Texte intégral
M. le président Stéphane Travert. Monsieur le ministre, les membres de la commission des affaires économiques étaient impatients de vous recevoir afin d'évoquer avec vous l'ensemble des sujets relevant de la commission. Si nous avons déjà commencé à aborder les sujets industriels à l'occasion de l'audition de M. Sébastien Martin, jeudi dernier, nous souhaitons également parler avec vous des enjeux énergétiques – notamment de la relance du nucléaire, mais aussi du prix de l'électricité, enjeu essentiel pour le pouvoir d'achat des ménages et la compétitivité des entreprises. Nous souhaitons également évoquer la souveraineté numérique, défi majeur pour notre économie en raison tant de l'essor rapide de l'intelligence artificielle que de la position dominante des acteurs non européens, fort peu soucieux de respecter nos règles – y compris à l'échelle européenne – et dont nos entreprises deviennent captives au prix fort.
Comment le Gouvernement compte-t-il relancer la dynamique de réindustrialisation de notre pays, qui marque le pas depuis un an, comme le montrent le recul de plus de 60% du nombre d'emplois créés dans l'industrie française et la multiplication des fermetures d'usines et des licenciements ? La situation de l'industrie textile est particulièrement dégradée ; la concurrence des importations, notamment d'origine asiatique, y est certainement pour beaucoup. Pour la filière automobile, comment éviter que l'interdiction européenne de vente de voitures thermiques neuves en 2035 ne donne un avantage significatif aux industriels chinois, qui proposent des voitures électriques à des prix plus abordables que les constructeurs européens ?
Quelle est la stratégie de l'État pour améliorer la compétitivité de nos industries face à des concurrents étrangers très offensifs ? En particulier, les contrats d'approvisionnement négociés avec EDF suffiront-ils à redonner à nos plus gros consommateurs d'électricité la stabilité et l'avantage concurrentiel qu'ils réclament, malgré la fin de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) ?
Dans le domaine de l'énergie, quelle est votre stratégie pour réduire notre dépendance aux importations d'énergies fossiles, notamment celles venues d'outre-Atlantique ? Comment comptez-vous procéder pour relancer la filière nucléaire en France au cours des prochaines années et quelles perspectives envisagez-vous pour les énergies renouvelables ? La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), très attendue des professionnels pour projeter leurs investissements, sera-t-elle bientôt réexaminée ou rendue publique ?
Dans un contexte de progression continue des flux de marchandises illicites, comment le Gouvernement entend-il renforcer le dispositif national de lutte contre la contrefaçon, notamment en matière de contrôles douaniers, de coopération avec les plateformes en ligne et de soutien aux filières industrielles exposées ?
Face à l'essor rapide des plateformes de distribution à bas coût, chinoises en particulier, quelles mesures envisagez-vous pour assurer des conditions de concurrence équitables et soutenir la compétitivité du commerce de proximité ?
Compte tenu de la montée en puissance des grandes entreprises du numérique et de leurs pratiques potentiellement restrictives de concurrence, comment le Gouvernement évalue-t-il l'articulation entre le cadre européen, constitué notamment du règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act, DMA) et du règlement sur les services numériques (Digital Services Act, DSA), et l'action nationale de régulation afin de garantir un environnement concurrentiel équilibré pour l'ensemble des acteurs économiques ?
Votre ministère est également compétent à l'égard de La Poste. Comment expliquez-vous la sous-compensation chronique de l'État dans le cadre du service universel postal ? Souhaitez-vous prendre des mesures pour y mettre fin ?
Enfin, quelles sont les stratégies française et européenne pour le développement de la couverture mobile par satellite ? Malgré le succès du New Deal mobile, de nombreuses zones blanches persistent, imposant le recours à des solutions satellitaires. Or, dans ce domaine, seul le système proposé par Starlink paraît satisfaisant en pratique. La dépendance croissante à ce groupe américain constitue pourtant un risque évident pour la souveraineté européenne.
Notre économie a pu surmonter des crises majeures au cours des dernières années, mais elle présente des signes de fragilité dans plusieurs domaines essentiels pour son développement futur, alors même que notre pays dispose d'atouts considérables. Comment comptez-vous préserver et renforcer la compétitivité et l'attractivité de nos entreprises – ainsi que l'attractivité de notre pays – et nous permettre de renouer avec une prospérité profitant à l'ensemble des secteurs économiques, à l'emploi et au pouvoir d'achat des ménages ?
M. Roland Lescure, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique. C'est un plaisir pour moi de revenir ici. Au-delà du budget, je suis surtout venu parler de notre économie, de la compétitivité, des enjeux énergétiques et de souveraineté, de tout ce qui est au service des entreprises, qui continuent à croître en France, et de leurs salariés – félicitons-nous en et faisons-en sorte que cela continue !
Le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle, énergétique et numérique, c'est un collectif au service de notre économie : à mes côtés, il y a Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie, et Anne Le Henanff, ministre déléguée chargée de la souveraineté numérique ; à Bercy, je suis entouré d'Amélie de Montchalin, ministre de l'action et des comptes publics, et de David Amiel, ministre délégué chargé de la fonction publique et de la réforme de l'État. Je peux aussi compter sur Serge Papin, ministre chargé des petites et moyennes entreprises (PME), du commerce et du pouvoir d'achat. Nous travaillons tous ensemble pour continuer à créer de l'emploi et des richesses et ainsi financer, autant que possible, notre modèle social, auquel nous sommes tous attachés.
Du côté de la croissance, jusqu'ici, tout va bien. Les chiffres sont bons : avec 0,5% de croissance au troisième trimestre, nous faisons mieux que l'Italie, l'Allemagne et l'Europe en général, et la production industrielle a rebondi en septembre ; mais les nuages s'accumulent.
Le premier sommet Choose France – Édition France, qui s'est tenu lundi, a été l'occasion de remercier les chefs d'entreprise de toute taille – start-up, PME, entreprises de taille intermédiaire (ETI), grandes entreprises –, de tous les territoires et de tous les secteurs, qui continuent à investir en France malgré un contexte international tourmenté – 30 milliards d'euros (Md€) ont été annoncés lors de ce sommet, dont 9 Md€ d'investissements nouveaux. Les investisseurs sont autant nationaux qu'internationaux : la France est le pays d'Europe le plus attractif pour les investissements étrangers pour la sixième année consécutive – pourvu que ça dure !
Ces résultats ne doivent rien au hasard : ils sont le fruit des politiques publiques en faveur de la compétitivité, de la maîtrise du coût du travail, de la réforme du marché du travail et de la réindustrialisation.
Même si cette dernière ralentit – et nous devons tous y être sensibles –, les extensions et ouvertures d'usine restaient plus nombreuses que les fermetures au premier semestre. Pendant cinq ou six ans, des usines se sont créées en France, ce qui n'avait plus eu lieu depuis des années ; depuis 2022, selon le baromètre officiel dont j'avais demandé le lancement, plus de mille ont été ouvertes, un peu plus de cinq cents fermées : le solde est positif.
Mais nous sommes désormais sur le fil du rasoir. Vous le savez, les nuages s'accumulent.
Tout d'abord, nous faisons face à des défis extérieurs. L'environnement international, instable et tourmenté, crée des vulnérabilités persistantes qui ne sont pas sans conséquences sur notre économie. Sur le plan commercial, la concurrence mondiale s'accroît et est de plus en plus déloyale. D'un côté, la surproduction industrielle chinoise exerce une pression considérable sur nos entreprises, en particulier dans les secteurs de l'acier, de l'automobile et des panneaux solaires ; de l'autre, les tarifs douaniers américains, symboles d'une stratégie protectionniste assumée, ont des conséquences directes sur un certain nombre de secteurs exportateurs français, pour lesquels les États-Unis représentent souvent le premier marché. Nous devons également être conscients de notre déficit commercial persistant. Même si celui-ci a été divisé par deux et ne s'établit plus qu'à 84 Md€ en 2024 (contre 164 Md€ en 2022), il reste évidemment trop élevé.
Nous subissons aussi des vulnérabilités intérieures, qui appellent des réponses structurelles. Tout d'abord, le vieillissement de la population, qui pèse sur notre productivité potentielle et l'équilibre de nos régimes sociaux. Les Français travaillent beaucoup et ils sont très productifs, mais le taux d'emploi en France reste inférieur à celui de nos voisins européens, notamment parmi les juniors et les seniors ; il faut continuer à le faire progresser afin qu'au total nous travaillions davantage. Les incertitudes politiques sont aussi source d'inquiétudes économiques : celle des ménages se traduit par un taux d'épargne historiquement élevé, qui excède 18 % – une situation que nous n'avions plus connue depuis l'épidémie de covid-19 ; nous espérons que ce taux diminuera en 2026. Lever ces incertitudes passe avant tout par le vote du budget : j'espère qu'il redonnera confiance aux ménages et aux entreprises. Enfin, la complexité normative et administrative pèse sur celles-ci, freinant investissements et croissance.
Je ne reviens pas sur le rétablissement de nos finances publiques, qui me semble aussi un élément clé de la confiance et de la compétitivité. Mes homologues européens sont plutôt confiants dans notre capacité à redresser les comptes, mais ils attendent avec une certaine impatience qu'elle se concrétise.
Face à ces vulnérabilités, j'ai une conviction : nous ne devons en aucun cas céder à la fatalité. Je vois parfois le pessimisme et le misérabilisme pointer ici ou là : nous devons être lucides et déterminés, mais nous pouvons y arriver. Les entreprises françaises sont compétitives, elles souhaitent investir : à nous de créer autour d'elles l'environnement idoine pour qu'elles puissent le faire et recruter, produire et exporter. Nous avons des avantages indéniables, j'espère que tous les membres de cette commission en sont conscients et fiers : un tissu productif dense, une main-d'œuvre qualifiée, une capacité d'innovation reconnue. Comme j'ai pu le constater hier encore à Berlin, où je me suis rendu au sommet sur la souveraineté numérique européenne avec le Président de la République, les talents français sont réputés dans le monde entier.
Ma feuille de route repose sur quatre priorités stratégiques.
Tout d'abord, doter la France d'un budget pour 2026 : je m'y attelle, les députés également. Je ne m'y attarde pas, mais c'est évidemment essentiel.
Ensuite, protéger nos concitoyens et nos entreprises face à la brutalité des instabilités et déséquilibres mondiaux. Cette protection économique est cruciale, car la mondialisation d'aujourd'hui n'est plus celle d'hier. Soyons clairs : le libre-échange n'est pas une religion, c'est un modèle économique et il ne peut fonctionner que si tout le monde suit les règles. L'Europe ne peut pas être le dernier continent à jouer selon des règles émanant historiquement des États-Unis et auxquelles la Chine avait décidé de se plier en entrant dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC), au début des années 2000. Depuis, les choses ont bien changé : la mondialisation est désormais fragmentée, déloyale et souvent asymétrique. Nous ne pouvons pas laisser prospérer un modèle dans lequel seuls les producteurs européens respectent les règles, les autres contournant nos normes et inondant nos marchés.
Vous m'avez interrogé, monsieur le président, sur la filière automobile. Il est clair que nous devons accompagner l'électrification des modes de production. Certaines entreprises françaises produisent désormais des véhicules électriques, qui sont populaires ; mais la demande reste insuffisante pour respecter notre volonté partagée de ne plus vendre, à l'horizon 2035, que des véhicules neufs électriques, comme l'avait décidé le Conseil européen il y a trois ou quatre ans, si possible fabriqués en France ou en Europe. Un certain nombre de pays constructeurs plaident pour un assouplissement de l'objectif, par exemple en autorisant la vente de véhicules hybrides rechargeables. La France n'y est pas opposée, à condition que cette flexibilité profite bien à des constructeurs européens et français – voilà le deal que nous sommes en train de négocier. Et la bonne nouvelle, c'est qu'un certain nombre de partenaires commencent à accepter ce principe de préférence européenne. Reste à définir à partir de quel pourcentage de valeur ajoutée on considère qu'un produit est effectivement d'origine européenne : c'est l'objet des discussions en cours.
La donne a changé en 2025 : même l'Allemagne n'a plus un solde commercial positif avec la Chine, alors que cela a longtemps été le cas et expliquait ses fortes préventions envers les mesures antidumping dont la France avait fait son credo. L'attitude de nos partenaires européens est en train de se modifier. Hier, nous avons obtenu l'instauration d'une clause de sauvegarde sur les ferroalliages ; une mesure similaire est en cours de négociation pour l'acier ; l'an dernier, nous avons imposé une majoration des droits de douane sur les véhicules électriques chinois et autorisé les pays qui le souhaitaient, dont la France, à réserver les bonus à l'achat d'un véhicule électrique aux produits atteignant un certain score environnemental. De fait, la part de marché des véhicules électriques chinois dans les ventes a fortement baissé : alors qu'ils étaient majoritaires, ils ne représentent plus que 20% du marché. En France, c'est la R5 électrique, produite à Douai, qui se vend le plus : soyons-en fiers.
Concernant les plateformes d'e-commerce, notamment textile, il y aura un " avant " et un " après " la vente de poupées pédopornographiques en France et en Europe. Cette affaire a été un « wake-up call » général. Nous sommes les premiers à chercher à instaurer une taxe sur les petits colis, à hauteur de 2 euros par type de produit. Cela peut sembler peu, mais ces recettes permettront de financer davantage de contrôles, notamment aux douanes et à la répression des fraudes, et d'intensifier le contrôle des colis qui arrivent en France, afin de s'assurer que les produits sont non seulement légaux – c'est la moindre des choses – mais aussi conformes à nos normes. Nos partenaires européens ont également décidé d'avancer la fin de l'exemption douanière sur les petits colis, ramenée de 2028 à 2026.
Sachant que plus de quatre milliards de colis entrent en Europe tous les ans et que cette dynamique est en pleine explosion, nous aurions peut-être atteint dix ou douze milliards de colis en 2028. Au fond, il est normal que ces produits fassent l'objet de droits de douane, comme tous les autres.
Plus largement, nous plaidons pour l'inscription de la préférence européenne dans nos politiques publiques et nos normes. Nous devons en faire une condition de nos aides et subventions publiques et un critère d'attribution de nos marchés publics. C'est très important, car les achats publics, qui pèsent 2 000 Md€ par an en Europe, représentent un levier important de développement d'une production européenne. Les industriels et les entrepreneurs des nouvelles technologies qui étaient présents à Berlin nous l'ont bien dit : ils n'ont pas besoin de subventions, mais de normes les plus simples possible, qui les protègent, et d'achats publics. Là encore, le discours européen est en train de changer. Nous continuerons à relayer ces messages au sein du G7, dont la France prendra la présidence en janvier, afin que les importants déséquilibres entre l'Europe, les États-Unis et la Chine ne se transforment pas en un " mano a mano " entre ces deux dernières puissances.
Le sommet sur la souveraineté numérique, qui s'est tenu hier en présence de l'ensemble des ministres européens chargés du numérique, du chancelier Merz et du Président de la République, témoigne, lui aussi, de la volonté de défendre la souveraineté de l'Union européenne. Le DMA sera élargi aux " hyperacteurs " du cloud et nous continuerons de nous assurer que le DSA, davantage orienté vers la protection des citoyens, est bien appliqué par tous, en particulier par les plateformes qui ont tendance à contourner la réglementation (voire les lois).
Les investissements conséquents que le projet de budget prévoit dans la filière de la défense doivent bénéficier à l'ensemble des secteurs, c'est-à-dire, au-delà de la fameuse " base industrielle et technologique de défense " (BITD), aux PME et ETI industrielles, qui peuvent orienter une partie de leur production.
Mais la souveraineté, ce n'est pas le repli : si nous devons nous protéger d'une concurrence indue et déloyale, nous devons être fiers de nos filières exportatrices (aéronautique, agroalimentaire, vin, luxe, cosmétiques, technologies environnementales, etc.). Il faut continuer à les soutenir, mais dans un cadre international rénové garantissant une concurrence juste. Interrogée hier lors des questions au Gouvernement, la ministre de l'agriculture a été très claire sur la position de la France : dans les conditions actuelles, le Mercosur, c'est non ! Même si certains secteurs exportateurs en bénéficieraient, il est hors de question de sacrifier l'élevage bovin, l'élevage de volailles, le sucre et l'éthanol, quatre filières aujourd'hui en danger.
Dernier cap stratégique : la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Je suis intimement convaincu que la stratégie industrielle de la France et de l'Europe dans les années à venir sera aussi structurante que celle qui a vu naître la Communauté européenne du charbon et de l'acier (Ceca) dans les années cinquante. Sauf qu'en lieu et place du charbon et de l'acier, les piliers en seront l'énergie bas-carbone et l'intelligence artificielle – et encore un peu l'acier, tout de même. Le Premier ministre m'a demandé de retravailler la PPE et de lui soumettre rapidement des propositions très concrètes. J'ai commencé à consulter les groupes politiques au sein du Parlement. Je continuerai dans les prochaines semaines, en privilégiant les responsables de textes relatifs à l'énergie, afin d'échanger avec ceux qui connaissent le mieux ces sujets parfois techniques. Je transmettrai ensuite mes recommandations au Premier ministre, pour que l'on avance au plus vite. Nous faisons face des défis d'instrument et de calendrier : jusqu'à la fin de l'année, vous serez très occupés par le budget.
Mais plus vite nous aurons une PPE, mieux ce sera, car le nouveau nucléaire n'attend pas : nous continuons d'ailleurs à le développer, car plusieurs appels d'offres en dépendent, notamment en matière d'éolien offshore. Nous avons aussi des défis énergétiques très importants à relever outre-mer, même s'ils ne sont pas directement liés à la PPE.
Monsieur le président, vous m'avez interrogé sur le prix de l'énergie, notamment pour les électro-intensifs. L'Arenh touche à sa fin et EDF doit accélérer les négociations en cours avec les industriels électro-intensifs. À l'heure actuelle, 40% de contrats d'allocation de production nucléaire (CAPN) ou lettres d'intention ont été signés ; il faudrait approcher les 100% d'ici la fin de l'année.
Nous continuons la décarbonation, qui est essentielle. Vous avez voté pour la prolongation du crédit d'impôt au titre des investissements en faveur de l'industrie verte (C3IV) et je vous en remercie. C'est un élément fondamental pour réconcilier économie et écologie et avoir une industrie française et européenne compétitive et propre – je dis bien " et ", car je suis convaincu que nous pouvons faire les deux. Il faut continuer à soutenir le développement du solaire, de l'éolien, du nucléaire, des pompes à chaleur… toutes ces filières qui permettent à la fois de créer de nouvelles industries et de décarboner l'industrie traditionnelle.
La Poste a une nouvelle présidente-directrice générale, dont le rôle sera de continuer et parfaire la mission engagée par son prédécesseur, M. Philippe Wahl, mais aussi, compte tenu du contexte budgétaire compliqué, de s'assurer d'une gestion au cordeau de l'institution : elle s'y attelle. Avec 125 M€ d'économies sur son activité de service public, l'effort demandé à La Poste en 2026 est assez contraignant, il faut le reconnaître, mais vous avez toute latitude pour modifier les équilibres proposés par le Gouvernement en intervenant sur d'autres lignes. Vous êtes légitimement sensibles à la mission d'aménagement du territoire de La Poste, mais la réforme de l'institution doit se poursuivre. Nous sommes un des seuls pays à avoir maintenu un service public postal – et c'est tout à notre honneur – mais nous devons nous assurer qu'il est le moins coûteux possible.
Concernant les satellites, nous vivons une révolution. La France a beau être un des pays les mieux couverts au monde, il reste des zones blanches, qu'un modèle satellitaire pourrait couvrir. Il y a deux jours, Orange a lancé une nouvelle offre de textos par satellite, qui devrait également permettre, à terme, de téléphoner et d'utiliser internet, y compris dans des zones non couvertes par la fibre ; mais cette solution repose sur un satellite américain. La majorité des offres satellitaires restent américaines, il faut qu'elles deviennent européennes. Nous y travaillons avec le développement de la constellation Iris², un projet évidemment soutenu par la France.
M. le président Stéphane Travert. Nous en venons aux interventions des orateurs des groupes.
M. Aurélien Lopez-Liguori (RN). Dix pour cent : c'est la part de l'industrie dans notre PIB aujourd'hui. En 1995, elle était de 17%. Pour la deuxième année consécutive, la France ferme aussi plus d'usines qu'elle n'en ouvre : – 28, c'est votre nouveau record – trois fois pire qu'en 2024… Derrière ces chiffres, ce sont 2,5 millions d'emplois industriels envolés en trente ans. Cette désindustrialisation, c'est le résultat de décennies de renoncement, gouvernement après gouvernement, mais aussi le bilan de la Macronie.
Pire : avec vous, la crise s'est aggravée. La raison en est limpide : votre soumission à la Commission européenne. Au nom du droit européen de la concurrence, des règles énergétiques et écologiques, vous abandonnez nos entreprises.
Vous les abandonnez en refusant de les prioriser dans la commande publique, alors que tous nos concurrents protègent leurs champions – y compris nos concurrents européens, puisque les Allemands ont contourné allègrement les règles.
Vous les abandonnez en provoquant (ou en accompagnant) une inflation normative absurde et en laissant flamber les prix de l'électricité.
Vous les abandonnez en vous soumettant à un droit des concentrations et à une régulation des monopoles trop restrictifs, qui empêchent la France et l'Europe de bâtir des géants industriels – je pense notamment à Alstom et à Schneider Electric.
Vous les abandonnez aussi quand vous ne vous opposez pas immédiatement à leur vente à une puissance étrangère, alors qu'elles revêtent un caractère stratégique. Je pense notamment à Sqreen, Sentryo et Alsid, entreprises numériques françaises vendues sous mandat macroniste à des acteurs étrangers. Les Américains, les Chinois, les Japonais se font une joie de faire leur marché chez nous. Plus récemment, c'est la vente d'Exaion, filiale d'EDF recyclant les supercalculateurs, qui nous fait redouter le pire : pour 168 M€, 64% des parts de cette entreprise stratégique seront cédées à l'américain Marathon Digital Holdings (Mara).
Nous avons besoin de clarté. Nous vous demandons de vous opposer à cette vente ou à l'entrée au capital du groupe américain : allez-vous enfin le faire ? Pouvez-vous nous donner votre définition du terme « stratégique » ? Dans un monde numérique où tout est potentiellement stratégique du fait de la dualité technologique, comment expliquez-vous que des entreprises comme Exaion, Sqreen, Sentryo et Alsid ne soient pas considérées comme telles par le Premier ministre ?
M. Roland Lescure, ministre. Je n'entrerai pas dans une bataille de chiffres. Quand je suis arrivé au ministère des finances, il y a deux ans et demi, il n'y avait pas de baromètre de l'industrie : je l'ai créé. Officiellement, il y a eu 466 ouvertures ou extensions de sites en France depuis 2022 ; fin juin, le solde était à + 7 : ce n'est pas énorme, mais on continue d'étendre plus d'usines qu'on ne ferme de lignes de production. Le rythme ralentit, je l'ai dit, mais halte au misérabilisme : nous avons bel et bien recréé de l'emploi industriel – et pas grâce à vous ni à vos prédécesseurs, qui n'avez voté aucune des mesures en faveur de la réindustrialisation depuis 2017.
M. Alexandre Loubet (RN). On a voté la loi relative à l'industrie verte !
M. Roland Lescure, ministre. Très bien, mais vous étiez contre le plan France 2030, la baisse des impôts de production, la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en allégement de charges, les mesures dans le domaine de la formation professionnelle…
Je ne dis pas que tout est rose, mais félicitons-nous des succès obtenus. Le ralentissement doit nous inciter de nouveau à « mettre le paquet » sur plusieurs des sujets que vous avez mentionnés et à propos desquels la France est motrice – préférence européenne, révision du droit de la concurrence et du code des marchés publics, protection de l'acier, des ferroalliages et de l'automobile, etc. Grâce à la France, l'Europe est en train de bouger : félicitez-vous-en, car, seule, la France n'ira pas loin.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). La France doit renforcer la compétitivité de ses entreprises, accélérer sa transition écologique et poursuivre sa réindustrialisation. Ces priorités, aussi ambitieuses qu'indispensables, sont des opportunités autant que des défis majeurs pour notre pays.
Les résultats du sommet Choose France le confirment : pour la sixième année consécutive, la France est le pays le plus attractif d'Europe pour les investissements étrangers – j'imagine que chacun s'en réjouit, car cette performance témoigne de la confiance des acteurs économiques internationaux dans notre pays –, mais cette attractivité doit désormais servir un projet plus large : une économie de plus en plus décarbonée, souveraine et créatrice d'emplois. À nos yeux, la " défossilisation " progressive de notre économie n'est plus une option, mais une nécessité stratégique. Elle nous offre une chance unique de moderniser notre appareil productif, créer des emplois et renforcer notre souveraineté.
Afin d'accélérer la décarbonation de notre économie sans sacrifier sa compétitivité, quels leviers comptez-vous mobiliser pour soutenir nos PME et ETI face à la concurrence internationale, notamment dans les filières les plus exposées comme la métallurgie ou la chimie ? Afin d'anticiper les besoins en compétences, quels dispositifs entendez-vous déployer pour former massivement aux métiers de la transition écologique ?
Nous sommes nombreux à souhaiter la publication de la PPE 3, afin de tourner la page de la PPE 2, inadaptée aux choix de la stratégie française pour l'énergie et le climat élaborée en 2022. Au-delà de ses volets relatifs à la sobriété et à l'efficacité énergétiques, elle soutient une production qui repose sur ces deux piliers complémentaires que sont le nucléaire et les énergies renouvelables, afin de réduire notre trop grande dépendance aux énergies fossiles. Quand la publierez-vous ? Que comptez-vous faire pour redonner confiance et envie d'investir au secteur des énergies renouvelables, qui a été maltraité toute cette année à coups de moratoires, de tribunes et d'incertitudes budgétaires ?
M. Roland Lescure, ministre. Il faut évidemment continuer à accélérer la décarbonation des industries traditionnelles – des budgets ont été préservés en ce sens – et à soutenir les industries de la décarbonation. Les besoins en compétences sont énormes. Chaque année, nous avons un million de nouveaux apprentis, quand ils étaient à peine trois cent mille il y a huit ans. Nous devons continuer à " mettre le paquet " sur l'apprentissage, notamment dans ces métiers que l'on dit " faiblement qualifiés " alors qu'ils le sont en réalité fortement – soudeurs, chaudronniers, etc.
S'agissant de la PPE 3, la demande n'est pas au rendez-vous. Réseau de transport d'électricité (RTE) proposera une actualisation, sans doute début décembre, en vue d'un meilleur calibrage. Il faut donc continuer à soutenir la demande, tout en développant l'offre. Je le dis depuis le début : la guerre de religion est terminée, il faut à la fois investir massivement dans le nouveau nucléaire, ce qui prend du temps et coûte beaucoup d'argent – cela permet de traiter de manière efficace, puissante, décarbonée et compétitive les grands enjeux de masse – et développer une stratégie en faveur des énergies renouvelables – celles-ci sont plus flexibles, plus aisées à construire et permettent de développer une énergie décarbonée dans les territoires les plus éloignés. Nous devons marcher sur ces deux jambes. Je reviendrai très vite vers vous avec une méthode, un calendrier et des résultats.
M. Matthias Tavel (LFI-NFP). L'emballage du sommet Choose France ne masquera pas l'échec de la politique de l'offre : plus de fermetures que d'ouvertures d'usine, une explosion inédite des défaillances d'entreprise et des plans sociaux – 450 en un an et plus de cent mille emplois supprimés ou menacés –, une industrie à son plus bas historique, tant en proportion de l'emploi que dans la valeur ajoutée…
Une filière essentielle à notre souveraineté est également menacée : l'acier, c'est-à-dire l'industrie de l'industrie. L'Union européenne commence enfin à comprendre la nécessité de la politique protectionniste que nous réclamons depuis vingt ans.
Mais cela ne suffit pas lorsque les investisseurs sont défaillants ou qu'ils se comportent comme des voyous, à l'image de Novasco, anciennement Ascometal. Nous avons décidé de créer une commission d'enquête sur l'impact des fonds spéculatifs sur l'industrie. Nous défendrons également jeudi prochain, dans notre niche parlementaire, une proposition de loi visant à la nationalisation d'ArcelorMittal France, qui a été adoptée ce matin en commission des finances. Si vous n'êtes pas convaincus par la nationalisation, venez à Saint-Nazaire admirer l'éclatante réussite de celle des Chantiers de l'Atlantique.
Vous avez dit qu'il ne s'agissait pas de nationaliser des industriels, mais d'accompagner des repreneurs… sauf qu'il n'y en a pas pour l'ensemble des sites de Novasco ! Une heure trente après que vous avez tenu ces propos sur TF1, lundi matin, le tribunal de Strasbourg rendait la décision pressentie : une seule des usines sera reprise, 552 emplois seront supprimés et trois sites fermés. Pourtant, l'actionnaire Greybull s'était engagé l'an dernier à investir 90 M€. ; il n'en aura en définitive versé que 1,5. L'État a, quant à lui, versé 85 M€ de prêts en un an. Au fil des diverses reprises, ce sont près de 200 M€ qu'il aura injectés, plus que ce qui était jugé nécessaire par Greybull, sans finalement sauver les sites. Le contrat de reprise signé l'année dernière prévoyait que, si le fonds ne respectait pas ses engagements, ce serait l'État qui récupérerait l'ensemble des actifs de l'usine. Le syndicat CGT a demandé à plusieurs reprises que le Gouvernement agisse pour appliquer cette clause de réquisition-nationalisation. Monsieur le ministre, pourquoi ne l'avez-vous pas fait ? Pourquoi protégez-vous les voyous de Greybull plutôt que l'acier français et l'emploi ?
M. Roland Lescure, ministre. Je ne reviendrai pas sur vos chiffres. Nous ne sommes pas d'accord sur la politique de l'offre : tout n'est pas merveilleux, mais nous avons créé plus d'entreprises que jamais. Nous avons créé de l'emploi industriel pour la première fois depuis trente ans. Quant aux défaillances, la moitié concerne des entreprises individuelles.
En ce qui concerne Novasco, je redis aujourd'hui ce que j'ai dit lundi : nous serons intraitables à l'égard de Greybull, qui n'a pas tenu ses objectifs. Nous avons lancé des procédures judiciaires et soutiendrons celles que les salariés souhaiteraient entreprendre. Le site de Fos, avec ses 330 salariés, a été repris par un industriel italien qui continue à investir. Le site des Dunes, qui compte à peu près 150 salariés, est également sauvé. Mon collègue Sébastien Martin a reçu tous les élus du territoire, il a échangé avec la région et la Banque des territoires. J'ai eu l'occasion de le dire des centaines de fois : nous continuons à soutenir les territoires en difficulté. Chaque salarié compte, chaque salarié sera accompagné.
M. Karim Benbrahim (SOC). Notre pays attend depuis 2023 une loi de programmation énergétique. Au lieu de cela, nous avons eu droit à plusieurs changements de pied, à un moratoire sur le développement des énergies renouvelables et même à un recul du Premier ministre François Bayrou face à une menace de censure du Rassemblement national. Pendant ce temps, notre pays prend du retard dans sa transition énergétique, ainsi que dans le développement de projets industriels utiles pour le climat et pour notre indépendance dans des secteurs stratégiques. Je ne citerai pas toutes les entreprises mises en difficulté. En Loire-Atlantique, Systovi, fabricant de panneaux photovoltaïques, a fermé et trois cents postes ont été supprimés dans l'éolien offshore chez General Electric. Au mois de septembre, c'est RWE, lauréat de l'appel d'offres Centre Manche 2, qui a annoncé se retirer de l'éolien en mer en France, une filière industrielle dépourvue de tout objectif de long terme.
Voilà autant de signes qui rappellent l'urgence de disposer d'une feuille de route énergétique claire et ambitieuse, permettant de soutenir le développement des énergies renouvelables.
Le moratoire voté par les députés DR avec le Rassemblement national continue d'inquiéter. Monsieur le ministre, vous avez laissé entendre qu'il n'y aurait pas de nouveau moratoire sur les énergies renouvelables dans la prochaine PPE. Pouvez-vous assurer aux industriels, qui attendent une clarification, qu'il n'y aura pas non plus de nouvelle diminution des objectifs déjà rabotés dans les filières photovoltaïques et éoliennes sur terre et en mer ?
Si je voulais rappeler cette urgence, je veux surtout vous interroger sur le retard préoccupant que nous avons pris dans la décarbonation et dans l'électrification de nos usages. La décarbonation de nos industries patine et celle de nos mobilités ou de nos modes de chauffage accuse une progression bien trop lente. En plus d'une PPE, nous avons besoin d'une stratégie en ce sens, mais nous n'avons pas d'objectif clair ni de feuille de route et l'ambition du Gouvernement est encore bien modeste : il suffit, pour s'en convaincre, de voir la faiblesse des crédits alloués au fonds Vert ou au fonds Chaleur dans le projet de loi de finances pour 2026. Quelles seront vos priorités pour doter notre pays d'une stratégie en la matière et pour soutenir le passage vers des énergies renouvelables décarbonées ?
L'enjeu de la transition énergétique, c'est aussi notre souveraineté. Nous avons des filières en difficulté, mais également des projets de gigafactories produisant des panneaux photovoltaïques prêtes à s'installer sur notre sol. Nous avons besoin d'ambition, de protection et de visibilité.
M. Roland Lescure, ministre. Il faut jouer à la fois sur l'offre et sur la demande. Le moratoire, ce n'est pas moi qui l'ai voté, mais vous – collectivement. Il faut, d'une part, continuer à développer la demande (véhicules électriques, MaPrimeRénov' pérennisée grâce aux certificats d'économie d'énergie, etc.) et, d'autre part, donner de la visibilité aux acteurs. Il faut aussi reconnaître que la demande n'est pas aussi forte qu'attendu, en France comme partout. L'électrification des usages est en effet insuffisante : nous devons continuer à la soutenir et l'intégrer dans nos objectifs d'offre d'électricité décarbonée, comme nous allons le faire dans la PPE. Nous ne souhaitons rien arrêter, mais nous devons adapter les rythmes à la demande. Nous reviendrons très vite avec une PPE qui, même si elle ne satisfera pleinement personne, devra être la plus complète possible.
M. Vincent Rolland (DR). Le sommet Choose France, annoncé comme une réussite, est malheureusement l'arbre qui cache une forêt malade. Au premier semestre, 85 sites industriels ont fermé leurs portes, pour seulement 60 qui ont ouvert. La part de l'industrie manufacturière dans le PIB est passée sous les 10%.
Ce déclassement a plusieurs causes conjoncturelles : une très forte instabilité internationale, un contexte politique national néfaste et une instabilité budgétaire qui repousse les choix d'investissement. D'autres raisons sont connues depuis des années, sans que personne s'y attaque vraiment : la pression normative, qui s'accentue malgré les promesses de simplification – M. Guillaume Faury, patron d'Airbus, nous alertait sur le fait que le successeur de l'Airbus A220, un grand succès commercial, pourrait être assemblé hors d'Europe ; l'explosion du coût du travail – le coût de 1 heure de travail dans l'industrie et les services marchands est, selon Rexecode, de 44,90 euros en France contre 25,90 euros en Espagne ; l'instabilité des prix de l'énergie, alors que le développement du nucléaire aurait favorisé la compétitivité nos entreprises ; la naïveté de l'Union européenne lorsqu'il s'agit de protéger ses entreprises et sa lenteur à réagir aux attaques commerciales du reste du monde, notamment de l'Asie. Si nous ne prenons pas très rapidement des mesures concrètes, nous allons continuer de subir plans sociaux et délocalisations. Monsieur le ministre, quel " traitement de cheval " proposez-vous pour redresser notre industrie ?
Permettez-moi de vous alerter plus particulièrement sur les difficultés que rencontre Tokai Cobex, un fabricant de produits en carbone et en graphite, dans le cadre du projet BAM (Battery Anode Material) visant à produire des matériaux d'anode pour les batteries lithium-ion destinées aux véhicules électriques.
M. Roland Lescure, ministre. Nous pourrons échanger directement sur ce dossier précis.
S'agissant du " traitement de cheval ", il faut faire encore plus et mieux que depuis sept ans. Reconnaissons que, si la France est devenue le pays le plus attractif d'Europe, ce n'est pas par hasard. Nous avons créé de l'emploi industriel, alors qu'il diminuait chaque année : ce n'est pas par hasard non plus, c'est parce que nous avons joué sur le coût du travail – il faudrait aller plus loin. Le remède passe par une énergie nucléaire décarbonée pas chère et en masse, par une accélération de la simplification des installations d'usine, par une accélération des raccordements de l'électricité – RTE a un énorme programme à cette fin. Il faut jouer sur la demande d'électrification, soutenir les gigafactories et la décarbonation de l'industrie de l'acier. Il faut surtout que l'Europe change de braquet. Elle en a pris conscience ; maintenant, il faut agir.
M. Julien Brugerolles (GDR). Le froid est de retour. Hier avait lieu la Journée nationale de lutte contre la précarité énergétique, organisée depuis cinq ans par la Fondation pour le logement des défavorisés et une vingtaine d'organisations. Le constat est sans appel : douze millions de personnes sont touchées par la précarité énergétique – un triste record. L'année dernière, plus d'un tiers des ménages ont eu des difficultés à payer leur facture et ont eu froid. Les associations s'inquiètent en particulier du devenir du chèque-énergie, qui, depuis la réforme intervenue l'an passé, n'a été versé qu'à 3,8 millions de ménages (contre 5,7 millions en 2024). Le budget pour 2026 entérine une réduction des crédits de paiement de ce dispositif, alors que nous réclamons depuis des années la revalorisation de 40% du montant de ce chèque et la simplification de son attribution. Où en êtes-vous dans votre réflexion ? De même, nous demandons depuis des années la baisse à 5,5% de la TVA sur l'électricité, qui aurait un effet immédiat pour des millions de ménages.
Enfin, la PPE 3 fixe un objectif d'environ six cent mille rénovations d'ampleur par an à l'horizon 2030. Le projet de loi de finances pour 2026, en réduisant drastiquement les crédits de l'Agence nationale de l'habitat (Anah), le met totalement hors d'atteinte. Allez-vous réellement prendre en compte le besoin de soutenir les ménages face à la précarité énergétique ?
M. Roland Lescure, ministre. La rénovation énergétique, c'est du gagnant-gagnant : on isole, on réduit les factures énergétiques et on soutient l'industrie du bâtiment. Il est donc hors de question de baisser la garde. MaPrimeRénov' sera désormais en partie financée grâce aux certificats d'économie d'énergie, qui permettent de pérenniser son financement. Après avoir levé le crayon quelques mois à la suite d'inquiétudes justifiées par les fraudes et l'inefficacité thermique de certains travaux, nous avons relancé le dispositif.
L'attribution du chèque-énergie a été simplifiée, puisqu'elle est désormais automatique pour les 3,8 millions de ménages qui y avaient droit l'année dernière. Les autres peuvent se connecter sur la plateforme chequeenergie.gouv.fr pour vérifier s'ils y sont éligibles. Le montant du chèque est compris entre 48 et 277 euros.
Nous ne baissons donc pas la garde. Nous veillons seulement à ce que les aides versées soient efficaces.
M. Philippe Bolo (Dem). Le 31 décembre marquera la fin de l'Arenh. Conçu pour accompagner la libéralisation du marché de l'énergie, il est devenu, au fil du temps, un mécanisme de régulation du prix de l'électricité. Pour autant, ses limites ont souvent été soulignées, notamment parce qu'il n'a eu aucun effet sur le développement des énergies renouvelables, ce qui était pourtant une contrepartie attendue. À partir de 2026, il sera remplacé par le versement nucléaire universel (VNU), dont les objectifs sont clairs : protéger les consommateurs des envolées des prix de l'électricité, garantir la compétitivité de notre industrie et permettre à EDF de financer le nouveau programme nucléaire.
Son principe est simple : passé un seuil, les revenus d'EDF issus du parc nucléaire historique sont taxés pour être redistribués aux consommateurs. Néanmoins, nous ne connaissons pas encore la valeur des seuils qui déclencheront cette taxation ni ne mesurons comment le caractère universel du VNU sera garanti. Dans la mesure où tous les consommateurs contribueront au revenu soumis à taxation, il est important qu'ils bénéficient tous de la redistribution, qui ne doit pas concerner que les entreprises électro-intensives.
Même si nous souhaitons tous soutenir la compétitivité de notre industrie, en particulier celle du secteur électro-intensif, ces grandes entreprises profitent déjà de nombreux dispositifs pour les protéger des hausses des prix de l'électricité : contrats de long terme, abattement sur le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (Turpe) et sur différentes taxes, atténuation des quotas carbone. En revanche, les ménages, les TPE, les PME et les collectivités territoriales sont moins bien protégés… sans parler d'Enedis, premier consommateur d'Arenh et qui sera, dès 2026, davantage exposé aux prix du marché – ce qui peut avoir un effet sur les coûts de gestion du réseau. Certes, les prix actuels et anticipés de l'électricité ne conduiront pas à activer le VNU, mais nous devons être vigilants. Personne ne souhaite en effet revivre la crise de 2022, quand 41 Md€ avaient été mobilisés pour les boucliers amortisseurs et autres aides d'urgence. Ma question est très simple : tous les consommateurs bénéficieront-ils bien du VNU ?
M. Roland Lescure, ministre. Rappelons d'abord que l'énergie française est compétitive. Elle coûte environ 40 % de moins à un industriel qu'en Allemagne et 30% de moins à un ménage. Le nouveau dispositif doit permettre de préserver cette compétitivité. La logique pour les énergo-intensifs sera celle des contrats de gré à gré avec EDF. Nous espérons que le contrat de 40 térawattheures sera signé avant la fin de l'année.
Dans le projet de loi de finances, nous proposons que ce soit RTE qui s'assure que la rente nucléaire payée par EDF est reversée aussi équitablement que possible à tous les consommateurs. Si les énergo-intensifs reçoivent toute notre attention, c'est parce qu'ils sont exposés à la concurrence internationale. L'objectif est de protéger le consommateur de prix de l'électricité trop élevés. Le prix moyen est de 70 euros le mégawattheure. Nous resterons attentifs en 2026, comme nous l'avons été cette année.
Mme Marie-Agnès Poussier-Winsback (HOR). Je salue avec force la décision importante, prise au niveau européen sous l'impulsion française, de taxer prochainement les petits colis de moins de 150 euros. Cette avancée montre qu'il est possible de faire bouger les lignes à l'échelle européenne. Elle met un terme à une concurrence déloyale qui fragilise nos entreprises. Il est essentiel de les protéger durablement, dans un contexte géopolitique rendu incertain par les décisions des États-Unis et de l'Asie, qui pèsent lourdement sur notre croissance et ralentissent notre dynamisme. Comment le Gouvernement entend-il redonner confiance à l'économie, dans son ensemble, et au secteur industriel, en particulier ?
Comment soutenir nos TPE-PME et nos commerces de proximité, par exemple en rétablissant des règles de concurrence justes ?
Il n'est pas possible de prétendre protéger nos industries tout en imposant une fiscalité excessive qui pénaliserait nos outils de production. Un budget qui se retourne contre nos industries est mortifère et ne peut relever le défi de la réindustrialisation. Nous devons, au contraire, continuer à améliorer la compétitivité du secteur industriel français. Le succès de la première édition strictement française de Choose France, qui a surpassé la dernière édition internationale, est encourageant. S'il est important de mettre en avant les succès des industriels – dans ma circonscription, Weeecycling recycle des métaux précieux, par exemple –, il nous faut rester attentifs à leurs préoccupations. Soutenir leurs efforts de modernisation et de transition est essentiel.
Quant aux salariés touchés par des fermetures de site industriel, nous devons toujours mieux accompagner leur réinsertion sur le marché du travail, notamment en leur offrant des formations qui correspondent aux attentes et aux nouveaux enjeux.
Monsieur le ministre, comment comptez-vous inciter à créer de nouvelles usines et, si nécessaire, à favoriser les reprises dans un contexte où l'activité industrielle tourne au ralenti ? Le modèle coopératif est-il à encourager ? Le cas échéant, quels sont les freins à lever ?
M. Roland Lescure, ministre. La fiscalité, notamment celle sur les entreprises, n'est pas la formule magique qui permet de restaurer les comptes. Et c'est un ministre ayant déposé hier un amendement de surtaxe exceptionnelle qui vous le dit – je ne l'ai pas fait de gaîté de cœur… Nous avons proposé de baisser la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Il faut également continuer de soutenir le C3IV.
Vous parlez au ministre qui a accompagné la reprise de Duralex par ses salariés : je suis favorable au modèle coopératif. Nous pourrons voir s'il y a des mesures particulières à prendre, mais il semble fonctionner pour l'instant.
Je le répète : nous devons changer de braquet au niveau européen, non seulement sur les petits colis, les ferroalliages, l'acier ou l'automobile, mais aussi sur le numérique. Nous sommes en train de remporter ce combat. Il faut le finaliser grâce à des textes très concrets, à appliquer très vite.
Mme Valérie Létard (LIOT). Monsieur le ministre, je souhaite vous faire part du cas particulièrement significatif d'Alstom. La ligne de Petite-Forêt tourne à plein régime. Elle a notamment reçu la commande de cinquante Eurostar. Il y a dix ans, elle était menacée : on a bien fait de se battre pour la préserver. À Crespin, une ligne produit le Regio 2N et fait travailler quelque 1 800 salariés. Dans l'écosystème qui s'est construit autour de ces fleurons industriels (État, collectivités, mondes consulaire et universitaire, recherche, acteurs de la filière, sous-traitants…), chacun a joué son rôle. Or, cet équilibre est menacé par l'incertitude planant sur les ressources budgétaires des collectivités à moyen terme. Le site de Crespin produit quatre trains par mois et travaille avec trois cents fournisseurs. Sans nouvelles commandes, la chaudronnerie risque de s'arrêter en septembre 2027, ce qui serait un vrai problème pour nos trains régionaux et le savoir-faire français.
Cet exemple témoigne de l'effet direct de la commande publique sur notre industrie et sur l'économie réelle. Ce sont les régions qui commandent les trains que les nouvelles générations veulent emprunter.
En 2024, il y a eu 174 millions de voyageurs dans les Hauts-de-France, ce qui représente une forte progression et nécessite des investissements. Le prélèvement au titre du dispositif de lissage conjoncturel des recettes fiscales des collectivités territoriales (Dilico) s'élèvera à 500 M€ pour les régions, ce qui affectera leur capacité de commande. Comment anticiper ces ruptures dans les commandes, qui pourraient être très dangereuses ?
M. Roland Lescure, ministre. Soyons fiers de notre champion : Alstom est le deuxième constructeur au monde dans son domaine. Il a été acheté à un grand constructeur canadien que je connais bien, ce qui donne tort à tous ceux qui prétendent que la France est à vendre.
Alstom s'appuie beaucoup sur des PME, qui ont besoin d'une plus grande visibilité concernant les commandes ; en cela, votre question est pleinement pertinente. Or, cette visibilité est compromise par les enjeux budgétaires, le cycle électoral et le manque de coordination technique. Ce dernier aspect doit être amélioré afin que les cahiers des charges ne divergent pas trop en fonction des donneurs d'ordre. Avec mon collègue Philippe Tabarot, ministre des transports, nous avons lancé une mission de quinze jours à ce sujet. Je veux des résultats très rapides. L'idée est de pouvoir régler les problèmes techniques en même temps que la question budgétaire.
M. Boris Tavernier (EcoS). Mardi 4 novembre, douche froide pour les 117 salariés de l'usine Blédina de Villefranche-sur-Saône : la multinationale Danone a décidé de la fermer pour la délocaliser en Pologne, mettant ainsi fin, unilatéralement, à une grande et vieille saga industrielle dans le Beaujolais.
Le site tournait au ralenti depuis quelque temps et les effectifs avaient déjà été réduits. Il est vrai que la nutrition infantile, victime de la baisse de la natalité en Europe, n'est pas un marché florissant. Malgré cela, il continuait de dégager une marge ; Danone ne s'y est pas trompée, puisqu'elle n'a pas mis fin à son activité, mais l'a délocalisée. Notre industrie continue ainsi à filer à l'étranger et, avec elle, les services : les salariés s'inquiètent aussi pour leurs collègues du siège, situé à quelques dizaines de kilomètres, à Limonest, d'autant que Danone vient de délocaliser le service Paie en Pologne.
Autre territoire, autre entreprise, autre histoire : vendredi dernier, à Château-Thierry, dans l'Aisne, l'usine Lu-Belin a définitivement cessé sa production. " Le dernier biscuit est sorti à neuf heures trente-cinq. ", ont dit les salariés. Là encore, il s'agit d'une délocalisation cachée : la multinationale Mondelèz, qui possède le site depuis le rachat de Lu en 2007, a choisi de transférer la production en République tchèque. En 2024, Mondelèz a enregistré une croissance de 14% et un bénéfice net de 5 milliards de dollars.
J'aurais pu citer beaucoup d'autres exemples. L'industrie agroalimentaire est, en 2025, le premier secteur industriel touché par des fermetures d'usine. La voracité du capital et l'appétit des grands groupes conduisent à la fermeture de sites de production en France. Dans cette commission, il est souvent question de souveraineté alimentaire : mais comment l'assurer si toutes nos usines de transformation s'en vont ? Que fait l'État pour éviter ces délocalisations ?
M. Roland Lescure, ministre. L'amélioration de la situation de l'industrie agroalimentaire, qui était très exportatrice, est l'un des défis majeurs que nous devons relever.
Je m'y étais intéressé de près lorsque j'étais ministre de l'industrie.
Avec mon ancien collègue Marc Fesneau, alors ministre de l'agriculture, nous avions lancé un programme de robotisation – l'industrie agroalimentaire française est la moins robotisée d'Europe, ce qui entrave sa compétitivité. Certains segments, notamment la nourriture pour enfants, sont confrontés à des problèmes plus structurels.
À l'occasion du Salon de l'agriculture, il y a un peu plus de deux ans, nous avions lancé, également avec le ministre Marc Fesneau, un fonds de soutien à l'industrie agroalimentaire : j'ai appris qu'il venait seulement de démarrer son activité et le fait que cela ait pris autant de temps m'a un peu déprimé… Cette industrie est mal organisée : elle compte presque autant d'organisations professionnelles que d'industriels. Elle doit faire l'objet d'une transformation de fond. J'ai demandé à mon collègue Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie, de travailler en ce sens.
S'agissant du site de Villefranche-sur-Saône, je souhaite que chaque salarié soit accompagné et fasse l'objet d'une offre de reclassement au sein du groupe, dans une usine ou au siège, et Danone s'y est engagé. Le groupe se porte globalement bien : les segments qui vont moins bien doivent bénéficier du soutien des autres, notamment pour le reclassement des collaborateurs.
M. le président Stéphane Travert. Nous en venons aux questions des députés.
M. Joseph Rivière (RN). La souveraineté industrielle, énergétique et numérique figure dans l'intitulé de votre ministère. Le président Macron lui-même, après avoir ouvert les frontières aux multinationales étrangères pendant huit ans, affiche désormais la volonté de renforcer la souveraineté économique face aux puissances mondiales. Que de temps perdu ! S'il avait écouté le Rassemblement national, il n'aurait pas eu besoin de faire volte-face.
À La Réunion, les entreprises locales sont férocement concurrencées par les entreprises mauriciennes, indiennes et chinoises, qui envahissent le marché local jusqu'à prendre possession des capitaux réunionnais. Ce n'est pas faute de talent : les entrepreneurs réunionnais sont formés dans les meilleures écoles de France et d'Europe. De plus, les entreprises locales subissent les blocages et les normes absurdes d'agences et d'établissements publics.
Pourquoi l'État freine-t-il ainsi l'innovation et empêche-t-il le développement des entreprises locales, tandis que les " majors " internationales prennent des parts de marché sur notre territoire et déshonorent nos entreprises ? Pourquoi surcharger nos entreprises de normes bureaucratiques ?
M. Roland Lescure, ministre. Cette situation est difficile ; il nous faut continuer de soutenir le développement de l'industrialisation des territoires d'outre-mer.
Le développement des énergies renouvelables, en particulier, doit être soutenu, parce que ces territoires sont confrontés à des problèmes d'approvisionnement énergétique. Je sais que vous y êtes opposés, mais elles présentent un véritable intérêt dans certains départements.
Parmi les investissements annoncés à l'occasion du salon Choose France, certains concernent les territoires d'outre-mer. Nous devons continuer de repérer et de soutenir les industries qui peuvent s'y développer, mais aussi relever le défi de la concurrence internationale locale. Pour cela, assurons-nous que les mesures de protection s'appliquent dans les territoires d'outre-mer comme en métropole. Je suis persuadé que nous pouvons et allons y arriver.
Mme Sandra Marsaud (EPR). Les données récentes de la Banque de France confirment le décrochage économique préoccupant de la Charente. Ce département ne représente plus que 5,3% du tissu entrepreneurial de la région Nouvelle-Aquitaine. Depuis 2022, l'emploi privé y a perdu plus de deux mille postes et une entreprise sur six est fragilisée – c'est davantage que les moyennes régionale et nationale.
À cette fragilisation économique s'ajoute une déprise démographique régulière : la Charente continue de perdre des habitants, notamment des actifs – on parle de " diagonale du vide " – alors que la population française croît encore légèrement. Ces deux phénomènes pèsent directement sur l'attractivité de ce territoire, où le recrutement est plus difficile qu'ailleurs.
Ces tendances illustrent les difficultés des territoires industriels intermédiaires, souvent éloignés des grands pôles de croissance. Comment soutenir davantage ces bassins d'emploi et de vie si on ne vote pas un projet de loi de finances ?
M. Roland Lescure, ministre. Je connais bien ce territoire, qui doit relever des défis internationaux importants : certaines de ses filières exportatrices sont confrontées à la fois à la concurrence chinoise et à la hausse des tarifs douaniers des États-Unis.
Il faut aider les entreprises qui vont bien à accélérer, sans négliger celles qui souffrent. Le programme Territoires d'industrie nous a permis d'accompagner plusieurs territoires ; le comité interministériel de restructuration industrielle (Ciri) et la délégation interministérielle aux restructurations des entreprises soutiennent les entreprises qui vont mal en mettant le paquet sur la formation. En Charente, comme ailleurs sur cette diagonale qui porte mal son nom, nous devons continuer de soutenir le développement économique.
Quant au projet de loi de finances, s'il n'est pas voté, les baisses de CVAE et d'impôt sur les sociétés pour les PME que vous avez approuvées ne s'appliqueront pas. Il est dans notre intérêt à tous de le voter, en premier lieu dans celui des industries.
Mme Sandrine Nosbé (LFI-NFP). Moins de dix mois après son rachat par le groupe danois Carlsberg, la société Teisseire, forte de plus de trois siècles d'existence, fait face, depuis le 16 octobre dernier, à un plan de licenciement d'une grande brutalité : 205 postes supprimés sur 318. Ce plan confirme la fermeture définitive du site industriel isérois, pourtant performant et rentable.
Petit retour en arrière : en 2010, le groupe anglais Britvic, nouveau propriétaire de Teisseire, lui promet un bel avenir. Très vite, pourtant, les engagements annoncés s'évaporent : non seulement aucun des investissements promis n'est réalisé, mais la production destinée à l'export est délocalisée.
En 2025, le groupe danois Carlsberg rachète Teisseire et opère une extraction massive de trésorerie. Au 30 septembre 2024, la trésorerie de Teisseire s'élevait à 119,8 M€ ; en 2025, elle est égale à – 20,4 M€ : 140 M€ ont disparu ! Cerise sur le gâteau, Teisseire a bénéficié de 500 000 euros par an de CICE.
Compte tenu de cette situation, envisagez-vous de renforcer le cadre réglementaire pour subordonner les aides publiques à des engagements fermes de maintien de l'activité ? Par ailleurs, le motif économique du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) étant inexistant, vous pouvez refuser son homologation : allez-vous intervenir ?
M. Roland Lescure, ministre. J'ai grandi avec les sirops Teisseire et cette situation me désole autant que vous, mais force est de constater qu'on boit moins de sirop qu'avant. La trésorerie de Teisseire a diminué parce que les ventes de sirop ont été beaucoup moins importantes que ce à quoi Carlsberg s'attendait. Du reste, les mesures de fiscalité comportementale que vous votez peuvent avoir un effet sur les boissons sucrées, y compris celles produites en France. C'est un choix politique de votre part, qui n'est pas sans conséquences sur l'activité économique.
Le CICE a été créé bien avant que je sois aux affaires : Teisseire en a peut-être bénéficié, mais je n'en suis pas responsable. Nous l'avons transformé depuis.
Quant à la conditionnalité des aides, nous en débattrons… mais pas en quelques minutes. J'ai déjà exprimé mon souhait d'une transparence absolue concernant les aides publiques comme la fiscalité pesant sur les entreprises. La France est à la fois le pays qui les taxe les plus et celui qui les aide le plus ; malgré les aides, la taxation y reste la plus élevée en Europe. Nous pourrions être plus efficaces. Ce débat de fond devra avoir lieu d'ici à 2027.
M. Pierrick Courbon (SOC). Permettez-moi de revenir sur le dossier Novasco. La reprise d'un seul site par Métal Blanc précipite la liquidation des deux autres ; plus de 550 emplois sont supprimés, dont 40 sur le site du Marais, à Saint-Étienne.
Je soutiens les poursuites qu'engagera l'État contre Greybull, mais, dans ce contexte, quelle est la position de l'État dans la négociation du PSE ? Où en sont les recherches, par le Ciri, d'un repreneur post-liquidation ?
Monsieur le ministre, vous dites qu'on crée plus d'emplois industriels qu'on n'en détruit. J'ai du mal à partager votre optimisme. Je suis issu d'un territoire qui souffre. En une semaine, j'ai été confronté au redressement judiciaire d'ACI et à la fermeture du site de Novasco. C'est d'un engagement concret et de volontarisme que nous avons besoin. Le territoire stéphanois vous lance un appel à l'aide.
M. Roland Lescure, ministre. J'entends cet appel, monsieur le député.
Ce n'est pas parce que le solde d'emplois industriels est positif – c'est l'Insee qui le dit – que l'on n'en détruit pas. Des emplois sont détruits dans des zones industrielles historiques comme celle de Saint-Étienne, auxquelles nous devons continuer d'apporter notre soutien.
S'agissant du PSE, nous nous assurerons que la réglementation est appliquée – et c'est la moindre des choses. Quant à la situation du groupe ACI, nous la suivons de près : cette holding a des filiales un peu partout en France.
Permettez-moi de rappeler que plus de quatre cents emplois de Novasco ont été sauvés en deux ans, sur le site des Dunes à Leffrinckoucke et sur celui de Fos-sur-Mer. Nous devons accompagner individuellement les salariés dont les emplois ont été détruits et chercher des repreneurs pour les sites. Je ne veux pas donner l'impression d'être un optimiste béat, mais nous devons reconnaître les bonnes nouvelles… et pas seulement les mauvaises.
M. Jean-Luc Bourgeaux (DR). L'estuaire de la Rance rencontre d'importants problèmes de sédimentation en raison de l'activité de l'usine marémotrice qui y est installée.
Vous connaissez un peu ce territoire et savez que les élus locaux ne peuvent être considérés comme des extrémistes.
Il est d'autant plus regrettable de voir un collectif composé de maires des communes riveraines, qui travaillent depuis des dizaines d'années dans différentes entités relatives à cet estuaire, en être rendu à entamer une procédure contre l'État et EDF, faute d'autre solution.
Ces élus réclament l'instauration d'un tarif écologique de rachat de l'électricité produite. Quand l'usine a été créée, la tarification " verte " n'existait pas.
Je n'attends pas nécessairement une réponse de votre part aujourd'hui, monsieur le ministre, mais je vous invite à rencontrer ces élus.
M. Roland Lescure, ministre. Je connais bien ce territoire, en effet. Vous m'aviez déjà alerté à ce sujet et je reconnais que je n'ai pas beaucoup avancé dans ce dossier. Je m'engage à recevoir rapidement, au ministère des finances, ce collectif d'élus et vous-même, afin de réfléchir à la façon de résoudre ce problème spécifique, lié à l'histoire du barrage.
M. Boris Tavernier (EcoS). Avant-hier, Les Restos du cœur ont lancé leur quarante et unième campagne nationale : la petite idée de Coluche, qui ne devait être que temporaire, s'est pérennisée. L'État doit répondre aux besoins des associations luttant contre la précarité alimentaire, qui s'est enracinée dans le pays.
Notre assemblée sera probablement privée de débat en séance publique sur la mission Solidarité, insertion et égalité des chances, dont dépendent les crédits relatifs à l'aide alimentaire. Lors de son examen en commission, nous avons adopté trois amendements : le premier vise à ouvrir la tarification sociale de la restauration scolaire à de nouvelles communes, pour un montant de 5 M€ ; le deuxième a pour objectif d'élargir à de nouvelles écoles en Guyane et à Mayotte le dispositif " Petit-déjeuner à l'école ", pour un montant de 3 M€ ; le troisième vise à rétablir les crédits de renfort à l'aide alimentaire non reconduits en 2024, à hauteur de 40 M€.
J'ai bien conscience que vous n'êtes pas ministre des solidarités, mais, quand je travaillais dans le secteur de l'aide alimentaire, ces dix dernières années, j'ai toujours entendu dire que c'est le ministère des finances qui décide in fine. Le Gouvernement retiendra-t-il ces amendements, notamment le troisième, indispensable pour certaines structures locales d'aide alimentaire ?
M. Roland Lescure, ministre. C'est un peu facile de dire que c'est Bercy qui décide ! Il ne vous aura pas échappé que les choses ont changé : depuis quelque temps, c'est le Parlement qui décide… (Sourires.)
Un projet de loi relatif au pouvoir d'achat dans les territoires d'outre-mer sera bientôt examiné ; il traitera notamment de ce sujet. En tout état de cause, je regarderai de près ces amendements, avec la ministre des comptes publics.
M. Philippe Bolo (Dem). La méthanisation collective nécessite de l'hygiénisation, qui passe par l'autoconsommation du biogaz produit. Cette autoconsommation peut bénéficier d'une aide, moyennant un comptage ; mais nous faisons face à un blocage, parce que personne ne sait qui doit contrôler la quantité de biogaz autoconsommée – cela ne relève pas des compétences de Gaz réseau distribution France (GRDF).
La seule solution envisagée, pour l'instant, est une estimation de la quantité autoconsommée pour obtenir le couple temps-température, mais cela a un coût.
On m'a soumis le cas d'un porteur de projet de méthanisation qui doit payer 40 000 euros pour recevoir une aide de 80 000 euros…
Monsieur le ministre, je vous sais attaché à la simplification. Il faut trouver une solution à ce problème, qui remet en cause les projets de méthanisation, si importants pour nos territoires. Cette solution doit être pragmatique, peu coûteuse, efficiente et rapide.
M. Roland Lescure, ministre. Payer 40 000 euros pour en recevoir 80 000… c'est sûr qu'on doit pouvoir simplifier ! Si vous voulez bien me communiquer les coordonnées de cet investisseur, nous prendrons contact avec lui : je regarderai les choses de près avec mes équipes, pour m'assurer qu'on quitte l'univers de Kafka pour quelque chose d'un peu plus efficace…
M. Frédéric Falcon (RN). Nous avons appris hier, par voie de presse, en plein débat budgétaire, une nouvelle hausse globale de la taxe foncière décidée par le seul Gouvernement, excluant des discussions les maires et le Parlement. Ce nouveau matraquage fiscal toucherait 7,5 millions de Français, pour une hausse moyenne de 65 euros.
Dans mon département de l'Aude, l'un des plus pauvres de France, 45% des propriétaires seraient concernés. D'après nos informations, ce sont les territoires ruraux les moins solvables qui seront touchés par cette nouvelle révision foncière masquée.
Avez-vous utilisé les diagnostics de performance énergétique (DPE) pour collecter des données sur le niveau de confort des logements ? Ces informations sont transmises à l'Agence de la transition écologique (Ademe) et à la disposition de l'État.
Monsieur le ministre, nous vous appelons à renoncer à ce nouveau coup de massue. Si vous persistez dans cette voie, la colère fiscale qui monte dans le pays risque d'exploser en 2026.
M. Roland Lescure, ministre. Venant d'un groupe qui a voté 30 Md€ d'impôts sur les entreprises, d'ailleurs totalement inapplicables, cette dernière remarque me fait sourire…
M. Frédéric Falcon (RN). Vous, vous en avez voté cinq milliards !
M. Roland Lescure, ministre. Je n'ai rien voté, monsieur le député. Je vous ai proposé un budget, vous y avez fait exploser la fiscalité, c'est votre choix ; mais venir ensuite parler de " matraquage fiscal ", c'est paradoxal.
La hausse proposée résulte de l'actualisation des bases, qui devait être effectuée depuis des années, car ces bases n'ont plus aucun sens. L'enjeu en est l'équité fiscale entre communes et collectivités locales, premières concernées par cette augmentation. Il s'agit des ressources des collectivités, dont un certain nombre demandait cette mesure. Le débat au Sénat permettra certainement de progresser à ce sujet et, en tout état de cause, l'Assemblée et le Sénat, dans leur sagesse, décideront.
M. Jean-Luc Fugit (EPR). En l'absence de PPE 3, l'ensemble du secteur industriel énergétique est à l'arrêt, les projets innovants comme ceux d'énergies renouvelables. Si la politique de l'offre a besoin d'être soutenue, notamment par cette PPE 3, que prévoyez-vous pour stimuler la demande ? Ne devrions-nous pas élaborer un ambitieux plan interministériel d'électrification ?
Par ailleurs, permettez-moi d'évoquer la situation de l'entreprise Symbio, victime du désengagement brutal et inadmissible de Stellantis. Des manifestations sont prévues cet après-midi même et la situation est très tendue au salon Solutrans. J'espère que l'État sera à la hauteur pour aider à sauver Symbio et la filière hydrogène.
M. Roland Lescure, ministre. Oui, il faut stimuler la demande et le Premier ministre m'a demandé de réfléchir à une stratégie pour accélérer la hausse de la demande d'électrification. Ce problème est mondial : les gens ne consomment pas autant d'électricité qu'on l'avait anticipé, il y a cinq ou six ans. Nous menons déjà des actions (voitures électriques, MaPrimeRénov', etc.), mais il nous faut être plus ambitieux en la matière – en gardant à l'esprit que chaque euro public compte.
J'avais participé à l'inauguration de l'usine de Symbio, avec M. Laurent Wauquiez, qui présidait alors la région, Mme Agnès Pannier-Runacher et plusieurs parlementaires. C'était un très beau projet, qui a malheureusement subi des retraits de commandes de la part de différents donneurs d'ordre. Le Gouvernement travaille avec Stellantis, Forvia et Michelin pour que cette usine poursuive ses activités. Le secteur de l'hydrogène souffre, mais nous devons continuer de le soutenir.
M. Maxime Laisney (LFI-NFP). Comme je n'aurai pas assez d'une minute pour vous dire tout le mal que je pense du versement nucléaire universel, je vous remettrai le rapport d'information que j'ai présenté avec M. Philippe Bolo sur le prix de l'électricité, la compétitivité des entreprises et l'action de l'État.
Nous ne savons toujours rien du seuil de taxation des revenus d'EDF, ni du coût du nouveau nucléaire ou du montage financier de l'État.
Cependant, un projet de décret du Gouvernement, qui a passé un " mauvais quart d'heure ", hier, au Conseil supérieur de l'énergie (CSE), invite la Commission de régulation de l'énergie (CRE) à la plus grande prudence dans la fixation de la fameuse ristourne qui devrait s'appliquer à nos factures. Il invite également les Français à couper le chauffage en janvier pour le rallumer en août, le VNU ne s'appliquant qu'aux consommations estivales – l'été est la période présentant le moins de tensions sur le système.
De plus, l'avis de la CRE sur tarifs réglementés de vente (TRV) indique que les frais de transaction des fournisseurs alternatifs seront beaucoup plus élevés dans un système entièrement soumis au marché et qu'ils devront être répercutés dans le calcul des TRV. Les factures augmenteront donc, même pour les consommateurs restés fidèles au TRV d'EDF, afin de payer les fournisseurs parasites.
Confirmez-vous qu'il n'y aura aucune ristourne en 2026 ?
M. Roland Lescure, ministre. Pour l'instant, le prix de l'électricité a tendance à baisser : de 29 centimes par kilowattheure (c€/kWh) en 2024, il est passé à 26 c€/kWh en 2025.
Tout est ouvert à la discussion : c'est d'ailleurs pour cela que le CSE a donné son avis sur le décret que vous avez évoqué. Si, initialement, nous avions privilégié l'été, c'est parce que nous souhaitons soutenir les industriels, dont la consommation est saisonnière, face à la concurrence internationale. Le dispositif est en cours de finalisation, notamment son calibrage, et RTE sera chargé de la redistribution. Une prénotification sera envoyée à la Commission européenne avant qu'elle ne donne son aval. Il est inutile de créer de l'inquiétude.
M. Alexandre Loubet (RN). En avril dernier, une loi a été votée pour convertir la centrale à charbon de Saint-Avold en une unité de production d'énergie moins émettrice de CO2. Afin de rendre effective cette conversion, j'ai interpellé le Premier ministre Lecornu, qui s'est engagé, la semaine dernière, par courrier, à garantir la pérennité de la centrale et de ses emplois.
Dans le cadre du décret d'application du mécanisme de capacité que vous signerez d'ici à la fin de l'année, assurerez-vous une juste place aux moyens de production pilotables pour garantir la conversion de cette centrale ?
L'annonce de la création d'une co-entreprise par TotalEnergies et le groupe EPH suscite une grande inquiétude quant à la pérennité de la conversion, le communiqué ne faisant pas mention de l'intégration des actifs « Charbon ». Pouvez-vous nous assurer que le Gouvernement pèsera pour qu'elle ait bien lieu, quel que soit l'actionnaire détenteur de la centrale, qu'il s'agisse de GazelEnergie ou de cette nouvelle co-entreprise ?
M. Roland Lescure, ministre. Je ne peux vous répondre précisément, car le dispositif est en cours de finalisation ; vous serez informé. Bien évidemment, nous appliquerons la loi transpartisane qui a été votée.
Quant à l'opération que vous évoquez, elle ne concerne pas les activités relatives au charbon. Les discussions se poursuivent avec le groupe GazelEnergie, qui reste l'actionnaire unique de Saint-Avold.
M. Jean-François Coulomme (LFI-NFP). Je me fais ici la voix des salariés et des représentants syndicaux de deux fleurons de l'industrie savoyarde : Ferroglobe, à Montricher, et DS Smith Packaging, à La Rochette. Les menaces de fermeture que font planer leurs propriétaires respectifs pèsent sur plus de quatre cents emplois pour le producteur stratégique de silicium et de près de cent pour le cartonnier, sans oublier les nombreux emplois indirects. Les conséquences seraient lourdes pour le tissu économique local.
DS Smith et Ferroglobe ne sont pas des cas isolés : la Savoie et ses voisins sont confrontés à une succession d'alertes industrielles. Niche Fused Alumina (NFA), Tokai Cobex, Vencorex, ACI, Novasco, Teisseire : les disparitions annoncées se multiplient. Cette évolution traduit l'absence d'une véritable stratégie industrielle nationale et territoriale. Elle laisse nos entreprises et nos salariés seuls face aux logiques de rentabilité immédiate.
Monsieur le ministre, face à cette accumulation de désastres, les salariés menacés et leurs représentants syndicaux vous demandent instamment de convoquer dans les plus brefs délais une conférence économique et sociale départementale réunissant l'État, les organisations syndicales et patronales ainsi que les collectivités. Allez-vous enfin intervenir ?
M. Roland Lescure, ministre. Je pensais que vous alliez remercier le Gouvernement et le Président de la République de s'être battus " comme des chiens " pour obtenir de l'Union européenne la clause de sauvegarde sur les ferroalliages, qui permet à ces entreprises de survivre. J'ai passé deux jours à téléphoner à tous mes homologues, le Président a parlé à plusieurs chefs d'État… " Chapeau, merci la France ! Merci l'Europe ! " : est-ce que, de temps en temps, on peut se dire ce genre de chose ? Après cette victoire, il faut poursuivre ce combat extrêmement tendu et obtenir le même type de clause pour le silicium. Le Gouvernement n'est toutefois pas responsable de tout. Nous faisons face à une concurrence malhonnête et nous nous mobilisons pour la rendre loyale, reconnaissez-le.
Mon collègue Sébastien Martin travaille depuis des années avec les élus locaux, dont il fait partie, et, en tant que ministre chargé de l'industrie, il a déjà organisé des rencontres avec les élus, notamment ceux du territoire où se trouve le site de Novasco. Vous serez associé à celles qui concernent votre circonscription. Ne nous faites pas de procès d'intention : on a travaillé d'arrache-pied pour sauver un secteur en danger de mort et on continue de se mobiliser pour sauver l'industrie française. Parfois, ça marche. De temps en temps, juste un " merci " – je ne vous demande même pas un " bravo " – ce serait bien…
Mme Anne-Sophie Ronceret (EPR). La filière des vins et spiritueux est l'un de nos moteurs à l'export, avec un chiffre d'affaires de plus de 16 Md€. Composée à plus de 90% de PME, elle fait vivre six cent mille emplois dans nos territoires. Après les récents épisodes de tensions commerciales, la profession exprime une inquiétude très forte. Si le doublement de la " taxe Gafam " devait aller au bout de son parcours législatif, elle redoute des représailles américaines ciblant à nouveau les vins et spiritueux et dont l'impact sur les exportations pourrait être dévastateur. Elle craint de servir une nouvelle fois de variable d'ajustement dans nos relations commerciales avec les États-Unis. Quelles garanties pouvez-vous lui apporter ? Comment le Gouvernement se prépare-t-il à réagir à d'éventuelles mesures de rétorsion de ce type ?
M. Roland Lescure, ministre. Ce risque de représailles, je l'ai évoqué lorsque votre assemblée a choisi de multiplier par deux le taux de cette taxe – et certains d'entre vous étaient prêts à aller jusqu'à une hausse de 15 %. L'État américain nous a déjà fait des représentations. Nous allons voir ce que le Sénat fera de cette mesure.
Certes, il importe de mieux taxer les multinationales, mais, pour ce faire, un cadre multilatéral s'impose, celui du pilier 1 ou du pilier 2 de l'OCDE. Si nous agissons seuls contre le reste du monde, nous en paierons les frais et certaines filières seront exposées les premières, comme celle que vous mentionnez. Elle est déjà confrontée à des menaces de la part de la Chine et nous travaillons dans le cadre du dialogue France-Chine à lever certaines mesures qui l'affectent directement.
M. Dominique Potier (SOC). Monsieur le ministre, le groupe socialiste sera toujours à vos côtés dans le combat pour la réindustrialisation de notre pays, mais en toute clarté et en s'appuyant sur des valeurs, notamment la responsabilité sociale et environnementale.
Le Parlement européen vient de " casser " la directive CS3D. Cette directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité avait vocation non seulement à défendre des principes universels, mais à protéger notre industrie de ses compétiteurs sans foi ni loi. Votre prédécesseur tenait au moins la ligne de la responsabilité civile. Continuerez-vous à la défendre dans le cadre du trilogue ?
Depuis un an, j'ai écrit aux ministres successifs de l'industrie et de l'économie pour leur soumettre des propositions de mise en œuvre de directives européennes et de lois votées par notre Parlement afin d'assurer une meilleure protection des marchés publics. Êtes-vous prêt à vous mettre au travail avec des parlementaires volontaires ?
M. Roland Lescure, ministre. Sur les marchés publics, les choses sont en train de bouger en Europe. Nous devons nous mettre d'accord sur ce qu'est un " bien européen ", par exemple dans le secteur du numérique ou de l'automobile. Nous sommes prêts à travailler avec vous.
S'agissant de la directive CS3D, nous regrettons le vote du Parlement européen. Les députés européens qui se rattachent à notre groupe se sont prononcés contre ce compromis – tout comme les vôtres, j'imagine. Dans le cadre du trilogue, nous soutenons le retour au champ d'application de l'accord du Conseil de l'Union européenne du 23 juin 2025, qui vise les entreprises de plus mille salariés réalisant plus de 450 M€ de chiffre d'affaires (au lieu des seuils révisés de cinq mille salariés et 1,5 Md€, qui viennent d'être adoptés). Pour assurer des conditions de " level playing field ", nous souhaitons qu'un amendement en séance plénière permette de revenir à l'harmonisation du régime de responsabilité civile, mais nous ne sommes pas sûrs de cette issue. N'hésitez pas à en parler à vos parlementaires européens. Quant au Président de la République, il a signé l'accord du Conseil européen que j'évoquais.
Mme Aurélie Trouvé (LFI-NFP). Je suis d'accord avec vous, monsieur le ministre, il faut aussi des bonnes nouvelles et je vais vous en donner une : ce matin, la commission des finances a voté en faveur de la nationalisation d'ArcelorMittal. Je serai heureuse de défendre cette proposition de loi, le 27 novembre prochain, dans le cadre de la niche parlementaire de La France insoumise.
Mais il est de notre devoir de vous interpeller face à des désastres comme celui de Novasco : 550 salariés et leurs familles sacrifiés, des savoir-faire au service d'un acier décarboné liquidés. Avec deux cents millions d'euros de subventions versés par l'État en dix ans, il y avait de quoi de construire une usine. Le fonds spéculatif Greybull Capital, qui a repris l'entreprise en 2024, n'a pas tenu ses engagements. Pourquoi, alors que ses pratiques étaient connues de longue date, l'État a-t-il autorisé cette opération ? Est-il vrai qu'une clause du contrat de reprise prévoie la possibilité d'une nationalisation si l'entreprise ne tient pas ses engagements ? Si oui, pourquoi ne l'appliquez-vous pas ?
M. Roland Lescure, ministre. J'aurai le plaisir de représenter le Gouvernement le 27 novembre, lorsque vous défendrez votre proposition de loi sur ArcelorMittal, madame la députée : le débat promet d'être intéressant.
Ministre de l'industrie en 2024, j'ai suivi de près le dossier de la reprise d'Ascometal, devenu Novasco. N'oublions pas que nous avons sauvé 450 salariés en deux ans, grâce à la reprise des sites des Dunes et de Fos. Pour les autres sites, ce n'est pas l'État, mais le tribunal qui a autorisé la reprise par Greybull : il n'y avait qu'une seule offre. Certains engagements n'ayant pas été respectés, le Gouvernement va entamer des procédures judiciaires.
Monsieur Tavel, on ne parle pas ici des " Rapetou ", mais de la justice : c'est à elle qu'il appartiendra de décider de ce qui pourra être récupéré en tout ou partie. Pour l'heure, nous allons nous focaliser sur les salariés, qui ont été baladés ces dernières années au gré des reprises successives. Il est temps qu'on trouve des solutions pour eux. Nous allons y travailler.
M. Stéphane Buchou (EPR). Il y a quelques jours se tenaient les assises de l'économie de la mer, qui ont rappelé le rôle stratégique de nos filières maritimes pour la compétitivité et la souveraineté industrielles du pays. La semaine prochaine, le Salon nautique mettra en lumière le dynamisme et le potentiel d'innovation d'un secteur où la France dispose de véritables fleurons. Je pense au leader mondial, Beneteau, installé dans ma circonscription, ou encore à l'entreprise nantaise Neoline, dont le cargo à propulsion vélique, incarnation de l'excellence française dans la transition vers une navigation décarbonée, a été baptisé il y a quelques semaines.
La souveraineté industrielle est un enjeu majeur et nos entreprises doivent faire face à une concurrence internationale intense. Comment le Gouvernement prévoit-il de soutenir durablement l'industrie nautique française, d'accompagner ses innovations, de renforcer ses capacités de production et d'assurer son attractivité à long terme ?
M. Roland Lescure, ministre. Il faut continuer à encourager cette filière dans laquelle la France excelle et innove. Je pense notamment à la propulsion vélique, qui concerne non seulement des cargos, mais aussi des paquebots de croisière, dont l'un est en construction aux Chantiers de l'Atlantique. Je vais regarder où en est la mise en œuvre du contrat de filière stratégique des industriels de la mer, que j'avais signé avec M. Hervé Berville, alors secrétaire d'État chargé de la mer. Par ailleurs, nous verrons comment prospèrent les amendements au projet de loi de finances qui concernent cette filière.
M. Nicolas Meizonnet (RN). Dans toute grande puissance industrielle, l'État se doit de soutenir son industrie. La négligence des autorités, puis l'attaque d'une association de consommateurs, ont fait courir de grands risques à la marque iconique qu'est Perrier, qui vend dans le monde entier son eau minérale unique. L'usine, située dans ma circonscription, représente mille emplois directs et autant d'emplois indirects. Fort heureusement, la justice a tranché favorablement hier : Perrier peut encore commercialiser ses bouteilles, mais jusqu'à quand ? Sur ce dossier, que fait l'État ? Rien.
À quelques mètres, la verrerie du groupe américain Owens-Illinois ferme définitivement alors que l'usine, qui produisait notamment les bouteilles de Perrier, était rentable : 164 personnes se retrouvent au chômage. Sur ce dossier, qu'a fait l'État ? Rien. J'ai interrogé à plusieurs reprises vos prédécesseurs et les précédents ministres de l'industrie : rien. Qu'allez-vous faire, vous, pour éviter de nouveaux carnages industriels ?
M. Roland Lescure, ministre. " Carnages ", le terme est fort : le misérabilisme est irritant. Il y a des situations extrêmement difficiles et celle que vous évoquez l'est. Mon collègue Sébastien Martin et ses équipes, comme pour d'autres dossiers de ce type, vont se pencher sur les possibilités de reprise. Nous regrettons la fermeture de la verrerie.
La décision de justice concernant Perrier n'appelle pas de commentaires de ma part. Les pratiques de ces groupes suscitent certaines interrogations. Des enquêtes ont été menées. J'ai moi-même été interrogé en tant que ministre de l'industrie par la commission d'enquête du Sénat sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille. J'estime que ces derniers ont un devoir absolu de respecter les normes et les lois. La justice fait son travail. On va pouvoir continuer à boire du Perrier, eau minérale naturelle : très bien ; mais nous allons nous assurer que ses producteurs font aussi leur travail.
M. Matthias Tavel (LFI-NFP). Monsieur le ministre, allez-vous enfin vous opposer à la vente d'Exaion par EDF ? Allez-vous enfin vendre les barrages hydroélectriques à leurs exploitants ? Allez-vous enfin publier la PPE avant la fin de cette année et le nouvel appel d'offres tant attendu pour l'éolien en mer ? Allez-vous enfin rouvrir, conformément à la décision du Parlement, le dossier de la conversion de la centrale de Cordemais pour qu'elle reste un lieu de production d'énergie ? Allez-vous enfin traduire, dans le projet de loi de finances, l'engagement pris par monsieur Bayrou, lors du comité interministériel de la mer (Cimer), de flécher 90 M€ du produit de la taxe carbone européenne, à laquelle contribue le secteur maritime, vers des projets de décarbonation du maritime, dont fait partie la propulsion vélique ?
M. Roland Lescure, ministre. Il y a des dossiers qui, d'un seul coup, sont érigés en symboles de la politique de souveraineté industrielle, numérique et énergétique de la France et dont certains parlementaires s'emparent en donnant l'impression qu'on est en train de " vendre les bijoux de famille " : Exaion en fait partie. Cette opération ne remettrait pas en cause l'éventuel choix stratégique de la France de se lancer dans le minage de bitcoins, enjeu à propos duquel j'ai confié une mission au Conseil général de l'économie. Exaion est l'une des dizaines de start-up qu'EDF incube et qui n'ont pas toutes vocation à devenir des filiales de notre grand champion national. Sa vente ne signifierait pas la fin du supercalcul en France – ses activités ne représentent que 0,1 % des capacités actuelles. Exaion ne fait pas non plus l'objet d'un traitement de faveur de la part d'EDF : il n'y aurait pas de dumping avec, pour les Américains, de l'électricité peu chère.
Calmons donc le jeu : nous ne sommes pas en train de céder à vil prix une pépite aux méchants Américains, de brader le nucléaire français ou de laisser partir à l'étranger nos capacités stratégiques de supercalcul. Il faut arrêter de faire dire à ce dossier tout et son contraire. Pour augmenter son capital, dans le cadre de son développement, Exaion se tourne vers un actionnaire américain potentiel, mais EDF resterait au capital. Comme dans toutes les opérations industrielles mettant en jeu des investissements étrangers en France, nous appliquerons la procédure IEF pour savoir s'il faut poser des conditions. Le dossier Exaion viendra s'ajouter aux 450 dossiers qui sont ainsi examinés chaque année et sera étudié avec tout le sérieux qu'il mérite, ni plus ni moins.
S'agissant de l'hydroélectricité, votre assemblée a apporté une contribution d'une exceptionnelle qualité. Je tiens à rendre ici hommage à Mme Marie-Noëlle Battistel et à M. Philippe Bolo, qui ont travaillé de conserve : vous avez non seulement ébauché des pistes transpartisanes, mais vous êtes également allés les défendre auprès de la Commission européenne – et le Gouvernement a aussi œuvré de son côté. Nous sommes en train de parvenir à une solution. Reste à trancher la question de savoir comment sera traitée la propriété : deux options sont examinées, dont l'une a ma préférence, mais il faut s'assurer qu'elle est compatible avec le droit européen. J'en ai parlé, il y a moins de deux heures, avec le Premier ministre, qui souhaite que nous avancions. J'espère que nous pourrons obtenir des résultats dès le début de l'année prochaine. En tout cas, je m'engage à ce que cela aille très vite.
S'agissant de Cordemais, EDF avait lancé un projet de reconversion sous la précédente direction. Je vais vérifier très bientôt, auprès de M. Bernard Fontana, s'il a été maintenu et vous transmettrai une réponse par écrit.
Concernant le fléchage sur le vélique, je vous fournirai également une réponse écrite. Soyez assuré que nous continuons à soutenir la filière dans son ensemble.
Sur la PPE, j'ai bien conscience de pas répondre à toutes les questions, notamment sur le calendrier. Le Premier ministre souhaite qu'on avance rapidement. Vous avez évoqué, monsieur Tavel, les appels d'offres pour l'éolien en mer et votre collègue Jean-Luc Fugit, le besoin d'accélérer le développement du nucléaire, pour lequel on en est encore à la PPE 2 – laquelle, reconnaissons-le, n'est plus tout à fait d'actualité. J'organise des réunions informelles avec les représentants que me désignent les présidents de groupe, mais je n'ai pas encore rencontré tout le monde. Je ferai très rapidement une recommandation concrète au Premier ministre, qui aura l'occasion d'évoquer ces questions avec vous.
Je me félicite, pour conclure, que les débats devant la commission des affaires économiques soient toujours aussi intéressants et instructifs.
Même s'il y a des désaccords de fond, les discussions se font sans polémique inutile – une tradition que le président Travert, comme avant lui la présidente Aurélie Trouvé, ont su perpétuer.
Je vous engage à poursuivre le dialogue avec le Gouvernement, avec moi-même, avec Sébastien Martin ainsi qu'avec Anne Le Henanff, qui fait un énorme travail pour promouvoir notre souveraineté numérique – notamment à Bruxelles, à propos du cloud – et pour améliorer la protection des mineurs, des citoyens et des entreprises. Là aussi, nous progressons. Franchement, nous ne faisons pas tout bien, mais il y a des sujets à propos desquels nous avançons, à propos desquels la voix de la France, que le Président de la République donne à entendre depuis huit ans, est en train d'emporter l'adhésion d'une bonne partie de nos partenaires européens. Nous allons pouvoir continuer à travailler ensemble pour que notre pays reste une grande nation industrielle.
M. le président Stéphane Travert. Nous ne manquerons pas de poursuivre le dialogue avec vous en vous recevant régulièrement.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 2 décembre 2025