Déclaration de M. Philippe Baptiste, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace, sur la recherche universitaire sur l'islam, la liberté académique et les groupes militants étudiants, à l'Assemblée nationale le 6 novembre 2025.

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  • Philippe Baptiste - Ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace

Circonstance : Audition devant la commission d'enquête sur les liens existants entre les représentants de mouvements politiques et des organisations et réseaux soutenant l'action terroriste ou propageant l'idéologie islamiste

Texte intégral

M. le président Xavier Breton. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre présence devant notre commission d'enquête. Votre parcours professionnel est très riche ; aussi rappellerai-je simplement que vous suivez depuis longtemps les questions relatives à l'enseignement supérieur pour avoir été membre de plusieurs cabinets ministériels et occupé plusieurs fonctions au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et au ministère de l'enseignement supérieur.

Nos travaux portent sur les mouvements islamistes en France et leurs stratégies pour nouer des liens avec des élus nationaux ou locaux. Nous avons auditionné des chercheurs, des représentants des services de l'État – principalement des services de renseignement –, mais également des acteurs de terrain, notamment des préfets et des maires. Lors de ces auditions, il a été souligné qu'une connaissance approfondie des mouvements islamistes était indispensable pour contrer leur influence. Or de nombreuses personnes auditionnées nous ont signalé les difficultés à disposer d'études objectives ainsi que les pressions exercées sur les chercheurs spécialisés dans ces domaines. Plus généralement, il apparaît que l'islam lui-même, en tant que culture et religion, est insuffisamment étudié. Ces constats sont aussi ceux du rapport "Frères musulmans et islamisme politique en France" publié en mai dernier par le ministère de l'intérieur.

Dressez-vous les mêmes constats ? Comment pourrions-nous garantir aux chercheurs des conditions de travail plus sereines et disposer d'une base de connaissances suffisamment solide et actualisée pour appréhender l'influence des mouvements islamistes ?

Par ailleurs, des actes d'intimidation à l'égard d'étudiants ou de conférenciers ainsi que des actes de blocage impliquant des groupes minoritaires sont régulièrement dénoncés. Quelles actions entendez-vous mener face à ce type de comportements ? Quels échanges avez-vous avec les directeurs d'établissement sur ce point ?

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Philippe Baptiste prête serment.)

M. Philippe Baptiste, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace. Je voudrais tout d'abord partager ma grande inquiétude quand je vois de jeunes Français tenir, dans les murs de leur université, des propos antisémites. Inquiétude aussi quand des personnes à peine sorties de l'adolescence, qui fréquentent parfois leur université depuis quelques heures ou quelques jours seulement, peuvent se faire les porte-parole de propos qui relèvent de l'apologie du terrorisme. Inquiétude de constater que notre jeunesse n'est parfois pas protégée des idées mortifères qui traversent notre société, dans un lieu dont la vocation est de former à penser en citoyen libre, éclairé, capable de débattre dans le respect et l'intelligence. Je suis certes inquiet, mais je crois en la mobilisation implacable de mon ministère pour répondre à ces actes.

Je comprends que votre commission d'enquête a pour objet d'étude les liens entre les représentants de mouvements politiques et l'organisation et les réseaux soutenant l'action terroriste ou propageant l'idéologie islamiste. J'ai naturellement été attentif à vos travaux, au moins à ceux rendus publics, et c'est dans ce cadre qu'un lien a pu être établi avec la caisse de résonance naturelle des faits de société que constitue le terrain universitaire.

L'université est une caisse de résonance à deux égards, et c'est sur cette dualité que je fonderai mon propos liminaire afin qu'il soit le plus utile possible à votre commission. D'abord parce que l'université, en tant que lieu où se fabrique la recherche, peut et doit contribuer par son regard scientifique à éclairer la réflexion de la représentation nationale et du public. Ensuite parce que la jeunesse est, nous le craignons, particulièrement concernée par ces liens entre mouvements islamistes et mouvements politiques. Je vous propose donc de distinguer ces deux dimensions de l'université, comme lieu de recherche et d'enseignement pour la communauté académique, d'une part, et comme lieu d'expression de la jeunesse étudiante, d'autre part.

L'islam, l'islamisme et la radicalisation ont bénéficié, en tant que champs d'études, d'un effort de recherche particulier depuis les attentats islamistes qui ont frappé notre pays en 2015. Cet effort a porté à la fois sur l'investissement et la structuration des champs disciplinaires et de recherche afin de répondre à des enjeux scientifiques, sociétaux et sécuritaires. Cette mobilisation s'est traduite par la création de nouveaux postes, par le lancement d'initiatives spécifiques, comme celle de l'Institut français d'islamologie (IFI), et par la mobilisation conjointe du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, du ministère de l'intérieur et du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, avec l'appui de financements nationaux et européens. L'objectif était alors clair : construire une recherche crédible, exigeante et indépendante sur l'islam, à l'abri des influences idéologiques et des réseaux.

En une dizaine d'années, nos connaissances se sont considérablement enrichies, notamment au sujet des courants issus de l'intégrisme musulman : Frères musulmans, salafisme et djihadisme recouvrent des notions dont les nuances sont désormais mieux connues, y compris au-delà d'un public de chercheurs très spécialisés.

Pour autant, travailler sur l'islam demeure une entreprise difficile. Les chercheurs spécialisés sont soumis à une très forte pression politique et médiatique, dans un contexte de polarisation croissante du débat public, sans parler de la peur d'être la cible d'attentats. Certains chercheurs ont été la cible de menaces de mort. C'est intolérable.

Le ministère a vocation à mobiliser l'ensemble des instruments à sa disposition lorsque de tels faits se produisent : application de l'article 40 du code de procédure pénale, mise en œuvre de la protection fonctionnelle, sollicitation d'une protection policière auprès du ministère de l'intérieur, procédures disciplinaires à la main des établissements.

L'attention politique et médiatique sur ces sujets d'étude complexes constitue une difficulté supplémentaire du fait de l'inévitable simplification opérée au moment où les termes de ces recherches sont repris et exposés tant par les élus ou responsables publics que par les médias. S'il n'est pas étonnant que certaines polémiques, souvent amplifiées par les médias, donnent une image déformée du champ, la diversité des interprétations de la radicalisation ou de l'islamisme ne discrédite nullement la recherche, bien au contraire. Dans ce champ comme dans les autres, le pluralisme scientifique est une exigence fondamentale de la communauté académique, qui repose sur la rigueur méthodologique, la confrontation argumentée et la liberté critique. La responsabilité des pouvoirs publics n'est pas de trancher entre les différentes écoles de pensée, mais de garantir les conditions d'un débat scientifique sain, protégé le plus possible des pressions idéologiques ou communautaires, dans les limites très larges que la loi fixe à la liberté d'expression et aux libertés académiques en général.

Dans un avis rendu le 21 mai 2021, le Collège de déontologie de l'enseignement supérieur et de la recherche (CDESR) rappelle que "l'esprit [sur lequel reposent les libertés académiques] se caractérise par la tolérance, l'ouverture au débat, l'acceptation du pluralisme […]. Une approche scientifique suppose […] la rigueur des analyses […] et la prévention des conflits d'intérêts. […] C'est au regard de ces principes que s'apprécient tant le comportement des enseignants-chercheurs eux-mêmes que les conditions d'organisation de débats dans les établissements d'enseignement supérieur et de recherche." Et plus loin : "Plus les sujets abordés sont sensibles, plus le respect de ces obligations appelle d'attention."

La grande majorité des chercheurs travaillent dans ce cadre. Hors de tout militantisme, ils font leur travail, lequel consiste à produire des savoirs, objectifs et rigoureux, loin des postures.

Mon ministère s'est fortement engagé pour soutenir une recherche sur l'islam qui réponde à ces standards. L'État a ainsi consacré près de 6 millions d'euros, depuis 2022, à la relance de l'islamologie dans le cadre de l'IFI. Le ministère de l'intérieur a financé près d'une centaine de projets en dix ans, pour un montant de 3,4 millions d'euros. Il est nécessaire de mieux faire connaître ces travaux, de renforcer leur visibilité et de mobiliser davantage leur expertise, comme le recommande le rapport du ministère de l'intérieur sur l'islam politique et les Frères musulmans dans sa partie consacrée à la recherche. D'excellents chercheurs, venus de l'étude du fait religieux, de la sociologie ou de la science politique, se sont penchés sur l'islamisme. Cependant, il est vrai que la France manque encore de spécialistes travaillant de manière privilégiée sur l'islamisme en France et son lien avec les partis politiques.

Le programme Religions et sociétés face aux défis contemporains (ReligiS), annoncé en décembre 2024 et piloté par l'université de Strasbourg, constitue à cet égard un nouveau levier stratégique. Il vise à analyser les transformations des interactions entre fait religieux et société dans le monde contemporain. En renforçant l'expertise française sur les transformations contemporaines du fait musulman et en adoptant une approche comparative et pluridisciplinaire, il peut contribuer à bâtir un savoir collectif, objectif, apaisé et durable sur l'islam dans ses multiples dimensions. Cela suppose, je le répète, de garantir le cadre adéquat à ces recherches.

La liberté académique est un pilier de notre démocratie. Elle protège la recherche, la pluralité des idées et le débat contradictoire. Mais elle s'accompagne de devoirs qui engagent la responsabilité de chacun au sein la communauté académique, des chercheurs et des enseignants jusqu'aux étudiants. Garantir les libertés académiques et préserver la possibilité d'un débat scientifique ouvert est un devoir fondamental. C'est aussi la meilleure manière de préparer les étudiants d'aujourd'hui à devenir des citoyens éclairés, capables de résister à tous les endoctrinements et d'entrer dans un dialogue fondé sur la raison plutôt que sur l'invective.

Ce premier volet de mon propos liminaire n'est pas celui d'un chercheur engagé dans son champ d'études, mais celui du ministre qui, bénéficiant du recul et de la hauteur que lui confère mécaniquement son poste, peut assurer que ce champ d'études existe, qu'il est investi et que le ministère continue de tout faire pour que chaque chercheur puisse exercer dans ces conditions normales.

L'université a depuis longtemps offert un terrain favorable à l'expression des opinions politiques, jusqu'à l'extrémisme politique et à l'hyper-radicalité. Nous devons conserver cette histoire longue en tête au moment de poursuivre sur la question des liens qui s'établiraient au sein de la jeunesse étudiante entre islamisme et mouvements politiques. C'est précisément parce que je ne veux rien minorer ni esquiver que j'estime primordial de conserver en mémoire certains jalons essentiels de l'histoire universitaire récente.

La guerre d'Algérie, qui a concerné toute la jeunesse française par la conscription et par les débats qui ont enflammé la France, a été l'occasion d'une mobilisation importante, qui a pu créer ce que des chercheurs ont qualifié de véritable culture de la violence politique dans les universités.

Quelques années plus tard, en 1966, Paris connaît une vingtaine d'affrontements violents en quinze jours entre groupes d'extrême gauche et groupes d'extrême droite. Les universités deviennent des champs de bataille idéologiques où l'on entre en militance par la détestation de l'autre. La violence politique étudiante, à l'université, n'est pas née avec les réseaux sociaux ; elle a un siècle d'histoire, au moins.

La jeunesse étudiante a été la cible privilégiée d'un effort explicite et organisé de conversion militante et d'influence. Durant trois décennies, l'influence soviétique sur une grande partie du milieu universitaire français s'est exercée de manière systématique. Les travaux de Stéphane Courtois et de Marc Lazar ont mis en évidence la manière dont l'URSS s'est efforcée de peser sur les convictions d'une grande partie de la jeunesse, du financement d'organisations étudiantes, présentées comme indépendantes, aux échanges avec des universités soviétiques. S'y ajoutaient le contrôle de maisons d'édition et de revues universitaires, ainsi qu'un système d'intimidation par l'intermédiaire de la presse communiste qui édictait des interdits stricts contre les dissidents.

La perte d'attrait du modèle soviétique – relative, me semble-t-il – n'a pas fait disparaître les engagements militants. Ceux-ci ont simplement changé de référent : maoïsme, trotskisme, anarchisme, entre autres.

La situation que je suis amené à commenter devant vous s'inscrit dans une forme de continuité, tout en présentant évidemment plusieurs ruptures.

La première d'entre elles est la fragmentation des groupes militants. En un peu plus d'une dizaine d'années, le modèle classique des grands syndicats et des mouvements de jeunesse des partis s'est effondré au profit d'une fragmentation extrême des groupes militants. Il est donc immensément complexe, pour ne pas dire impossible, de construire désormais une organisation capable de diffuser dans tout le pays une idéologie ou un objectif militant avec l'efficacité que l'on prêtait jadis aux organisations étudiantes. Chaque école, chaque université et même chaque campus dispose de ses propres structures qui peuvent, malgré des noms pourtant semblables, défendre des positionnements très éloignés les uns des autres.

La deuxième de ces ruptures est l'inversion du magistère moral. Jusqu'aux années 1980, la parole venue de l'université pouvait sembler porteuse d'une lumière qui éclairait les débats de société : les très grands intellectuels universitaires avaient une influence politique majeure. Il semble que le mouvement se soit quelque peu inversé : les responsables politiques s'invitent parfois dans l'enceinte universitaire pour y faire entendre leur discours et, pour certains, leur radicalité.

La troisième de ces ruptures porte sur les nouveaux thèmes du militantisme radical, qui deviennent parfois très sectoriels, à rebours de ce que l'on appelait "l'intersectionnalité des luttes". C'est en particulier le cas – sans vouloir porter aucun jugement – des questions d'égalité entre les femmes et les hommes et de lutte LGBTQIA+. Ces nouvelles plateformes idéologiques, en particulier celles que je viens d'évoquer, sont très éloignées de la vision de la société défendue par l'islamisme politique. C'est précisément ce que dit le rapport commandé par le ministère de l'intérieur et opportunément diffusé en mai 2025, qui n'évoque que marginalement les universités, contrairement à d'autres sphères de la société : "Les interfaces entre mouvance frériste et militantisme intersectionnel existent mais restent à ce jour ponctuelles […], du fait de divergences importantes, notamment la question LGBT, point de désaccord difficilement dépassable."

Il existe cependant des militants radicaux qui pensent pouvoir établir un lien à partir d'une convergence de mobilisation, en particulier sur le conflit israélo-palestinien. Cette convergence se traduit par un antisémitisme tourné vers les étudiants juifs de France, souvent, ou par l'apologie du terrorisme, plus rarement.

Nous, responsables politiques, devons bien nommer les choses. Ainsi, ce qui émerge en premier lieu n'est ni l'entrisme, ni l'islamisme, ni tout autre terme médiatique un peu fourre-tout qui recouvre le problème d'un amalgame dont aucune clarté ne peut ressortir. L'antisémitisme est trop abominable pour être désigné d'un autre nom. L'apologie du terrorisme est trop grave pour être appelée autrement. L'un comme l'autre sont susceptibles de revêtir des qualifications pénales et font l'objet de la plus grande fermeté de ma part et de celle de l'ensemble du gouvernement.

Enfin, et c'est la dernière rupture que je souhaite aborder, depuis les années 1960, les outils à disposition du ministère ont profondément évolué, de même que le droit français. L'encadrement par la loi de la liberté d'expression a permis de constituer les propos racistes et antisémites en délits ou en crimes, et l'apologie du terrorisme est désormais considérée comme un crime par le code pénal. Au sein même des universités, l'organisation a évolué pour que, sans remettre en cause les libertés académiques ou la franchise universitaire, le droit ne soit pas absent des campus, des amphithéâtres et des laboratoires. Les moyens dont disposent les présidents d'université sont ainsi beaucoup plus importants que par le passé. La loi relative à la lutte contre l'antisémitisme dans l'enseignement supérieur, dont les sénateurs Lévi et Fialaire ont pris l'initiative et que vous avez votée, y contribue en renforçant les moyens de prévention et en fournissant enfin aux universités des outils disciplinaires rapides et efficaces.

Oui, l'université est l'un des lieux habituels de l'expression exacerbée du débat politique national. Oui, c'est le lieu où se forme notre jeunesse et où se fabriquent des consciences politiques. Oui, l'université est un lieu où se fabrique un savoir, une analyse et où la recherche peut éclairer des phénomènes sociétaux à l'œuvre.

C'est dans ce cadre que peuvent survenir des tentatives d'influence ou d'ingérence. Le récent rapport de France Universités rédigé par Stéphanie Balme le présente clairement : le secteur français de la recherche et de l'enseignement supérieur est désormais exposé à des stratégies d'influence menées par des puissances étrangères qui peuvent franchir les limites de l'ingérence et affecter la souveraineté scientifique française. Ce constat est particulièrement vrai dans le domaine des sciences dures, mais le phénomène peut également se traduire par des tentatives d'inflexion, au sein des sciences humaines et sociales, pour obtenir des récits favorables à tel ou tel État concerné, ou encore par diverses procédures bâillons visant à réduire l'attrait pour telle ou telle recherche.

C'est dans ce cadre qu'il nous faut prendre des mesures pour renforcer l'appui déjà existant aux universités, en engageant une stratégie de prévention à grande échelle pour défendre davantage les libertés académiques, la recherche libre et le travail des enseignants-chercheurs contre toute tentative d'ingérence et, in fine, de déstabilisation.

Sur ces questions, le dialogue entre mes services, le ministère de l'intérieur et le Quai d'Orsay est constant. Nous agissons en permanence, car mon dernier message est celui de la fermeté la plus absolue. Chaque fois que le ministère est saisi de cas d'antisémitisme, d'apologie du terrorisme ou d'intimidation violente, dans le contexte universitaire, face à tout acte ou manifestation d'idée ou d'idéologie contraire aux valeurs de la République, je montre la fermeté la plus intransigeante. Je demande toujours immédiatement aux recteurs concernés de saisir le procureur de la République en application de l'article 40 du code de procédure pénale. À chaque fois, nous nous rapprochons des présidences d'université pour nous assurer de l'application des actions nécessaires. Je tiens à saluer la position de principe de France Universités de se constituer systématiquement partie civile. Lorsque je le considère comme opportun, je saisis également l'inspection du ministère pour établir les responsabilités administratives. Je mène ce travail de vigilance avec mes collègues de l'intérieur et de la justice. Avec le garde des sceaux, nous sommes très attentifs à ce que les parquets s'assurent du suivi des signalements de faits intervenus dans les établissements d'enseignement supérieur. Avec le ministre de l'intérieur, nous évaluons au cas par cas les menaces formulées à l'encontre d'individus. Dès que le moindre risque est identifié, nous sollicitons la protection appropriée pour des chercheurs, des enseignants ou des présidents d'université.

Je suis convaincu que le sujet qui nous rassemble mérite de prendre le temps de bien définir les termes et de penser la situation avec l'exigence nécessaire.

M. le président Xavier Breton. Ce propos liminaire était fourni. Il nous permet d'alimenter nos réflexions, et peut-être même nos questions.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. Votre propos liminaire est riche et commence par une inquiétude face à une sorte d'antisémitisme qui gangrènerait nos universités.

Le 15 octobre dernier, une manifestation a eu lieu sur le campus de l'université Paris 8 Vincennes Saint-Denis, au cours de laquelle une oratrice a fait applaudir les événements du 7 octobre 2023. Je rappelle qu'au cours de ces événements, 1 219 personnes ont été massacrées et 251 prises en otage. À la suite de ces faits, vous avez diligenté une mission d'inspection et exprimé votre dégoût, tout à fait légitime.

Cette manifestation était notamment organisée par la Fédération syndicale étudiante (FSE). Ce syndicat étudiant fait-il partie de vos interlocuteurs ? Si oui, doit-il le rester ? Existe-t-il des liens entre ce syndicat et des mouvements politiques ? Si oui, lesquels ? D'autres organisations étudiantes, qui seraient en lien avec des partis politiques, posent-elles problème en raison de leurs accointances avec des islamistes ?

Le fait que ces applaudissements aient été de toute évidence naturels, voire enthousiastes, vous paraît-il un épiphénomène ou au contraire le symptôme d'un état d'esprit répandu dans la jeunesse étudiante française ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Des vidéos de cette manifestation circulent. J'ai effectivement condamné publiquement les faits dans les heures qui ont suivi la diffusion de la première vidéo. Le procureur de la République a été immédiatement saisi, en application de l'article 40 du code de procédure pénale, et des poursuites ont été engagées. Le garde des sceaux a immédiatement diffusé une circulaire de politique pénale qui a permis de compléter les dispositifs existants. De plus, une mission d'inspection a été diligentée. Nous avons donné trois semaines à l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (IGESR) pour mener ce travail, et elle me remettra ses conclusions dans une dizaine de jours. Nous en tirerons évidemment toutes les conséquences, mais il est malheureusement un peu tôt pour répondre aux questions posées sur la nature exacte de la manifestation et les responsabilités des individus et syndicats impliqués.

Au regard du nombre de personnes présentes, nous ne pouvons pas qualifier l'événement d'épiphénomène. Et quand bien même, la multiplication des actes antisémites, mêmes plus individuels que celui-là, montre que ce phénomène existe et n'est malheureusement pas spécifiquement universitaire. En la matière, notre lutte doit s'étendre à toute la société.

En outre, les faits qui nous sont rapportés ne représentent qu'une petite partie de l'ensemble des actes antisémites qui ont lieu quotidiennement. Je perçois la souffrance des étudiants juifs et de leurs représentants lorsque je les reçois. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un épiphénomène dans la société française. Nous sommes donc mobilisés au quotidien pour dénoncer systématiquement ces agissements et demander que des sanctions soient prises de la manière la plus efficace possible. Tel était le sens de la loi Lévi-Fialaire et de notre travail avec le Parlement : bénéficier des dispositifs les plus efficaces pour répondre très rapidement, par des sanctions disciplinaires, aux faits antisémites commis au sein des établissements.

M. le président Xavier Breton. Pourrons-nous disposer rapidement d'éléments sur l'inspection que vous avez diligentée, pour que nous puissions en prendre connaissance dans le délai contraint de préparation de notre rapport ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Nous serons en mesure de vous transmettre des éléments.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. Lors de leur audition par notre commission, certains enseignants-chercheurs ont rapporté se sentir en insécurité au sein de leur université. Nous avons d'ailleurs perçu leur frayeur face aux intimidations et aux menaces répétées dont ils font l'objet. Comment expliquez-vous cette grave entorse à la liberté académique et à la liberté d'expression en général ? Quels sont vos pouvoirs réels, avec les présidents d'université, pour faire respecter ces piliers de notre République ? Le législateur doit-il intervenir pour renforcer encore la législation en vigueur ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Je commencerai par une position de principe : il est inacceptable que des enseignants-chercheurs soient empêchés d'assurer leurs cours ou leurs conférences. J'ai été extrêmement clair et ferme à ce sujet, notamment dans l'affaire impliquant M. Balanche, maître de conférences à l'université Lumière Lyon 2. La liberté d'enseigner et de débattre fait partie des fondements de l'université, et ce, dans tous les établissements. Lorsque cette liberté est remise en cause, nous devons être intransigeants – ce que je suis. Dans le cas du professeur Balanche, le procureur de la République a été saisi en application de l'article 40, une protection policière a été proposée et le ministère s'est constitué partie civile.

Des présidents d'université ont été amenés à ne pas autoriser la tenue d'un événement dans l'enceinte de leur établissement, pour des raisons d'ordre public. L'appréciation des dangers pour l'ordre public relève de la responsabilité des chefs d'établissement, dans le cadre de l'exercice de leurs pouvoirs de police et dans le respect du principe de proportionnalité. Cette possibilité d'interdire des rassemblements ou des événements a simplement pour but de garantir la sécurité de tous les participants, y compris des enseignants-chercheurs appelés à s'exprimer. Ces décisions sont prises en toute transparence et peuvent faire l'objet de recours devant le tribunal administratif.

Se pose aussi la question du pluralisme, qui aurait disparu au sein de certains départements ou sur certains sujets. Concernant l'islam, nous disposons de nombreuses instances et de projets – je pense notamment au conseil scientifique de l'IFI et à l'appel à projets "islam et société" lancé par le Bureau central des cultes du ministère de l'intérieur – qui attestent concrètement de la pluralité des études financées et de la diversité des courants et des débats scientifiques.

Lorsque des chercheurs voient leur activité entravée au sein de l'université ou dans leur laboratoire, des voies de recours existent et sont efficientes. Le CDESR cherche à garantir en permanence un équilibre entre les libertés, d'un côté, et les responsabilités et l'intégrité scientifique, de l'autre.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. Le cas d'un ancien directeur de recherche du CNRS, réputé proche des Frères musulmans, a été évoqué devant cette commission. Une personne auditionnée a d'ailleurs présenté une photo de l'intéressé participant en tant que membre à un conseil des Frères musulmans. Est-ce un cas isolé selon vous ? Un phénomène d'entrisme islamique vous semble-t-il exister dans les lieux de recherche et d'enseignement supérieur ? Si oui, quelles actions mettez-vous en place pour y faire face ? Ces informations vous sont-elles remontées ? Lorsque tel est le cas, comment peut-on laisser des profils de ce genre en place pendant tant d'années ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Il s'agit d'un cas particulier ; je serai donc bref. Le directeur de recherche qui n'est plus en poste aujourd'hui.

La France est une cible particulière pour les ingérences étrangères. L'enseignement supérieur et la recherche constituent à la fois un vecteur et une cible naturelle, puisqu'ils ont la capacité de toucher le large public que sont les étudiants. Ces opérations d'ingérence sont susceptibles d'entraîner des effets négatifs très importants, notamment pour la communauté académique.

Le rapport de France Universités montre d'ailleurs très clairement que la recherche et l'enseignement supérieur français sont exposés à des stratégies d'influence menées par des puissances étrangères. L'acte d'ingérence est défini comme un "agissement commis directement ou indirectement à la demande ou pour le compte d'une puissance étrangère". La commission d'enquête sénatoriale sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères, qui a auditionné le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en 2024, a établi un certain nombre de faits et constaté la forte exposition de la France à des menaces hybrides.

Nous essayons de dresser un état des lieux de ces tentatives d'ingérence. Cinq axes de travail ont été identifiés : la vie de campus, la recherche, la valorisation économique, la coopération et les échanges internationaux. Certains de ces axes coïncident plus ou moins avec ceux sur lesquels vous travaillez dans le cadre de vos travaux sur les Frères musulmans.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. Certaines de nos auditions ont révélé des ingérences qui proviendraient de l'Iran. Pouvez-vous nous le confirmer ? Quels dispositifs pouvez-vous mettre en place pour lutter contre elles ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Tout d'abord, je souhaite rappeler que, lorsque des puissances étrangères s'intéressent à nos universités, leur intérêt se porte principalement sur des dispositifs techniques.

S'agissant de l'Iran, les services spécialisés sont évidemment alertés. L'attention des fonctionnaires de sécurité et de défense des établissements a été appelée à de nombreuses reprises sur ce type de phénomènes. Des réflexions sont menées pour permettre une meilleure sensibilisation des acteurs – des étudiants aux chefs d'établissement – à ce type de sollicitations et d'approches auxquelles ils peuvent être confrontés au quotidien.

Du fait des problématiques sécuritaires en Iran et des restrictions sur les missions scientifiques dans ce pays, le service de défense et de sécurité (SDS) examine très peu de coopérations scientifiques institutionnelles entre un établissement d'enseignement supérieur et de recherche français et une institution iranienne. Ainsi, au cours des quatre dernières années, seuls dix avis ont été émis, qui ne concernent que 0,5 % des projets de coopération internationale soumis au SDS, voire moins.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. Le rapport publié en mai dernier souligne qu'il apparaît indispensable de renforcer la recherche française sur l'islam et l'islamisme. Celle-ci serait "insuffisamment investie" et "extrêmement clivée". Or, pour sensibiliser les élus et le public au risque que représentent les mouvements islamistes, il faut mieux connaître l'islam, ce qui permet de distinguer les demandes légitimes de certaines communautés de celles manifestant une forme de séparatisme ou d'entrisme. Êtes-vous d'accord avec cette préconisation ? Si oui, comment envisagez-vous de la suivre, notamment au regard des difficultés rencontrées par certains enseignants-chercheurs pour mener des recherches dans ce domaine et trouver des étudiants pour les épauler sans faire l'objet d'intimidations ou de menaces ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Vos propos sont vrais, quelle que soit la chapelle dont se réclament les chercheurs, enseignants-chercheurs ou étudiants. Nous avons constaté cette difficulté à plusieurs reprises.

Je souhaite rappeler que ces sujets – islam, islamisme, radicalisation – ont bénéficié d'un réel effort de recherche additionnel depuis 2015. Cette mobilisation s'est traduite par la création de nouveaux postes, par le lancement d'initiatives spécifiques, comme l'IFI, et par la mobilisation conjointe de mon ministère, du ministère de l'intérieur et du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. Des financements nationaux et européens se sont combinés pour travailler sur ces questions. D'excellents chercheurs, venus de l'étude du fait religieux, de la sociologie ou de la science politique, se sont penchés sur le sujet de l'islamisme. Il n'existe peut-être pas encore suffisamment de spécialistes du lien entre islamisme et partis politiques. Nous devons mieux faire connaître leurs travaux, renforcer leur visibilité et mobiliser les expertises, ce qui a en effet été recommandé par le rapport du ministère de l'intérieur sur l'islam politique et les Frères musulmans, dans sa partie consacrée à la recherche. J'ai également mentionné dans mon introduction le programme ReligiS de l'université de Strasbourg, qui constitue une réelle avancée. Je rappelle en outre que depuis 2022, l'État a consacré 6 millions d'euros à la relance de l'islamologie, et le ministère de l'intérieur 3,4 millions d'euros.

En sciences humaines et sociales comme dans les grands programmes technologiques ou scientifiques, la question du temps de recherche se pose : entre le moment où les financements sont décidés et celui où les travaux de recherche sont effectivement lancés, où les thèses et postdoctorats sont menés, il y a un délai significatif.

Par ailleurs, nous partageons l'objectif du rapport du ministère de l'intérieur concernant la nécessité d'informer le grand public de la réalité des phénomènes liés à ces questions. Cette information doit passer par l'analyse scientifique la plus rigoureuse, indépendante et pluraliste possible.

Un rapport annuel sur les radicalités religieuses me paraît important pour éclairer ces différents faits, à commencer par ceux que vous mentionnez.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. L'été dernier, vous avez déclenché une polémique en déclarant que le terme "islamo-gauchisme" n'existait pas, en tout cas pas de manière structurée et visible. Votre ministre de tutelle d'alors, Élisabeth Borne, s'était opposée à cette déclaration en jugeant que "ce courant existe dans la société, donc nécessairement à l'université. Ce sont des gens d'extrême gauche qui considèrent que les musulmans sont une force électorale, qui les courtisent en encourageant le communautarisme et en banalisant l'islamisme radical." Pourriez-vous revenir sur cette déclaration ? Considérez-vous toujours que l'islamo-gauchisme n'existe pas de manière structurée ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Je n'ai dit que ce que dit lui-même le rapport commandé et publié par le ministère de l'intérieur, qui n'évoque que très marginalement les universités. Au sujet de la jonction entre islamisme et gauchisme, ce rapport précise que "les interfaces entre mouvance frériste et militantisme intersectionnel existent mais restent à ce jour ponctuelles […] du fait de divergences importantes, notamment la question LGBT, point de désaccord difficilement dépassable". C'est bien là mon propos. Certes, il existe des militants radicaux qui pensent pouvoir établir ce lien – ce que rappelle Élisabeth Borne, avec laquelle il n'y avait aucune dissension – à partir d'une convergence de mobilisations, en particulier sur le conflit israélo-palestinien, ce qui se traduit par un antisémitisme à l'encontre des étudiants juifs de France, souvent, ou par une apologie du terrorisme.

Je le répète, nous avons la responsabilité politique forte de bien nommer les choses : quand il s'agit d'antisémitisme, il faut parler d'antisémitisme, et quand il s'agit d'apologie du terrorisme, il faut le dire et employer les bons mots. L'antisémitisme et l'apologie du terrorisme correspondent à des qualifications pénales ; je combats systématiquement chacun de ces actes avec la plus grande fermeté.

M. le président Xavier Breton. N'avez-vous pas l'impression que ces points de désaccord entre la mouvance frériste ou islamiste et les courants LGBT sont dépassés, peut-être momentanément ? Les désaccords identifiés comme "difficilement dépassables" dans le rapport du ministère de l'intérieur semblent pouvoir être mis entre parenthèses dans le cadre d'une convergence des luttes.

M. Philippe Baptiste, ministre. Certains partis politiques cherchent-ils à dépasser ces divergences, qui me semblent structurellement indépassables ? Oui, évidemment – il suffit d'ouvrir les yeux. Mais cette question politique concerne toute la société ; elle excède le cadre de l'université.

M. le président Xavier Breton. Certes, mais les manifestations qui ont lieu dans l'enceinte des universités montrent que le dépassement s'opère aussi dans l'université.

M. Philippe Baptiste, ministre. Le rapport du ministère de l'intérieur dit plutôt le contraire.

Mme Caroline Yadan (EPR). Merci pour la clarté de vos propos et pour votre fermeté, dont nous ne doutons pas un seul instant.

Je souhaite revenir sur plusieurs événements survenus à Paris 8 et à Lyon 2, et aborder la méthode d'apaisement des conflits utilisée à Sciences Po, notamment pour faire face aux événements qui ont lieu dans les autres universités.

L'événement du 15 octobre à Paris 8 a provoqué une réelle stupeur. L'alerte avait été donnée par la production d'affiches qui mettaient en avant Mariam Abou Daqqa, cadre du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), mouvement reconnu comme terroriste par plusieurs États, et la présence annoncée, sans qu'elle se concrétise, de Georges Ibrahim Abdallah, condamné à perpétuité pour complicité d'assassinat terroriste. De plus, une association luttant contre l'antisémitisme avait demandé à la direction qu'un commissaire de justice puisse procéder à un constat – la direction, qui a refusé cette demande, était donc parfaitement informée des faits en question.

Vous avez évoqué une enquête dont les conclusions seront rendues dans une dizaine de jours. Elle porte sur la responsabilité des organisateurs de la manifestation, donc de la FSE, mais s'intéresse-t-elle également à celle des dirigeants de l'université ? Si leur responsabilité était mise en cause – à mon sens, elle l'est –, y aurait-il des conséquences ?

D'autre part, quelles suites convient-il de donner à cette manifestation, y compris en matière de formation des étudiants qui y ont assisté et qui ont témoigné d'une jouissance terrible face aux événements du 7 Octobre – cette même jouissance que l'on a perçue chez les terroristes du Hamas quand ils procédaient aux massacres ? Lorsque des étudiants jubilent à l'évocation de ces massacres, une formation, ou au moins une explication, est-elle prévue ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Deux heures environ après le choc provoqué par ces images, j'ai exprimé mon profond dégoût. J'ai convoqué le président de l'université dès le lendemain, afin qu'il m'explique ces événements. En parallèle, deux enquêtes ont été lancées : une enquête pénale, par le procureur de Bobigny, et une enquête administrative, que j'ai diligentée afin d'établir l'ensemble des responsabilités, y compris internes.

Je ne souhaite ni présumer des résultats de l'enquête, ni me cacher derrière quoi que ce soit. Un syndicat a invité des individus pour tenir des propos abominables dans l'amphithéâtre d'une université de la République. Le dysfonctionnement me semble donc caractérisé, même si je laisse à la mission d'inspection le soin d'établir les faits.

Concernant le cadre général applicable aux étudiants et les contraintes imposées aux associations et organisations syndicales, je vous renvoie à l'avis du CDESR du 19 juin 2024 relatif au cadre de la coopération scientifique et technologique internationale des universités, au rôle et à la place de l'université dans l'organisation des débats publics et aux libertés académiques. Quatre critères sont mis en avant : les manifestations ne peuvent être autorisées si elles vont au-delà de la mission de l'établissement, si elles perturbent le déroulement des activités d'enseignement et de recherche, si elles troublent le fonctionnement normal du service public ou si elles risquent de porter atteinte à l'ordre public. Il faut expliquer à nouveau le sujet et discuter avec les présidents d'université, qui suivent déjà ces organisations avec vigilance.

Par ailleurs, la loi Lévi-Fialaire aborde la formation des étudiants. Faut-il aller au-delà ? Faut-il former tous les étudiants, systématiquement, aux questions relatives à l'antisémitisme, au racisme et à un certain nombre d'autres violences ? J'examine avec intérêt cette question, qui mérite d'être posée et débattue.

Mme Caroline Yadan (EPR). Le 5 octobre 2023 se tenait à l'université Lyon 2 une conférence intitulée "Colonisation et apartheid israélien, quel avenir pour les Palestiniens ?" en présence de Mariam Abou Daqqa, la cadre du FPLP – un mouvement reconnu comme terroriste par plusieurs États, comme je l'ai déjà dit – également présente ensuite à Paris 8. Alors que la présidence de l'université n'avait pas voulu interdire sa présence, la préfecture avait été saisie et est intervenue pour faire retirer son intervention du programme. Il était donc entendu qu'elle ne devait pas entrer dans l'établissement. Or non seulement elle est entrée, mais elle a participé à cette conférence – non à la tribune, mais dans le public – et a ainsi pu déverser son idéologie. Ni l'organisation de cet événement ni l'autorisation implicite de la présidente de l'université n'ont fait l'objet de suites disciplinaires ou de sanctions. La présidente de l'université est depuis montée en grade, puisqu'elle a désormais la responsabilité de tous les établissements d'enseignement supérieur de Lyon et de Saint-Étienne. Les événements du 7 Octobre se sont déroulés ensuite.

Le 1er avril 2025, le professeur de géographie Fabrice Balanche a été contraint d'interrompre son cours et de quitter l'amphithéâtre face à une quinzaine d'individus masqués scandant "Racistes, sionistes : c'est vous les terroristes !" Une plainte a été déposée ; pourtant, l'université n'a pas été en mesure de fournir le nom d'un seul des participants, alors que ce sont apparemment les mêmes étudiants qui avaient demandé des locaux – une salle de prière – pour la fin du ramadan. Avez-vous des informations au sujet de cette plainte ?

Par ailleurs, un ancien vice-président de l'université Lyon 2 est connu pour avoir exprimé sa sympathie pour le Hezbollah sur les réseaux sociaux et pour avoir glorifié la mémoire d'Hassan Nasrallah en déclarant qu'il avait "gravi les échelons du panthéon de nos cœurs". Il a démissionné de son poste de vice-président mais continue d'enseigner et de siéger au conseil d'administration de l'université. Il anime même un séminaire prétendument scientifique, auquel il confère une apparence académique, alors qu'il est en fait lié à une idéologie et accueille des intervenants extrêmement problématiques. Ce séminaire, intitulé "Que nous enseigne la Palestine ?", est organisé avec le laboratoire Triangle et reçoit le soutien du CNRS, de l'École normale supérieure (ENS) de Lyon, de Sciences Po Lyon, de l'université Jean-Monnet de Saint-Étienne, et donc de fonds publics. Comment expliquer qu'un tel séminaire, qui, sous des apparences savantes, réduit un conflit tragique à une cause idéologique, puisse se tenir alors qu'il érige l'antisionisme en dogme et provoque ensuite la haine des juifs dans les mêmes établissements où il est organisé ?

M. le président Xavier Breton. Je rappelle que notre commission ne saurait intervenir dans une enquête judiciaire en cours. En revanche, nous sommes habilités à nous pencher sur les éléments qui relèvent de votre ministère.

M. Philippe Baptiste, ministre. S'agissant de l'organisation des événements, je rappelle le principe de la franchise universitaire. Ce concept n'est pas nouveau et confère au président un grand pouvoir qu'il ne saurait pour autant exercer en dehors de tout cadre. J'ai eu souvent l'occasion de discuter avec des présidents d'université et des directeurs de composante, qui sont directement exposés à ces questions. Je souhaite seulement rappeler que nous ne parlons que de quelques établissements, particulièrement concernés, non pour minorer ces faits, totalement inacceptables, mais pour présenter une vision globale d'un ensemble de soixante-dix universités, 150 écoles d'ingénieurs et autant d'écoles de commerce. Partout où apparaissent des difficultés, nous avons resserré les liens avec les présidents d'université et rediscuté avec eux des principes, dans le cadre de leur autonomie et de cette franchise universitaire, afin qu'ils jouent pleinement leur rôle tout en faisant respecter la loi.

S'agissant de Fabrice Balanche, son cours a effectivement été interrompu le 1er avril aux cris de "Racistes, sionistes : c'est vous les terroristes !" Le ministère a immédiatement porté plainte et manifesté son soutien le plus total à ce professeur. Je l'ai appelé dans les jours ou les heures qui ont suivi l'événement et me suis assuré qu'il puisse reprendre ses cours. De mémoire, les fauteurs de troubles étaient masqués. Une enquête judiciaire est en cours, mais l'identification de ces personnes est difficile, et le temps de la justice est un peu décalé par rapport au temps politique et au temps de l'indignation. Nous devons attendre les résultats de l'enquête ; à ce stade, je ne dispose d'aucun nom ni élément. Si, par la suite, des étudiants étaient formellement identifiés, des sanctions disciplinaires interviendraient mécaniquement.

Concernant Willy Beauvallet, vice-président de l'université Lyon 2 à l'époque des faits, les propos faisant l'apologie de Hassan Nasrallah ont été portés à ma connaissance à la fin du mois d'avril. J'ai considéré qu'il s'agissait d'une forme d'apologie du terrorisme et ai donc demandé au recteur de saisir la justice au titre de l'article 40 du code de procédure pénale. Je constate que ce vice-président a démissionné de ses fonctions dix jours plus tard. Nous avons été assez fermes sur ces questions.

M. Julien Odoul (RN). Malgré la fermeté la plus absolue que vous affichez et exprimez devant nous aujourd'hui, force est de constater que bon nombre d'universités françaises sont devenues des zones de non-droit, et même des zones d'un autre droit, celui de l'islamo-gauchisme.

M. le rapporteur a rappelé les tristes événements de l'université Paris 8, ma collègue Caroline Yadan a évoqué ceux de Lyon 2. Je parlerai pour ma part de l'université Jean-Moulin Lyon 3. Il y a quelques jours, un groupe d'étudiants a diffusé sur Instagram un sondage inquiétant et nauséabond, censé répondre à la question "Qui aime les juifs ?" L'une des réponses possibles était : "Pas moi, je leur tire dessus." Ces étudiants ont-ils été identifiés ? Quelles seront les suites et les éventuelles sanctions ?

Je souhaite ensuite vous alerter sur l'enquête du magazine Valeurs actuelles au sujet de l'université Sorbonne Paris Nord Paris 13, à Villetaneuse. Cette enquête a révélé une augmentation du nombre d'étudiantes voilées, un prosélytisme s'affichant sur les murs, la tenue de prières dans les couloirs et la proposition de repas halal concurrençant ceux du centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous). Quelle est la réponse de l'État et de votre ministère ?

Concernant l'implantation de l'islamisme et la banalisation de l'antisémitisme, considérez-vous que la tournée des facs à laquelle se livrent certains députés d'extrême gauche contribue à jeter de l'huile sur le feu et à favoriser l'infiltration et la propagation de ces messages ? Considérez-vous également que la multiplication des provocations liées au drapeau palestinien favorise un endoctrinement politique à l'idéologie islamo-gauchiste ? Compte tenu du caractère très alarmant de la situation et du symbole que représente ce drapeau, qui n'est pas un emblème national, mais l'étendard de tous ceux qui détestent les juifs et l'État d'Israël, vous paraît-il pertinent et utile de bannir ce drapeau dans les enceintes des universités françaises ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Permettez-moi d'exprimer une forme de désaccord : les universités ne sont pas devenues des zones de non-droit. Je ne reprendrai pas ce propos à mon compte. En revanche, des actes condamnables, et qui doivent être condamnés et faire l'objet d'enquêtes, de procédures disciplinaires et d'actions en justice, s'y produisent.

Concernant l'abominable questionnaire que vous mentionnez à Lyon 3 – je l'ai condamné –, je tiens à signaler la réaction exemplaire du président de l'université. Il me semble que les étudiants en question sont en première année de licence de droit. J'insiste sur ce point parce que d'autres incidents, à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ont également impliqué de très jeunes étudiants. Nous assistons à des prises de position et des comportements scandaleux, honteux, illégaux, de la part de très jeunes adultes, de très jeunes étudiants ; à Paris 1, les étudiants concernés n'étaient inscrits que depuis quelques heures ou quelques jours. On ne peut donc pas blâmer l'université pour leurs dérives. Sans nier les difficultés qui peuvent exister au sein de nos établissements, je considère que le problème est bien plus profond.

S'agissant de la situation à Paris 13, je souhaite rappeler que le principe de neutralité du service public, qui s'applique à la présidence de l'université et à tous les agents publics, y compris aux doctorants, coexiste avec le principe de liberté pour les usagers. Contrairement à ce qui se passe à l'école, les signes religieux, en particulier le voile, sont autorisés à l'université. La raison en est assez simple : nous avons affaire à des adultes, qui ont leur liberté de conscience religieuse et politique, tandis que les collégiens et lycéens sont encore en pleine formation. En revanche, le voile intégral est interdit à l'université, comme partout ailleurs dans l'espace public. Le port du voile assorti d'un masque chirurgical est également interdit, il convient de le rappeler.

Ainsi, la loi garantit aux étudiants le droit de porter des signes religieux, d'afficher leurs convictions religieuses et d'exprimer leurs opinions politiques – mais pas de les imposer – et d'en débattre à l'université. Cela fait partie de la liberté. Il faut que les universités soient des lieux de débat et de discussion. C'est le cas aujourd'hui et cela correspond à des valeurs auxquelles je crois profondément.

M. Julien Odoul (RN). Vous n'avez pas répondu à ma question sur la tournée des universités par certains députés.

M. Philippe Baptiste, ministre. La libre appréciation des présidents d'université est fondamentale. Je suis attentif à la pluralité et à la possibilité de débattre.

Votre question est très politique et je ne suis pas sûr que cette commission d'enquête soit le meilleur cadre pour y répondre. S'il s'agit de savoir si certains partis politiques cherchent à augmenter la température sur les campus, la réponse est oui.

M. Julien Odoul (RN). Quelle est votre position concernant le drapeau palestinien, qui est instrumentalisé et constitue un vecteur de violence et de haine à l'endroit de nos compatriotes de confession juive ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Je n'ai pas de position sur cette question, notamment dans le cadre de votre commission d'enquête. Je considère que l'un de mes rôles est de lutter contre tous les phénomènes d'antisémitisme à l'université – j'y ai d'ailleurs consacré une part très importante de mon énergie depuis ma prise de fonction. Cela me semble fondamental.

Mme Caroline Yadan (EPR). À Sciences Po, Luis Vassy a considérablement serré la vis à la suite des événements qui s'y sont déroulés : exclusions, réforme des admissions, modification du règlement intérieur de l'établissement. Cette méthode musclée et cette intransigeance absolue sur l'antisémitisme ont produit leurs effets, en faisant passer l'excellence avant le militantisme.

Il a, sauf erreur de ma part, rédigé une sorte de vade-mecum sur la méthode employée à destination d'homologues qui voudraient s'en inspirer. Envisagez-vous de diffuser une circulaire sur cette base ? En effet, la crainte, à mon avis fondée, est qu'un sentiment d'impunité s'empare de l'ensemble des universités, alors que le problème ne concerne, comme vous l'avez indiqué, qu'une dizaine ou une quinzaine d'entre elles sur soixante-dix. Une circulaire préconisant une méthode ferme, reprenant celle élaborée par Luis Vassy, est-elle envisageable ? Dans le cas contraire, quelles autres solutions envisagez-vous ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Je soutiens pleinement le positionnement ferme de Luis Vassy. Il exerce cette politique dans son établissement, en accord avec les règles spécifiques à ce dernier, qui ne sont pas exactement les mêmes que dans les universités.

La loi Lévi-Fialaire renforce les dispositifs de sanctions disciplinaires. Elle donne en particulier aux présidents d'université la possibilité de mobiliser des commissions en dehors de leur établissement, avec des délais de réaction plus rapides, une distance plus adaptée par rapport aux événements et, le cas échéant, des sanctions plus efficaces. La direction est donc la même.

Sciences Po a mis en place des dispositifs de formation destinés aux étudiants – pour en avoir discuté plusieurs fois avec Luis Vassy, je pense que c'est très efficace – tout en adoptant une attitude plus ferme et en laissant passer moins de dérives. Quand je réunis les présidents des universités concernées – je l'ai fait à plusieurs reprises depuis ma nomination –, c'est dans cette même logique que nous travaillons. Les présidents sont conscients des enjeux et mobilisés sur ces questions, avec leur diversité d'approche.

Par ailleurs, nous évoquons une dizaine d'universités concernées, mais seuls quelques départements de ces universités sont réellement soumis à ces tensions.

Encore une fois, quand nous constatons des incidents, des actes antisémites ou des propos d'apologie du terrorisme, nous devons condamner ces comportements abominables de manière extrêmement ferme. J'ai été clair à ce sujet, je crois l'avoir démontré.

Je me méfie aussi d'un très fort effet de loupe sur le monde universitaire. L'université ne se résume pas du tout à ce que nous avons vu un jour dans un amphithéâtre. L'université, c'est la liberté, le débat public, la confrontation des points de vue. Ce sont des personnalités qui se construisent et se forment au travers du débat. C'est bien ce que souhaitent aujourd'hui les présidents et les directeurs d'établissement.

M. Matthieu Bloch, rapporteur. Pour conclure, j'aimerais revenir sur la question de la formation des étudiants en général. Tout porte à croire que l'ignorance est un moteur de haine puissant. Lors de manifestations pro-Palestine, à l'extérieur des universités, les étudiants fréquentent des organisateurs parfois peu recommandables, qui fusionnent différents combats pouvant paraître antagonistes. Ils viennent souvent au sujet de Gaza, pour défendre une cause qui peut être légitime, mais quand on les interroge pendant ces manifestations, on constate une ignorance profonde : ils s'avèrent incapables de définir le sionisme et d'appréhender la complexité du conflit israélo-palestinien.

Ces jeunes étudiants arrivent à l'université, après être passés par l'enseignement secondaire, sans être capables de faire la part des choses sur une question géopolitique qui excite les passions depuis fort longtemps. N'est-ce pas l'illustration d'une défaillance totale, d'un échec total de l'État et de notre système éducatif ? Comment pouvons-nous renforcer ce dernier ? Des formations particulières doivent-elles être mises en place sur ces sujets pour éviter que nos jeunes soient si faciles à manipuler ou à endoctriner et qu'ils en viennent à défendre des causes totalement incompatibles avec les valeurs de la République ?

M. Philippe Baptiste, ministre. Ce constat que vous posez, j'ai pu le partager. Nous assistons à des mobilisations très fortes, très expressives – je parle évidemment de celles qui sont légales –, où la compréhension des sous-jacents ou de la complexité de l'histoire récente ou plus ancienne manque parfois cruellement. En effet, certaines questions se posent en amont de l'université, puisque ces sujets figurent dans les programmes scolaires, ce qui nous interpelle évidemment. Nous devons y travailler, notamment au sein des universités. Des modules spécifiques à la lutte contre l'antisémitisme et le racisme doivent être intégrés aux programmes, notamment pour les étudiants qui siégeront dans les composantes. Faut-il aller plus loin ? J'y suis plutôt ouvert.

Le 4 juillet dernier, je me suis rendu au séminaire national de formation des référents racisme et antisémitisme, qui s'est tenu pour la première fois, à ma demande, au mémorial de la Shoah. J'ai souhaité que nos équipes et celles du mémorial travaillent ensemble sur des ressources pédagogiques afin de mettre des modules et du matériel de formation à la disposition du plus grand nombre.

Cet effort de formation à la complexité du monde est essentiel.

M. le président Xavier Breton. Je vous remercie, monsieur le ministre, pour les réponses que vous nous avez apportées. Vous pourrez les compléter par écrit en nous renvoyant le questionnaire que nous vous avons transmis et en nous transmettant les éléments évoqués au cours de cette audition.

La séance s'achève à dix heures cinquante.


Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 4 décembre 2025