La gestion de l'eau : enjeux, principes et fonctionnement (2/3)

Actualités de la vie publique - Podcast - N° 56

Temps de lecture  10 minutes 59 secondes

Par : La Rédaction

Podcast

Quels sont les principes de fonctionnement de la distribution et du traitement des eaux en France ? Comment le prix de l’eau est-il fixé ? Qu’est-ce que la tarification sociale ? Pourquoi parle-t-on de "démocratie de l’eau" ? Pour quelles raisons les conflits d’usage autour de la ressource se multiplient-ils ? Qu’est-ce qui explique la remunicipalisation des services d’eau dans certaines grandes métropoles ?

La gestion de l'eau : enjeux, principes et fonctionnement (2/3)

ÉPISODE 2. « La gestion de l’eau : enjeux, principes et fonctionnement » 
[GENERIQUE]
Vous écoutez « L’Actualité de la vie publique », un podcast du site Vie-publique.fr. 
Signature sonore
Guillemette : Bonjour à tous,
Bonjour « Patrice »
Patrice : Bonjour « Guillemette » 
Guillemette : La loi du 16 décembre 1964 est la première grande loi française sur l’eau. Ce texte qui met en place un système de gestion de la ressource novateur pour l’époque fait la promotion d’une « gestion globale de l’eau » dans l’intérêt de tous les usagers. Complété en 1992 par une nouvelle loi, le système d’organisation institué en 1964 va servir de modèle pour la gestion de l’eau dans d’autres pays et inspirer la législation européenne. 
A l’occasion du 60e anniversaire de cette loi, voici une nouvelle série de « L’Actualité de la vie publique » consacrée à la politique publique de l’eau. 
Au sommaire de ce deuxième épisode : 
« La gestion de l’eau : enjeux, principes et fonctionnement ». 
1. Guillemette : Ouvrir un robinet pour boire un verre d’eau ou bien prendre une douche avant d’aller se coucher sont en France des gestes parfaitement banals, mais ils reposent en réalité sur un processus relativement complexe : le petit cycle de l’eau. Alors, première question Patrice, de quoi s’agit-il exactement ? 
Patrice : Alors rappelons d’abord que l’eau est une ressource qui circule et se transforme à la surface de la Terre et dans le sous-sol selon des processus naturels qui constituent ce que l’on appelle le grand cycle de l’eau. Contrairement à ce processus de circulation qui est naturel, le petit cycle de l’eau ou cycle domestique de l’eau est lui artificiel. Il est assuré grâce à un ensemble d’infrastructures qui permettent de prélever l’eau par exemple dans les rivières, puis de la traiter pour la rendre potable, de l’acheminer au point de distribution et après usage, de la collecter, de l’assainir et enfin de la rejeter dans la nature (les cours d’eau, la mer et l’océan).

2. Guillemette : Comment fonctionnent la distribution et le traitement des eaux ?
Patrice : La distribution et le traitement des eaux relèvent en France des communes qui sont le plus souvent organisées en syndicat ou regroupées en intercommunalités afin de mutualiser les coûts. C’est un service public auquel sont confiées deux missions : l’alimentation en eau potable et l’assainissement des eaux usées. Il y a encore aujourd’hui plus de 10 000 services publics d’eau en France, ce qui s’explique par la petite taille des communes dans notre pays. Depuis l’adoption de la loi NOTRe, en 2015, c’est une loi qui porte sur une nouvelle organisation du territoire, l’assainissement de l’eau est transférée, de l’échelon communal vers l’échelon intercommunal, a été décidé. Ce transfert aurait dû être effectif au 1er janvier 2020, mais la possibilité dans certains cas d’un report au 1er janvier 2026 a été introduit par une nouvelle loi en 2018.
[Intervention 1. Guillemette. Comment ces services d’eau sont-ils gérés ?]
Patrice : Il existe différents modes de gestion de ces services. Ils peuvent être gérés directement par les collectivités territoriales ou être gérés par une entreprise privée dans le cadre d’une délégation de service public.  

2. Guillemette : Comment ces services déterminent-ils le prix de l’eau ?
Patrice : Comme nous l’avons dit l’eau est une ressource prélevée dans le milieu naturel. C’est un bien commun ! Elle n’a pas de prix. Les services d’eau, eux, en revanche, ont un coût. Les frais nécessaires à leur bon fonctionnement sont importants et les investissements pour maintenir les infrastructures à niveau peuvent être considérables. Ce sont les usagers des services d’eau, comme vous et moi, qui à travers leur facture paient ces services. D’où l’expression : « l’eau paie l’eau ». Le prix de l’eau comprend également un ensemble de redevances et de taxes qui permettent de compenser la pollution générée par les différents usages de l’eau, ainsi que les actions de préservation et d’amélioration de l’état des milieux aquatiques. C’est le principe pollueur-payeur.
[Intervention 2. Guillemette. Le prix de l’eau est-il le même partout en France ?]
Patrice : Non ! Il varie beaucoup en fonction du territoire car le prix de l’eau dépend de nombreux facteurs comme la qualité de l’eau brute – celle qui n’a pas encore été traitée -, de la densité de la population à alimenter, de l’éloignement géographique entre les lieux d’utilisation et le site de prélèvement de la ressource, des différences d’équipements techniques, etc. 
[Intervention 3. Guillemette. La tarification sociale de l’eau est également une question importante pour les pouvoirs publics, de quoi s’agit-il ?]
Patrice : La loi française pose le principe du droit d’accès à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par toute personne physique. Mais si la quasi-totalité de la population est alimentée en eau potable, certains ménages précaires éprouvent des difficultés à payer leurs factures d’eau. On estime à environ 2 millions le nombre de foyers qui sont dans ce cas aujourd’hui. Des dispositifs d’aide ont été expérimentés et mis en place par les pouvoirs publics, les collectivités territoriales et les professionnels du secteur de l’eau pour venir en aide à ces ménages démunis. 
[Intervention 4. Guillemette. Quelles formes prennent ces dispositifs d’aide ?]
Patrice : Il peut s’agir d’aides au paiement de la facture comme le versement d’un chèque eau ou de mesures de prévention afin d’éviter que certaines populations précaires se trouvent confrontées à des difficultés d’accès à l’eau. Les collectivités territoriales mettent notamment en place des systèmes tarifaires qui tiennent compte de la composition ou des revenus du foyer. La tarification sociale peut être progressive et comprendre différentes tranches de tarif et même inclure une première tranche gratuite pour les ménages les plus vulnérables.
4. Guillemette : Sur la base de quel découpage territorial est organisée la gouvernance de la politique publique de l’eau sur le territoire français ?
Patrice : Cette gouvernance est organisée par bassin-versant. La France métropolitaine en compte sept. Des instances délibératives de gestion de l’eau regroupent les différents acteurs (agents de l’Etat, élus, représentants des usagers et de l’environnement, pêcheurs, etc.) pour élaborer la politique de gestion de la ressource au niveau territorial : ce sont en particulier les commissions locales de l’eau créées en 1992 afin de planifier et réglementer une « gestion durable et équilibrée » sur leur territoire. Ces instances doivent garantir une gestion démocratique de l’eau dans l’intérêt de tous et le respect des équilibres des milieux aquatiques. On les appelle d’ailleurs « parlements de l’eau ».
[Intervention 5. Guillemette. Pourtant la France est aujourd’hui confrontée à une multiplication des conflits d’usage. Certains comme celui des méga-bassines, ont été particulièrement médiatisés, pourquoi ?]
Patrice : En effet Guillemette, il existe différents usages de l’eau : usages domestiques, agricoles et industriels. Les différents usagers n’utilisent pas la même eau. Les ménages utilisent essentiellement de l’eau potable, les industriels des eaux industrielles traitées mais non potables et les agriculteurs de l’eau brute prélevée directement dans la nature. Mais les industriels comme les agriculteurs sont aussi raccordés aux réseaux d’eau potable, dont ils peuvent se servir parfois dans leur processus de production. Avec la raréfaction de la ressource hydrique, ces différents usages peuvent conduire à des conflits entre usagers au niveau d’un territoire, comme c’est le cas, notamment dans le département des Deux-Sèvres, entre certains exploitants agricoles et les associations de défense de l’environnement, au sujet de la construction des méga-bassines. Les premiers cherchent à prévenir les risques liés à la sécheresse en stockant pendant l’hiver dans des réserves artificielles une eau puisée dans les nappes souterraines ou les rivières. Les seconds, dénonçant un modèle agricole qui porte atteinte aux écosystèmes naturels, leur reprochent notamment d’accaparer une ressource, qui se raréfie durant l’été, en raison de l’augmentation des épisodes de sécheresse. Selon eux, un changement de modèle agricole au profit d’une agriculture plus durable devrait être encouragé.
[Intervention 6. Guillemette. La réutilisation des eaux usées traitées pour certains usages se développe également depuis quelques années à l’échelle internationale, est-ce que ce ne serait pas une solution envisageable ?]
Patrice : La réutilisation des eaux usées traitées (REUT) est en effet principalement mise en œuvre dans le domaine de l’irrigation agricole, notamment dans des régions soumises à un stress hydrique intense. Ces eaux qui appartiennent à la catégorie des eaux dites « non conventionnelles » comme les eaux pluviales par exemple présentent une qualité qui peut être suffisante pour ce type d’activité, mais aussi pour le nettoyage de voiries et de canalisations, la lutte contre les incendies, etc. En France, la pratique reste relativement marginale avec moins de 1 % du volume des eaux usées traitées réutilisées. C’est pourquoi les pouvoirs publics soutiennent le développement des projets de réutilisation des ces eaux avec un objectif ambitieux d’augmentation dans des proportion importantes, d’ici à 2030, du volume réutilisé. 
5. Guillemette : Revenons aux conflits d’usage autour de la ressource en eau. Les instances de concertation semblent impuissantes aujourd’hui à les régler de façon apaisée, n’est-ce pas ?
Patrice : Oui Guillemette, comme nous l’avons évoqué tout à l’heure, ces fameux « parlements de l’eau » sont des instances qui ont été créées à une époque d’abondance de la ressource ne paraissent plus complètement adaptées à une ère où celle-ci est en voie de raréfaction. Par exemple, au sein des commissions locales, tous les acteurs n’ont pas le même poids, ni la même capacité à faire valoir leurs intérêts. De nombreuses négociations ont également lieu en dehors de ces instances, directement entre les groupes d’intérêts les plus puissants et les pouvoirs publics. 
[Intervention 7. Guillemette. Justement y-a-t-il des réformes envisagées aujourd’hui pour améliorer le fonctionnement de ces instances ?]
Patrice : Oui ! Des travaux de recherche et des rapports de la Cour des comptes ou du Sénat ont attiré l’attention sur la complexité de la gouvernance de la politique de l’eau et proposé des projets de réforme. Ils préconisent notamment un rééquilibrage de la composition de ces instances entre les acteurs privés et les organisations de protection de l’environnement ou de défense des consommateurs (au bénéfice de ces dernières) ; un renforcement de la collecte des données sur les prélèvements directs dans les nappes et les rivières, afin d’établir les autorisations de prélèvements sur la base de données objectives concernant l’état réel des ressources hydriques et compatible avec le taux de renouvellement de ces dernières ; ou encore de fournir davantage de moyens à la police de l’eau pour augmenter les contrôles notamment concernant la pollution. Il faut savoir qu’aujourd’hui les effectifs sont vraiment très réduits, puisque l’on ne compte qu’environ 250 agents chargés des contrôles des cours d’eau du pays, soit à peine un agent pour 1000 kilomètres. 
[Intervention 8. Guillemette. D’une manière plus générale, face aux défis globaux posés aujourd’hui par les multiples crises de l’eau liées au réchauffement climatique, aux pollutions diffuses, aux inondations, etc., n’est-il pas nécessaire de redéfinir le champ d’intervention des instances responsables de la gestion de l’eau ?]
Patrice : Oui vous avez raison ! Et il est aussi urgent, dans le cadre de la mise en œuvre des politiques publiques, de réfléchir de façon plus globale à la place à accorder aux problématiques liées à l’eau, ceci afin de pouvoir peser par exemple sur les choix concernant les modèles agricoles et industriels, qui ont un impact important sur le cycle de l’eau.
6. Guillemette : Pour finir concernant les villes, la vague de remunicipalisation des services d’eau potable observée ces dernières années s’explique surtout par une volonté des élus locaux de renforcer la démocratie de l’eau, n’est-ce pas ?
Patrice : Oui Guillemette ! La remunicipalisation des services d’eau potable, qui consiste à ne plus déléguer à un opérateur privé ce service public, dans des villes comme Paris, Bordeaux ou Lyon par exemple, s’explique, en effet, dans la plupart des cas par une volonté politique de se réapproprier la gouvernance de l’eau. Cette remunicipalisation de la gestion de l’eau potable se fait souvent à la suite de la mobilisation des associations de consommateurs. Les initiatives qui visent à revigorer la démocratie de l’eau au niveau local se multiplient d’ailleurs, depuis quelques années, notamment l’organisation de consultations citoyennes sur le modèle de celle organisée au niveau national sur le climat. Ce sont des expériences qui s’inscrivent en fait dans le mouvement mondial des luttes citoyennes pour le droit à l’eau. 
Fin de l’épisode :
Guillemette : Merci beaucoup « Patrice » ! On le voit, les questions liées à la gestion de l’eau sont aujourd’hui devenues particulièrement complexes.
Dans le troisième et dernier épisode, nous nous intéresserons justement à ce que vous venez d’évoquer, les luttes citoyennes qui ont été menées dans différents pays autour de la préservation de la ressource en eau, mais également à sa gestion au niveau international.
Vous pouvez réécouter gratuitement les deux premiers épisodes de cette série sur vos plateformes préférées et notre chaîne YouTube. N’hésitez pas à vous y abonner !
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On se retrouve très bientôt ! Au revoir « Patrice », au revoir à tous !
[Patrice : Au revoir !]

Sources

· H. Arambourou, S. Ferrière et M. Oliu-Barton (2024), « Prélèvements et consommations d’eau : quels enjeux et usages ? », La note d’analyse, France Stratégie n° 136, avril 16 avril
· R. Barbier et S. Fernandez (2024), « L’eau en commun », La vie des idées, 16 avril
· D. Blanchon (2024), « Quelles crises de l’eau ? », La vie des idées, 24 mars
· V. David (2017), « La nouvelle vague des droits de la nature. La personnalité juridique reconnue aux fleuves Whanganui, Gange et Yamuna », Revue juridique de l’environnement,
n° 3
· B. Drobenko (2015), sous la dir., La loi sur l’eau de 1964 : bilans et perspectives, Éditions Johanet
· M. Goar (2024), « Eau : avec une ressource en baisse et des consommations en hausse. Les tensions sur l’eau vont s’accroître en France », Le Monde, 18 avril
· P. Guéna (2024), « Déjouer la fin de l’eau », entretien avec Simon Porcher, La vie des idées, 26 juillet 2024
· L’eau dans la ville, hors-série, Le Monde
· C. Legros (2024), « La démocratie de l’eau, une promesse inachevée », Le Monde,
7 septembre
· C. Legros (2024), « Les batailles d’eau », Six entretiens, Séries d’été (juillet), Le Monde
· S. Porcher (2024), La fin de l’eau, Éditions Fayard20 mars
· F. Taylan (2018), « Droits des peuples autochtones et communs environnementaux : le cas du fleuve Whanganui en Nouvelle-Zélande », Responsabilité et Environnement – Annales des Mines, n° 92, octobre
· M. Valo (2024), « Mégabassines : où en est la ruée vers l’or bleu ? », Le Monde, 18 juillet
· Centre d’information sur l’eau https://www.cieau.com/
· Eau France (le service public d’information sur l’eau) https://www.eaufrance.fr/
· Observatoire national des services d’eau et d’assainissement https://www.services.eaufrance.fr/
· Office français de la biodiversité https://www.ofb.gouv.fr/

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