Déclarations de Mme Catherine Vautrin, ministre des armées et des anciens combattants et de M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie, sur la stratégie de défense nationale, les moyens supplémentaires et les efforts industriels à engager, à l'Assemblée nationale le 10 décembre 2025.

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Circonstance : Déclaration du gouvernement sur la stratégie de défense nationale

Texte intégral

Mme la présidente
L'ordre du jour appelle la déclaration du gouvernement sur la stratégie de défense nationale, les moyens supplémentaires et les efforts industriels à engager, suivie d'un débat et d'un vote, en application de l'article 50-1 de la Constitution.

(…)

La parole est à Mme la ministre des armées et des anciens combattants.

Mme Catherine Vautrin, ministre des armées et des anciens combattants
Messieurs les présidents de commission, mesdames et messieurs les députés, vos interventions témoignent incontestablement de votre attachement à notre défense nationale. La majorité d'entre vous a évoqué la nécessité absolue de plus d'autonomie, de plus de souveraineté. Monsieur le premier ministre, vous l'avez dit, nous vivons un moment de bascule stratégique : une bascule liée aux incertitudes de l'allié américain ; une bascule à l'Est, où la guerre a ressurgi sur notre continent ; une bascule au Proche-Orient où la situation demeure fragile et peut à tout moment entraîner l'escalade, et une bascule au Sahel, où l'instabilité ne cesse de croître. L'ensemble de ces constats dessinent un monde plus dur, plus brutal.

Face à cela, nous n'avons pas d'autre choix que de réagir résolument en poursuivant la montée en puissance de la loi de programmation militaire. Elle consacre un effort de paix, pour que notre pays reste au niveau de ses alliés et de ses compétiteurs mais, surtout, qu'il puisse garantir son indépendance.

Je m'associe à l'hommage que vous avez rendu à nos forces, aux femmes et aux hommes qui composent nos armées. Beaucoup d'entre vous ont évoqué la notion majeure de souveraineté. Je le réaffirme avec force devant vous : la politique de défense est incontestablement une compétence souveraine de l'État. Dans notre histoire, le respect de cette notion fondamentale n'a pour autant jamais empêché les alliances. C'est d'ailleurs encore d'actualité aujourd'hui.

De la même manière, la dissuasion nucléaire n'a jamais été partagée. C'est une spécificité française et une compétence nationale, dont la doctrine –? c'est important – demeure inchangée depuis 1964, malgré la succession des exécutifs. Notre responsabilité aujourd'hui est d'articuler la stratégie de dissuasion, aussi bien navale qu'aéroportée, avec la stratégie de défense conventionnelle. En d'autres termes, notre stratégie d'indépendance va des fonds marins à l'espace. C'est la règle de notre autonomie. Je rappelle que la dissuasion nucléaire est une différence importante avec nos voisins allemands, qui n'en disposent pas.

La souveraineté doit être organisée, mais aussi financée. C'est le sens des surmarches, qui permettent notre réarmement et visent à réduire nos dépendances. Nous avons ainsi déjà relocalisé certaines productions, comme la poudre des obus d'artillerie. Nous nous dotons également de moyens pour renforcer notre autonomie d'appréciation de situation. Les satellites et les radars doivent ainsi nous permettre de disposer d'un système souverain d'alerte avancée.

Jean-Louis Thiériot a évoqué l'Otan. Oui, la France est un allié fiable, solide et reconnu. La réintégration au sein de la structure de commandement s'est faite dans le respect de nos principes fondamentaux d'indépendance absolue de la dissuasion, de liberté d'appréciation et de liberté de décision. La France défend le renforcement du pilier européen de l'Otan. Notre positionnement est unique. Nous le défendons dans le commandement suprême allié pour la transformation, confié à l'amiral Pierre Vandier à Norfolk et en tant que nation cadre en Roumanie pour maintenir la paix sur le flanc Est de l'Europe.

Comme Natalia Pouzyreff l'a rappelé, parmi les programmes de l'Otan, nous soutenons le programme Purl –?  Priority Ukraine Requirements Lists – qui permet l'acquisition de matériels avec l'argent des Européens. Ce programme fondamental a toutefois l'inconvénient de ne pas préserver la base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne.

Le programme européen pour l'industrie de la défense (Edip) permet des achats en commun de munitions. Il renforce, lui, la capacité de soutien de l'industrie de défense européenne. La préférence européenne est un élément clé et la France ne transige pas, notamment sur les critères de 65% de composants européens dans les programmes de défense. Nous discutons quotidiennement de ces questions concrètes, qu'il s'agisse du pourcentage des composants européens ou de la conception européenne des programmes de défense.

Mme Darrieussecq a évoqué le soutien à nos armées. Il passe par l'amélioration du quotidien, notamment des logements, des personnels et de leurs familles. Nous mesurons tous l'impact des bases de défense sur chacun des territoires hexagonaux et ultramarins dont vous êtes élus, comme celui des industries.

Sur les surcoûts opérationnels, la provision s'élèvera à 1,2 milliard d'euros en 2026, contre 750 millions en 2025. Il s'agit d'une consolidation, comme l'a dit Yannick Chenevard, d'autant que l'année 2025 n'a connu aucune annulation budgétaire et que la loi de finances de fin de gestion nous permettra d'aller plus loin.

Beaucoup d'entre vous se sont inquiétés des restes à payer. Ils obéissent à un mécanisme qui s'échelonne sur trois ans et demi. Ils sont le résultat des commandes passées par nos armées. La première année, les autorisations d'engagement sont votées. Elles sont ensuite exécutées par des crédits de paiement. Les restes à payer traduisent le montant des commandes payées, soit l'usage des autorisations votées par le Parlement. En d'autres termes, ils illustrent la capacité à exécuter à l'euro près la loi de programmation militaire.

Concernant l'activité opérationnelle, l'actualisation de la LPM accompagne le renforcement de nos capacités. Elle prévoit ainsi une augmentation de la qualité et de la quantité de l'entraînement de nos forces. La commission de la défense de l'Assemblée et celle du Sénat nous le demandaient.

Le budget 2026 prévoit une hausse de 650 millions d'euros par rapport au budget 2025 pour la préparation opérationnelle, soit un total de 8,5 milliards, parce qu'une armée opérationnelle et efficace est une armée entraînée. L'année 2026 sera l'occasion d'un nouvel et important exercice Orion consacré au combat de haute intensité. Voilà des réponses concrètes !

Pour illustrer la soutenabilité et la sincérité de la LPM, je vous donnerai un seul chiffre. Au 30 septembre, la délégation générale de l'armement avait déjà passé des commandes pour un montant de 12,8 milliards d'euros et payé 16 milliards pour des commandes passées. Ce chiffre historique a un double intérêt.

Ce chiffre historique présente un double intérêt : le volume de la commande, bien sûr, mais aussi celui des paiements déjà effectués aux industriels, et qui ruissellent vers l'ensemble de nos territoires. Ce résultat est d'autant plus remarquable que l'exercice 2025 a démarré avec deux mois de retard, après la censure du gouvernement. Malgré cette contrainte, nous avons tenu nos engagements.

Notre base industrielle et technologique de défense, forte de 4 200 entreprises et de 220 000 emplois répartis sur tout le territoire, constitue un atout majeur. Les efforts conjoints du ministère de l'économie et des finances et du ministère de l'industrie ont permis d'améliorer les délais de production et de mieux partager la valeur entre les grandes entreprises et leurs sous-traitants, qui doivent –? nous y veillons – être pleinement associés non seulement à la commande, mais aussi à la création de valeur, tout comme les territoires concernés.

Je souhaite également aborder la question de la frappe dans la profondeur. J'évoquais il y a un instant notre spécificité : disposer d'un armement conventionnel complet et maîtriser l'ensemble de la palette balistique –? aérobalistique, balistique terrestre et balistique navalisée. La délégation générale de l'armement travaille sur ce sujet, déjà examiné en comité interministériel, et sur lequel nous irons plus loin pour apporter des réponses très concrètes.

S'agissant des infrastructures, l'augmentation des crédits de 2,6 milliards d'euros –? soit une hausse de 6 % – bénéficie directement à la préparation des forces. Je pense à la formation, avec l'école des sous-officiers, à l'hébergement, aux quais destinés au programme Barracuda, aux infrastructures du programme Scorpion, mais aussi à la nécessité de disposer à Mayotte d'infrastructures terrestres et d'une base navale où seront déployés des vedettes de gendarmerie, des éléments de soutien et de commandement, neuf à treize intercepteurs dès 2027, ainsi que 520 personnels supplémentaires.

Par ailleurs, l'inscription dans ce budget –? s'il est voté – d'un porte-avions de nouvelle génération permettrait à la France de conforter son rang de puissance maritime et de renforcer sa présence autour de ses outre-mer. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes EPR et Dem, ainsi que sur les bancs des commissions.)

En matière d'équipements nouveaux, les drones occupent une place centrale : plus de 600 millions d'euros y seront consacrés en 2026, soit 33% de plus qu'en 2025. Ce choix s'appuie sur le retour d'expérience du conflit en Ukraine, où plus de 70% des destructions proviennent des drones. En la matière, les capacités sous-marines et les robots terrestres sont également indispensables. Dans ce domaine, l'innovation est capitale : c'est un état d'esprit, une organisation,…

M. Hadrien Clouet
C'est aussi de l'argent !

Mme Catherine Vautrin, ministre
…et c'est évidemment de l'argent. C'est pourquoi cette priorité, déjà inscrite dans la LPM, est renforcée dans le cadre des surmarches. Technologies quantiques, armes à effet dirigé, hypervélocité, robotisation : tels sont les armements de demain. (Mme Danielle Brulebois et M. Paul Midy applaudissent.)

Il reste que, même avec les meilleurs équipements, rien ne serait possible sans les femmes et les hommes de nos armées. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR et Dem. –? Mmes Delphine Batho et Dieynaba Diop applaudissent également.) Notre objectif pour 2030 est fixé à 275 000 personnels. Dès 2026, 800 postes supplémentaires seront affectés notamment au cyber et à l'intelligence artificielle. Au total, 40 000 recrutements sont prévus. La formation, dispensée dans 70 écoles et centres, représente 6 millions de journées par an.

Nous consacrerons 86 millions d'euros aux mesures catégorielles destinées à renforcer la fidélisation et la fierté d'appartenance. Après les avancées en faveur des militaires du rang et des sous-officiers, les officiers bénéficieront cette année de nouvelles mesures.

Dans le domaine du service de santé des armées, l'hôpital de rôle 3 permettra une meilleure stabilisation des blessés.

Beaucoup d'entre vous ont évoqué le service national, destiné à rapprocher l'armée et la nation, à renforcer le lien de nos jeunes avec leur pays. Il s'agit d'un service volontaire comportant un mois de formation, suivi de neuf mois de service actif rémunéré. En 2026, il concernera 3 000 jeunes sélectionnés, puis 10 000 en 2030 et 50 000 en 2035.

À l'issue de leur service, une partie d'entre eux rejoindra la réserve, dont vous avez rappelé l'importance : 40 000 réservistes en 2024, 48 000 en 2025, 52 000 en 2026. Le service national constituera ainsi vivier nouveau, composé de jeunes choisis pour leur motivation et leur talent. Ainsi, notre armée reposera sur trois piliers : l'active, la réserve et les volontaires.

Enfin, vous avez évoqué le soutien à l'Ukraine. Dès le premier jour, la France s'est tenue à ses côtés. Je pense aux 3 milliards d'euros de matériels cédés –? chars, avions, missiles, canons –, à la formation de plus de 19 000 militaires ukrainiens par nos forces, et à la mise à disposition de capacités complètes de combat. L'enjeu est désormais de poursuivre ce soutien par des partenariats industriels, afin d'accompagner l'Ukraine vers une paix juste, conforme à sa volonté.

Nous déclinons donc concrètement le projet des armées et la surmarche prévue pour l'exercice 2026 de façon cohérente avec la revue nationale stratégique et les retours d'expérience d'Ukraine et des autres théâtres. La programmation budgétaire nous permet de consolider nos capacités fondamentales –? entraînement, gestion des effectifs et logistique –, et de renforcer la protection de nos forces et de notre territoire.

Une attention particulière est portée à la défense sol-air, à la lutte antidrones, à la lutte anti-sous-marine et aux menaces nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques (NRBC). Nous développons des capacités offensives, augmentons l'approvisionnement en munitions, renforçons la frappe en profondeur et préparons les combats de haute intensité. Nous investissons dans le renseignement, domaine essentiel de notre action, dans le domaine spatial et dans les drones d'observation.

Il y va de notre capacité à préserver notre souveraineté et du respect dû à celles et ceux qui s'engagent chaque jour : les femmes et les hommes de nos armées, qui font la fierté de notre pays. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et Dem, ainsi que sur plusieurs bancs des groupes DR et HOR et sur les bancs des commissions.)

Mme la présidente
La parole est à M. le ministre délégué chargé de l'industrie.

M. Sébastien Martin, ministre délégué chargé de l'industrie
Comme Catherine Vautrin l'a rappelé à l'instant, de nombreux orateurs ont souligné que ce débat consacré à la défense est aussi un débat sur notre industrie de défense. Celle-ci joue un rôle essentiel dans nos territoires, avec 4 200 entreprises et 220 000 emplois, et ses acteurs doivent répondre à la montée en puissance demandée par la nation.

Des industriels s'organisent déjà pour augmenter leurs cadences. Le canon Caesar est désormais livré en quinze mois, contre trente auparavant. Le plan de modernisation des sites industriels français de MBDA vise à accroître encore les capacités de production. Dassault a reconfiguré ses usines pour augmenter les cadences de production des Rafale et Thales a réduit de dix-huit à six mois les délais de fabrication de certains radars.

Une loi de programmation militaire présente plusieurs intérêts. Dégagée de la contrainte de l'annualité budgétaire, elle offre une visibilité pluriannuelle aux entreprises. Elle permet de raccourcir les délais administratifs et accélère les commandes. Elle mobilise davantage les mécanismes de préfinancement et de cofinancement, notamment avec l'Union européenne, tout en garantissant notre indépendance stratégique et la préférence européenne, comme l'ont rappelé le premier ministre et la ministre des armées. Ces leviers permettront à notre BITD d'être au rendez-vous et de bénéficier pleinement des moyens supplémentaires qui lui seront alloués.

Vous êtes également très nombreux à vous interroger sur la manière dont la direction générale de l'armement, la direction générale des entreprises (DGE) et les services de Bercy peuvent permettre à davantage d'entreprises duales ou purement civiles de contribuer à l'effort industriel de défense.

La DGE et la DGA travaillent de concert pour recenser toutes les entreprises civiles susceptibles de répondre aux demandes de production de la BITD ou d'intégrer les chaînes de commande existantes. La DGA a défini une liste d'activités correspondant aux besoins, et la DGE a établi une cartographie des entreprises capables d'y répondre et susceptibles de devenir duales.

La DGE et les services économiques des régions ont d'ores et déjà contacté une première liste d'entreprises et identifié une dizaine de projets potentiels, qui feront l'objet de décisions des donneurs d'ordre d'ici à la fin du premier trimestre 2026.

J'ai également demandé aux services de Bercy d'identifier, parmi les entreprises en difficulté, celles qui pourraient diversifier leur production. Vous êtes très nombreux à m'avoir saisi directement à ce sujet. Sachez que nous y travaillons, en lien avec les conseils régionaux, afin d'identifier les besoins de formation, notamment dans la filière du soudage. Avec les organisations et les filières professionnelles, il nous appartient d'apporter des réponses au plus près des territoires.

Enfin, pour répondre à une autre interrogation, je réunirai à Bercy, le 16 décembre prochain, les entreprises concernées par les métaux stratégiques et les terres rares. Dans la continuité des engagements pris en 2022, nous engagerons avec Roland Lescure une deuxième phase de notre plan stratégique d'autonomie dès le début de l'année 2026. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EPR, DR, Dem et HOR, ainsi que sur les bancs des commissions.)


source https://www.assemblee-nationale.fr, le 12 décembre 2025