Texte intégral
Merci beaucoup pour vos mots, Monsieur le président. Mesdames, Messieurs les ministres, Messieurs les ambassadeurs, Mesdames, Messieurs, chers étudiants, chers professeurs, très heureux d'avoir la chance d'être là et veuillez excuser l'absence de cravate.
J'étais comme ça avec votre président il y a quelques instants, et donc c'est dans la continuité de ce moment amical que je me trouve devant vous. Alors je crois que l'objectif est surtout qu'on ait un échange, mais je voulais vous dire quelques mots de ce pourquoi nous sommes dans votre pays, ce pourquoi, avant de quitter la Chine, je tenais à avoir cet échange avec les étudiantes et les étudiants que vous êtes.
Il y a beaucoup de choses dans le monde tel qu'il est aujourd'hui en train de se dessiner qui pourraient éloigner la Chine et la France. Il y a d'ailleurs beaucoup de récits qui aujourd'hui se jouent qui voudraient éloigner ce que les uns appellent l'Occident et le reste du monde, un Sud global et des pays du Nord, etc. Je ne crois pas du tout pour ma part à cette vision. Je crois que votre président n'y croit pas non plus. Et je pense que précisément dans le moment que nous vivons, la Chine et la France ont beaucoup à se dire, à apprendre l'une de l'autre et à faire ensemble. Pourquoi ? Parce que nous vivons sans doute un moment, et c'est vos générations qui vont l'affronter, d'extrêmes complexités et de transformation comme on en a peu vécu.
D'abord, on a des déstabilisations géopolitiques et un niveau de tension très fort. Vous le voyez et vous entendez parler sans doute chaque jour de la guerre lancée par la Russie en Ukraine qui touche directement l'Europe. On voit les tensions dans la région qui sont aussi fortes. On voit la rivalité qui existe entre les États-Unis et la Chine qui va quand même structurer beaucoup de choses. Et tout ça pourrait, en quelque sorte, séparer les continents. À côté de ça, on a une transformation numérique, technologique, avec l'intelligence artificielle et tout ce qui s'en suit, qui est unique — peut-être qu'on y reviendra à travers vos questions — et qui est une transformation de absolument toutes nos économies, mais aussi de notre manière d'être au monde, de penser le monde. Et elle est structurée, elle aussi, par une très grande rivalité géopolitique, parce que ceux qui prendront l'ascendant sur cette révolution technologique dessineront beaucoup du monde de demain. On a ensuite une crise climatique qui est déjà là, on en voit les conséquences, mais qu'on parle de biodiversité ou de climat, on a une transition très profonde de nos usages, de nos vies, de nos paysages qui est à l'œuvre. Et puis on a une transition démographique qui touche d'ailleurs nos deux pays. Et c'est pour ça que ceux qui opposent le Sud au Nord se trompent souvent, parce que la Chine, comme l'Europe, a devant elle une transition démographique qui est une des grandes révolutions qu'on aura à voir.
Pour régler tous ces sujets, on a besoin de coopération, on a besoin de se comprendre, de se connaître, de penser et de réfléchir ensemble pour apporter des solutions qui seront les plus concrètes. Or, on est à un moment de fracture inédite. Et donc, alors même que pour faire la paix, pour bâtir la prospérité de demain, pour essayer de gagner les révolutions technologiques, climatiques, démographiques que j'évoquais, il faudrait plus de coopération, on est à un moment de rupture un peu de notre ordre international. Et le monde qu'on avait construit après la Deuxième Guerre mondiale, qui reposait sur ce qu'on appelle le multilatéralisme et donc de la coopération entre les puissances, il est en train de se fissurer, de se fracturer, pour ne pas dire qu'il est déjà en train de se refragmenter. C'est ça ce qui est à l'œuvre et ce que certains veulent installer à travers leur discours. Et c'est de passer au fond d'un monde multilatéral à un monde multipolaire, avec quelques puissances qui structurent le monde et des vassaux, si je puis dire, mais qui ne travaillent plus ensemble. Et je pense que ça, c'est une erreur fondamentale.
Et donc ce que nous portons, c'est de croire dans un multilatéralisme efficace. Et je crois que c'est ce que la Chine porte aussi, et c'est l'intérêt de la Chine et de la France de défendre ce multilatéralisme efficace, pour relever les défis contemporains. Parce que tout ce qui nous séparera nous rendra beaucoup moins efficaces et ne nous permettra pas de régler ce que je suis en train de dire. C'est pourquoi la Chine et la France ensemble croient très profondément dans la manière de redonner à ce multilatéralisme beaucoup plus de force. On en a parlé à l'instant même avec le président Xi Jinping, essayer justement de redonner à cet ordre international un peu de sérénité, de stabilité, en le refaisant fonctionner. Il se trouve qu'on a une chose en commun entre la Chine et la France, nous sommes membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Ça veut dire que nous sommes des puissances militaires dotées de l'arme nucléaire, des puissances diplomatiques qui avons un rôle un peu particulier. On est toujours autour de la table pour faire fonctionner cette organisation inédite qu'on a créée après la Deuxième Guerre mondiale, et on a un pouvoir de veto.
Ce à quoi nous croyons et ce que nous voulons faire, c'est de remettre ces 5 membres permanents autour de la table pour essayer ensemble de traiter des quelques grands sujets, la paix et donc de traiter des grands conflits en cours, les transformations, et en particulier l'intelligence artificielle. Nous, on croit que le bon cadre pour avoir la conversation internationale, pour que ça fonctionne, que ça ne se fragmente pas, ce sont les Nations unies et les grandes questions climatiques et de biodiversité. Et d'ailleurs, ces dernières années, quand on a travaillé ensemble, Chine et Europe, on a fait avancer cet agenda. Il y a presque 10 ans, jour pour jour, s'il y a eu un accord à Paris sur le climat, c'est parce que la Chine, les États-Unis et l'Europe se sont mis d'accord et ont fait fonctionner un cadre onusien. S'il y a à peine deux ans, on a réussi, après des décennies d'attente, à trouver un cadre international pour réguler la haute mer et protéger nos océans, c'est parce qu'en particulier, la Chine et la France ont décidé de travailler ensemble et on a fait avancer les Nations unies. Et donc rendre plus forte le cadre des Nations unies, le droit international, réussir à travailler ensemble pour remettre tout le monde autour de la table, c'est, je crois, la vocation, la tradition diplomatique, la vocation et l'ambition de la Chine et de la France aujourd'hui. Et c'est très important pour les étudiants que vous êtes, si je puis me permettre, de vous interpeller cet après-midi, ne cédez pas aux sirènes de la division. Il y a beaucoup de gens qui vont vous expliquer que l'Europe est vieille, que l'Europe ou que les pays les plus riches, ceux qu'on trouve au G7, sont arrogants, déjà riches, qu'il y a un Nord qui méprise un Sud global. Tout ça sont des récits, des inventions.
On a fait progresser toute notre planète, de la Chine à la France, à chaque fois qu'on a su coopérer dans le respect réciproque, dans la considération. Moi, je ne crois pas à toutes ces théories. Nous partageons la même planète quand on parle de climat, on partage le même monde quand on parle de conflit. Et donc c'est notre capacité à construire des frontières, des zones géographiques, à concevoir avec respect, esprit de responsabilité, le même agenda pour la paix, la prospérité et le climat qui nous permet d'avancer. Ça, c'est la première chose dont on est sûr.
La deuxième, c'est qu'il nous faut repenser, ouvrir une voie de rééquilibrage économique. On pourra y revenir si vous avez des questions, ce n'est pas le cœur de notre débat aujourd'hui. Mais en vrai, on voit bien qu'il y a des déséquilibres qui sont en train de se jouer aujourd'hui. Beaucoup accusent la Chine toute seule, c'est faux. Mais si je devais résumer un peu l'état de la planète, on a des pays en voie de développement plutôt au sud, qui sont en situation très difficile aujourd'hui, qui subissent les tensions géopolitiques et les déséquilibres. On a des États-Unis d'Amérique qui ont des déficits jumeaux, c'est-à-dire budgétaires et de commerce extérieur, qui à la fois les rendent dépendants du reste du monde, mais aussi rendent une partie du reste du monde dépendante du dollar, qui est l'élément de rééquilibrage de ces déficits. On a une Europe qui n'investit pas assez et qui, elle-même, manque de compétitivité. Et on a une Chine qui a beaucoup investi, surtout après le covid, et qui exporte massivement, mais qui ne consomme pas assez. Et tout ça est en train de créer des déséquilibres qui ne sont pas soutenables. Et donc nous, ce qu'on veut, c'est avoir un agenda entre l'Europe et la Chine, là aussi coopératif, pour essayer de redonner, de recréer un équilibre aux affaires économiques.
L'Europe doit se réformer beaucoup plus vite, être plus compétitive, simplifier ses règles, être plus productive. La Chine doit consommer davantage. La Chine doit ouvrir davantage son marché aux biens et produits qui viennent d'Europe. Et l'Europe doit ouvrir de nouvelles perspectives d'investissement direct aux grandes entreprises chinoises qui sont aux avant-postes sur le plan technologique pour qu'elles viennent faire ce qu'on a fait ici, il y a 20-30 ans, du transfert de technologies sur ces éléments clés qui nous permettront de réussir notre transition énergétique, climatique, de mobilité encore plus vite. Et ensemble, on doit réussir à calmer les choses, parce qu'on voit bien, si on laisse tout dans la rivalité sino-américaine, le risque, c'est : “j'interdis les exportations vers chez toi sur ceci et je te réponds en les interdisant sur cela”. Et on va détruire de la valeur pour tout le monde. Cet agenda de rééquilibrage sino-européen, c'est, je crois, une voie pacifique, coopérative sur le plan économique, de la même manière que réinvestir les enceintes onusiennes et refaire fonctionner le P5 au niveau de l'ONU est la bonne voie sur le plan diplomatique et climatique.
Pour réussir tout ça, et je m'arrêterai là parce que je veux surtout répondre à vos questions, nous devons continuer de mieux nous connaître. Et au fond, le grand risque, et je pense que c'est encore plus vrai pour vos générations, mais ça l'est déjà pour nous. C'est qu'à une ère où tout le monde est connecté, on a l'impression de se connaître. C'est faux et c'est très superficiel. La connaissance intime de ce que nous sommes, de nos cultures, de nos langues, de nos musiques, de nos arts, de nos civilisations, est indispensable. Elle n'est parfois pas suffisante pour se comprendre totalement et agir ensemble, mais elle est nécessaire si on veut éviter, au fond, de s'ignorer progressivement, de ne pas se comprendre, de laisser les malentendus s'installer. Et je crois que très profondément, la Chine comme la France sont des très grandes civilisations qui se sont construites sur cette estime mutuelle, cette compréhension, oserais-je dire, cette amitié, voire cet amour. Et c'est pour ça qu'en étant là devant vous aujourd'hui, je voulais vous dire d'abord la très grande estime que nous avons pour votre université, monsieur le Président. Il y a ici, dans cette délégation qui m'accompagne, non seulement plusieurs ministres, mais également une trentaine d'établissements supérieurs d'enseignement en France, de recherche. Certains, vous les avez cités, ont des partenariats avec le vôtre. Nous avons aujourd'hui environ 30 000 étudiants chinois en France. Nous en voulons encore davantage. Venez en France étudier, apprendre la langue française, mais étudiez l'intelligence artificielle, étudiez les mathématiques, la physique, le quantique, étudiez les beaux-arts, etc. Et nous souhaitons avoir encore plus d'étudiants français en Chine.
Et nous nous sommes donnés avec le président Xi Jinping un objectif à 10 000 d'ici 3 ans, mais on veut encore aller plus loin. Parce que là aussi, c'est essentiel pour nous, pour mieux nous connaître et progresser. Et nous souhaitons continuer aussi les partenariats, on en a déjà beaucoup, ils sont importants, ils sont structurants. Toutes ces dernières années, on a intensifié la relation culturelle de la cité interdite avec Versailles, entre nos musées. Là, nous allons, par exemple, pour le Sichuan, nous venons de signer un accord très important qui va permettre pour la première fois d'avoir les trésors du Sanxingdui au musée Guimet, avant le classement UNESCO, au moment du classement UNESCO, ce qui permettra d'avoir les trésors archéologiques du Sichuan qui seront exposés en France. Et on veut continuer d'avoir cette intimité. Parce que c'est par cette connaissance réciproque qu'on pourra continuer, au fond, de coopérer, d'agir ensemble, d'être ensemble au monde. Parce qu'aussi grande soit la Chine, je ne pense pas qu'elle réussira au XXIe siècle en étant autarcique, isolée, seule. Et aussi belle soit l'Europe, je ne pense pas qu'elle puisse réussir au XXIe siècle sans coopérer, comprendre d'autres civilisations et avancer avec elles. Et je crois très sincèrement que la Chine et la France ont cette responsabilité, par les échanges humains, les échanges universitaires, culturels, et par cette ambition commune sur le plan économique et diplomatique que je viens à grands traits de brosser, de faire coopérer les femmes et les hommes pour pouvoir bâtir un XXIe siècle qui nous permette de relever ces défis. Ce siècle, c'est le vôtre. Vous êtes des générations qui allez le bâtir, y vivre, l'habiter. Et ce siècle ne sera vivable que si nous savons, à l'échelle de la planète, nous connaître, avoir cette patience et bâtir ensemble les solutions d'avenir. Je ne serai pas plus long. Je vais maintenant répondre à vos questions.
Intervenant
Depuis que j'apprends le français, mes amis me demandent souvent de leur recommander un roman ou un auteur français. Il est difficile à choisir parce qu'il y a tant de chefs-d'œuvre remarquables. Monsieur le Président, si vous deviez conseiller aux étudiants chinois une œuvre qui peut permettre de mieux découvrir la culture et l'esprit de la nation française, laquelle choisiriez-vous et pour quelles raisons ? Merci beaucoup.
Emmanuel MACRON
Merci. D'abord, merci pour votre français. Merci d'apprendre le français et d'être l'incarnation vivante de ce que j'évoquais à l'instant. Écoutez, si je choisissais un poète, même s'il est poète, romancier, dramaturge, je vous dirais sans doute Victor Hugo et je vous conseillerais de lire " La légende des siècles " parce que vous avez à la fois, je dirais, le grand récit de la France et même au-delà de notre imaginaire. Et puis, si je vous conseille un roman, je vous inviterai sans doute à lire " Les Trois Mousquetaires ", parce que vous avez là une partie de l'histoire de France, mais vous avez surtout l'esprit chevaleresque qui va avec la France. Et puis, s'il fallait une pièce de théâtre, je vous dirais de lire Molière à coup sûr et la Comédie-Française d'ailleurs qui est avec nous dans cette délégation, et de Molière, c'est très difficile de vous en conseiller une. Mais je vous conseillerais peut-être " Le Misanthrope " parce qu'elle est à la fois une belle description de ce qu'est le système de pouvoir dans la France et nous avons parfois des similitudes, mais de ce qu'est l'importance de l'âme humaine, de sa singularité et du refus de céder parfois aux lois du collectif. Voilà les trois auteurs et les trois œuvres. J'ai un peu triché, mais j'ai pris un poète, un romancier et un dramaturge.
Intervenant
Cher Monsieur le Président. Je suis une étudiante en biologie. Donc j'ai bien apprécié votre discours. L'Université du Sichuan a déjà établi des projets de recherche de coopération avec Paris Sciences Po, Inalco, Paris Nanterre et d'autres universités françaises. Et, Monsieur le Président, est-ce que vous pensez à l'avenir, plus de programmes d'échange, de formation conjointe et de programmes de stages seront mis en place entre les établissements d'enseignement supérieurs des deux pays afin de favoriser la formation des jeunes internationaux ? Et puis, quels sont les domaines, d'après vous, que les universités pourraient approfondir leur coopération dans le but de promouvoir cette formation de jeunes talents internationaux ? Merci.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Comme je vous l'ai dit, notre ambition, c'est d'aller en effet beaucoup plus loin, de continuer les échanges, les échanges d'étudiants, mais également les échanges de doctorants et de post-docs, et d'avoir beaucoup de projets de recherche.
Je pense que c'est très important parce que, surtout dans votre domaine, il y a un petit risque de fragmentation du monde, pour se parler franchement. Il y a eu un avant et un après Covid, et on l'a vu. Ici, vous parlez très franchement. Il y a eu une tension qui s'est jouée, y compris au sein de l'Organisation mondiale de la Santé, et il y a eu une très forte tension entre la Chine et les États-Unis sur la question de la santé. Or, nos instances onusiennes appartiennent à tout le monde, et il faut qu'il y ait les Européens, évidemment tous les continents, les Chinois et les Américains qui y soient présents.
Nous, nous voulons veiller à ce que tout le monde continue de coopérer, parce que dans tous ces domaines, dont le vôtre, on a besoin d'une science, et je veux insister sur ce point, libre et ouverte. On vit un moment qui est très dangereux. Parce que, il y a en fait 6-7 ans de cela, c'était mon premier mandat pour ma part, vous n'étiez pas encore étudiant, mais vous étiez déjà en âge de connaître tout ça, personne n'osait remettre en cause l'idée d'une science libre et ouverte.
Au fond, à partir du Covid et ensuite, il faut bien dire que les deux principales puissances économiques et scientifiques sont venues un peu bousculer cet ordre établi. On s'est mis à moins partager de publications avec l'OMS et avec les partenaires en matière de santé, parfois même ici, ce qui n'est pas une bonne chose. Quand je dis ici, ce n'est pas dans votre université, c'est en Chine. On s'est mis aux États-Unis à faire un peu pareil, à dire qu'on n'a plus le droit de venir chercher sur telle ou telle chose. Le mot climat ou le mot diversité ne doit plus faire partie des programmes de recherche. Je pense que c'est une vraie erreur. Je pense que le trésor qui est le nôtre, c'est celui d'une connaissance universelle, d'échange, et cette connaissance n'appartient à personne. Elle se fertilise par le fait que des esprits vont pouvoir, peut-être ici, dans le fin fond de Sichuan, échanger avec quelqu'un au très fond de la Californie, avec une université à Paris ou à Grenoble, et ensemble concevoir un programme de recherche parce qu'ils parleront de la même discipline et ils échangeront de manière libre en tant que chercheurs, en tant qu'amoureux de la connaissance humaine. Et donc ça, c'est la plus belle des libertés.
En fait, nous ne sommes toutes et tous véritablement libres que si on est libres de connaître et que si cette connaissance est échangée. Ce n'est pas au Gouvernement de décider. On peut piloter de la recherche, on peut dire notre priorité est là ou là. J'ai donné quelques-unes des priorités qui sont les nôtres. Mais il faut chérir la liberté académique, la liberté d'enseignement, la liberté de recherche, parce qu'elle est fondamentale, et elle permet en fait aux gens qui savent et qui cherchent de choisir, en quelque sorte, de continuer d'étendre cette connaissance libre. C'est comme ça que, depuis des siècles, nous avons avancé. Je me permets d'insister sur ce point parce qu'il ne faut pas le perdre de vue et que, ces dernières années, collectivement, parfois, on a régressé sur ce sujet. Donc ne cédons pas, en quelque sorte, aux sirènes des interdits.
En matière de connaissance, il n'y a pas d'interdits, il faut connaître. Et il faut avoir cette soif de connaître et cet enthousiasme de connaître et il faut chérir la liberté académique. Dans votre domaine, je voudrais insister sur un point, c'est l'interdisciplinarité. C'est formidable qu'un étudiant en biologie dise, j'ai eu un programme avec l'Inalco. On a compris quelque chose, en particulier au moment du Covid, et on l'a bâti, la France a contribué à pousser cet agenda avec l'Organisation mondiale de la Santé et d'autres, on a bâti une stratégie qu'on a appelée One Health, une santé. Au fond, on a compris que la santé humaine n'était pas séparable de l'environnement, de la santé animale, mais aussi de la compréhension du fonctionnement des écosystèmes.
En même temps que notre connaissance avance, on a tendance à se spécialiser, et vous le verrez à travers les années, vous irez vers des sujets d'études de plus en plus pointus, et peut-être que vous irez vers des disciplines de plus en plus pointues, en même temps qu'on se spécialise, on a besoin toujours de remettre de l'interdisciplinarité, c'est-à-dire du dialogue avec les autres disciplines. Et ça aussi, vraiment, je vous conseille de toujours le garder et de le chérir. Et si on veut, en biologie, continuer d'avancer, il faut absolument que les meilleurs biologistes, et toutes les disciplines qui les accompagnent, continuent d'échanger avec les spécialistes de l'environnement, du climat et des écosystèmes, parce qu'on s'est aperçu, par exemple, que c'est les spécialistes de la virologie ou de la microbiologie qui avaient compris que les interconnexions avec les écosystèmes pouvaient révéler telle ou telle maladie.
Je le dis avec mes mots, moi, je ne suis pas du tout un spécialiste. J'essaie de comprendre les choses telles qu'elles vont. Mais de la même manière qu'il y avait des passerelles entre les maladies qu'on avait au sein de l'espèce humaine, des virus, et au sein des espèces animales. Et donc la compréhension, en effet, de l'animal, de l'écosystème, du climat et de l'humain sont inséparables. L'interdisciplinarité. Et donc là-dessus aussi, on va continuer d'avoir ces programmes. La France pousse cet agenda à One Health, nous le poussons à l'Organisation mondiale de la santé, et nous tiendrons à Lyon le 7 avril prochain, un sommet One Health, et d'ailleurs, si vous êtes étudiant de biologie, vous y êtes invité, pour pouvoir avancer sur cet agenda et avoir beaucoup de coopération de recherche, entre autres avec la Chine.
Intervenant
Cher Monsieur, bonjour. Je viens de la faculté de médecine dentaire. Vous savez que la devise c'est " L'océan est immense car il accueille 100 rivières ". Cela incarne un esprit d'ouverture et d'inclusion. Et en cette nouvelle ère, cet esprit semble indispensable pour une coopération plus étroite entre les jeunes Chinois et Français. Donc quels sont les conseils et propositions que vous donneriez aux jeunes de nos deux pays pour nous aider à forger des liens de confiance plus durables pour faire ainsi notre contribution à l'avancement des relations bilatérales et à l'échange de l'apprentissage mutuel ?
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Je ne veux pas redire ce que j'ai déjà dit, mais d'abord de nous connaître et d'apprendre nos langues, au maximum nos cultures, nos civilisations, mais nous connaître. Je le disais, je pense que le piège dans le monde où nous vivons, c'est que parce qu'on est interconnecté en permanence et qu'on voit telle ou telle chose, on a l'impression de connaître, mais c'est très superficiel. On voit une vidéo, on voit quelques messages. Et donc, je pense que prendre le temps de connaître nos cultures, nos civilisations, nos langues est très important et d'en apprendre plusieurs, d'en connaître plusieurs pour cheminer dans ce monde.
La deuxième chose, c'est les échanges humains et les voyages. C'est vrai que le monde s'est un peu bloqué durant ces années de Covid, et je pense que ce n'est pas parce qu'il y a des moyens aujourd'hui virtuels d'échanger qu'elle dispense de voyager, d'aller connaître, de passer du temps, d'aller étudier, d'aller travailler dans nos pays. En vérité, si je pouvais, au-delà de ce que j'ai déjà dit depuis tout à l'heure sur l'esprit de coopération, les initiatives communes, je suis frappé, c'est sans doute vrai déjà pour la génération à laquelle j'appartenais, mais je suis très vieux pour vous.
Pour vos générations, mon conseil, ce serait : ennuyez-vous et acceptez de vous perdre. Parce que vous êtes quand même dans un monde et à un moment où il y a une telle tyrannie de l'efficacité, du résultat, de la rapidité qu'au fond plus rien ne fixe, plus rien n'imprime. Moi j'ai appris les mots qui m'ont le plus marqué en me perdant dans un dictionnaire. Je pense que vous, vous n'ouvrez plus un dictionnaire, vous allez chercher des mots sur les réseaux sociaux. Parce que dans un dictionnaire, on se perd entre les pages. C'est pareil quand on visite un autre pays, on se perd dans les rues et on se livre au hasard. Et c'est une chance. Et donc si j'avais en fait un conseil pour vos générations qui sont tellement soumises à cette pression du résultat, de l'efficacité, de l'immédiateté, ennuyez-vous et perdez-vous. Parce que vous verrez que ce sera votre chance. Et je vous parle très sérieusement.
Intervenant
Bonjour Monsieur le Président. La filière de français de l'Université du Sichuan a pour origine l'école sino-française, fondée en 1896. Depuis plus d'un siècle, elle a formé de nombreux professionnels polyvalents, maîtrisant à la fois les langues et la culture chinoise et française. Aujourd'hui, avec le développement rapide de l'IA, la formation des talents est confrontée à de nouvelles opportunités et à de nouveaux défis. À votre avis, donc, comment la formation actuelle des talents devrait-elle répondre aux défis engendrés par les mutations technologiques ? Merci.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. D'abord, vous avez raison de dire que notre estime, notre amitié réciproque viennent de très loin et reposent sur des institutions de part et d'autre qui sont souvent multiséculaires, mais aussi des grands noms des destins de femmes et d'hommes qui ont consacré leur vie à la compréhension de l'autre. C'est la plus belle preuve d'amour. Ici, dans la délégation qui m'accompagne, vous avez plusieurs très grands esprits, grands scientifiques, grands talents, femmes et hommes de lettres, de culture qui ont passé et passent leur vie à comprendre la langue, la civilisation chinoise avec beaucoup d'humilité, et c'est vrai aussi de votre côté. Ça, ça restera et c'est une chance inouïe. C'est-à-dire, le don de soi, la générosité, l'amour de la matière, de cette connaissance que j'évoquais tout à l'heure, la machine ne peut pas le remplacer.
Alors l'intelligence artificielle qui émerge, qui est là avec nous, qu'est-ce que c'est ? Parce qu'elle nourrit beaucoup de fantasmes. C'est une machine apprenante. C'est ça l'intelligence artificielle. C'est-à-dire, c'est une machine apprenante à laquelle on donne des capacités de calcul croissantes et qui donc fait des choses extraordinaires, qui sont en train de dépasser l'esprit humain. Alors il y en a certaines, elles nous impressionnent beaucoup parce qu'elles sont un peu anthropomorphiques, c'est-à-dire elles nous ressemblent. C'est les fameux modèles de langage qu'on connaît tous, DeepSeek ici, Le Chat chez nous, je fais de la pub, nous on a aussi un grand champion des LLM qui est Mistral AI en France, qui a Le Chat, et donc pour tous ceux qui apprennent le français, même ceux qui ne l'apprennent pas, téléchargez Le Chat, c'est super. C'est un très bon modèle de LLM. Je fais de la publicité française, mais c'est un grand champion français européen.
Mais qu'est-ce que c'est au fond ? C'est un super calculateur qui a lu plein de livres. C'est exactement ça, ces modèles-là. Et on a l'impression qu'il nous parle, mais il ne maîtrise pas une langue, il maîtrise des équations, une capacité à émettre du langage, comme des signes, en répliquant des choses qu'il a absorbées et des centaines de millions, même plus, de livres qu'il a lus. C'est ça.
D'abord, je dis toujours, ces modèles larges de langage, c'est une ode à la lecture. C'est juste quelqu'un qui a beaucoup de capacités de calcul, qui s'est enfermé pendant des jours et des nuits pour absorber le maximum de livres de la civilisation. Donc vous voyez que ça sert à quelque chose. L'intelligence artificielle, on doit l'utiliser pour la pédagogie contemporaine. Et je pense, je livre là juste quelques débuts de conviction, il faut l'utiliser de deux manières. La première, elle ne se substitue pas à l'apprentissage. Et c'est le grand risque. C'est de se dire : on a sous la main des choses qui savent pour moi, et donc je n'ai plus qu'à savoir utiliser ces outils, je n'ai plus besoin d'apprendre. C'est faux. Le cerveau c'est un muscle. C'est un muscle. Et donc, on a besoin, pour pouvoir évoluer, juger, et même pour avoir de l'esprit critique, comprendre le monde, le mettre en doute. On a besoin d'acquérir des connaissances et un maximum de connaissances et en même temps d'esprit critique. Et donc, je pense que la formation classique qui existe et qui est très forte dans nos deux pays, celle qui consiste à avoir un socle de connaissances extrêmement large, enraciné, et en même temps celle qui repose aussi sur la capacité à avoir un esprit critique et donc remettre en cause ses connaissances et acquérir une discipline, une méthode de doute, de capacité à interroger nos connaissances, pour acquérir d'autres connaissances et avoir une discipline, en quelque sorte, de la construction scientifique, il faut absolument continuer de les inculquer, de les transmettre. On en a besoin. L'intelligence artificielle n'y change rien.
Par contre, l'intelligence artificielle peut permettre d'accélérer et d'améliorer ces transmissions, en particulier parce qu'on voit bien que pour mieux former, parfois il faut accompagner de manière plus individuelle. Et il peut y avoir, au fond, une forme de tuteur, de mentor individuel avec l'IA qui accompagne l'enfant, l'adolescent, puis l'étudiant dans son apprentissage. Et donc, je crois qu'on a toujours besoin de transmettre des connaissances, on a toujours besoin d'acquérir de l'esprit critique, on aura toujours besoin des maîtres. Simplement, ils vont pouvoir maintenant s'accompagner de soutiens, en quelque sorte de tuteurs, avec l'intelligence artificielle, qui permettra à chacun de continuer le cours, de continuer l'apprentissage avec un partenaire d'apprentissage plus adapté, plus personnalisé. C'est d'ailleurs quelque chose qu'on travaille, et je sais que vous le travaillez aussi. En France, avec le Collège de France, on a des programmes sur l'apprentissage des mathématiques, par exemple, ou d'autres disciplines. Et il y a plusieurs autres laboratoires de recherche à l'université qui sont embarqués dans cette méthode pédagogique nouvelle qui, au fond, vient la compléter.
Voilà, je parle là sous le contrôle des ministres et des sachants, parce qu'il y a beaucoup de présidentes et présidents d'institutions, mais voilà un peu comment je vois les choses avec l'IA. Donc, c'est une formidable révolution, et au fond, l'intelligence artificielle, ça nous renvoie à l'humanisme de la Renaissance, et chez nous, les préceptes qui prévalaient. C'est une révolution scientifique, mais science sans conscience n'est que ruine de l'homme. Et donc, on a toujours besoin d'avoir cette conscience et de mettre cette science au service d'une certaine idée d'humanité, la nôtre.
Intervenant
Bonjour. Je voudrais savoir quels sont les endroits où vous êtes allé à Chengdu qui sont intéressants et quels sont les souvenirs qui vous ont marqué ? Et si vous avez des lieux en France à nous conseiller ?
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Non, moi, c'était magnifique. Vous savez, le problème, c'est que c'est toujours trop rapide en ce qui me concerne. J'étais avec votre président tout à l'heure à Dujiangyan et c'était absolument superbe de voir ce travail d'irrigation et ce magnifique barrage.
Je suis heureux, moi, d'être là avec vous. Chaque fois que je suis venu en Chine, durant mes quatre visites d'État, j'ai essayé à chaque fois d'aller dans un lieu différent. Aujourd'hui, dans le Sichuan avec vous, je suis allé à Xi'an dans ma première visite, et donc j'essaie d'avoir une vision un peu plus riche de votre pays.
Le bon voyage, c'est celui où on part avec le désir de revenir en se disant qu'on n'a rien vu. C'est exactement mon cas.
Alors, pour ce qui est de vous, ce serait très difficile de vous recommander un seul lieu en France, mais évidemment, Paris vous tend les bras et c'est une cité monde dans laquelle vous pourrez vous perdre. J'ai emmené votre président dans un endroit qui m'est cher, ce sont les Hautes-Pyrénées. Je crois qu'il a gardé un bon souvenir du col du Tourmalet, en bas du Pic du Midi. Comme ça, vous verrez un peu des montagnes françaises. Et ce sont des paysages qui vous sont familiers.
Mais donc, je vous conseillerais d'aller à Paris, évidemment, de vous perdre dans les musées. Vous avez là plein de directrices et directeurs et présidentes et présidents des musées français les plus beaux. D'aller dans les Pyrénées, qui me sont chères, pour voir un peu la montagne.
Aller peut-être en Normandie, parce que vous verrez les paysages des impressionnistes et de nos peintres qui sont tellement aimés, une lumière unique. Et puis, perdez-vous après sur les rives de la Méditerranée. J'avais emmené le président Xi Jinping à Beaulieu-sur-Mer, à la Villa Kérylos, en 2019. C'était magnifique. Allez sur ces rives de la Méditerranée aussi.
Une fois que j'ai dit ça, le problème que vous m'avez posé, c'est que je ne me suis fait que des ennemis dans toutes les régions que je n'ai pas citées. Et vous voyez, on me reproche déjà de ne pas avoir parlé les uns de la magnifique région du Cognac, les autres de la magnifique... Et donc, nous sommes en fait terriblement chauvins.
La plus belle région, c'est celle d'où nous venons. Pour ma part, je suis moitié Picard, moitié Pyrénéen. Donc, je vous dirais, allez voir la cathédrale d'Amiens et le pic du Midi. Mais acceptez de perdre du temps en France et, comme je le disais à votre consœur, de vous perdre, de perdre du temps, de vous abandonner au paysage et de rester un peu, de rester un peu.
Intervenant
Monsieur le Président, ça me fait un très grand plaisir de vous voir ici aujourd'hui. Et en fait, je fais partie de l'équipe qui vous accueille, qui fait partie de l'équipe du protocole. Et c'est un grand honneur pour moi de parler le français, surtout avec vous. J'ai une question, une dernière, je vous promets, c'est que moi, en fait, j'ai appris longtemps le français, j'ai passé aussi un examen de traduction orale en Chine, c'est un certificat professionnel, mais en fait le comité a choisi toujours en fait vos allocutions, c'est-à-dire, vos discours et c'est très intéressant. De toute façon, moi, j'ai déjà passé le niveau 2, mais je n'ai pas encore réussi le niveau 1. Après, les analyses de vos discours sont assez sophistiquées et compliquées et j'aimerais bien savoir comment on peut, en quelque sorte comprendre la structure ou bien, la syntaxe de vos discours pour mieux réussir l'examen de traduction orale. Merci beaucoup.
Emmanuel MACRON
D'abord. Merci beaucoup pour votre français et merci d'avoir, en ce qui me concerne, donc, ce double investissement de la compréhension, de l'amour de notre langue, de notre civilisation, et en plus d'accepter de vous perdre dans mes propres discours. Je vous en suis très reconnaissant.
Écoutez, je ne prétends pas dire qu'il y a toujours la même structure et la même approche, mais je crois pouvoir dire que l'esprit français structure souvent son propos à travers une thèse, une antithèse et une synthèse. C'est comme ça que nous sommes plutôt faits. Et donc, il y a souvent un mouvement ternaire dans la manière de structurer le propos pour essayer d'avoir une approche qu'on appelle " dialectique " et donc de prendre une thèse du départ, d'aller chercher son antithèse pour comprendre ce en quoi elle enrichit le propos, et de finir avec une synthèse qui permet normalement d'avoir cheminé et d'avoir fait progresser la pensée. Ça ne veut pas dire que tous les discours suivent ce même raisonnement, mais en tout cas, c'est quelque chose qui est peut-être moins naturel dans la structure de pensée qui sont les vôtres ou les méthodes d'enseignement, mais qui prévaut, je crois dans une partie des discours que j'ai pu faire. Voilà.
Intervenant
Ça m'a déjà bien aidé, c'est d'une grande aide.
Emmanuel MACRON
Vous êtes trop indulgent. Bien, Mesdames et Messieurs, je crois que le temps est venu de devoir vous quitter. Et vraiment, en partant, je voulais vous dire, d'abord, l'immense honneur que ça a été pour moi-même et ma délégation d'être avec vous.
Intervenant
Un grand merci Monsieur le Président pour la visite à l'université de Sichuan.
Voilà, ceci est une anthologie des collections du musée de l'université de Sichuan. C'est une série qui réunit les pièces représentatives du musée de l'université de Sichuan. Donc, ça couvre les 4 catégories, voilà, telles que la peinture, la calligraphie, la porcelaine, le saut, le monnaie, l'ombre chinoise et l'art du bouddhisme tibétain.
Emmanuel MACRON
Merci beaucoup. Merci Mesdames et Messieurs. Et je vous redis : « vous êtes les bienvenus en France. » Quand vous voulez, dans la discipline que vous voudrez, la France vous ouvre ses bras et vous attend. Merci beaucoup.