Texte intégral
JEFF WITTENBERG
Bonjour à tous. Et ce n'est pas en délai des vacances scolaires. Merci Édouard GEFFRAY. Vous êtes le ministre de l'Éducation nationale.
ÉDOUARD GEFFRAY
Tout à fait.
JEFF WITTENBERG
Ça fait deux mois et demi, pardon, que vous êtes en poste. C'est un poste qui a d'ailleurs connu une certaine instabilité, il faut bien le reconnaître, puisque vous êtes le septième ministre de l'Éducation à occuper ce portefeuille depuis la réélection d'Emmanuel MACRON. Est-ce que, d'ailleurs, vous allez nous le dire, l'éducation nationale, c'est toujours la priorité du Gouvernement, du Président, alors que l'on apprend, dans le budget qui est en discussion, que 4 000 postes vont être supprimés ? vous assumez, poste d'enseignant, cette réduction ?
ÉDOUARD GEFFRAY
Bonjour, d'abord. Et merci de m'accueillir. Oui, ça reste une priorité majeure. Ça l'est depuis 2017. Vous parlez de la suppression des 4 000 postes. Ce qu'il faut savoir, en fait, c'est que notre budget est positif. Les seuls critères…
JEFF WITTENBERG
D'ailleurs, vous nous dites qu'il augmente légèrement de 200 millions d'euros.
ÉDOUARD GEFFRAY
Absolument. Tout simplement, parce que ce qu'il faut avoir en tête, c'est qu'on a une démographie qui est en chute libre. Vous l'avez vu, d'ailleurs, cette semaine : pour la première fois, on a plus de décès que de naissances.
JEFF WITTENBERG
Et donc, cela doit se traduire par des suppressions de postes, notamment dans le primaire ?
ÉDOUARD GEFFRAY
On ne peut pas nous tenir compte. On aura perdu 25 % d'élèves en 15 ans, dans le premier degré. En primaire, on aura perdu 25 % d'élèves. Donc, il y a trois possibilités. Soit, alors, on ne fait rien du tout, on fait comme si de rien n'était. Et au bout d'un moment, on n'aura plus besoin de recruter des professeurs. Soit, alors, on suit la démographie. Ce n'est pas ce qu'on a fait. Si on avait suivi la démographie, il aurait fallu supprimer 9 000 postes. Soit, alors, on essaye d'avoir un atterrissage en douceur. C'est-à-dire qu'on tient compte de la démographie et en même temps, on essaye de faire en sorte qu'il y a de moins en moins d'élèves en classe. Ce sera le cas. Juste pour en information : en moyenne, il y aura 21 élèves par classe dans le premier degré. C'est-à-dire qu'en 2026…
JEFF WITTENBERG
C'est-à-dire, de moins en mois au fil des années.
ÉDOUARD GEFFRAY
C'est-à-dire qu'on aura atteint un record dans l'histoire du système éducatif français.
JEFF WITTENBERG
Alors, le paradoxe, c'est que dans le même temps, l'éducation nationale recrute des enseignants, avec un nombre de candidats, notamment pour les postes de professeur, qui est en augmentation. Que se passera-t-il si le budget, justement, n'est pas adopté dans les temps, puisque je crois qu'il y a 88 000 étudiants aujourd'hui qui prépare ce concours, c'est-à-dire une hausse ? Finalement, le métier recommence à attirer.
ÉDOUARD GEFFRAY
Absolument. Cette année, on a deux concours qui sont ouverts : un en Master 2, un en fin de licence. Le concours en fin de licence est nouveau. Comme c'est nouveau, ce sera peut-être des mesures nouvelles dans le budget. Donc, si je n'ai pas de budget, si on n'a pas de PLF 2026 qui est adopté, bah, pour l'instant, je ne sais pas organiser ce concours. Tout simplement. Donc, il y a effectivement 90 000 qui se préparent, qui se sont inscrits à ce concours, qui est bon signe.
JEFF WITTENBERG
Mais ça veut dire qu'il y a des étudiants qui pourraient se préparer pour rien si le budget n'est pas adopté dans les temps ?
ÉDOUARD GEFFRAY
Alors, j'espère que non, mais enfin, c'est un des problèmes que nous avons si le budget n'est pas adopté, oui.
JEFF WITTENBERG
Édouard GEFFRAY, ministre de l'Éducation, vous lancez aujourd'hui ce que vous appelez dans le jargon une instruction, c'est-à-dire un plan ciblé. Vous allez nous expliquer de quoi il s'agit. Pour lutter contre ce que vous appelez, et qui s'appelle la grande difficulté scolaire. À quel type d'établissement ça va s'adresser plus exactement ?
ÉDOUARD GEFFRAY
Aujourd'hui, vous avez 15 % des collèges où plus de 40 % des élèves ont moins 8 sur 20 en Français, en mathématiques au brevet. Moins de 8 sur 20. Donc, ça veut dire que c'est des collèges qui concentrent une très grande difficulté scolaire. Et moi, je ne peux pas admettre le fait qu'un élève, selon le collège auquel il est inscrit, ait une chance sur deux ou 100 % de chance d'avoir le brevet à la fin. Ce n'est pas possible. Donc, ce qu'on va faire, c'est qu'on va effectivement concentrer l'effort sur ces collèges-là en termes de formation, en termes d'accompagnement pédagogique, en termes d'accompagnement social aussi.
JEFF WITTENBERG
Ça n'existe pas déjà ? On connaît des réseaux d'éducation prioritaire. Quelle est la différence, par exemple… les ZEP, qu'on appelle maintenant les REP ?
ÉDOUARD GEFFRAY
Tout à fait. En fait, vous savez, on a un peu deux travers. Alors, ils ne sont pas forcément mauvais, mais ils n'apportent pas toutes les solutions. Le premier, c'est de penser par rapport à des critères territoriaux ou sociaux. Le deuxième, c'est de penser de manière universelle. Ça veut dire qu'on veut que tout se passe pareil partout. Ça, c'est un peu notre réflexe spontané. Moi, ma conviction, c'est qu'il faut, au bout d'un moment, penser par rapport à la difficulté scolaire. Il y a des enjeux sociaux qui sont traités dans le cadre des questions prioritaires. Il y a un cadre général.
JEFF WITTENBERG
Mais… vous allez faire du sur mesure en quelque sorte ?
ÉDOUARD GEFFRAY
Mais c'est un peu ça.
JEFF WITTENBERG
Collège par collège ?
ÉDOUARD GEFFRAY
Oui, on va faire du sur mesure collège par collège. Après, ça va partir des équipes, parce qu'il faut faire confiance aux gens. Ils connaissent leur métier, il faut les laisser faire leur métier. Mais on va partir des équipes. Et on va répondre à tous leurs besoins de formation, typiquement de formation, pour rehausser un peu les pratiques pédagogiques, améliorer les pratiques pédagogiques. Ça peut être, par exemple, en termes de fonds sociaux. Vous avez des élèves qui sont parfois dans une très grande difficulté sociale, typiquement, qui ne peuvent pas manger à la cantine le midi. Si vous avez le ventre vide, ce n'est pas la peine d'essayer d'apprendre. Donc, on va mettre des fonds sociaux dans ces collèges-là pour que les élèves puissent manger tous les midis. Vous voyez ce genre de chose. Et on va tout reprendre comme ça à 360 degrés.
JEFF WITTENBERG
Et le budget de l'Éducation nationale va payer, si j'ose dire ? C'est-à-dire que vous nous avez parlé d'une augmentation légère de votre budget, mais on est plutôt aujourd'hui à la réduction des coûts. Et nombre, justement, d'acteurs de l'Éducation nationale se plaignent de n'avoir pas de n'avoir pas assez de moyens. Donc, vous allez en rajouter des moyens ?
ÉDOUARD GEFFRAY
On va redéployer, puisque, comme je vous le disais, on perd beaucoup d'élèves, donc, on va en fait procéder par redéploiement. Et surtout, ce n'est pas qu'une question de moyens, c'est aussi une question d'approche pédagogique, de qualité de la formation qui est apportée. Donc, on va faire du qualitatif, du sur mesure, établissement par établissement, en partant…
JEFF WITTENBERG
A partir de quand monsieur GEFFRAY ?
ÉDOUARD GEFFRAY
Le travail commence en janvier. On va laisser aux établissements jusqu'au mois de juin pour qu'ils puissent bien préparer leur feuille de route. Et à la rentrée scolaire 2026, la vie va changer dans ces établissements.
JEFF WITTENBERG
L'un des fléaux qui frappe un grand nombre d'établissements en France, et finalement ne s'arrête plus à la porte des écoles, c'est le trafic de drogue, c'est le narcotrafic. Où en est la prise en charge des… C'est malheureusement un fait divers, un événement qui a beaucoup frappé les esprits des élèves du collège Champollion à Dijon, qui a été victime d'un incendie lié au narcotrafic. Vous êtes engagés, je vous cite, à ce que l'essentiel des 500 élèves du collège soient à nouveau en cours après les vacances de Noël. Donc, tout ça est en train d'être réglé ?
ÉDOUARD GEFFRAY
Oui. Alors, d'abord, je voudrais rendre hommage à l'équipe. Vous savez, moi, je les ai vus lundi matin. On a parlé longtemps.
JEFF WITTENBERG
Vous étiez avec le ministre de l'Intérieur.
ÉDOUARD GEFFRAY
Tout à fait. Et moi, j'ai rencontré l'équipe pédagogique : professeurs, chefs d'établissement, etc. Ce sont des femmes et des hommes remarquables. Vous savez, ils m'ont dit une phrase que j'ai trouvée très juste. Ils ont dit : "Nous, on met les élèves sur des chaises de classe pour qu'ils ne terminent pas sur les chaises des guetteurs".
JEFF WITTENBERG
Et en attendant, ce collège… Excusez-moi, ce collège a été incendié sur fond de rivalités.
ÉDOUARD GEFFRAY
Alors, une partie. A priori, c'est sur fond de rivalités de narcotrafiquants. Donc, ce n'est qu'une partie du collège qui a été incendié, heureusement. Et donc, à la rentrée de janvier, ce qu'on est en train de travailler avec le département, c'est que la plupart des élèves pourront rentrer directement dans le bâtiment qui est encore valide, si je puis dire, qui est encore en usage. Et on est en train de trouver des solutions, soit pour qu'ils soient hébergés dans des modules temporaires type algéco, et cetera, soit qu'ils soient pris en charge dans les écoles qui sont à proximité immédiate et qui ont des salles libres. Mais ils resteront tous dans leur environnement. Ils resteront tous dans leur format de classe, dans leur groupe classe, parce que c'est important pour eux, psychologiquement, et pour leur réussite éducative, qu'ils soient dans ce format, avec leurs professeurs et à proximité de chez eux.
JEFF WITTENBERG
Édouard GEFFRAY, comment on fait pour lutter concrètement contre le trafic de drogue dans et autour des établissements scolaires, puisque le constat, c'est qu'aujourd'hui, on en arrive à des extrémités comme celle qui s'est passé à Dijon ? Mais des exemples comme ça abonde dans toute la France et dans de très nombreux quartiers.
ÉDOUARD GEFFRAY
Il faut marcher sur deux jambes. Il y a la jambe, j'allais dire, service de police et de justice, qui, eux, démantèlent les points de deal, arrête les narcotrafiquants et les sanctionne. Et puis il y a la jambe qui est éducative, qui, pour le coup, me concerne, c'est-à-dire qui consiste à faire de la prévention vis-à-vis des élèves.
JEFF WITTENBERG
Mais c'est le travail des enseignants, qui ne sont pas nécessairement formés à appréhender ce genre de problématique.
ÉDOUARD GEFFRAY
Ça ne peut pas être à l'école toute seule. Mais vous savez, chaque fois que vous introduisez l'esprit critique, chaque fois que vous introduisez la culture, chaque fois que vous ouvrez un établissement, vous éloignez un jeune des narcotrafiquants. Ce n'est d'ailleurs pas pour rien qu'ils s'en sont pris à un collège ou à une médiathèque, six mois avant.
JEFF WITTENBERG
Il faut des policiers à l'école pour vous ?
ÉDOUARD GEFFRAY
Pas dans l'école. Non, non, pas dans l'école. En revanche, travailler sur la sécurisation de ce qu'on appelle les abords de l'établissement, ça, oui. C'est ce qu'on fait tous les jours avec les services de police. Et c'est indispensable. On doit ça à nos élèves.
JEFF WITTENBERG
Le Président MACRON s'est prononcé à plusieurs reprises pour l'interdiction des réseaux sociaux aux moins de quinze ans. Alors, c'est une volonté, c'est un souhait. Mais comment on met cela en place ? J'imagine que vous êtes d'accord avec lui.
ÉDOUARD GEFFRAY
Absolument.
JEFF WITTENBERG
Ou alors, ce serait un scoop si vous êtes en désaccord là-dessus.
ÉDOUARD GEFFRAY
Non, non, je suis d'accord.
JEFF WITTENBERG
Mais comment on fait concrètement ? Parce que tous les tous les gamins, si vous me permettez cette expression, tous les jeunes, tous les ados, ou presque, ont souvent des téléphones portables et vont sur les réseaux sociaux. Donc, comment on interdit tout simplement ?
ÉDOUARD GEFFRAY
D'abord, il faut repartir peut-être juste de l'objectif. C'est-à-dire qu'on ne peut pas laisser nos enfants être accaparés 4 h, 5 h, 6 h, par jour par les réseaux sociaux.
JEFF WITTENBERG
Ça, c'est le principe. Ça, c'est la volonté. Mais les moyens ?
ÉDOUARD GEFFRAY
Et c'est un enjeu de santé publique. Et le moyen, d'abord, il y a une question juridique qui est actuellement en cours de traitement, puisque c'est un peu complexe techniquement. Mais enfin, il y a un enjeu par rapport au droit européen. Et donc, le Gouvernement français travaille pour que le droit français puisse effectivement interdire l'accès aux réseaux sociaux aux mineurs de moins de quinze ans. Et après, techniquement, on a déjà des expériences dans d'autres domaines. Mais en matière de pornographie, on a su mettre en place des systèmes qui permettaient d'empêcher les moins de 18 ans.
JEFF WITTENBERG
Il faut généraliser ce que l'on fait aujourd'hui sur les sites pornographiques ?
ÉDOUARD GEFFRAY
Le sujet n'est pas le même. Mais en tout cas, le mécanisme technique permettant d'identifier une personne en fonction de son âge, aujourd'hui, on sait le faire. La preuve, ça a marché. Et donc, on est parfaitement capable de bloquer l'accès d'un réseau social, la création d'un réseau social, à un jeune qui aurait moins de quinze ans. Ça, on sait le faire techniquement.
JEFF WITTENBERG
Techniquement. Mais l'éducation nationale peut-elle, en quelque sorte, se substituer à ce qu'aussi doivent imposer les parents à leurs enfants ? Et on sait que dans certaines familles, eh bien, certains jeunes sont laissés en quelque sorte à leur libre arbitre.
ÉDOUARD GEFFRAY
Mais c'est pour ça qu'il faut, au bout d'un moment, passer par l'interdiction. On ne peut pas tout demander à l'école. On ne peut pas non plus tout demander aux familles, parce qu'on voit que parfois, elles sont démunies par rapport à l'usage du téléphone par leurs enfants. Il y a un moment où ça passe par l'interdiction. L'interdiction sèche, elle servira, enfin, elle n'aura pas toute son efficacité. Mais il faut à la fois limiter l'exposition aux écrans, éduquer à leur usage. Et en tant que journaliste, vous êtes bien placé pour savoir qu'aujourd'hui, on a un enjeu de ce point de vue-là. Et puis aussi, et c'est important, créer des alternatives sociales. Si nos jeunes, ils vont sur les réseaux sociaux, c'est parce qu'aujourd'hui, ils n'ont plus d'expérience de sociabilité ordinaire. Comme vous et moi, on a connu.
JEFF WITTENBERG
Édouard GEFFRAY, elle se fera, cette interdiction ? Le Président MACRON a dit avant la fin de son quinquennat : vous allez déposer un projet de loi.
ÉDOUARD GEFFRAY
On est en train de travailler sur, une fois encore, le cadre juridique. Mais oui, oui, l'objectif, c'est bien de le faire au cours des prochains mois.
JEFF WITTENBERG
Merci beaucoup Edouard GEFFRAY, ministre de l'Éducation nationale.
ÉDOUARD GEFFRAY
Merci à vous.
JEFF WITTENBERG
C'est la suite de Télématin. Il reste un jour d'école, je crois, avant les vacances scolaires demain soir.
ÉDOUARD GEFFRAY
Absolument.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 décembre 2025