Interviews de M. Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, dans "Libération" et à France-Inter le 6 avril 2000, sur le bilan des 35 heures, la flexibilité, la négociation sur la refondation sociale et l'indemnisation du chômage.

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Interview sur France Inter le 6 avril
Stéphane Paoli : Formation et qualification, dont le récent sommet européen de Lisbonne faisait ses objectifs, sont-elles les nouvelles priorités de la lutte contre le chômage ? Le MEDEF et les syndicats en débattent alors que la croissance, la baisse du chômage, les excédents financiers de l'Unedic et l'hypothèse crédible du retour au plein emploi dessinent un nouveau paysage social. Entre traitement social du chômage et traitement économique, existe-t-il l'espace de la refondation sociale ? Invité de "Questions directes", Ernest-Antoine Seillière, président du MEDEF, le Mouvement des Entreprises de France. Bonjour.
Ernest-Antoine Seillière : Bonjour.
Stéphane Paoli : Diriez-vous qu'on peut comparer les débats du récent sommet de Lisbonne qui s'interrogeait sur une Europe plutôt libérale, disons blairienne, et une Europe plutôt sociale à la Jospin, et peut-on comparer ce débat à celui que vous menez avec les partenaires sociaux ?
Ernest-Antoine Seillière : Oui, ce sont les mêmes questions. Comment faire en sorte que le XXIème siècle soit marqué pour l'Europe, et donc pour notre pays, par le vrai succès, c'est-à-dire l'installation des bases d'une croissance durable et du plein emploi ? Alors, chacun dans son pays, dans son contexte, s'efforce d'en déterminer les recettes et les moyens. En ce qui nous concerne, nous, les représentants des entrepreneurs, nous avons lancé et défini le thème de la refondation sociale. Du côté européen, on a lancé le thème de la modernité. La modernité et la refondation sociale, c'est la même chose. Et les Européens qui sont dans l'ensemble, vous le savez, sur, je crois une quinzaine de pays européens, il y a treize pays qui sont actuellement sous influence socialiste ou démocrate-sociale, eh bien dans tous ces pays-là, on reconnaît qu'il y a besoin d'un changement profond d'attitude pour prendre en compte les grands mouvements technologiques, la globalisation. Les deux démarches sont donc parallèles. Et la tentative de certains de vouloir tirer à la fois notre pays et l'Europe vers le réglementaire, vers la super-taxtation, vers le traitement dirigé des problèmes de société nous paraissent, à nous Français, des entrepreneurs, et du côté européen de manière beaucoup plus collective, des projets archaïques.
Stéphane Paoli : Alors, on va y revenir. Dans un entretien à LIBERATION, vous dites à l'Etat, je cite mot à mot " lâchez-nous les baskets ", mais je voudrais qu'on en reste aux discussions que vous menez aujourd'hui avec les syndicats. Les syndicats commencent-ils d'accepter de débattre avec vous de la flexibilité ? Parce que les propositions que fait le MEDEF aujourd'hui, s'agissant des contrats, s'agissant de l'emploi, s'agissant de l'Unedic, posent perpétuellement la question de la flexibilité.
Ernest-Antoine Seillière : Oui, alors, si vous voulez, en lançant un mot en France, on essaye de réduire le débat à des bagarres d'idées. Non. Nous, nous sommes dans le réel et nous avons en face de nous les syndicats qui sont aussi dans le réel. Vous savez, eux comme nous, nous sommes dans le cambouis, nous ne sommes pas loin des choses, je dirais dans les arrière-salles enfumées des congrès ou dans les bureaux bien abrités de la Fonction publique. Nous sommes au contact de la compétition et de la dureté et du succès possible. Et donc, nous en traitons ensemble. Et bien entendu, les syndicats, après avoir un peu hésité, ont compris le sens de notre démarche et sont en face de nous dans d'innombrables groupes de travail et de réflexion, groupes de négociation. Nous avons attrapé tous les sujets pratiquement de l'ordre social et nous en traitons ensemble afin de les rendre plus efficaces, si possibles moins coûteux, et surtout mieux adaptés à la défense des salariés et à leur avenir.
Stéphane Paoli : Mais alors, s'agissant, tenez, prenons le cas qui occupe tout le monde, la question du chômage. S'agissant du chômage, le MEDEF propose un traitement individualisé, mais enfin avec aussi des contraintes. Comment ça se passe avec les syndicats ? Et d'abord quel est le contrat que vous proposez ?
Ernest-Antoine Seillière : Si vous voulez, en fait, l'Anpe, les Assedic, l'Unedic, tout le monde connaît et actuellement tout le monde sait que ces grosses institutions qui sont des administrations en quelque sorte, ont une vraie finalité qui est de distribuer des indemnisations. Or, nous, nous disons : un grand service de l'emploi en France - cotisations qui sont payées par les salariés, qui sont payées par les entreprises - qui coûte 150 milliards, n'est pas fait simplement pour distribuer des indemnisations. Il est fait pour rechercher activement pour chacun un emploi. Et donc nous avons proposé aux syndicats, à nos interlocuteurs de se mettre devant les faits et de regarder comment on pourrait transformer toutes ces institutions en un service actif au service de chacun pour retrouver un emploi. Et donc, c'est ça notre démarche. Je crois qu'on la comprend. Bien entendu, ça trouble un certain nombre de comportements et d'attitudes, mais nous sommes raisonnables, nous sommes patients, nous sommes déterminés. Il faut faire ce que l'on a fait en Hollande pour arriver à 2 % de chômage, où on commence à licencier, figurez-vous, les gens qui gèrent le système du chômage parce qu'il n'y en a plus. Je ne vois pas du tout pourquoi la Hollande, qui est toute proche de nous, qui a les mêmes conditions, aurait cette situation tout de même idéale, cependant que nous serions, nous, installés dans un chômage à 10 % avec une énorme administration qui est faite pour distribuer des chèques en quelque sorte au lieu de chercher de l'emploi.
Stéphane Paoli : Là où ça coince tout de même, parce que les syndicats sont d'accord sur le principe du retour à l'emploi, c'est-à-dire le traitement individualisé, faire le profil un peu d'un candidat à l'emploi, savoir ce qu'il sait faire, là où il a des capacités et puis lui proposer soit des formations, soit du travail. Là-dessus, les syndicats, et même Force ouvrière est d'accord avec vous à peu près à 98 %. Là où ils sont moins d'accord, c'est quand vous dites : mais si la personne n'accepte pas l'emploi, alors là, peut-être qu'on va reconsidérer son indemnisation.
Ernest-Antoine Seillière : Attendez, vous trouvez normal que quelqu'un qui est chômeur, auquel on verse des indemnités et auquel on propose des emplois de sa compétence ne les prenne pas ? Auquel on propose une qualification qui lui permette de trouver un emploi ne le prenne pas ? Si vous pensez que c'est normal, nous, nous ne trouvons pas que c'est normal. On appelle ça sanction, ce n'est pas du tout le cas. Il s'agit simplement de tirer les conséquences d'un système logique. Le chômage n'est pas quelque chose dans lequel on doit s'installer comme dans un droit. Le droit du chômeur, c'est de retrouver un emploi. Et, bien entendu, nous devons être énergiques pour faire en sorte qu'il puisse le faire. Alors, on dit : si au bout de quelque temps, vous avez refusé des emplois, alors, bien entendu, que voulez-vous, on ne peut pas vous maintenir votre indemnisation à son niveau. Il y a même des pays comme en Hollande où, au bout de quelque temps, on dit : écoutez, vous ne voulez pas prendre d'emploi dans votre qualification, alors maintenant, il va falloir en chercher un dans une qualification, je dirais, moins forte. Tout ceci, c'est de la logique. On ne peut pas s'installer, compte tenu encore une fois de la compétition, dans des espèces de principes politiques et administratifs que, malheureusement, on ne peut plus assurer. Si on pouvait, purement et simplement, dire à un chômeur : eh bien, écoutez, vous restez chômeur toute la vie, après tout, il y a un statut du chômeur comme on le demande, très bien. Mais la société française ne peut pas se le permettre. Vous le savez bien.
Stéphane Paoli : Peut-être avez-vous entendu hier matin Bernard Thibault, le secrétaire général de la CGT qui était à ce même endroit et qui disait : eh bien oui, le MEDEF, en ce moment, il est en train de faire du sur-mesure pour les entreprises au détriment des droits des travailleurs.
Ernest-Antoine Seillière : Mais pas du tout. Tout ceci est fait dans l'intérêt des salariés. Les entreprises, à la limite, elles peuvent s'en sortir. Elles trouvent toujours d'une manière ou d'une autre de l'emploi. Mais ce qui nous préoccupe, à cause de son coût, et puis parce que c'est socialement inacceptable, c'est de s'être mis dans une France qui vit avec 10 % de chômeurs. Notre démarche, elle est faite, bien entendu, pour aller au plein emploi. On nous dit : le plein emploi va être à 8 %. Nous souhaitons à 4 %. Avec un traitement individualisé du chômage et un changement en effet de l'organisation du système d'assurance chômage, notre ambition, c'est à 4 %. Il n'y a aucune espèce de raison que chaque Français ne retrouve pas un emploi, bien entendu, si on le cherche et si on le prépare à en trouver un.
Stéphane Paoli : Est-ce que cette dérégulation mondiale, cette flexibilité mondiale, ne vous donne pas en ce moment des ailes au MEDEF ? A vouloir, tenez, proposer des contrats qui sont des contrats dits de projet, hein, sur des séquences de temps et de travail particuliers, voire des contrats de 5 ans. Est-ce qu'on n'est pas en train de donner une définition nouvelle du travail en flux tendus, comme pour la production ?
Ernest-Antoine Seillière : Alors, attendez, moi, je crois que l'on a fait les emplois-jeunes, 350 000 emplois à 5 ans, contrats à durée déterminée. L'armée qui est en train, vous en parliez tout-à-l'heure, de changer l'organisation, j'ai demandé, moi, à un général : comment vous allez faire pour la faire fonctionner ? Ah ! Nous avons nos contrats de volontaires à 5 ans. Alors, vous comprenez, quand la Fonction publique, pour traiter ses problèmes, met en place partout des contrats à 5 ans, pourquoi nous les entreprises, qui sommes tout de même dans un autre monde, le monde de la concurrence, de la compétition, pas le monde tranquille du monopole payé par le contribuable, nous n'aurions pas le droit de proposer la même chose actuellement à des gens que sommes obligés d'utiliser seulement deux fois neuf mois, seulement deux fois neuf mois ? On leur dirait : écoutez, c'est pour cinq ans et on n'aurait pas le droit de le faire ? Non, mais tout ceci, c'est un manque de bon sens.
Stéphane Paoli : Mais c'est une refondation qui risque d'aller très loin tout de même. Parce que le CDI, c'est une norme européenne en matière de contrat de travail. Est-ce que ça la remet en cause ?
Ernest-Antoine Seillière : Mais pas un instant ! C'est un procès d'intention bien entendu ! Le CDI, c'est la normalité. Mais quand vous devez faire, pour vous adapter parce que vous avez des commandes et vous voulez les faire, vous avez un chantier, vous voulez le faire, ça va durer trois à cinq ans, alors on n'a pas le droit de proposer à quelqu'un trois à cinq ans ? On est obligé de le mettre dehors au bout de 18 mois ou de lui proposer un contrat à vie ! Mais je vous assure que tout ceci manque complètement de bon sens. Et c'est parce que nous sommes dans le bon sens - et dans ce que l'on appelle la modernité, c'est-à-dire l'abandon des vieilles lunes archaïques du début du XIXème siècle - que nous sommes en train de proposer quelque chose qui est en train de commencer à s'installer comme quelque chose de raisonnable, de bon sens, et qui fera que notre pays sera à peu près comme ceux qui l'entourent et sorti de cette étrange spécificité dans laquelle, en effet, quelquefois le politique veut nous installer. Mais, nous, entrepreneurs, nous ne sommes pas d'accord.
Stéphane Paoli : Alors, justement, la refondation sociale, ce sera sans l'Etat ? Je renvoie encore une fois à la lecture de LIBERATION où vous dites, en gros, - les petites phrases valent ce qu'elles valent, mais enfin - : " que l'Etat nous lâche les baskets ".
Ernest-Antoine Seillière : Ecoutez, l'Etat a d'énormes problèmes. Il a une formidable machine qui s'appelle la Fonction publique et permettez-moi de vous dire : il ne me semble pas qu'elle marche bien. Nous, nous n'étions pas d'accord avec les 35 heures. On s'est beaucoup rassemblé, on a envoyé des centaines de milliers de lettres au ministre, personne n'en a tenu le moindre compte. En ce qui concerne l'Etat, il veut réformer un service, le service fiscal, c'est tout de même la moindre des choses, c'est l'A.B.C, ah, ça fait une histoire effroyable ! Donc, si vous voulez, que l'Etat s'occupe de l'Etat, qu'il ne s'occupe pas des entreprises, qu'il laisse les partenaires sociaux s'organiser dans la liberté pour convenir ensemble, par le contrat, par le contrat, pas par le règlement, comment il faut faire, et notre société retrouvera son équilibre et son fonctionnement.
Stéphane Paoli : : On verra si ce sera le " big bang " comme titre LIBERATION, à propos de la refondation sociale. Merci Ernest-Antoine Seillière.
Ernest-Antoine Seillière : Merci.
(source http://www.medef.fr, le 8 avril 2000)