Texte intégral
Messieurs les ministre, Cher Stéphane TRAVERT, Cher Arnaud MONTEBOURG,
Monsieur le Préfet,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs les élus,
Monsieur le Président du marché de Rungis, Cher Stéphane LAYANI,
Mesdames et messieurs les représentants et adhérents des organisations professionnelles agricoles,
Monsieur le coordinateur des conférences de la souveraineté alimentaire, Cher Ludovic SPIERS,
Monsieur le président de FranceAgriMer,
Cher Franck Sander
Mesdames et messieurs les référents et présidents de conseils spécialisés de FranceAgriMer,
Mesdames et messieurs les producteurs, transformateurs, distributeurs et coopérateurs,
Mesdames et messieurs les Directeurs d'administration centrale,
Mesdames et messieurs les Présidents,
Mesdames et messieurs les Directeurs,
Chers élèves et professeurs de l'enseignement agricole,
Mesdames et messieurs en vos grades et qualités,
Chers amis,
Mesdames et messieurs,
Etant donné le nombre et la qualité des personnes qui se trouvent aujourd'hui devant moi, des salutations exhaustives n'auraient pas manqué de rogner la moitié du temps qui m'est imparti pour m'exprimer. Vous me permettrez donc, sans ressentiment je l'espère, de m'en tenir à " chers amis ".
Chers amis,
Si nous sommes réunis ici, c'est que la guerre agricole se prépare.
Aussi abrupte que puisse paraître cette entrée en matière, qu'on ne s'y trompe pas : je ne viens pas ici convoquer de grands mots pour envelopper de modestes inquiétudes, ni dramatiser une réalité plus douce dans les faits qu'on ne le prétend en discours. Non. C'est l'observation lucide du monde et des rapports entre nations qui impose ce constat implacable : la guerre agricole menace chaque jour un peu plus et il est temps d'agir.
Depuis près de quatre-vingts ans, l'Europe et la France ont vécu l'une des périodes les plus enviables de leur histoire. Mais ces décennies baignées dans les dividendes de la paix nous ont aussi bercés d'illusions. Nous avons cru que la guerre s'était dissoute dans les replis du vieux monde. L'actualité mondiale dissipe aujourd'hui cette illusion avec une brutalité saisissante.
Car la guerre entre armées ramène avec elle la guerre des champs. L'invasion de l'Ukraine l'a rappelé cruellement. Le blocus de la mer Noire et le bombardement des silos de grains ukrainiens ne doivent rien du hasard : en frappant ces cibles prioritaires, Moscou a fait flamber les prix mondiaux, affaibli le soutien des opinions européennes à Kiev, accru son influence sur des pays du Sud fragilisés, et dégagé, d'une même bombe, des recettes pour financer son appareil militaire.
D'autres pays, par des méthodes qui ne sont certes pas militaires, mais néanmoins brutales, placent les enjeux agricoles au coeur des défis géopolitiques : hausses soudaines de droits de douane, mesures ciblées, taxes rétorsives, pressions logistiques, offensives normatives. Des filières entières se retrouvent prises en otage, des chaînes de valeur patiemment bâties sont fragilisées.
Rien, dans ces mouvements géopolitiques, n'est le fruit du hasard. Ce sont les actes assumés de grandes puissances qui savent que l'alimentation est, pour reprendre les mots d'Henri KISSINGER, une arme politique.
La naïveté, dans ce monde-là, est une faiblesse d'autant plus grande que cette guerre agricole n'est pas conjoncturelle. Toutes les grandes tendances du monde annoncent au contraire son intensification.
La première est démographique. Alors que 800 millions de personnes souffrent aujourd'hui encore de la faim, la population mondiale passera de 8 à 10 milliards d'habitants d'ici 2050.
L'Afrique accueillera bientôt une naissance sur deux. L'Asie, même en ralentissant, verra des millions de familles rejoindre la classe moyenne et adopter des modes de vie plus gourmands en ressources. La demande alimentaire explosera donc, là où la production peine déjà à suivre. En parallèle, le nombre de personnes en surpoids et en obésité dans le monde a surpassé le nombre de personnes souffrant de la faim. Une nouvelle donne qui imposera à l'évidence une révolution de la consommation dans le monde, rebattant plus encore les cartes.
Et pourtant, à cette pression démographique s'ajoute une pression climatique, nos territoires hexagonaux et d'outre-mer ne le savent que trop : sécheresses inédites, inondations violentes, stress hydrique, nouveaux ravageurs. Les conditions de production vont se durcir, notamment dans des zones déjà fragiles, d'Afrique, du Moyen-Orient, d'Asie du Sud. Dans le même temps, plusieurs rivaux, dont la Russie, bénéficieront du dégel de terres arables et se renforceront.
Une demande en forte hausse, une production sous contrainte : la voie est donc ouverte à une compétition plus âpre encore. Et c'est pourquoi toutes les grandes puissances inscrivent déjà leur agriculture dans des stratégies globales et volontaristes.
Les États-Unis multiplient les aides à la production et consolident leur leadership, sur le maïs par exemple, dont les exportations flambent.
La Chine, consciente de sa vulnérabilité alimentaire, sécurise terres, ports, engrais, semences sur plusieurs continents.
La Russie, enfin, a fait du blé une des armes les plus efficaces de son influence extérieure. Elle poursuit sa conquête des terres noires ukrainiennes, parmi les plus fertiles au monde, renforce sa production et a divisé par deux ses importations alimentaires en dix ans.
Soyons lucides : toutes ces puissances anticipent la montée en intensité de la guerre agricole en réarmant leur puissance verte. Et pendant ce temps, sur notre continent, nous devons lutter contre les tentations de la décroissance portées par quelques thuriféraires du décadentisme. Et depuis peu contre les tentations de décommunautariser et de désarmer la PAC, elle qui a pourtant fait la réussite agricole de l'Europe. Je veux le redire clairement : toute proposition qui aboutirait à ouvrir les négociations de la prochaine PAC avec un budget en baisse pour nos agriculteurs sera résolument refusée par la France. La PAC est la matrice de notre souveraineté : cela n'est pas au moment où nous sommes les plus menacés qu'il faut l'affaiblir.
Depuis 2014, le financement de la politique agricole et alimentaire chinoise par habitant a bondi de 40% ; celle des États-Unis de 86 % ; celle de la Russie de 15%. Et celle de l'Union européenne a reculé de 19%. C'est une erreur historique à laquelle il faut faire barrage.
Mesdames et messieurs, arrêtons d'être naïfs : la guerre, la vraie, n'a plus rien d'impossible, chaque jour nous le rappelle. Il nous faut nous y préparer. Si elle éclate, que les Français le comprennent bien, c'est sur nos agriculteurs, et sur eux seuls, qu'il faudra compter pour nous nourrir. Le meilleur kit de survie des Français n'est ni une pile, ni une clé de voiture, c'est une assiette.
C'est pourquoi il nous faut évaluer, sans fard, l'état de nos forces. Et la vérité est cruelle : nos forces se réduisent. Le déclassement menace, sous l'effet de plusieurs lames de fond.
La première d'entre elles, c'est l'érosion de nos facteurs de production. Nos forces humaines d'abord, puisque dans les dix prochaines années, un actif agricole sur deux partira à la retraite. Un phénomène accentué par le sentiment d'abandon, de déclassement des producteurs d'une France périphérique qui ne comprennent plus qu'un flot d'accusations et de stigmatisations leurs tombent dessus quand leur mission est dédiée à nourrir la population. Nos terres ensuite : trois millions d'hectares perdus en un siècle, phénomène aujourd'hui stabilisé mais confronté au spectre mortifère de l'artificialisation. Nos rendements enfin, qui plafonnent, signant la fin de la révolution verte et l'urgence d'un nouveau sursaut d'innovation.
Une érosion globale des facteurs de production qui ne peut qu'engendrer le plafonnement voire la contraction des volumes.
La seconde lame de fond, mesdames et messieurs, c'est la volatilité des prix, qui évoluent au rythme des conflits, des événements climatiques extrêmes, et des décisions de grands exportateurs. Et, particularité française, cette instabilité venue du monde se double d'une guerre des prix au sein même de la chaîne de valeur, qui participe inévitablement à rogner la rémunération des producteurs et à contracter l'investissement.
La troisième lame de fond, c'est le poids des charges, qui reste structurellement élevé : intrants, énergie, assurances, adaptation climatique, normes pour les producteurs, investissement réglementaires pour les transformateurs. Dans un contexte de concurrence où, trop souvent, l'agriculture a été reléguée aux marges supplétives des accords commerciaux, il en résulte un problème de compétitivité que chacun comprend.
Volumes en baisse, prix et charges en hausse, c'est le revenu agricole qui est attaqué.
Mesdames et messieurs, la quatrième lame de fond, c'est le dérèglement climatique, qui changera considérablement le visage agricole français. Je le disais, des sécheresses plus nombreuses et plus diffuses ; des intempéries violentes plus fréquentes et plus intenses ; des terres parfois épuisées par les pratiques du passé : tous les jours, dans les champs comme dans les étables, dans les vergers comme dans les vignes, les soldats du climat que sont les agriculteurs constatent ce changement. Agriculture et environnement ne s'opposent pas : dans 10 ans, au moment où nous évaluerons l'atteinte des objectifs que ces Conférences fixeront, le prochain Ministre de l'agriculture (ou peut être moi !) devra expliquer en quoi nous avons réussi ce défi de l'adaptation au changement climatique. Pour ce faire, nous devons avoir un temps d'avance, pour ne pas se réveiller trop tard : c'est aussi tout le sens de ces conférences.
La cinquième lame de fond, plus insidieuse, ce sont nos choix de consommation. La part que les Français consacrent à l'alimentation dans leur budget a reculé de manière spectaculaire ces dernières années, passant de 35% en 1960 à moins de 20% aujourd'hui. Il ne s'agit pas là d'en formuler une critique morale, tant chacun sait les contraintes qui pèsent sur le pouvoir d'achat de nombreuses familles. Il s'agit de regarder en face une réalité simple : dans l'abondance de biens que propose la société de consommation, peu procurent autant de bénéfices qu'une alimentation de qualité. En vérité, l'intérêt personnel bien compris de chaque Français rejoint ici l'intérêt national : le patriotisme alimentaire n'est pas un sacrifice, c'est un investissement dans nos vies, notre santé, et dans la capacité durable de nourrir nos enfants par nos propres forces.
Toutes ces lames de fond, mesdames et messieurs, toutes ces pressions, se lisent dans un indicateur que chacun, chaque Français, peut comprendre instinctivement : notre assiette, ce thermomètre de nos dépendances.
Un fruit et légume sur deux consommé en France est importé. Un poulet sur deux. Soixante pour cent du miel. La moitié de la viande ovine. Une part toujours croissante de nos produits transformés. Quatre-vingt pour cent des produits halieutiques. C'est aussi pourquoi j'ai voulu donner une place particulière à la question de la pêche maritime et de l'aquaculture au sein de ces conférences : l'enjeu est crucial. Je pense également à la question essentielle de la souveraineté de nos territoires ultramarins, confrontés à des problématiques spécifiques et qui seront traitées, au sein de l'Odeadom, dans ces conférences de la souveraineté.
Si ce tableau ne suffisait pas à comprendre l'urgence absolue dans laquelle nous nous trouvons, je rappellerai ce fait qui constitue pour moi l'alerte historique que tous les Français doivent entendre. Pour la première fois depuis 1977, la France, grenier historique de l'Europe et du monde, pourrait voir la courbe des importations agroalimentaires croiser celle des exportations, faisant de notre agroalimentaire un secteur en déficit commercial. En 2021, il y a seulement 4 ans, les secteurs agricoles et agroalimentaire généraient un excédent de 8 milliards d'euros, le 3ème poste d'excédent commercial du pays.
Mesdames et messieurs, la France en vient, dans certaines filières, à exporter ses productions brutes et à réimporter ce que les autres transforment. Les pays en voie de développement ne font pas autre chose, pardon de cette vérité douloureuse.
Alors mesdames et messieurs, face à ce tableau sans fard qu'il faut avoir le courage de regarder en face, il faut agir.
Car il ne nous est pas permis de nous enfermer dans la complainte immobile, ni dans la résignation nostalgique, je ne serai pas la ministre qui aura regardé sa balance commerciale s'inverser avec impuissance.
Mais pour savoir quoi faire, il faut d'abord éclairer la question première : quelle place voulons-nous que l'agriculture occupe dans la société des années qui viennent ?
Cette question, chaque génération depuis un siècle y a apporté sa réponse, dans des circonstances qui lui étaient propres, en forgeant un contrat social agricole clair entre la nation et ceux qui la nourrissent.
Ainsi, au sortir de la seconde guerre mondiale, tandis que la production était exsangue et que le Haut-Commissariat au ravitaillement continuait d'organiser le rationnement, les agriculteurs reçurent pour mission de nourrir tous les Français d'une alimentation saine et accessible. Ils furent les artisans du redressement et de l'abondance retrouvée.
Au début des années soixante, ils devinrent les bras armés de notre puissance agricole, nourrissant l'Europe et exportant aux quatre vents. La France redevenait la locomotive agricole du continent, soutenue par une PAC ambitieuse et taillée sur mesure, ainsi que par un maillage agroalimentaire exceptionnel.
Depuis les années 2000, ils sont les vigies des conséquences du changement climatique, modifiant leurs pratiques pour préserver nos sols, nos eaux, notre biodiversité, notre résilience alimentaire.
En ce début de second quart de siècle, il nous revient d'imaginer les conditions d'un nouveau pacte entre la nation et ceux qui la nourrissent.
Il tient en un article : reconquérir notre souveraineté alimentaire. C'est-à-dire la capacité de produire, de transformer et de distribuer les denrées nécessaires à une alimentation saine et durable pour tous.
Des producteurs d'abord, chargés de produire selon des pratiques adaptées au dérèglement climatique pour en limiter les effets, mais aussi chargés de produire plus, afin d'éviter que nos chaînes d'approvisionnement ne deviennent, demain, des chaînes d'asservissement aux mains des autres grandes puissances. C'est le sens du choc fiscal engagé en loi de finances 2025 sur le gazole non routier, les travailleurs saisonniers, les exonérations des transmissions, repris dans le budget 2026. Et s'il faut remettre à plat le système fiscal agricole pour poursuivre ce travail de baisse des charges, je le ferai.
Des transformateurs ensuite, plus compétitifs, chargés de transformer sur notre sol, pour épauler nos producteurs et assurer que la valeur créée irrigue l'ensemble du corps national.
Cela passe par le fait d'en finir avec le concours Lépine des réglementations nouvelles. Certaines peuvent être légitimes : mais beaucoup sont superfétatoires. Nous ne gagnerons pas la course des parts de marché en multipliant les obstacles sur la route de notre industrie. Vous le savez, je me suis toujours opposée publiquement aux alourdissements de fiscalité, dits « comportementale », qui bien souvent n'ont aucun impact autre que rogner les marges des acteurs. De la même façon, je souhaite que l'on érige en priorité le fait d'aider nos usines à exporter.
Des distributeurs enfin, chargés de rendre accessible à chacun, grâce à leur maillage exceptionnel, une alimentation qui reflète l'exigence, la diversité et la qualité du travail agricole et industriel français. Nous devons conserver une distribution française, faite d'implantations physiques, et ne jamais baisser la garde face aux assauts de plateformes parfois mal intentionnées, et sur lesquelles les produits français courent le risque de la marginalisation.
Des fermes françaises, des usines françaises, des magasins français et des consommateurs qui achètent français : voilà les quatre murs porteurs d'une Ferme France à même de résister à tous les vents.
C'est à ces conditions que nous offrirons à notre pays, aux Français, l'indépendance et la puissance nécessaire pour peser dans les affaires du monde et se protéger de ses soubresauts.
Voilà le sens du pacte que je veux bâtir entre le pays, ses producteurs, ses transformateurs et ses distributeurs, et qui m'a conduite, depuis mon arrivée à la tête du ministère de l'Agriculture en octobre 2024, à mettre en place les conditions de la reconquête, dans un engagement de chaque instant.
Un engagement qui s'est incarné dans un budget 2025 assumé, à la hauteur des enjeux, pour soutenir nos filières et répondre aux crises sanitaires comme aux aléas climatiques. Un engagement qui s'est traduit par des perspectives d'avenir, en engageant une transition climatique et environnementale ordonnée et une refonte durable de notre cadre de protection sanitaire. Un engagement qui s'est affirmé dans la réhabilitation de l'acte même de produire, en levant des entraves administratives devenues insupportables, par la mise en place du contrôle unique et l'adoption de la loi DUPLOMB et MENONVILLE par exemple, et qui se poursuivra dans les prochaines semaines avec la simplification déclarative : un dossier pré-saisi pour que nos producteurs passent plus de temps dans les champs et moins derrière un ordinateur. Un engagement qui a trouvé, enfin, son horizon dans la loi d'orientation agricole, qui amorce le grand mouvement de renouvellement des générations et donne à l'enseignement agricole les moyens d'incarner cette relève. A vous les jeunes, qui êtes présents dans cette salle, je dis que vous êtes l'espoir de notre agriculture, de nos pays, et je salue infiniment l'engagement qui est le vôtre de vous destiner aux plus beaux métiers du monde, ceux de l'agriculture. Je crois que l'ensemble de la salle peut vous applaudir.
Voilà, mesdames et messieurs, les premières grandes briques apposées à l'édifice de reconquête de notre souveraineté alimentaire que j'appelle de mes voeux et que je vous propose de bâtir ensemble.
Pour y parvenir, nous avons tous les atouts : un climat qui, bien qu'impacté par la hausse des températures, reste tempéré, des sols riches et variés, du bocage normand jusqu'aux oliveraies provençales, des grandes cultures beauceronnes jusqu'aux prairies d'élevage du Cantal, des vergers du Val de Loire jusqu'aux vignes du Languedoc.
Nous avons des hommes et des femmes incroyablement engagés dans un modèle familial qui fait notre force, imprégnés des techniques culturales les plus efficaces, d'une recherche agronomique qui irrigue de ses travaux de pointe toutes les exploitations de France.
Nous avons un secteur agroalimentaire qui innove chaque jour, au bénéfice de marques iconiques qui flottent au-dessus des marchés mondiaux comme le pavillon même de la France.
Nous avons une grande distribution exceptionnellement diverse, présente partout dans le pays, et qui porte un maillage territorial que tous nos voisins nous envient.
Nous avons tout mesdames et messieurs, tout pour réussir. Ce qu'il nous manque encore, c'est la confiance que procure l'ensemble d'une chaîne alimentaire, de l'amont à l'aval, qui marche d'un même pas conquérant vers son destin historique : celui de retrouver sa puissance alimentaire. Si vous le voulez comme je le veux, nous réussirons.
Dans cette bataille, vous l'aurez compris, chacun a son rôle, et les conférences de la souveraineté alimentaire, que nous lançons officiellement aujourd'hui, doivent permettre cette émulation. Elles doivent porter une réflexion collective qui aboutira à redessiner nos paysages et notre carte de production à horizon 10 ans. Elles supposeront des décisions courageuses, dans de nombreux domaines, et j'ai pour cela pleine confiance en vous.
Je veux remercier ici Ludovic SPIERS d'avoir accepté de coordonner ces travaux ainsi que les référents de chacun des groupes : M. Christophe BUREN, Mme Christiane LAMBERT, M. Bernard ANGELRAS, M. Damien LACOMBE, M. Laurent GRANDIN et M. Arnaud MONTEBOURG.
Et je veux remercier, plus largement, France AgriMer, cher président SANDER, et tous les présidents des conseils spécialisés qui ont un rôle majeur à jouer dans le dispositif ainsi que tous les participants aux groupes sectoriels qui se sont déjà engagés ces derniers jours dans une aventure importante.
Ce travail que vous mènerez, je le dis tout net, n'implique en rien un retrait de l'État. Je vois au contraire l'État comme la charpente indispensable qui relie entre eux les quatre murs porteurs de la Ferme France. Et c'est en ce sens que je veux partager avec vous les lignes directrices sur lesquelles j'engagerai, dans les mois à venir, la responsabilité de mon action de ministre.
La première, indispensable, c'est la protection. La protection de votre secteur et de notre modèle dans les négociations internationales : des accords de nouvelle génération où l'agriculture ne sera plus une variable d'ajustement, mais un actif stratégique à promouvoir. Vous connaissez ma conviction sur l'accord avec le Mercosur.
Une protection qui passe notamment par des clauses de sauvegarde robustes systématiques. Une protection qui passe nécessairement par des mesures miroirs enfin appliquées à tous les accords internationaux. Par ailleurs, je veux affirmer ici que nos efforts diplomatiques doivent payer en vue de l'obtention de l'abaissement des limites maximales de résidus à zéro quand une substance est interdite sur le sol européen. Cela permettrait d'empêcher tout produit chassé du sol européen par la porte réglementaire de revenir par la fenêtre des importations. Et si la Commission ne le fait pas de son propre chef dans les semaines à venir, soyez assurés que j'interdirai moi-même les importations sur notre sol de produits contenant des substances interdites en Europe comme le droit européen me le permet. C'est aussi cela le bon sens !
Mais ces mesures miroirs ne fonctionneront qu'avec des contrôles effectifs, sans lesquels les normes restent des mots. C'est pourquoi je plaide pour la création d'une brigade française de contrôle des denrées importées, intégrée à une force européenne de contrôle, compétente sur tous les ports du continent, pour déceler les anomalies plus systématiquement, par plus de tests, par exemple de résidus de pesticides ainsi que des contrôles renforcés des pratiques frauduleuses, comme la francisation. Une police spéciale pour garantir que les contrôles seront effectués : voilà ce que je souhaite vous proposer.
Une protection, aussi, contre nous-mêmes : la surtransposition restera une ligne rouge. Pas un gramme de charge en plus sur la barque française par rapport au navire européen.
Protéger, enfin, contre les risques climatiques, avec des travaux en cours sur le dispositif d'assurance récolte qui doit, à terme, permettre de couvrir l'ensemble des cultures. Quatre ans après son entrée en vigueur, nous devons en faire le bilan sans tabou pour que le dispositif fonctionne à plein. Il s'agit là d'une nécessité d'adaptation aux aléas météorologiques toujours plus violents et nombreux. C'est une réforme majeure : je veux la consolider.
La deuxième ligne de conduite, c'est d'armer la France d'une agriculture d'avance. Pour y parvenir, les premiers acteurs seront les filières. Il faut chasser en meute, mieux organiser et mieux structurer pour peser plus, gagner en force collective, accroître notre compétitivité et renforcer notre réactivité. Il faudra s'investir pour lever tous les freins à la structuration des maillons productifs.
Mesdames et messieurs, nous devons aussi prendre le virage de l'agriculture 3.0 et investir massivement dans l'innovation, dont notre pays abonde déjà : variétés plus résilientes, outils de précision, numérique, robotique, biocontrôle, intelligence artificielle. Sans souveraineté technologique, il n'y aura pas de souveraineté alimentaire soutenable. J'associerai donc l'ensemble des financeurs pour amplifier cet élan et donner à la France la longueur d'avance dont elle a besoin. C'est d'ailleurs pourquoi j'ai le plaisir de vous annoncer, aujourd'hui, le renouvellement de la convention entre BPI France et mon ministère, assortie d'une nouvelle aide, dite « booster », destinée à accélérer le financement de l'innovation dans les entreprises agroalimentaires.
Mais il faut aller plus loin, frapper plus fort. Ma conviction, acquise au fil de mes rencontres avec vous, c'est qu'il faut doter notre pays d'un fonds souverain agricole. Permettre aux épargnants qui aiment les agriculteurs de choisir d'investir dans leur alimentation. Inciter les acteurs de l'aval et de la distribution, l'État lui-même, à contribuer aux financements des investissements de leurs fournisseurs pour sécuriser leurs approvisionnements à l'heure du changement climatique et de la guerre agricole. C'est un combat que je porterai.
La troisième ligne de conduite, c'est de garantir un revenu digne aux agriculteurs. Sans revenu, il n'y a ni vocation, ni installation, ni transmission. Si la loi d'orientation agricole a été l'alpha du renouvellement des générations, ce mouvement doit trouver son oméga dans une évolution du système de formation des prix alimentaires. Les lois Egalim ont posé des jalons utiles, mais elles demeurent trop complexes dans leur application. Nous devons bâtir un cadre plus simple, plus efficace, plus protecteur. Et, surtout, redonner toute sa force à l'alliance qui structure notre puissance alimentaire : le triptyque producteurs, transformateurs, distributeurs. Car une production isolée, c'est la perte de valeur ; une transformation sans ancrage agricole, c'est la dépendance ; et une distribution déconnectée d'une base industrielle et productive forte, c'est l'effacement. Réunis, ils forment une chaîne qui crée de la valeur, qui la partage et qui l'ancre sur le sol national. Je sais que cette idée forte est ardemment défendue par les Jeunes Agriculteurs dans leur plan d'avenir, et j'en profite pour saluer l'engagement de Pierrick HOREL qui est aujourd'hui dans cette salle. Le contexte parlementaire est un frein naturel mais nous devons avancer. Et s'il faut faire sauter le totem de la loi LME, nous le ferons.
Enfin, la dernière ligne de conduite, peut-être la plus décisive, consiste à réveiller la conscience des consommateurs. Car ce " Grand réveil alimentaire " n'a rien d'un slogan, il est une ambition nationale. J'invite les Français, tous les Français, à renouer avec le patriotisme alimentaire.
Pour accompagner ce réveil, j'ai proposé au Premier ministre de faire de l'éducation à l'alimentation la Grande Cause Nationale 2026. Ce label permettrait de financer, partout dans le pays, et d'abord auprès des plus jeunes, de grandes campagnes de sensibilisation, pour redonner à l'alimentation la place et la valeur qu'elle mérite dans notre culture commune : une force de santé, de goût, d'identité, de souveraineté.
Les marchés publics doivent jouer leur rôle dans cette reconquête. Le monde entier le fait : pourquoi pas nous ? Nos produits locaux, de qualité, nos produits bio et durables doivent trôner en rois dans nos selfs et nos cantines. Il y a des blocages, bien entendu, avant tout budgétaires, mais des solutions concrètes existent. Je veux que l'État soit exemplaire en la matière et je souhaite personnellement qu'il se fixe des objectifs plus ambitieux, notamment dans les cantines des administrations centrales. L'État doit montrer l'exemple au consommateur. Je proposerai cette réforme auprès de mes homologues dès le mois de janvier.
Ce réveil national, mesdames et messieurs, exige aussi de la transparence sur les étiquettes. Aujourd'hui, ou bien l'étiquetage manque, ou bien l'information déborde. Il faut retrouver de la lisibilité. Nous reverrons donc, de fond en comble, les règles qui ont rendu l'information incompréhensible, afin que chacun sache vraiment ce qu'il achète et d'où cela provient. Je porterai le sujet en Europe, dès le mois prochain, avec mon collègue à la consommation que je sais très attaché au sujet.
Enfin, dans ce réveil, j'ai un combat personnel à mener : celui de ré-enchanter l'agriculture et l'agroalimentaire, de redire la noblesse de vos métiers, la qualité de vos produits, la force économique et culturelle qu'ils représentent, le gisement de sens qu'ils portent. Je serai, partout où je le pourrai, l'ambassadrice infatigable de nos terroirs et de nos paysages nourriciers. Car derrière chaque assiette, chacun sait qu'il y a une part de notre identité, chacun doit aussi savoir qu'il y a une part de vous, une part de nous.
Voilà, mesdames et messieurs, les blocs de granit, si je puis l'exprimer ainsi, sur lesquels j'entends appuyer mon action dans les mois qui viennent, en complément du travail que vous conduirez.
Pour conclure, chers amis, je voudrais que chacun ici prenne la mesure de la mission historique qui nous revient : celle de renouer les fibres profondes qui ont toujours uni le peuple français à ses champs, à ses élevages, à ses usines, à ses marchés, celle de replacer notre pays dans la continuité du destin agricole qui est le sien.
Oui, la guerre agricole nous menace, et nous aurions tort de la prendre à la légère. Mais je vois devant moi, et je sais avoir partout dans le pays, une armée de forces vives, paysans, industriels, distributeurs, consommateurs, prêts à faire de la France une puissance agricole qui ne se laisse pas intimider.
Ce « Grand réveil alimentaire » doit nous permettre de regarder loin : loin dans le temps, loin dans l'espace, loin dans nos habitudes. Il doit faire de notre nation une pionnière, capable d'ouvrir la voie de la souveraineté alimentaire européenne, en affrontant lucidement les défis du siècle et en mobilisant tout le génie d'innovation et de production qui repose sur nos terres.
Redonner à la France son visage, et à l'Europe son grenier : voilà l'ambition. C'est pourquoi l'heure n'est ni au doute ni à la dispersion, mais au rassemblement. Rassemblement de nos forces, de nos filières, de nos consommateurs et de nos institutions. Rassemblement d'un pays qui choisit d'entrer pleinement dans la bataille, parce qu'il sait ce qu'il y gagnera : son indépendance et donc sa liberté.
Et c'est pourquoi vous pourrez compter sur une ministre de combat, déterminée à se battre à vos côtés, pas à pas, pour que vive l'agriculture, et pour que vive la France !
Source https://agriculture.gouv.fr, le 9 décembre 2025