Les grandes lois de la politique de l'eau (1/3)

L'Actualité de la vie publique - Podcast - N° 55

Temps de lecture  9 minutes 0 seconde

Par : La Rédaction

Podcast

À quand remonte la gestion publique de l’eau en France ? Pourquoi la loi de 1964 est-elle fondatrice en matière de politique de l’eau ? Comment le service public de l’eau est-il financé ? Quels sont les apports de la loi sur l’eau de 1992 ? De quelle manière la législation française sur l’eau a-t-elle inspiré le cadre juridique européen ?

Les grandes lois de la politique de l'eau (1/3)

Patrice : La loi du 16 décembre 1964 est la première grande loi française sur l’eau. Ce texte qui met en place un système de gestion de la ressource novateur pour l’époque fait la promotion d’une « gestion globale de l’eau » dans l’intérêt de tous les usagers. Complété en 1992 par une nouvelle loi, le système d’organisation institué en 1964 va servir de modèle pour la gestion de l’eau dans d’autres pays et inspirer la législation européenne. 

A l’occasion du 60e anniversaire de cette loi, voici une nouvelle série de « L’Actualité de la vie publique » consacrée à la politique publique de l’eau. 
Nous nous intéresserons à son histoire et à la manière dont elle est mise en œuvre en France, aux mobilisations citoyennes autour de la préservation de la ressource, ainsi qu’aux principaux défis que posent, les effets du changement climatique et des pollutions, au niveau local et international. 
Au sommaire de ce premier épisode : « Les grandes lois de la politique de l’eau ». 

Patrice : Première question Guillemette, comment la gestion publique de l’eau s’est-elle mise en place ? 
Guillemette : Eh bien Patrice, elle s’est mise en place de façon très progressive. 
Jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle, l’approvisionnement en eau relève du privé. Il ne fait pas l’objet d’attentions particulières de la part des politiques, notamment en raison de l’image que véhicule l’eau, source de saleté. 
L’émergence d’une culture de l’hygiène, liée aux progrès de la médecine, provoque une prise de conscience. L’accès à l’eau devient peu à peu une nécessité, dont les communes s’emparent.
Patrice : Comment les communes se sont-elles emparées de cette question ? 
Guillemette : C’est la loi du 22 mars 1890 qui consacre les communes dans leur rôle d’autorité organisatrice de la distribution de l’eau.  À cette époque, leur vocation consiste principalement : 
-    à approvisionner les lavoirs et les fontaines ; 
-    et à assurer les missions d’hygiène et de lutte contre les incendies dans les villes.
Avec l’augmentation des besoins, les municipalités se regroupent en intercommunalités ou délèguent la gestion du service public de l’eau à des entreprises privées. 
Les premières tentatives d’intercommunalité sont incarnées par les commissions syndicales. Ces syndicats de communes se développent dans le domaine de l’eau à partir de 1907.
Patrice : Si je comprends bien, la gestion de l’eau est partagée entre la puissance publique (communes et intercommunalités) et certaines entreprises privées. Comment cela évolue avec l’augmentation de notre consommation, et notamment le développement de l’activité économique et industrielle ?  
Guillemette : Vous avez raison de souligner qu’il ne s’agit pas uniquement de notre consommation domestique ! L’eau est en effet au cœur de l’essor industriel de la fin du XIXe et du début du XXe siècle. On en a besoin pour le développement de la chimie, de l’automobile, de la métallurgie ou encore de l’aluminium. 
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, des règlementations nationales sont adoptées. L’État met en place un système de « police de l’eau », un ensemble d’agents et d’activités visant à contrôler et garantir la qualité de l’eau et l’application des lois concernant cette ressource. 
Depuis les années 1990, environ 80% de la distribution de l’eau est déléguée au privé, malgré l’extension des pouvoirs de l’intercommunalité. Trois grandes entreprises, Veolia, Suez et la Saur, concentrent l’essentiel de l’activité.
Patrice : Cette année, nous célébrons les 60 ans de loi sur l’eau de 1964. En quoi cette loi constitue-t-elle une rupture ? 
Guillemette : Intéressons-nous d’abord au contexte qui a précédé cette loi. 
Entre le XIXe et la moitié du XXe siècle, l’eau courante arrive dans les grandes villes, mais elle n’est pas la règle partout en France. 
•    En 1930, seules 23 % des communes disposent d’un réseau de distribution d’eau potable à domicile. 
•    En 1945, 70 % des communes rurales ne sont toujours pas desservies. 
Pendant les Trente Glorieuses, la consommation en eau explose à nouveau. 
Des instances de concertation sont créées dans les années 1960 pour réfléchir 
•    à la manière d’alimenter les barrages pour fournir l’énergie nécessaire
•    tout en construisant les usines de traitement des eaux usées. 
Leurs travaux donnent lieu à la loi de 1964. 
Patrice : Quels sont les objectifs de la loi ? 
Guillemette : On peut distinguer trois grands objectifs, avec cette loi de 1964 : 
-    D’abord, faire face à l’évolution démographique et à l’accroissement des besoins de la population ; 
-    Ensuite, répondre aux besoins en eau liés au développement industriel ;  
-    Enfin, résoudre les problèmes de pollution, en particulier ceux générés par l’expansion industrielle qui entraînent une dégradation des fleuves et des rivières et une eutrophisation (c’est-à-dire la perturbation de l’équilibre biologique) des lacs.

Patrice : Et concrètement, que met-elle en place ?
Guillemette : La loi met en place une gouvernance de l’eau, qui repose sur trois principes : 
-    Premièrement, une gestion de l’eau par grands bassins-versants, correspondant aux zones d’écoulement des principaux fleuves du pays. Une gestion qui n’obéit donc pas à une logique administrative classique qui aurait été basée sur les départements ou les régions 
-    Deuxièmement, des comités de bassin réunissent tous les acteurs concernés (élus locaux, industriels, chambres d’agriculture…) pour élaborer la politique de gestion de l’eau.
-    Troisièmement, des agences de l’eau, chargées de mettre en œuvre cette politique et de collecter les redevances des utilisateurs.

Patrice : Comment ce système est-il financé ? 
Guillemette : Le système de financement du service public de l’eau se résume de la façon suivante : « l’eau paie l’eau ». À travers cette formule, c’est l’idée que le consommateur paie lui-même le service et les investissements nécessaires à son bon fonctionnement.  
D’autre principes sont progressivement mis en place, comme celui du « pollueur payeur ». Ce principe adopté par l’OCDE en 1972 – mais que la loi de 1964 préfigure déjà - consiste à ce que les frais de prévention et de lutte contre la pollution soient supportés par les usagers, proportionnellement à leur niveau de pollution. Mais les moyens mis en place pour contrôler et sanctionner les pollueurs sont en réalité très faibles…  
Patrice : Une autre grande loi importante sur l’eau est adoptée en 1992. Pourquoi ?  
Guillemette : Au cours des années 1980-1990, la législation et la réglementation relatives à la politique de l’eau s’enrichissent de nouvelles dispositions.  
La rareté de la ressource et la lutte contre la sécheresse sont des préoccupations grandissantes. Cela se traduit, par exemple, par la signature d’une convention nationale entre l’État et EDF, pour permettre la mise à disposition par EDF de ses réserves d’eau en cas de besoin. 
La loi sur l’eau de 1992 formalise cette volonté de mettre en œuvre une gestion responsable et donc plus durable de l’eau. 
Patrice : Quels sont les principaux apports de cette loi ?  
Guillemette : D’abord, la loi modifie le cadre législatif pour permettre l’application des directives européennes (la définition des normes de qualité, par exemple) 
Ensuite, elle reconnaît la ressource en eau comme "patrimoine commun de la Nation". Cette reconnaissance est fondamentale, car cela signifie que son usage appartient à tous. Sa protection, sa mise en valeur et le développement de la ressource utilisable, dans le respect des équilibres naturels, relèvent de l’intérêt général. 
Enfin, elle crée et déploie des commissions locales de l’eau, réunissant les usagers et acteurs concernés, dans un peu plus de la moitié du pays. Ces commissions sont en quelque sorte l’équivalent de « parlements de l’eau ». 
Patrice : Depuis les années 1970, la politique de l’eau s’inscrit aussi dans le cadre européen. D’ailleurs, la législation européenne s’inspire largement des lois françaises de 1964 et de 1992...  N’est-ce pas Guillemette ? 
Guillemette : Tout à fait Patrice ! La législation de l’UE s’est d’abord intéressée aux usages de l’eau, puis à la réduction des pollutions.  
L'Union européenne comprend aujourd’hui une trentaine de directives sur l’eau, à commencer par la directive-cadre sur l’eau, la DCE de 2000. Cette directive s’inspire de la loi française de 1964 et propose une harmonisation de l’eau au niveau européen.   
Patrice : Que reprend-elle exactement de la loi de 1964 ? Quels nouveaux principes de gestion instaure-t-elle ? 
Guillemette : La DCE reprend le principe d’une gestion par grands bassins versants, sur le modèle français et impose à l’ensemble des États membres de parvenir à un bon niveau de qualité écologique des eaux dans un délai de 15 ans, soit en 2015 !
Ils doivent aussi arrêter progressivement le rejet de certains produits dangereux dans un délai de 20 ans. 
Patrice : Comment cette loi est-elle transposée en France ?  
Guillemette : La DCE est transposée en France par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques, la LEMA, de 2006.  
Les deux principales avancées de la LEMA sont :  
-    la reconnaissance du droit à l’eau pour tous, dans la continuité de l’action internationale de la France dans ce domaine ; 
-    la prise en compte de l’adaptation au changement climatique dans la gestion des ressources en eau (c’est-à-dire une nouvelle réglementation pour lutter plus efficacement contre la pollution) 
● Fin de l’épisode 1
Patrice : Merci beaucoup « Guillemette » ! C’est la fin de cet épisode ! 
On mesure mieux maintenant le rôle fondamental joué par cette première loi sur l’eau de 1964 et puis, par celle qui l’a complétée en 1992, mais également l’importance, pour la gestion de l’eau à l’échelle du continent, de la directive-cadre européenne adoptée en 2000. 
Dans le deuxième épisode de notre série consacrée à la politique publique de l’eau, nous nous intéresserons aux enjeux, aux principes et au fonctionnement de la gestion de l’eau en France.
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On se retrouve très bientôt ! 
Au revoir « Guillemette », au revoir à tous !
Guillemette : Au revoir ! A bientôt !
 

Sources

· H. Arambourou, S. Ferrière et M. Oliu-Barton (2024), « Prélèvements et consommations d’eau : quels enjeux et usages ? », La note d’analyse, France Stratégie n° 136, avril 16 avril
· R. Barbier et S. Fernandez (2024), « L’eau en commun », La vie des idées, 16 avril
· D. Blanchon (2024), « Quelles crises de l’eau ? », La vie des idées, 24 mars
· V. David (2017), « La nouvelle vague des droits de la nature. La personnalité juridique reconnue aux fleuves Whanganui, Gange et Yamuna », Revue juridique de l’environnement,
n° 3
· B. Drobenko (2015), sous la dir., La loi sur l’eau de 1964 : bilans et perspectives, Éditions Johanet
· M. Goar (2024), « Eau : avec une ressource en baisse et des consommations en hausse. Les tensions sur l’eau vont s’accroître en France », Le Monde, 18 avril
· P. Guéna (2024), « Déjouer la fin de l’eau », entretien avec Simon Porcher, La vie des idées, 26 juillet 2024
· L’eau dans la ville, hors-série, Le Monde
· C. Legros (2024), « La démocratie de l’eau, une promesse inachevée », Le Monde, 
7 septembre
· C. Legros (2024), « Les batailles d’eau », Six entretiens, Séries d’été (juillet), Le Monde
· S. Porcher (2024), La fin de l’eau, Éditions Fayard20 mars
· F. Taylan (2018), « Droits des peuples autochtones et communs environnementaux : le cas du fleuve Whanganui en Nouvelle-Zélande », Responsabilité et Environnement – Annales des Mines, n° 92, octobre
· M. Valo (2024), « Mégabassines : où en est la ruée vers l’or bleu ? », Le Monde, 18 juillet
· Centre d’information sur l’eau https://www.cieau.com/
· Eau France (le service public d’information sur l’eau) https://www.eaufrance.fr/
· Observatoire national des services d’eau et d’assainissement https://www.services.eaufrance.fr/
· Office français de la biodiversité https://www.ofb.gouv.fr/

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