Interview de Mme Catherine Vautrin, ministre des armées et des anciens combattants, à France Inter le 18 novembre 2025, sur la vente d'avions Rafale à l'Ukraine, les tensions avec la Russie et le rôle potentiel de l'armée dans la lutte contre le narcotrafic.

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Média : France Inter

Texte intégral

BENJAMIN DUHAMEL
Bonjour Catherine VAUTRIN.

CATHERINE VAUTRIN
Bonjour Benjamin DUHAMEL.

BENJAMIN DUHAMEL
Merci d'être avec nous ce matin sur France Inter, au lendemain du déplacement du Président ukrainien Volodymyr ZELENSKY en France et de l'annonce d'un accord présenté comme historique, c'est 100 avions Rafale vendus à l'Ukraine, sauf que dans le détail ce n'est pas un contrat signé mais seulement une lettre d'intention. Est-ce que c'est concret ou est-ce que c'est seulement un effet d'annonce, Catherine VAUTRIN ?

CATHERINE VAUTRIN
Alors déjà je crois qu'il faut qu'on se rappelle que nous sommes le 18 novembre, c'est le 1 364e jour de guerre pour l'Ukraine. C'est dire déjà l'importance à la fois pour les populations civiles mais aussi pour l'équipement de ce pays. Maintenant ce qui s'est passé hier avec la venue du Président ZELENSKY à Paris, c'est incontestablement la volonté du Président de la République, du Président ZELENSKY, non seulement de répondre aux besoins d'aujourd'hui mais de prévoir le demain. Parce que l'objectif c'est très concrètement d'arriver à un cessez-le-feu, à un accord de paix évidemment, et derrière d'équiper l'Ukraine et de régénérer son armée. A partir de là, la question c'est : comment on équipe en matériel ? Et cet accord qui est signé comporte différents éléments. Vous parlez des Rafale et effectivement les Rafale…

BENJAMIN DUHAMEL
Il y a aussi des systèmes de défense aérienne, un certain nombre de munitions. Mais simplement Catherine VAUTRIN, pour rester sur l'aspect concret. En réalité, quand on regarde les cadences des usines DASSAULT où on est sur 3 ou 4 Rafale produits par mois, il y en a encore 200 à livrer. Quand est-ce que l'Ukraine verra le début de la couleur d'un Rafale ?

CATHERINE VAUTRIN
Déjà la première question, Benjamin DUHAMEL, c'est déjà qu'il y ait négociation entre l'Ukraine et le constructeur qui est DASSAULT. Puisque là nous sommes sur une déclaration d'attention et il est bien écrit que nous sommes dans un espace-temps qui est un espace-temps de 10 ans. Donc vous le voyez bien, le sujet c'est l'Ukraine dit : " Je suis intéressée pour acquérir des Rafale. A partir de là, je vais travailler sur des discussions. " Ces discussions génèrent des signatures de contrat.

BENJAMIN DUHAMEL
Donc on est encore loin, Catherine VAUTRIN, de l'arrivée d'un Rafale en Ukraine ?

CATHERINE VAUTRIN
On est sur un temps qui a été clairement annoncé qui est un temps de 10 années. Mais en revanche, dans ce contrat, il n'y a pas que ça. Il y a, par exemple, des choses extrêmement immédiates comme les drones, comme des bombes, qui sont là, des équipements que l'Ukraine va acheter à très court terme parce qu'elle en a besoin dans le contexte actuel.

BENJAMIN DUHAMEL
Vous avez raison de citer ces équipements, mais simplement une question. Vous citez il y a quelques instants le nombre de jours de guerre en Ukraine, la difficulté des soldats ukrainiens sur le front. S'il y a une telle urgence, pourquoi ne pas aller piocher dans les stocks de l'armée française et aller donner des Rafale tout de suite à une armée ukrainienne qui en a besoin ?

CATHERINE VAUTRIN
Aujourd'hui, vous le savez, la France a donné à l'Ukraine des matériels depuis maintenant plusieurs années. Nous continuons. Et là nous sommes… Je crois que c'est important de rappeler la philosophie de cet accord. Cet accord, c'est un accord qui est à la fois court terme et long terme.

BENJAMIN DUHAMEL
Pardon mais vous ne répondez pas tout à fait à ma question. Il y a urgence, il y a effectivement des Mirage qui avaient été donnés, des avions Mirage. Les Ukrainiens disent avoir besoin d'avions Rafale. Pourquoi est-ce que la France ne pioche pas dans ses propres stocks pour en donner aux Ukrainiens ?

CATHERINE VAUTRIN
Aujourd'hui, le stock français est utilisé par la France, vous le savez. Nous avons 107 avions, pour être extrêmement précise, aujourd'hui en France dont la France a besoin.

BENJAMIN DUHAMEL
Et donc on n'a pas les moyens d'en donner à l'armée ukrainienne ?

CATHERINE VAUTRIN
Mais ce n'est pas la question. La question n'a pas été de donner des Rafale à l'armée ukrainienne. La question, elle a été d'accompagner l'armée ukrainienne au fur et à mesure de ses besoins, avec un élément que vous n'évoquez pas, qui est extrêmement important, qui est aussi - et c'est ça pour la première fois un des éléments - c'est le financement par l'Ukraine de sa commande. Donc c'est l'Ukraine qui, elle-même, finance, notamment avec les intérêts des…

BENJAMIN DUHAMEL
C'est vraiment l'Ukraine qui va financer cette commande ? Parce que là encore, pour ceux qui nous écoutent ce matin, 100 Rafale, ça coûte au minimum 10 milliards d'Euros, et encore si on ajoute les équipements, c'est sans doute plus. L'Ukraine n'a pas les moyens de payer cette… Qui va payer véritablement ces Rafale ?

CATHERINE VAUTRIN
Nous sommes sur deux sujets. Le premier, c'était la discussion du contrat. Le deuxième, c'est évidemment le financement. L'Europe a ouvert, vous le savez, le programme SAFE, qui est un programme qui permet aux pays de bénéficier d'accompagnement financier. L'Ukraine bénéficie du programme SAFE. Donc il y a là une réponse très concrète pour l'Ukraine. Donc il y a des réponses en matière de financement. Deuxièmement, sur le Rafale, on est sur le long terme, et c'est ça l'objectif. Et en même temps, parce qu'il y a une notion d'en même temps, il y a un besoin immédiat sur des munitions, des drones, et ça, ça se fait tout de suite.

BENJAMIN DUHAMEL
Sur la question plus générale de l'aide des pays européens à l'Ukraine dans un moment délicat, où la Russie frappe les sites énergétiques, où on voit les difficultés sur le front, il y a un certain nombre de distorsions qui interrogent. Est-ce que vous savez, Catherine VAUTRIN, combien l'Allemagne prévoit de dépenser en 2026 pour l'aide à l'Ukraine dans son budget ?

CATHERINE VAUTRIN
Alors, je n'ai pas le chiffre exact ce matin, mais ce que je sais, c'est que…

BENJAMIN DUHAMEL
Je peux vous le donner, c'est 11 milliards et demi d'Euros.

CATHERINE VAUTRIN
Ça bouge toutes les semaines, et je vais vous expliquer pourquoi.

BENJAMIN DUHAMEL
Et ça, c'est le chiffre le plus récent, 11 milliards et demi.

CATHERINE VAUTRIN
Et je vais vous dire pourquoi je ne vous ai pas donné le chiffre, parce que pas plus tard que vendredi, j'étais à Berlin avec mon homologue et la réunion des cinq ministres de ce qu'on appelle l'E5, c'est-à-dire l'Italie, la Pologne, la France, l'Allemagne et les Anglais, et que, là encore, les Allemands s'engageaient sur un accompagnement.

BENJAMIN DUHAMEL
11 milliards et demi, là où dans le budget français en 2026, on est aux alentours de 120 millions d'Euros.

CATHERINE VAUTRIN
La différence, Benjamin DUHAMEL…

BENJAMIN DUHAMEL
La France est à la traîne dans l'aide à l'Ukraine ?

CATHERINE VAUTRIN
Non, parce que la France a fait une autre démarche. La démarche française, ça a été d'accompagner avec des dons de matériel, ça a été de la formation. Je vous rappelle, l'année dernière, à cette époque de l'année, nous étions avec la brigade Anne de Kiev, et nous avons formé les soldats ukrainiens. Ce qui veut dire que ce qu'il faut regarder à l'échelle européenne, c'est la complémentarité de chacun des pays.

BENJAMIN DUHAMEL
Et donc que l'Allemagne dépense près de 100 fois plus pour l'Ukraine…

CATHERINE VAUTRIN
Mais l'Allemagne, aujourd'hui, fait le choix d'accompagner sur des acquisitions de matériel. D'autres font le choix, qui sont des choix, de donner du matériel. Il y a une complémentarité, et je crois que ce qui est important, et c'est ça qu'il faut qu'on retienne ce matin, c'est comment l'ensemble des pays européens sont engagés pour accompagner l'Ukraine.

BENJAMIN DUHAMEL
Catherine VAUTRIN, les propos du chef d'état-major des armées ont été très commentés sur la possibilité d'un choc avec la Russie à horizon 3 ou 4 ans. Est-ce que cet accord conclu sur les Rafale, c'est aussi une façon de dire à Vladimir POUTINE qu'on est prêts à cette confrontation ?

CATHERINE VAUTRIN
Vous savez, les propos du CEMA ne sont pas les seuls. Prenez une note de l'Institut Montaigne, sortie il y a deux jours, qui est une note sur l'OTAN et la Russie. Quelle est la question ? La question est effectivement que la Russie se réarme de manière extrêmement importante. Vous me parliez d'armement. La Russie, au moment où nous nous parlons, consacre 7% de son produit intérieur brut à son réarmement.

BENJAMIN DUHAMEL
Et donc ça veut dire que vous aussi, Catherine VAUTRIN, vous travaillez sur une hypothèse d'un conflit direct entre la France, les pays de l'OTAN et la Russie ?

CATHERINE VAUTRIN
Je vais déjà finir ma phrase, si vous le voulez bien, en vous disant que dans le même temps, on a un deuxième élément européen qui est important, qui est que l'OTAN a évidemment des Européens, nous sommes la branche européenne de l'OTAN, et les Américains ont clairement dit aux Européens : " Vous devez assumer en grande partie la défense du continent européen ". Et donc, oui, nous devons nous organiser et nous structurer, parce que pour être respecté, il faut être craint.

BENJAMIN DUHAMEL
Et donc la France serait prête à un tel conflit ?

CATHERINE VAUTRIN
La France s'équipe, la France s'entraîne, et c'est un élément absolument majeur.

BENJAMIN DUHAMEL
Catherine VAUTRIN, je voudrais qu'on dise un mot d'un sujet qui ne relève pas à proprement parler de votre portefeuille, et pourtant, ce matin, Emmanuel MACRON réunira à l'Élysée une réunion sur le narcotrafic. Alors sans aller jusqu'à l'exemple américain qui mobilise un porte-avions pour lutter contre le narcotrafic en Amérique du Sud, puisque les pouvoirs publics parlent de guerre contre la drogue. Est-ce que les armées ont un rôle à jouer ?

CATHERINE VAUTRIN
Vous connaissez la mission régalienne qui est celle des armées. Aujourd'hui, sur les sujets de drogue, je voudrais saluer mon collègue Laurent NUNEZ, qui est en première ligne, et on sait combien, notamment dans nos quartiers, c'est un combat du quotidien ; un combat du quotidien, notamment pour la tranquillité des habitants des quartiers. Et moi, je suis extrêmement attentive à ces sujets.

BENJAMIN DUHAMEL
Vous vous souvenez, notamment, de cette élue marseillaise, Samia GHALI, qui avait suscité le débat en disant qu'il faut envoyer l'armée dans un certain nombre de quartiers pour lutter contre le narcotrafic ?

CATHERINE VAUTRIN
Le sujet pour lutter contre le narcotrafic, c'est un sujet, évidemment, de sécurité. J'étais à Grenoble, pas plus tard que vendredi, j'ai échangé avec la préfète. Et on voyait les moyens que met la préfète de l'Isère à Grenoble, par exemple…

BENJAMIN DUHAMEL
Donc les armées n'ont aucun rôle à jouer ?

CATHERINE VAUTRIN
Aujourd'hui, c'est un sujet essentiellement de sécurité intérieure.

BENJAMIN DUHAMEL
Un tout dernier mot rapidement, Catherine VAUTRIN. Sur vos débuts à la tête du ministère des armées, après avoir été à la tête d'un super ministère social, est-ce que vous êtes là parce que les sujets de défense sont des sujets de prédilection, ou parce que vous êtes, sans mauvais jeu de mots, un bon soldat du Président et du Premier ministre ?

CATHERINE VAUTRIN
Alors, vous savez, moi, je fais partie de ces gens qui sont sur un territoire particulièrement militaire, puisque j'étais députée d'un secteur qui est à côté des camps de champagne. J'avais la base aérienne chez moi. Ça fait partie des sujets que j'ai travaillé depuis des années. Je faisais partie de celles et ceux, par exemple, qui s'étaient mobilisés à l'époque du Livre Blanc sur le camp de Mourmelon et les régiments à Mourmelon, pour prendre cet exemple-là. Donc ça fait partie des sujets qui sont des sujets régaliens, qui sont extrêmement importants, particulièrement dans le contexte que nous connaissons. Et c'est la raison pour laquelle je suis très intéressée sur plusieurs points.

BENJAMIN DUHAMEL
Merci. Oui, et il va falloir qu'on s'arrête là.

CATHERINE VAUTRIN
Mais c'est quand même dommage, parce qu'équiper notre armée, d'une part, parler renseignements d'autre part, parler diplomaties, et enfin, parler de la base industrielle de défense française, c'est majeur.

BENJAMIN DUHAMEL
Et vous reviendrez Catherine VAUTRIN.

CATHERINE VAUTRIN
Et avec plaisir.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 25 novembre 2025