Déclaration de M. Xavier Bertand, ministre du travail, des relations sociales et de la solidarité, sur le pouvoir d'achat, le mode de fixation du SMIC et les allègements de charges, Paris le 23 octobre 2007.

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Circonstance : Conférence tripartite sur l'emploi et le pouvpoir d'achat à Paris le 23 octobre 2007

Texte intégral

Le coeur de l'engagement présidentiel et de l'action du Gouvernement, c'est le plein emploi et l'augmentation du pouvoir d'achat. C'est en encourageant l'emploi que nous développerons la création de richesses, c'est en travaillant plus que nous augmenterons les revenus du travail.
Je sais que les seuls salaires que l'Etat décide et verse lui-même sont ceux de la fonction publique et mon propos en tant que ministre du travail et des relations sociales se situe par conséquent sur un plan différent puisqu'il concerne, comme vient de le dire Christine Lagarde, le SMIC et les négociations salariales.
Nous devons en effet envisager toutes les dimensions de la question des revenus du travail, et encore une fois nous devons le faire tous ensemble, c'est bien la raison d'être d'une conférence comme celle-ci. L'idée, c'est comme l'a dit le Président de la République, de sortir notre pays de l'espèce de contradiction dans laquelle il se trouve depuis de trop nombreuses années, entre d'un côté un SMIC qui progresse fortement sans lien direct avec les fondamentaux de notre économie, comme nous l'a indiqué à l'instant M. Bouyoux, et de l'autre des négociations salariales que je qualifie d'insuffisamment dynamiques.
Je veux vous proposer une approche commune de l'ensemble des sujets relatifs aux négociations salariales qui correspondent à mes responsabilités ministérielles, c'est-à-dire à la fois la révision des modalités de fixation du SMIC et la dynamisation des négociations salariales dans notre pays. Ces deux aspects sont en effet les deux piliers d'une seule et même démarche :
on ne peut moderniser la fixation du SMIC, et la rendre plus objective,
que si dans le même temps la négociation salariale fonctionne mieux pour valoriser davantage le travail, en fonction des spécificités de chaque branche et de chaque entreprise. Cela doit permettre la revalorisation de l'ensemble de la grille des salaires conventionnels, afin de prévenir le resserrement de l'éventail des salaires et d'offrir aux salariés de véritables déroulements de carrière.
Les échanges que nous allons avoir ont vocation à se prolonger car, comme l'a dit Christine Lagarde, la conférence d'aujourd'hui ouvre un cycle de travail. Nous ne pouvons pas, compte tenu de l'ampleur et de la complexité de ces sujets, qui sont au coeur des préoccupations de nos concitoyens, décider aujourd'hui, d'un projet de réforme « tout ficelé ». Cela n'est pas non plus ma conception de la concertation.
Pour que la discussion de ce matin soit la plus efficace possible, je vais vous présenter un certain nombre de grandes orientations que j'envisage pour que nous puissions échanger là dessus. Nous reviendrons après sur la méthode qui peut - être proposée dans la concertation.
De nouvelles modalités de fixation du SMIC
Sur le SMIC tout d'abord, comme l'a dit le Président de la République, il s'agit de dépolitiser le débat sans pour autant enlever la responsabilité politique qui est celle et demeurera celle du Gouvernement.
J'insiste sur ce point. C'est pourquoi le Président a souhaité que soient mises en place de nouvelles modalités de fixation du SMIC. Nous sommes le seul pays où le Gouvernement peut décider - je vous le demande, sur quels critères réels et objectifs ? - le montant du salaire minimum, par ce que l'on appelle des "coups du pouce". Ce système soulève au moins trois séries de questions :
sur le pouvoir d'achat : le SMIC a progressivement grignoté le bas de l'échelle des salaires (plus de 15% des salariés sont aujourd'hui au SMIC, soit deux fois plus qu'il y a 12 ans),
sur l'emploi : quand le salaire minimum est mal adapté à la productivité des entreprises il est source de chômage, en particulier dans les entreprises à forte intensité de main d'oeuvre,
quant à la vitalité de notre démocratie sociale : la fixation du SMIC par les pouvoirs publics laisse en effet moins de place pour la négociation salariale entre patronat et syndicats.
En s'inspirant de ce qui fonctionne à l'étranger, la décision du Gouvernement pourrait être éclairée j'insiste par une commission indépendante qui dirait publiquement quel est le niveau du SMIC le mieux adapté aux circonstances économiques du moment. Il s'agit bien d'une commission consultative : voilà pourquoi le Gouvernement pourra ne pas suivre cet avis mais il devra alors s'en expliquer. C'est le gouvernement qui déciderait de l'évolution du SMIC ; c'est pour cela que je dis qu'il ne s'agit pas d'échapper à la responsabilité du gouvernement.
Il y a déjà un premier aspect dont nous avons discuté lors de la sous-commission des salaires que j'ai réunie la semaine dernière, c'est tout simplement celui du calendrier de révision du SMIC.
Le suivi de la négociation salariale de branche a confirmé que le décrochage des grilles conventionnelles par rapport au SMIC était lié, le plus souvent, au retard de la négociation par rapport au calendrier de fixation du SMIC. On a vu tout a l'heure que 71 branches avaient encore au moins un coefficient en dessous du smic. Or sur ces 71, 53 connaissent un décrochage pour une simple raison le calendrier.
Je propose que la fixation du SMIC intervienne, par exemple, au 1er janvier pour donner de la visibilité aux partenaires sociaux, sachant bien sûr qu'il faudra être attentif aux modalités de transition entre l'ancien et le nouveau systèmes.
Les autres questions, bien sûr, ce sont celles relatives à la création d'une commission indépendante dont la mission serait de formuler des recommandations reposant sur une meilleure prise en compte du contexte économique d'ensemble et de l'impact prévisible des décisions de revalorisation, je le répète encore une fois, sachant que la décision resterait au Gouvernement après avis de la CNNC.
La discussion doit être ouverte, sur l'ensemble des aspects :
le rôle, la composition et le fonctionnement de la commission indépendante,
ses relations avec le gouvernement et la CNNC,
l'évolution de la procédure de fixation du SMIC, aussi bien sur le calendrier que les critères de revalorisation.
Dans mon approche, il s'agit bien d'une réforme de procédure, il ne s'agit pas de préconiser à l'avance telle ou telle évolution du SMIC lui-même. L'esprit de la réforme, c'est donc de rendre cette évolution plus lisible et plus objective.
On a souvent cité l'exemple du Royaume-Uni, où il existe une Low Pay Commission depuis 1998, mais depuis qu'il y a eu la création de cette commission indépendante, sur le salaire minimum, qui était il est relativement faible, c'est vrai, a progressé de 30% en pouvoir d'achat.
Dynamiser les négociations salariales
Le deuxième point qu'il nous faut traiter simultanément avec le SMIC, c'est celui de la façon de dynamiser les négociations salariales.
La semaine dernière, en donnant une nouvelle impulsion à l'opération de relance de la négociation salariale de branche qui avait été initiée par mon prédécesseur Gérard Larcher, j'ai annoncé deux mesures :
d'une part, j'ai demandé aux négociateurs de généraliser les clauses de rendez-vous (ou clauses de revoyure) prévoyant une ouverture automatique des négociations dès que les premiers coefficients des grilles salariales se trouvent dépassés par le SMIC, c'est pour moi la moindre des choses : on ne peut plus avoir des minima de branche inférieurs au SMIC. S'il n'y a pas de clause de revoyure dans un accord salarial, je ferai usage de mon pouvoir d'appréciation pour ne pas l'étendre, je me suis expliqué la dessus la semaine dernière ;
d'autre part, j'ai mandaté le comité de suivi de la négociation salariale de branche pour me faire des propositions précises pour débloquer la situation dans les 18 branches les plus en difficulté. Ce n'est pas facile, j'ai indiqué que je m'impliquerai personnellement.
Ces deux mesures vont nous aider à améliorer la situation, mais je pense aussi que nous pouvons et que nous devons aller plus loin, dans l'esprit de ce qu'a indiqué le Président de la République à plusieurs reprises. Lors de son discours devant l'AJIS, le Président a posé le 18 septembre une question à laquelle nous devons tous ensemble répondre aujourd'hui. Il a demandé s'il était « normal et acceptable que les allègements de charges restent inchangés pour des entreprises et des branches qui refuseraient de négocier ou maintiendraient trop longtemps leur minima en dessous
du SMIC ? »
Nous voyons bien tous en effet qu'il y a là un véritable sujet. La puissance publique a consacré en 2007 près de 20 milliards d'euros pour les allègements généraux de cotisations patronales. On sait pourquoi, c'est pour soutenir l'emploi des salariés rémunérés entre 1 et 1,6 SMIC. On sait que les entreprises en ont besoin.
Cet effort est, je le pense, indispensable. J'entends bien les organisations d'employeurs sur ce point, pour encourager l'emploi peu qualifié et éviter que le coût du travail entraîne des délocalisations. J'ai bien reçu le message.
Mais cette dépense, qui progresse vite, ne doit pas rester « passive » : il faut d'une certaine façon l' « activer », en incitant les branches et les entreprises à respecter l'obligation annuelle de négocier sur les salaires, à fournir des contreparties en matière notamment d'efforts de négociation salariale.
Comment faire en sorte que, via les allègements de charge, les branches et les entreprises soient incitées à dynamiser leur politique salariale, c'est ça la question dont nous devons discuter aujourd'hui, sans tabou ni a priori. Faut-il rendre conditionnel le bénéfice des allègements des charges ? Conditionnel à quoi ? Dans quelle proportion et selon quelles modalités ?
De mon point de vue, les scénarios de réforme devraient s'articuler de façon pragmatique autour de la ligne directrice suivante : il nous faut une conditionnalité à la fois simple et facile à gérer, ambitieuse et incitative :
la conditionnalité doit tout d'abord être simple et facile à gérer. La négociation salariale est un exercice complexe dont les facteurs, soit de réussite, soit de blocage sont multiples. Pour mettre au point les scénarios de conditionnalité, je propose de partir du fonctionnement concret de la négociation collective plutôt que d'une vision théorique qui consisterait à inventer je ne sais quel barème qui ne se soucierait pas de la faisabilité. Les entreprises bénéficient aujourd'hui des allègements de charges grâce aux déclarations sociales. Notre objectif ne doit pas être d'alourdir les formalités des entreprises mais de pouvoir suivre la conditionnalité, ce qui suppose donc la nécessité de critères simples et objectifs,
pour autant, la conditionnalité doit également être ambitieuse dans son contenu, pour inciter au respect effectif de l'obligation de négocier en matière salariale. Faut-il d'ailleurs élargir la conditionnalité à d'autres critères que la négociation salariale ? Ce sont des questions qu'il faudra aussi se poser en vue des scénarios et sur lesquelles je serai très attentif à vos propositions,
enfin, à mon sens la conditionnalité doit être progressive et incitative plutôt qu'une conditionnalité « couperet ». Le principe n'est donc pas de priver brutalement les entreprises des allègements de charges, qui jouent en faveur des premiers niveaux d'emploi, mais de mettre en place un dispositif incitatif pour encourager les négociations.
Je sais qu'il y a beaucoup d'attentes chez les salariés en termes de rémunération du travail, nous ne pouvons pas les décevoir. Nous devons tous collectivement réussir ces réformes et je suis convaincu que nous n'y parviendrons que dans la concertation. D'où notre volonté de procéder par étapes : nous allons élaborer des scénarios en fonction des observations que vous pouvez faire ; l'idée est de préparer ensuite un projet de loi qui sera présenté à la CNNC, au plus tard au printemps 2008 ; ce qui suppose auparavant une consultation du conseil d'orientation pour l'emploi
Voilà l'ensemble des sujets que je voulais introduire devant vous aujourd'hui : je ne serai pas plus long car l'objet de notre réunion, c'est d'échanger. C'est bien par le dialogue que nous avancerons - le dialogue social, vous savez que j'y suis très attaché, je suis persuadé que c'est lui que nous permettra de faire la preuve que la société française n'est pas une société figée ni une société bloquée.
Je vous remercie.Source http://www.travail-solidarite.gouv.fr, le 24 octobre 2007