosur va rentrer en vigueur ?

ANNIE GENEVARD
La question n'est pas tranchée à ce stade. Et la décision n'est pas prise. En tout cas, moi, je continue à dire que si nous n'obtenons pas, alors vous dites des petites victoires, vous savez si on impose les mesures miroirs, la réciprocité des normes, c'est un des points majeurs pour les agriculteurs. Moi, à ce stade, je ne préjuge pas, je ne présume pas de ce que sera la position de la France. Moi, j'ai toujours été extrêmement claire, je suis la ministre de l'Agriculture et des agriculteurs, mon rôle est de les protéger.

FLORENCE PARACUELLOS
Alors, pas de quoi les rassurer, cela dit, pour l'instant. Nous avons Bernard en ligne. Bonjour. Bienvenue Bernard. Vous êtes fils et frère d'agriculteur, c'est ça ?

BERNARD
C'est ça, en Savoie.

FLORENCE PARACUELLOS
En Savoie ?

BERNARD
Oui.

FLORENCE PARACUELLOS
Vous avez une question à poser madame la ministre ?

BERNARD
Voilà. Oui. Bonjour à tous, merci de prendre ma question. Bonjour madame la ministre.

ANNIE GENEVARD
Bonjour Bernard.

BERNARD
Je voudrais vous dire que cet accord est parfaitement scandaleux. Pourquoi est-il scandaleux ? Parce qu'il s'inscrit tout à fait dans la mondialisation qui continue à détruire nos fermes les unes après les autres. On ne cesse de prendre des terrains pour construire. Et moi, ma famille est dans l'agriculture, et j'ai un copain qui est agriculteur, qui a 70 vaches, on se rend compte que plus ils produisent, moins ils gagnent, plus, ils sont asservis par cette mondialisation. Et cette mondialisation, on la connaît dans l'industrie, on la connaît en Chine, vis-à-vis de la Chine, vis-à-vis de l'Inde. Dans notre magnifique pays, pour lequel je suis si attaché, pour lequel je suis si fier, je me rends compte qu'on continue de tout détruire. Moi, j'ai le sentiment qu'il y aurait une volonté pour détruire encore un peu plus notre agriculture. Voilà mon interpellation. Je vous remercie.

FLORENCE PARACUELLOS
Merci Bernard. On entend cette opposition et cette crainte, quant à la mondialisation et à ce futur accord avec les pays d'Amérique latine, du Mercosur. Qu'est-ce que vous avez envie de lui dire, à Bernard ?

ANNIE GENEVARD
Je dis à Bernard que je comprends tout à fait l'interrogation qui est la sienne, sur la place que nous voulons voir conserver à notre agriculture. C'est un des fondamentaux de notre nation. Et l'agriculture, c'est l'activité immémoriale des Hommes. Moi, tout mon combat est de faire en sorte que les agriculteurs soient mieux respectés. Ils travaillent dur, ils gagnent parfois peu. Et ils ont pourtant un rôle absolument fondamental, qui est de nourrir les Français. Et je dis à Bernard que la mondialisation ma comprise, elle est effectivement dangereuse. Elle est nocive à notre agriculture. Mais nous commerçons avec le monde aussi.

BENJAMIN DUHAMEL
Juste, Annie GENEVARD, juste, vous prenez acte que vous ne réussissez pas à les convaincre. Florence parlait en début d'entretien de la protestation des syndicats agricoles, qui menacent de se mobiliser encore davantage. Vous venez d'entendre Bernard, aussi son émotion. Vous ne réussissez pas à les convaincre ?

ANNIE GENEVARD
Alors, sur la question des accords de libre-échange, ça devrait être une source de prospérité pour notre agriculture et notre pays. Pourquoi ça ne l'est pas ? Parce que ces accords de libre-échange, qui peuvent être bons pour l'agriculture, nous exportons beaucoup aussi…

FLORENCE PARACUELLOS
Et qui le sont pour un certain nombre de filières.

ANNIE GENEVARD
Et qui le sont pour un certain nombre de filières, doivent obéir à des critères. Le problème du Mercosur, c'est que c'est un accord qui est mal né. C'est un accord des années 90, à un moment où les conditions étaient totalement différentes. Aujourd'hui, le consommateur veut une alimentation saine, sûre. Et de ce point de vue, l'agriculture française est la plus vertueuse du monde. Et puis, les agriculteurs veulent des accords équilibrés. Quand il n'y a pas de réciprocité dans les exigences que l'on a pour nos agriculteurs français, par rapport aux agriculteurs des pays tiers, c'est une injustice profonde. Et moi, je comprends la colère que Bernard exprime. Vous savez, il n'y a pas un sujet, aujourd'hui, autre que le Mercosur, qui suscite un tel rejet.

BENJAMIN DUHAMEL
Annie GENEVARD, il y a la protestation des syndicats agricoles. On a vu hier un certain nombre de tracteurs, d'agriculteurs, qui étaient là pour accueillir le Président de la République à Arras, et qui espéraient pouvoir échanger avec lui. Est-ce que vous craignez une nouvelle mobilisation d'ampleur, comme celle que l'on a vécue en janvier 2024, où des axes routiers étaient bloqués ? On sait que c'est pour tout Gouvernement de voir une mobilisation des agriculteurs, d'ampleur. Est-ce que c'est ce que vous craignez dans les jours et dans les semaines qui viennent ?

ANNIE GENEVARD
Moi, je crois qu'il faut bien comprendre les ressorts de cette colère. Vous voyez, à Béziers, la semaine dernière, 7 000 viticulteurs se sont réunis paisiblement pour dire leur détresse, parce qu'ils n'arrivent plus à vivre de leur métier. Donc, il faut les entendre. Je les reçois, d'ailleurs régulièrement. Mais surtout, il faut des réponses. Et les réponses, ce sont des allégements de charges, ce sont des aides.

FLORENCE PARACUELLOS
C'est ce que vous avez proposé aux viticulteurs.

ANNIE GENEVARD
La solidarité nationale doit absolument s'exercer à leur endroit. Et c'est de la simplification aussi. Il faut bien comprendre la difficulté, les multiples difficultés dans lesquelles, aujourd'hui, sont nos producteurs. D'abord, on leur conteste le fait de produire la légitimité de produire. Vous voyez, je vais vous donner un exemple. Un poulet consommé sur deux en France n'y est pas produit. Et en même temps, quand un producteur, quand un éleveur veut installer un bâtiment d'élevage, on le lui refuse, parce qu'on ne veut pas voir de bâtiment d'élevage. Et tout est comme ça. Ça n'est plus possible.

FLORENCE PARACUELLOS
Ça, il y a une loi. Une loi a été votée pour l'autoriser, c'est la loi Duplomb.

ANNIE GENEVARD
Pour faciliter effectivement l'installation. On n'arrête pas de dire : " L'élevage, c'est mauvais pour l'environnement. La consommation de viande, c'est mauvais pour la santé ". Enfin, arrêtons ce délire.

BENJAMIN DUHAMEL
Tout le monde ne dit pas ça, Annie GENEVARD. Il y a des débats sur la consommation de la viande et les effets sur la santé.

ANNIE GENEVARD
Je peux vous dire que les agriculteurs le vivent très douloureusement. Ils se sentent remis en cause en permanence.

BENJAMIN DUHAMEL
Annie GENEVARD, un mot sur vos interlocuteurs syndicaux. On parlait de la FNSEA. Il y a aussi la Coordination rurale, ce syndicat qui vient d'élire un nouveau président, Bertrand VENTEAU. Petit florilège de ses propos pour les auditeurs qui ne le connaîtraient pas. Les écologistes qui sont qualifiés de terroristes. Ouvrez les guillemets, les Ecolos, la décroissance veulent nous crever. Nous devons leur faire la peau. Ils parlent des Ecologistes. Est-ce que vous condamnez ces propos ? Est-ce que c'est possible d'avoir un interlocuteur comme celui-là quand on est ministre de l'Agriculture ?

ANNIE GENEVARD
Je condamne la violence de ces propos. Elle est profondément inacceptable. Je dis au nouveau président de la Coordination rurale qu'il faut prendre la mesure de son rôle. Un syndicat, c'est un interlocuteur avec lequel il faut pouvoir travailler à résoudre les problèmes. Ce dont souffre l'agriculture aujourd'hui, et de ce dont souffrent les agriculteurs, c'est de se sentir en permanence remis en cause. Il faut bien comprendre qu'il y a une idéologie décroissante.

BENJAMIN DUHAMEL
Ce qui ne justifie pas ce genre de propos.

ANNIE GENEVARD
Aucunement. Il faut que les agriculteurs puissent être confortés dans leur rôle qui est éminemment utile…

FLORENCE PARACUELLOS
Mais vous la constatez cette radicalisation d'une partie du monde agricole ?

ANNIE GENEVARD
Bien sûr. Cette radicalisation est à l'oeuvre parce qu'il y a une colère profonde, une incompréhension chez les agriculteurs de ce qu'on attend d'eux. On leur donne des injonctions contradictoires. On leur dit qu'il faut produire. Mais la production est mauvaise pour l'environnement. Moi, je pense qu'il faut revenir à la raison.

BENJAMIN DUHAMEL
Mais justifie-t-il… parce que depuis quelques minutes, vous leur dites qu'on leur dit que la viande c'est mauvais pour la santé. " Ils ", c'est qui " ils " ?

ANNIE GENEVARD
Il y a un certain nombre d'ONG. Il y a un certain mouvement d'opinions.

BENJAMIN DUHAMEL
C'est-à-dire ?

ANNIE GENEVARD
Vous voyez bien quels sont les débats aujourd'hui qui sont à l'oeuvre. On veut opposer environnement et agriculture. Je pense que c'est une impasse.

FLORENCE PARACUELLOS
Certains agriculteurs eux-mêmes s'opposent à une partie de la politique du Gouvernement sur l'agriculture. Les agriculteurs ne sont pas tous faits du même bois et pas tous du même avis. Nous avons Florent en ligne qui est agriculteur dans l'Essonne. C'est ça Florent ? Bonjour.

FLORENT, AGRICULTEUR DANS L'ESSONNE
Oui, bonjour.

FLORENCE PARACUELLOS
Bienvenue.

FLORENT
Oui, merci de prendre mon appel. Je voulais déjà remercier la ministre qui disait que justement c'était une menace pour nous de voir ce traité du Mercosur avec la libéralisation de l'agriculture qui poussait vers moins de normes. Je trouvais bien qu'elle reconnaisse ça. Moi, ce qui menace mon métier, c'est justement cette libéralisation et le fait d'avoir moins de normes. Et la loi qu'a portée la ministre l'année dernière, la loi DUPLOMB qui poussait pour moins de normes, qui poussait pour des élevages industriels, pour le gaspillage de l'eau, l'autorisation de certains pesticides interdits. Cette libéralisation, c'est une menace pour moi. Ça va vraiment ajouter des contraintes à mon métier parce que je vais être mis en concurrence avec une agriculture beaucoup plus industrielle. Et ce n'est pas du tout ce que veulent les citoyennes et les citoyens de ce pays. Il y en a 2 millions qui se sont mobilisés pour faire une pétition contre cette loi. Donc moi, je voulais demander à la ministre, qu'est-ce qu'elle fait de ces 2 millions de citoyens qui se sont mobilisés et qu'est-ce qu'elle fait des agriculteurs comme moi qui vont être mis en concurrence avec une agriculture beaucoup moins propre ?

FLORENCE PARACUELLOS
Vous produisez quoi, Florent ?

FLORENT
Moi, je produis des légumes, des fruits et des plantes aromatiques.

FLORENCE PARACUELLOS
D'accord. Et vous êtes en bio, en traditionnel ?

FLORENT
En agriculture biologique.

FLORENCE PARACUELLOS
En agriculture biologique. Merci Florent. Madame la ministre ?

ANNIE GENEVARD
Je ne serais pas la ministre qui oppose les modes d'agriculture entre eux. Je pense que chaque type de production agricole a sa place. Il y a de l'agriculture conventionnelle, raisonnée, biologique. Et tous ces modes de culture sont absolument respectables. Vous voyez, j'évoquais les débats qui courent dans le monde agricole, ce que vient d'exprimer Florent en est l'expression. Et je le regrette parce qu'il y a de la caricature des deux côtés.

BENJAMIN DUHAMEL
Il y a effectivement des propos divers qui sont exprimés. Juste avant de parler de souveraineté alimentaire, un mot sur la loi DUPLOMB. Puisque, rappelons-le, cette loi a été votée. Il y a une pétition qui, effectivement, a été signée par plus de 2 millions de personnes pour s'opposer contre cette loi DUPLOMB. Et notamment pour la réintroduction partielle de ce qu'on appelle l'acétamipride, c'est-à-dire un pesticide néonicotinoïde. Cette réintroduction partielle a été censurée par le Conseil constitutionnel. Est-ce que, comme ministre de l'Agriculture, vous allez remettre à l'agenda cette réintroduction partielle ? Puisque là encore, la censure du Conseil constitutionnel laisse vraisemblablement une porte ouverte à la possibilité de le faire s'il y a une politique. Est-ce que vous allez le faire dans les mois qui viennent ?

ANNIE GENEVARD
Bon, chacun connaît mon opinion. J'ai défendu cette loi qui vise à lever des entraves qui pèsent sur l'agriculture. Je dis une chose, dans le même espace de production qui est l'Union européenne, il faut que les règles soient les mêmes pour tous.

BENJAMIN DUHAMEL
Donc ?

ANNIE GENEVARD
Et aujourd'hui, j'ai confié à l'INRAE, qui est un institut scientifique, la mission de me dire quelles sont les filières qui sont en place de production. On ne peut pas à la fois condamner l'importation de noisettes turques et puis empêcher la production de noisettes françaises.

BENJAMIN DUHAMEL
Donc vous allez redéposer un texte de loi pour réintroduire l'acétamipride ?

ANNIE GENEVARD
Il faudra un moment résoudre cette contradiction et mettre les agriculteurs à égalité de contraintes et de normes par rapport à leurs concurrents européens. On verra la suite de cela. Je ne peux pas, à ce stade, vous le dire. Mais en tout cas, il y a une chose qui est certaine, c'est qu'on ne peut pas laisser des filières entières en impasse de production.

FLORENCE PARACUELLOS
Annie GENEVARD, vous êtes ministre de la Souveraineté alimentaire, qu'est-ce que vous dites quand vous voyez que la France, pour la première fois depuis 50 ans, se retrouve en déficit commercial ? On a importé plus de produits agricoles et de denrées cette année qu'on en a vendus à l'étranger. La France est en train de devenir dégoûtante là aussi, on a perdu notre souveraineté ?

ANNIE GENEVARD
Pour la première fois depuis 40 ans, notre excédent commercial sera probablement à zéro.

FLORENCE PARACUELLOS
Oui, 50 même.

ANNIE GENEVARD
Donc c'est un signal d'alarme majeur et ça signe la perte de puissance de notre agriculture. Je rappelle quand même que la France est le premier pays agricole de l'Union Européenne et nous étions… Les exportations agricoles étaient le troisième poste des exportations après l'aéronautique et les…

FLORENCE PARACUELLOS
Donc même ça, on n'y arrive plus.

ANNIE GENEVARD
Et donc on voit bien qu'à force… Il y a des raisons conjoncturelles. Les taxes qui pèsent, vous savez, du côté de la Chine, du côté États-Unis, mais il y a aussi tout ce qui pèse en contrainte particulière sur le monde agricole. On exporte moins de produits laitiers parce qu'on a moins de vaches et moins de cheptels. Il y a une décapitalisation du cheptel parce qu'on ne cesse de mettre en cause l'élevage. Donc vous voyez bien que là, on perd un outil de puissance économique et c'est extrêmement grave. Et donc il faut véritablement lutter contre cet effondrement de la puissance économique agricole française. Et croyez bien que c'est un sujet de préoccupation majeur pour moi.

BENJAMIN DUHAMEL
Annie GENEVARD, il nous reste quelques minutes. Une question politique sur votre position singulière. On ne sait pas exactement comment vous situez. Vous êtes ministre d'un Gouvernement qui a été quitté par le président de votre famille politique, Bruno RETAILLEAU, qui a souhaité vous exclure. En fait, vous avez été suspendue. Vous êtes dans un Gouvernement qui défend un budget, ce budget-là qui est pour partie combattu par le président des Républicains. Vous êtes où, en fait, Annie GENEVARD?

ANNIE GENEVARD
D'abord je reste profondément attachée à ma famille politique. Et si j'en ai été suspendue, je n'en suis pas exclue et je considère que j'en suis toujours membre. Je crois lui avoir donné suffisamment de gages de fidélité pour ne pas être soupçonnée de déloyauté.

BENJAMIN DUHAMEL
Mais quand les députés républicains et sénateurs républicains se mettent d'accord sur une ligne commune sur la question du budget, ils ne veulent aucune augmentation d'impôts, aucune augmentation de taxes et des économies sur la dépense. Est-ce que vous êtes d'accord avec ça ?

ANNIE GENEVARD
Mais je suis absolument d'accord avec ça. Mais le premier ministre…

BENJAMIN DUHAMEL
C'est-à-dire à peu près l'inverse de ce qui a été fait à l'Assemblée.

ANNIE GENEVARD
Il ne vous a pas échappé, Benjamin DUHAMEL, que la réalité parlementaire fait que nous n'avons pas de majorité ni absolue, ni même relative. Et donc, c'est le Parlement qui est à la manoeuvre. On ne jugera de ce budget qu'au terme de son examen.

BENJAMIN DUHAMEL
Juste, Annie GENEVARD, vous siégez au Conseil des ministres avec un ministre de l'Économie, Roland LESCURE, qui, lui, a défendu un certain nombre d'augmentation d'impôts, augmentation d'impôts que vous refusez.

ANNIE GENEVARD
La position de la droite est très claire. Avant d'augmenter les impôts, il faut diminuer les dépenses. Et je crois que le Premier ministre n'est pas orthogonalement hostile à ce positionnement. Mais nous avons une Assemblée nationale à qui il a donné la responsabilité de voter un budget. Et vous en jugerez in fine lorsque le budget aura achevé son examen. En tout état de cause, je fais confiance au Parlement et au Sénat pour arriver à un aboutissement qui soit conforme à ce que porte ma famille politique.

BENJAMIN DUHAMEL
Vous êtes optimiste.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 novembre 2025