Texte intégral
(Conférence de presse à Bruxelles, le 18 février 2002)
Tout d'abord, je pense que le CAG était bien organisé, parce que la distinction est de plus en plus claire entre les questions horizontales et les relations extérieures. Je pense même qu'il faudrait des CAG qui dureraient une demi-journée de plus avec une distinction encore plus nette entre les deux.
Sur l'état des travaux dans les autres formations, je rappelle l'importance pour nous de GALILEO ; sur le climat et le protocole de Kyoto, il est important pour les Européens de réagir à la contre proposition présentée par le président Bush. Il a été acté, ce que je trouve très bien, que le CAG serait informé par la Convention de l'état de ses travaux.
En ce qui concerne le Conseil européen de Barcelone, M. Piqué nous a donné un certain nombre de précisions sur sa préparation. Le CAG y reviendra plus en détail le 11 mars.
En ce qui concerne l'élargissement, le CAG a fait le point à la suite du Gymnich et de l'ECOFIN. La Commission devra tenir compte des positions exprimées dans la préparation de ses projets de positions communes. J'en rappelle, pour nous, les principes : le respect des plafonds de Berlin, le respect du calendrier de la feuille de route, le découplage entre les négociations d'adhésion et les réformes internes. Sur la note de cadrage financier de la Commission, on demande un point de départ plus rigoureux. Autres points traités : l'ouverture sur les aides directes agricoles, l'accord sur les mesures internes, les centrales nucléaires, le renforcement institutionnel, Chypre Nord. Il y a un doute sérieux sur les action structurelles parce que les capacités d'absorption nous paraissent surestimées ; sur les compensations budgétaires, nous verrons.
Sur le point du renforcement de l'action extérieure, je vous rappelle que cet examen découle d'un débat que j'avais organisé au Gymnich d'Evian. Ce point était apparu comme nécessaire et utile. Il y a beaucoup de mesures concrètes d'amélioration. Vous connaissez notre soutien à M. Patten pour la réforme des services, la déconcentration vers les délégations, la coordination Commission-Etats membres dans les deux sens, une information meilleure, l'accélération des procédures, la concertation avec les pays bénéficiaires. Tout cela a bien avancé, c'est le deuxième débat de ce type. J'ai relancé l'idée qu'on examine quelques cas pilotes sur lesquels on fera le point dans le courant de l'année. Il faut donc continuer. C'était bien, c'était très utile. Je pense que si on arrive à progresser vers un CAG qui dure plus longtemps, ce sera quand même utile. Avec une séparation très claire entre les questions horizontales et les questions de politique étrangère. Dans la partie politique étrangère, ce serait utile qu'on ait une fois dans l'année quasiment une demi-journée entière là-dessus, qu'il n'y ait pas simplement un point parmi quatre ou cinq de l'ordre du jour d'une matinée.
M. Solana nous a informés sur le Monténégro. Nous le soutenons dans sa ligne et dans son action. Il nous reste à traiter le Zimbabwe et les Balkans. Sur la mission de police en Bosnie, il y a un accord. Au déjeuner, nous avons essentiellement parlé du Proche-Orient et nous avons eu un très long échange de vue sur les informations des uns et des autres, les voyages des uns, les informations des autres, toutes sortes de réflexions qui se poursuivent sur ce que certains d'entre nous ont appelé le stock d'idées de l'Union européenne, que vous connaissez. C'est déjà à peu près ce dont on a parlé à Caceres, on continue à en parler. Mais ce n'est toujours pas un plan formel, on continue à réfléchir. Chaque idée à peine connue provoque des avalanches de réactions dans tous les sens, nous continuons donc à travailler sur tout cela. M. Solana devrait d'ailleurs y aller prochainement. L'idée générale reste la même, c'est à dire qu'il faut redonner de la crédibilité et du contenu à l'approche politique, qui a été délaissée depuis maintenant plus d'un an, sans naturellement renoncer à aucune exigence en ce qui concerne la sécurité. Voilà pour ce résumé rapide. Avez-vous des questions ?
Q - Vers quoi va-t-on sur le Zimbabwe ?
R - Je crois qu'il y a une majorité pour les sanctions. Je trouverais plus pertinent d'attendre les élections, de voir le déroulement des élections pour éventuellement appliquer des sanctions. J'ai constaté qu'aucun pays africain ne trouvait que c'était une bonne idée, mais s'il y a un consensus dans le sens de ce que demande M. Straw, je ne m'y opposerais pas.
Q - Sur le Moyen-Orient, l'idée que l'on reconnaisse au préalable l'Etat palestinien pour relancer le processus de paix, c'est consensuel ou pas ? A quinze, en tout cas.
R - On ne sait pas exactement parce qu'on n'est pas au point de réflexion où il faudrait conclure pour un plan formel. Sur chacune de ces idées il y a des réflexions. Comme vous le savez, chacune présente des avantages et des inconvénients. Et puis tout dépend de quand, comment ? Dans quel contexte ? Est-ce que c'est une idée isolée des autres ou dans un ensemble ? C'est une matière tellement riche, que le moment de décanter et de clarifier tout cela dans un plan formel n'est pas encore venu. Sur l'idée Peres/Abou Ala, à peu près tous les ministres européens se sont exprimés favorablement. Mais comme nous avons encore besoin de travailler sur la matière et le contenu, je ne peux pas encore répondre à la question.
Q - M. Fischer est maintenant sur une position qui l'éloigne considérablement puisqu'il dit "la précondition, c'est un cessez le feu". C'est une position qui n'est pas très loin de la position américaine. Compte tenu que la Grande-Bretagne et l'Allemagne prennent leurs distances, on a l'impression quand même que vos idées et l'idée espagnole deviennent une perspective de plus en plus lointaine, non ?
R - Toutes les perspectives sont lointaines s'il n'y a pas de solution. Pas plus lointaine que les plans Mitchell et Tenet, que personne n'arrive à appliquer. Ce qui est sûr, c'est que dans la discussion qui est en cours au sein de l'Europe, qui est extrêmement passionnante, qui consiste à essayer de redonner corps à un volet politique qui a complètement disparu pour les raisons que vous connaissez bien, on avance des idées, on réfléchit. Il y a eu mes contributions, il y a eu d'autres idées. Les Allemands eux-mêmes ont proposé des choses. Ils ont proposé un référendum qui ne soumettait pas à des conditions préalables de sécurité. Ce sont des leviers pour avancer, pour créer une situation différente. Les Espagnols président très bien. Ils essaient de synthétiser tout cela, d'une discussion à l'autre pour qu'on avance. Mais reconnaissez qu'on s'attaque à un gros sujet. Ce n'est pas un petit sujet sur lequel on peut ficeler un petit plan sur un coin de table. D'autre part, je dirais que la discussion nous intéresse presque autant que l'aboutissement. La discussion elle-même est un levier. Lancer des idées comme ça, voir comment on réagit entre nous, à quinze, voir comment réagissent les partenaires sur le problème du Proche Orient, est intéressant en soi. Il ne se passe pas trois jours sans qu'il n'y ait une réaction qui nous amène à vouloir retravailler, re-réfléchir. Selon les moments, on a l'impression que tel ou tel s'éloigne de ce qui était le consensus de Caceres, par exemple, qui était assez fort, que M. Piqué avait fort bien résumé. C'est vrai que M. Straw a donné l'impression après de reculer en terme de préalable. M. Fischer a dit cela, mais il a eu une autre déclaration dans laquelle il mettait les deux choses sur un pied d'égalité. Ce sont des fait politiques. Cela veut dire que dans certains pays, ils ne sont pas encore tout à fait sûrs de la ligne qu'ils peuvent adopter. C'est pour cela qu'il faut continuer à discuter. Mais ce ne sont pas des positions définitives.
Q - Est-ce que M. Straw a réitéré au cours du déjeuner la position qu'il avait tenue le week-end dernier lors de son voyage dans la région ? Est-ce que c'est la même ligne ? C'est à dire très négative en quelque sorte.
R - C'est celui qui insiste le plus sur le préalable. Alors que l'effort majoritaire des Quinze c'est de dire : "On voit bien que le préalable sécuritaire ne fonctionne pas, peut-être que cela ne conduit à rien, il ne faut pas abandonner les soucis de sécurité mais il faut redonner corps à l'autre volet". C'est une position qui est très majoritaire au sein des Quinze mais qui n'est pas encore parfaitement unanime dans l'expression. Tout le monde est d'accord sur l'idée d'un volet politique, mais comment peut-on y arriver ? Est-il subordonné à quelque chose, ou au contraire est-ce que c'est le lancement d'un volet politique qui améliorerait la situation en matière de sécurité ? C'est vrai qu'il y a des discussions. Au sein du gouvernement israélien, ils ne sont pas d'accord entre eux non plus. Ce n'est pas tellement étonnant que pour les Quinze ce soit encore compliqué, que l'on ait encore besoin d'y travailler.
Q - Est-ce que le papier espagnol, est une mise en forme plus cohérente du papier de Caceres, ou bien il y a un plus ?
R - Pour le moment il n'y a pas de papier définitif. De toute façon, ce sont des moutures successives qui visent à photographier l'état des réflexions. Il n'y a pas quelque chose qui puisse être un papier communicable à d'autres. Si vous avez des "morceaux de papier", il faut vous en méfier parce qu'il y a tellement de moutures que vous ne savez pas trop sur quoi vous travaillez. C'est une matière mouvante. C'est une façon d'ordonner la réflexion, c'est tout. Mais, pour le moment, il n'y a pas d'accord sur ces points. Par exemple, M. Fischer disait il y a quelques jours : "Pourquoi pas un référendum ?". Mais je ne crois pas que lui-même soit tout à fait sûr de la façon et du moment de placer un référendum.
Il y a beaucoup de sujets. On est en train de faire quelque chose de neuf par rapport à il y a un mois ou deux. Et on débat à partir de nos idées politiques, pour voir si on est d'accord entre nous. C'est mieux que d'être dans la passivité ou dans l'absence d'idées des autres. Et cela reste compliqué, vraiment.
Q - L'exercice du stock d'idées n'a pas, à un moment donné, une limite ?
R - Oui, d'accord. Mais "Tenet et Mitchell", cela fait un an que c'est en place. Il ne se passe rien, on peut donc nous laisser un moment pour perfectionner nos éventuelles propositions.
Q - Le plan Tenet et le rapport Mitchell, dans quelle séquence est ce que cela doit précéder, aujourd'hui, dans votre esprit, la déclaration d'un Etat palestinien?
R - Tout dépend si vous demandez : du point de vue de l'Europe, de mon point de vue, du point de vue des protagonistes Du point de vue des protagonistes qui ont signé le rapport Mitchell, normalement, c'est un préalable à la suite. C'est la reconstitution d'une situation de sécurité qui permettrait d'aborder la suite. Nous avons toujours dit "très bien" s'il y arrivent, mais après il faudra réveiller une perspective politique. Cela a toujours été le point de vue français. Dans l'idéal, et si cela avait été possible, cela aurait été appliqué et on serait plus ou moins avancé dans le processus politique. Mais ce n'est pas le cas, on est au point zéro sur tous les plans. Il ne se passe rien, que la guerre. C'est une guerre. qui s'aggrave. Alors l'emboîtement entre différentes idées qui, de toute façon, ne sont appliquées ni les unes ni les autres, c'est une question un peu théorique.
C'est pour cela que, constatant que depuis longtemps il ne s'était rien passé à partir des conclusions Mitchell et Tenet, nous, Français, nous avons mis sur la table des propositions plus politiques. Il y en a eu d'autres aussi, allemandes, italiennes, etc. Et on débat de cela. On n'a pas encore trouvé la forme exacte parce que c'est compliqué, mais je trouve que c'est une discussion plus constructive. Patience.
Q - Depuis toutes les discussions de ces deux dernières semaines, est-ce qu'il faut toujours une initiative politique qui fasse pression sur les Israéliens et les Palestiniens ?
R - On n'est pas en mesure d'imposer tout ça. Ce que nous pouvons faire, nous Européens, c'est de réfléchir entre nous à ce qui pourrait être une approche politique qui a été abandonnée. Comme il y a beaucoup d'idées, on cherche à les articuler. C'est le travail dont je parlais tout à l'heure et qui doit se poursuivre. Après, on sait très bien que pour mettre en oeuvre une approche politique il faudrait que cela soit accepté par les protagonistes. A commencer par Ariel Sharon. Mais on en n'est pas là. On ne peut pas attendre passivement. Je reconnais que c'est difficile à décrire. Vous voudriez que cela soit plus commode de commenter les choses, si cela prenait une forme plus achevée. Avec un plan en six points qui serait communiqué demain matin... On n'en est pas là.
Q - Quand vous dites "on a encore du temps pour discuter", vous vous laissez combien de temps ?
R - On ne le prend pas, on ne l'a pas. Il se trouve que le sujet est tellement compliqué que cela nécessite encore du temps.
Q - Vous n'avez pas de date limite au-delà de laquelle...
R - Non. La vie n'est pas programmée comme ça. Il n'y a pas de date limite. Dans l'idéal, il faudrait pouvoir prendre des initiatives spectaculaires demain matin, pour sortir du piège dans lequel on est. Nous, les Européens, on est là, on a nos propres idées. Au fil des années, des analyses communes se renforcent, mais là on est quand même ambitieux. On cherche à bâtir un volet politique. Tout ce volet politique a disparu du processus. C'est à dire qu'il n'y a plus de processus. On cherche à le reconstituer. On avance des idées qui peuvent ne pas coïncider avec la tactique américaine, ni la tactique israélienne, ni même la tactique palestinienne. Il faut quand même avancer. Il faut essayer d'être nous-mêmes, c'est cela qu'on essaie de bâtir. Ne vous étonnez pas que cela ne soit pas si simple.
Q - Monsieur le Ministre, pour que le processus politique ait une chance de démarrer, il faudrait que les Palestiniens acceptent une des idées maîtresses dans ce processus, qui est la tenue d'élections. Pour le moment, ils sont encore très réticents ou très sceptiques.
R - Aucune des idées politiques, celle-là ou d'autres, mises en avant par les Européens, ne plaît à tout le monde. Aucune. Le plan Peres/Abou Ala ne plaît pas à tous les Israéliens, il ne plaît pas à tous les Palestiniens. C'est comme ça. On cherche. Vous connaissez très bien la situation.
Q - Vous cherchez le plan le plus consensuel pour les protagonistes ?
R - Non. Parce que si on cherche un plan totalement consensuel du côté des protagonistes, on ne va arriver à rien. Parce qu'on va être victimes des blocages qui font que, sur place, il ne se passe rien. On cherche quelque chose qui soit d'abord consensuel, mais ambitieux entre nous. On travaille aux formulations consensuelles à quinze, mais qui, en même temps aient de la densité, qui aillent loin. C'est pour cela qu'on s'y reprend à plusieurs fois. Mais on ne peut pas adopter un plan qui soit par avance consensuel. Si les protagonistes adoptaient un plan consensuel, on n'aurait pas besoin de nous.
Q - Quelles sont les perspectives que vous voyez pour l'envoi d'observateurs sur place ?
R - Pour les observateurs, pour le moment il n'y en a aucun, puisque Israël n'en veut pas. On ne peut envoyer des observateurs que chez des gens qui acceptent. Sinon ce ne sont pas des observateurs. Pour le moment, vous ne pouvez pas isoler un des morceaux de tout cela. Vous connaissez la situation par cur. Elle est bloquée, elle est tragique, elle se dégrade constamment. Cela ressemble de plus en plus à une vraie guerre et nous, les Européens, nous essayons de rebâtir une perspective politique, une espérance. D'abord, en nous mettant bien d'accord entre nous, en espérant convaincre les uns et les autres, en espérant que dans chaque camp nos idées redeviendront attractives et que l'on pourra peser dans le débat.
Q - Vos relations avec les Etats-Unis ne sont pas un peu tendues, parce qu'on a vu Colin Powell dire que vous-même vous aviez des "vapeurs"...
R - Ca, c'est autre chose. D'ailleurs je ne crois pas que la traduction soit très bonne. D'autre part, c'est un débat sur tout à fait autre chose. Ce n'est pas le débat sur le Proche-Orient.
Q - Je sais bien, mais enfin, ça situe l'ambiance...
R - Non. Dans les rapports franco américains il y a des moments comme ça, un peu électriques. Et surtout ce n'est pas un épisode franco-américain, c'est un épisode euro-américain. Il peut y avoir des moments comme ça et puis après on continue à se parler. Le débat des dernières semaines c'est la question sur unilatéralisme/multilatéralisme. C'est ça le fond du débat. L'autre débat c'est : est-ce que tous les problèmes du monde se ramènent à la seule lutte contre le terrorisme, ou pas ? Est-ce qu'il n'y a que cela ou alors est-ce qu'il y a cela mais aussi toute une série d'autres choses dont il faut également s'occuper. On peut être dans la même alliance et de temps en temps débattre quand même, mais je ne crois pas qu'il y ait un lien direct avec la question du Proche-Orient. Sur le Proche-Orient, je ne pense pas que Colin Powell puisse être gêné par les efforts européens. Lui-même essaie depuis des semaines, de maintenir la discussion avec M. Arafat. Il ne peut peut-être pas faire tout ce qu'il veut...
Q - Monsieur le Ministre, est ce que vous ne croyez pas que les Quinze devraient avoir une politique commune vis à vis de la nouvelle politique extérieure américaine, "l'axe du mal" ?
R - C'est une expression qui est un peu faite pour les Etats-Unis. On ne peut pas avoir une politique commune par rapport à un discours ou par rapport à une expression. On peut poursuivre notre travail pour élaborer une politique commune des Quinze sur des points particuliers, précis. C'est ce que l'on fait sur le Proche-Orient, sur d'autres sujets.
Q - Oui, mais les Américains sont en train de parler d'une éventuelle attaque contre l'Iraq...
R - Ca, c'est autre chose. Ce n'est pas l'axe, le fameux axe, où il y a trois pays. C'est la question de l'Iraq en particulier. Sur l'Iraq, on a une position qu'on pourrait d'ailleurs réexprimer à l'occasion, ça serait bien. Mais on a une position qui est très homogène entre Européens. Une position très simple qui est qu'il faut que Saddam Hussein applique les résolutions du Conseil de sécurité. C'est ce qu'il peut faire de mieux et il faudrait qu'il accepte le retour des inspecteurs des Nations unies sans entraves, et que les inspecteurs puissent travailler librement. Tout le monde est d'accord là-dessus.
Q - (Sur les sanctions à l'égard de l'Iraq)
R - On n'en est pas là. On a pas mal travaillé au Conseil de sécurité depuis que Colin Powell est là pour rendre les sanctions, comme il le disait lui-même, plus intelligentes. Dans le système de sanctions dites plus intelligentes, il y a l'allégement des contraintes que les sanctions font peser sur la société iraquienne, et il y a le renforcement des contrôles. Cela a toujours fait partie du même paquet, y compris pour nous. Tout ce que nous avons proposé, nous Français, au Conseil de sécurité depuis des années, ce sont les deux à la fois. On ne peut pas toujours chercher à faire en sorte que la société iraquienne ne souffre plus de cette situation, mais cela suppose une transparence, cela suppose des contrôles. Cela suppose que l'Iraq accepte ce que l'Iraq refuse depuis longtemps. Il n'y a pas de désaccord entre Européens là-dessus.
Q - Est-ce que vous comptez sur l'influence modératrice de Powell auprès de Bush ? Apparemment il s'est complètement aligné sur cette ligne-là, sur cette ligne dure. Où va-t-on maintenant ?
R - Sur quel point en particulier ?
Q - L'axe du mal. Les propos qu'il a tenus sur vous-même, sur M. Patten ?
R - Il ne faut pas accorder d'importance exagérée à cela. Il est sous pression, il est à l'Assemblée ou au Congrès, donc il se croit attaqué, il répond. C'est un échange viril entre amis. Il ne faut pas en tirer des leçons exagérées. Par contre, il y a une vraie discussion sur la lutte contre le terrorisme. Est-ce qu'il n'y a que la lutte contre le terrorisme que par des moyens militaires, ou est-ce que cela s'inscrit dans une approche plus large, qui est plutôt la nôtre en Europe, avec la lutte contre le terrorisme et aussi comment éradiquer les problèmes du monde ; et puis l'aspect militaire, mais aussi les autres aspects : politique, diplomatique, économique, etc... ça c'est un débat légitime. Il ne faut pas se focaliser sur des aspects un peu anecdotiques.
Q - Et sur l'Iraq, il paraît qu'il y avait eu consensus entre les Quinze, y compris la Grande-Bretagne.
R - Sur l'Iraq, je n'ai pas vérifié, puisqu'on n'en a pas parlé aujourd'hui. Mais je sais d'avance que tous les Quinze sont d'accord pour dire à Saddam Hussein qu'il doit laisser revenir les inspecteurs de l'ONU sans contrainte, et qu'ils puissent travailler librement. Tout le monde est d'accord là-dessus. Pour le reste, à ce stade, ce sont des spéculations. M. Powell insiste là-dessus.
Q - Apparemment, il y a une opération militaire qui se prépare aux Etats-Unis contre l'Iraq. La question des observateurs, c'est un prétexte...
R - Si Saddam Hussein n'avait pas expulsé les contrôleurs de l'ONU, il n'aurait pas fourni ce prétexte. Donc il est en faute par rapport aux résolutions du Conseil de sécurité. Il ne tient qu'à lui de les laisser revenir. Qu'il les laisse revenir. Et qu'il les laisse travailler librement.
Q - Pensez-vous que l'Iraq présent à la réunion à Istanbul venait pour y négocier un petit peu le retour des inspecteurs ?
R - Il n'y a pas à négocier. Il n'y a rien à négocier. L'Iraq doit laisser les inspecteurs de l'ONU travailler librement. Que voulez-vous qu'ils négocient ? Ils ont à se mettre en conformité avec les résolutions votées par tout le monde. Il n'y a aucun gouvernement arabe qui soit indulgent là-dessus. Ce n'est pas une position d'occidental, c'est une position globale.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 février 2002)
(Interview à des télévisions à Bruxelles, le 18 février 2002)
Q - Monsieur le Ministre, sur le Proche Orient, vous avez parlé de perspectives qui à votre avis sont lointaines, pour une éventuelle solution. Ne pensez-vous pas qu'une sanction économique sur Israël pourrait déjà faire avancer ce processus ?
R - Il ne faut pas réfléchir à des choses irréalistes, le problème ne se présente pas du tout comme cela. Il y a une situation de tragédie et je crois que ce qui est raisonnable, c'est de travailler pour que l'on redonne un contenu à la négociation politique. Cela pourrait se faire si les Israéliens constataient que la politique purement sécuritaire ne donne pas de résultat. Elle ne donne pas la solution politique, elle ne donne même pas la sécurité. Et du côté des Israéliens, du côté des Palestiniens, beaucoup de voix se font entendre pour que l'on réveille ce volet politique qui a été complètement abandonné depuis un an. C'est là-dessus que travaillent les Européens qui ont fait pas mal de propositions précisément politiques ces derniers temps. Nous pensons, qu'à un moment ou à un autre, il faudra bien reprendre cette négociation qui avait été lancée par le Processus d'Oslo depuis le début. Mais ce n'est pas en faisant pression sur les peuples qu'on obtient des renversements.
Il y a actuellement des pressions énormes de la part du gouvernement israélien sur le peuple palestinien, ce sont des sortes de sanctions. Qu'est-ce que cela produit ? Ca ne produit pas le fait que les Palestiniens changent leur position de fond, ils ne peuvent pas. Nous voulons réveiller la négociation politique qui a disparu pour le moment. Les Européens travaillent entre eux. Il y a eu beaucoup de propositions française, italienne, allemande et d'autres, que les Espagnols essaient de regrouper, de résumer pour que l'Europe fasse entendre une voix utile sur ce point.
Q - Est-ce que M. Sharon est d'accord avec cela ?
R - Personne n'est d'accord avec cela pour le moment, sinon cela serait déjà appliqué. Les Européens essaient de redonner corps à un volet politique qui a disparu depuis maintenant plus d'un an pour plusieurs raisons. Ce n'est pas l'approche du gouvernement israélien, ce n'est pas l'approche de beaucoup d'autres, mais nous cherchons à redonner corps à cela. Cela suppose un certain nombre de mouvements, de changements de la part du gouvernement israélien, de la part de l'Autorité palestinienne. Les Quinze l'ont dit à Laeken dans des déclarations très claires, quand nous avons fait la liste de ce que nous attendions des uns et des autres. Et nous essayons, nous Européens, d'être constructifs même si la situation est tragique.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 février 2002)
Tout d'abord, je pense que le CAG était bien organisé, parce que la distinction est de plus en plus claire entre les questions horizontales et les relations extérieures. Je pense même qu'il faudrait des CAG qui dureraient une demi-journée de plus avec une distinction encore plus nette entre les deux.
Sur l'état des travaux dans les autres formations, je rappelle l'importance pour nous de GALILEO ; sur le climat et le protocole de Kyoto, il est important pour les Européens de réagir à la contre proposition présentée par le président Bush. Il a été acté, ce que je trouve très bien, que le CAG serait informé par la Convention de l'état de ses travaux.
En ce qui concerne le Conseil européen de Barcelone, M. Piqué nous a donné un certain nombre de précisions sur sa préparation. Le CAG y reviendra plus en détail le 11 mars.
En ce qui concerne l'élargissement, le CAG a fait le point à la suite du Gymnich et de l'ECOFIN. La Commission devra tenir compte des positions exprimées dans la préparation de ses projets de positions communes. J'en rappelle, pour nous, les principes : le respect des plafonds de Berlin, le respect du calendrier de la feuille de route, le découplage entre les négociations d'adhésion et les réformes internes. Sur la note de cadrage financier de la Commission, on demande un point de départ plus rigoureux. Autres points traités : l'ouverture sur les aides directes agricoles, l'accord sur les mesures internes, les centrales nucléaires, le renforcement institutionnel, Chypre Nord. Il y a un doute sérieux sur les action structurelles parce que les capacités d'absorption nous paraissent surestimées ; sur les compensations budgétaires, nous verrons.
Sur le point du renforcement de l'action extérieure, je vous rappelle que cet examen découle d'un débat que j'avais organisé au Gymnich d'Evian. Ce point était apparu comme nécessaire et utile. Il y a beaucoup de mesures concrètes d'amélioration. Vous connaissez notre soutien à M. Patten pour la réforme des services, la déconcentration vers les délégations, la coordination Commission-Etats membres dans les deux sens, une information meilleure, l'accélération des procédures, la concertation avec les pays bénéficiaires. Tout cela a bien avancé, c'est le deuxième débat de ce type. J'ai relancé l'idée qu'on examine quelques cas pilotes sur lesquels on fera le point dans le courant de l'année. Il faut donc continuer. C'était bien, c'était très utile. Je pense que si on arrive à progresser vers un CAG qui dure plus longtemps, ce sera quand même utile. Avec une séparation très claire entre les questions horizontales et les questions de politique étrangère. Dans la partie politique étrangère, ce serait utile qu'on ait une fois dans l'année quasiment une demi-journée entière là-dessus, qu'il n'y ait pas simplement un point parmi quatre ou cinq de l'ordre du jour d'une matinée.
M. Solana nous a informés sur le Monténégro. Nous le soutenons dans sa ligne et dans son action. Il nous reste à traiter le Zimbabwe et les Balkans. Sur la mission de police en Bosnie, il y a un accord. Au déjeuner, nous avons essentiellement parlé du Proche-Orient et nous avons eu un très long échange de vue sur les informations des uns et des autres, les voyages des uns, les informations des autres, toutes sortes de réflexions qui se poursuivent sur ce que certains d'entre nous ont appelé le stock d'idées de l'Union européenne, que vous connaissez. C'est déjà à peu près ce dont on a parlé à Caceres, on continue à en parler. Mais ce n'est toujours pas un plan formel, on continue à réfléchir. Chaque idée à peine connue provoque des avalanches de réactions dans tous les sens, nous continuons donc à travailler sur tout cela. M. Solana devrait d'ailleurs y aller prochainement. L'idée générale reste la même, c'est à dire qu'il faut redonner de la crédibilité et du contenu à l'approche politique, qui a été délaissée depuis maintenant plus d'un an, sans naturellement renoncer à aucune exigence en ce qui concerne la sécurité. Voilà pour ce résumé rapide. Avez-vous des questions ?
Q - Vers quoi va-t-on sur le Zimbabwe ?
R - Je crois qu'il y a une majorité pour les sanctions. Je trouverais plus pertinent d'attendre les élections, de voir le déroulement des élections pour éventuellement appliquer des sanctions. J'ai constaté qu'aucun pays africain ne trouvait que c'était une bonne idée, mais s'il y a un consensus dans le sens de ce que demande M. Straw, je ne m'y opposerais pas.
Q - Sur le Moyen-Orient, l'idée que l'on reconnaisse au préalable l'Etat palestinien pour relancer le processus de paix, c'est consensuel ou pas ? A quinze, en tout cas.
R - On ne sait pas exactement parce qu'on n'est pas au point de réflexion où il faudrait conclure pour un plan formel. Sur chacune de ces idées il y a des réflexions. Comme vous le savez, chacune présente des avantages et des inconvénients. Et puis tout dépend de quand, comment ? Dans quel contexte ? Est-ce que c'est une idée isolée des autres ou dans un ensemble ? C'est une matière tellement riche, que le moment de décanter et de clarifier tout cela dans un plan formel n'est pas encore venu. Sur l'idée Peres/Abou Ala, à peu près tous les ministres européens se sont exprimés favorablement. Mais comme nous avons encore besoin de travailler sur la matière et le contenu, je ne peux pas encore répondre à la question.
Q - M. Fischer est maintenant sur une position qui l'éloigne considérablement puisqu'il dit "la précondition, c'est un cessez le feu". C'est une position qui n'est pas très loin de la position américaine. Compte tenu que la Grande-Bretagne et l'Allemagne prennent leurs distances, on a l'impression quand même que vos idées et l'idée espagnole deviennent une perspective de plus en plus lointaine, non ?
R - Toutes les perspectives sont lointaines s'il n'y a pas de solution. Pas plus lointaine que les plans Mitchell et Tenet, que personne n'arrive à appliquer. Ce qui est sûr, c'est que dans la discussion qui est en cours au sein de l'Europe, qui est extrêmement passionnante, qui consiste à essayer de redonner corps à un volet politique qui a complètement disparu pour les raisons que vous connaissez bien, on avance des idées, on réfléchit. Il y a eu mes contributions, il y a eu d'autres idées. Les Allemands eux-mêmes ont proposé des choses. Ils ont proposé un référendum qui ne soumettait pas à des conditions préalables de sécurité. Ce sont des leviers pour avancer, pour créer une situation différente. Les Espagnols président très bien. Ils essaient de synthétiser tout cela, d'une discussion à l'autre pour qu'on avance. Mais reconnaissez qu'on s'attaque à un gros sujet. Ce n'est pas un petit sujet sur lequel on peut ficeler un petit plan sur un coin de table. D'autre part, je dirais que la discussion nous intéresse presque autant que l'aboutissement. La discussion elle-même est un levier. Lancer des idées comme ça, voir comment on réagit entre nous, à quinze, voir comment réagissent les partenaires sur le problème du Proche Orient, est intéressant en soi. Il ne se passe pas trois jours sans qu'il n'y ait une réaction qui nous amène à vouloir retravailler, re-réfléchir. Selon les moments, on a l'impression que tel ou tel s'éloigne de ce qui était le consensus de Caceres, par exemple, qui était assez fort, que M. Piqué avait fort bien résumé. C'est vrai que M. Straw a donné l'impression après de reculer en terme de préalable. M. Fischer a dit cela, mais il a eu une autre déclaration dans laquelle il mettait les deux choses sur un pied d'égalité. Ce sont des fait politiques. Cela veut dire que dans certains pays, ils ne sont pas encore tout à fait sûrs de la ligne qu'ils peuvent adopter. C'est pour cela qu'il faut continuer à discuter. Mais ce ne sont pas des positions définitives.
Q - Est-ce que M. Straw a réitéré au cours du déjeuner la position qu'il avait tenue le week-end dernier lors de son voyage dans la région ? Est-ce que c'est la même ligne ? C'est à dire très négative en quelque sorte.
R - C'est celui qui insiste le plus sur le préalable. Alors que l'effort majoritaire des Quinze c'est de dire : "On voit bien que le préalable sécuritaire ne fonctionne pas, peut-être que cela ne conduit à rien, il ne faut pas abandonner les soucis de sécurité mais il faut redonner corps à l'autre volet". C'est une position qui est très majoritaire au sein des Quinze mais qui n'est pas encore parfaitement unanime dans l'expression. Tout le monde est d'accord sur l'idée d'un volet politique, mais comment peut-on y arriver ? Est-il subordonné à quelque chose, ou au contraire est-ce que c'est le lancement d'un volet politique qui améliorerait la situation en matière de sécurité ? C'est vrai qu'il y a des discussions. Au sein du gouvernement israélien, ils ne sont pas d'accord entre eux non plus. Ce n'est pas tellement étonnant que pour les Quinze ce soit encore compliqué, que l'on ait encore besoin d'y travailler.
Q - Est-ce que le papier espagnol, est une mise en forme plus cohérente du papier de Caceres, ou bien il y a un plus ?
R - Pour le moment il n'y a pas de papier définitif. De toute façon, ce sont des moutures successives qui visent à photographier l'état des réflexions. Il n'y a pas quelque chose qui puisse être un papier communicable à d'autres. Si vous avez des "morceaux de papier", il faut vous en méfier parce qu'il y a tellement de moutures que vous ne savez pas trop sur quoi vous travaillez. C'est une matière mouvante. C'est une façon d'ordonner la réflexion, c'est tout. Mais, pour le moment, il n'y a pas d'accord sur ces points. Par exemple, M. Fischer disait il y a quelques jours : "Pourquoi pas un référendum ?". Mais je ne crois pas que lui-même soit tout à fait sûr de la façon et du moment de placer un référendum.
Il y a beaucoup de sujets. On est en train de faire quelque chose de neuf par rapport à il y a un mois ou deux. Et on débat à partir de nos idées politiques, pour voir si on est d'accord entre nous. C'est mieux que d'être dans la passivité ou dans l'absence d'idées des autres. Et cela reste compliqué, vraiment.
Q - L'exercice du stock d'idées n'a pas, à un moment donné, une limite ?
R - Oui, d'accord. Mais "Tenet et Mitchell", cela fait un an que c'est en place. Il ne se passe rien, on peut donc nous laisser un moment pour perfectionner nos éventuelles propositions.
Q - Le plan Tenet et le rapport Mitchell, dans quelle séquence est ce que cela doit précéder, aujourd'hui, dans votre esprit, la déclaration d'un Etat palestinien?
R - Tout dépend si vous demandez : du point de vue de l'Europe, de mon point de vue, du point de vue des protagonistes Du point de vue des protagonistes qui ont signé le rapport Mitchell, normalement, c'est un préalable à la suite. C'est la reconstitution d'une situation de sécurité qui permettrait d'aborder la suite. Nous avons toujours dit "très bien" s'il y arrivent, mais après il faudra réveiller une perspective politique. Cela a toujours été le point de vue français. Dans l'idéal, et si cela avait été possible, cela aurait été appliqué et on serait plus ou moins avancé dans le processus politique. Mais ce n'est pas le cas, on est au point zéro sur tous les plans. Il ne se passe rien, que la guerre. C'est une guerre. qui s'aggrave. Alors l'emboîtement entre différentes idées qui, de toute façon, ne sont appliquées ni les unes ni les autres, c'est une question un peu théorique.
C'est pour cela que, constatant que depuis longtemps il ne s'était rien passé à partir des conclusions Mitchell et Tenet, nous, Français, nous avons mis sur la table des propositions plus politiques. Il y en a eu d'autres aussi, allemandes, italiennes, etc. Et on débat de cela. On n'a pas encore trouvé la forme exacte parce que c'est compliqué, mais je trouve que c'est une discussion plus constructive. Patience.
Q - Depuis toutes les discussions de ces deux dernières semaines, est-ce qu'il faut toujours une initiative politique qui fasse pression sur les Israéliens et les Palestiniens ?
R - On n'est pas en mesure d'imposer tout ça. Ce que nous pouvons faire, nous Européens, c'est de réfléchir entre nous à ce qui pourrait être une approche politique qui a été abandonnée. Comme il y a beaucoup d'idées, on cherche à les articuler. C'est le travail dont je parlais tout à l'heure et qui doit se poursuivre. Après, on sait très bien que pour mettre en oeuvre une approche politique il faudrait que cela soit accepté par les protagonistes. A commencer par Ariel Sharon. Mais on en n'est pas là. On ne peut pas attendre passivement. Je reconnais que c'est difficile à décrire. Vous voudriez que cela soit plus commode de commenter les choses, si cela prenait une forme plus achevée. Avec un plan en six points qui serait communiqué demain matin... On n'en est pas là.
Q - Quand vous dites "on a encore du temps pour discuter", vous vous laissez combien de temps ?
R - On ne le prend pas, on ne l'a pas. Il se trouve que le sujet est tellement compliqué que cela nécessite encore du temps.
Q - Vous n'avez pas de date limite au-delà de laquelle...
R - Non. La vie n'est pas programmée comme ça. Il n'y a pas de date limite. Dans l'idéal, il faudrait pouvoir prendre des initiatives spectaculaires demain matin, pour sortir du piège dans lequel on est. Nous, les Européens, on est là, on a nos propres idées. Au fil des années, des analyses communes se renforcent, mais là on est quand même ambitieux. On cherche à bâtir un volet politique. Tout ce volet politique a disparu du processus. C'est à dire qu'il n'y a plus de processus. On cherche à le reconstituer. On avance des idées qui peuvent ne pas coïncider avec la tactique américaine, ni la tactique israélienne, ni même la tactique palestinienne. Il faut quand même avancer. Il faut essayer d'être nous-mêmes, c'est cela qu'on essaie de bâtir. Ne vous étonnez pas que cela ne soit pas si simple.
Q - Monsieur le Ministre, pour que le processus politique ait une chance de démarrer, il faudrait que les Palestiniens acceptent une des idées maîtresses dans ce processus, qui est la tenue d'élections. Pour le moment, ils sont encore très réticents ou très sceptiques.
R - Aucune des idées politiques, celle-là ou d'autres, mises en avant par les Européens, ne plaît à tout le monde. Aucune. Le plan Peres/Abou Ala ne plaît pas à tous les Israéliens, il ne plaît pas à tous les Palestiniens. C'est comme ça. On cherche. Vous connaissez très bien la situation.
Q - Vous cherchez le plan le plus consensuel pour les protagonistes ?
R - Non. Parce que si on cherche un plan totalement consensuel du côté des protagonistes, on ne va arriver à rien. Parce qu'on va être victimes des blocages qui font que, sur place, il ne se passe rien. On cherche quelque chose qui soit d'abord consensuel, mais ambitieux entre nous. On travaille aux formulations consensuelles à quinze, mais qui, en même temps aient de la densité, qui aillent loin. C'est pour cela qu'on s'y reprend à plusieurs fois. Mais on ne peut pas adopter un plan qui soit par avance consensuel. Si les protagonistes adoptaient un plan consensuel, on n'aurait pas besoin de nous.
Q - Quelles sont les perspectives que vous voyez pour l'envoi d'observateurs sur place ?
R - Pour les observateurs, pour le moment il n'y en a aucun, puisque Israël n'en veut pas. On ne peut envoyer des observateurs que chez des gens qui acceptent. Sinon ce ne sont pas des observateurs. Pour le moment, vous ne pouvez pas isoler un des morceaux de tout cela. Vous connaissez la situation par cur. Elle est bloquée, elle est tragique, elle se dégrade constamment. Cela ressemble de plus en plus à une vraie guerre et nous, les Européens, nous essayons de rebâtir une perspective politique, une espérance. D'abord, en nous mettant bien d'accord entre nous, en espérant convaincre les uns et les autres, en espérant que dans chaque camp nos idées redeviendront attractives et que l'on pourra peser dans le débat.
Q - Vos relations avec les Etats-Unis ne sont pas un peu tendues, parce qu'on a vu Colin Powell dire que vous-même vous aviez des "vapeurs"...
R - Ca, c'est autre chose. D'ailleurs je ne crois pas que la traduction soit très bonne. D'autre part, c'est un débat sur tout à fait autre chose. Ce n'est pas le débat sur le Proche-Orient.
Q - Je sais bien, mais enfin, ça situe l'ambiance...
R - Non. Dans les rapports franco américains il y a des moments comme ça, un peu électriques. Et surtout ce n'est pas un épisode franco-américain, c'est un épisode euro-américain. Il peut y avoir des moments comme ça et puis après on continue à se parler. Le débat des dernières semaines c'est la question sur unilatéralisme/multilatéralisme. C'est ça le fond du débat. L'autre débat c'est : est-ce que tous les problèmes du monde se ramènent à la seule lutte contre le terrorisme, ou pas ? Est-ce qu'il n'y a que cela ou alors est-ce qu'il y a cela mais aussi toute une série d'autres choses dont il faut également s'occuper. On peut être dans la même alliance et de temps en temps débattre quand même, mais je ne crois pas qu'il y ait un lien direct avec la question du Proche-Orient. Sur le Proche-Orient, je ne pense pas que Colin Powell puisse être gêné par les efforts européens. Lui-même essaie depuis des semaines, de maintenir la discussion avec M. Arafat. Il ne peut peut-être pas faire tout ce qu'il veut...
Q - Monsieur le Ministre, est ce que vous ne croyez pas que les Quinze devraient avoir une politique commune vis à vis de la nouvelle politique extérieure américaine, "l'axe du mal" ?
R - C'est une expression qui est un peu faite pour les Etats-Unis. On ne peut pas avoir une politique commune par rapport à un discours ou par rapport à une expression. On peut poursuivre notre travail pour élaborer une politique commune des Quinze sur des points particuliers, précis. C'est ce que l'on fait sur le Proche-Orient, sur d'autres sujets.
Q - Oui, mais les Américains sont en train de parler d'une éventuelle attaque contre l'Iraq...
R - Ca, c'est autre chose. Ce n'est pas l'axe, le fameux axe, où il y a trois pays. C'est la question de l'Iraq en particulier. Sur l'Iraq, on a une position qu'on pourrait d'ailleurs réexprimer à l'occasion, ça serait bien. Mais on a une position qui est très homogène entre Européens. Une position très simple qui est qu'il faut que Saddam Hussein applique les résolutions du Conseil de sécurité. C'est ce qu'il peut faire de mieux et il faudrait qu'il accepte le retour des inspecteurs des Nations unies sans entraves, et que les inspecteurs puissent travailler librement. Tout le monde est d'accord là-dessus.
Q - (Sur les sanctions à l'égard de l'Iraq)
R - On n'en est pas là. On a pas mal travaillé au Conseil de sécurité depuis que Colin Powell est là pour rendre les sanctions, comme il le disait lui-même, plus intelligentes. Dans le système de sanctions dites plus intelligentes, il y a l'allégement des contraintes que les sanctions font peser sur la société iraquienne, et il y a le renforcement des contrôles. Cela a toujours fait partie du même paquet, y compris pour nous. Tout ce que nous avons proposé, nous Français, au Conseil de sécurité depuis des années, ce sont les deux à la fois. On ne peut pas toujours chercher à faire en sorte que la société iraquienne ne souffre plus de cette situation, mais cela suppose une transparence, cela suppose des contrôles. Cela suppose que l'Iraq accepte ce que l'Iraq refuse depuis longtemps. Il n'y a pas de désaccord entre Européens là-dessus.
Q - Est-ce que vous comptez sur l'influence modératrice de Powell auprès de Bush ? Apparemment il s'est complètement aligné sur cette ligne-là, sur cette ligne dure. Où va-t-on maintenant ?
R - Sur quel point en particulier ?
Q - L'axe du mal. Les propos qu'il a tenus sur vous-même, sur M. Patten ?
R - Il ne faut pas accorder d'importance exagérée à cela. Il est sous pression, il est à l'Assemblée ou au Congrès, donc il se croit attaqué, il répond. C'est un échange viril entre amis. Il ne faut pas en tirer des leçons exagérées. Par contre, il y a une vraie discussion sur la lutte contre le terrorisme. Est-ce qu'il n'y a que la lutte contre le terrorisme que par des moyens militaires, ou est-ce que cela s'inscrit dans une approche plus large, qui est plutôt la nôtre en Europe, avec la lutte contre le terrorisme et aussi comment éradiquer les problèmes du monde ; et puis l'aspect militaire, mais aussi les autres aspects : politique, diplomatique, économique, etc... ça c'est un débat légitime. Il ne faut pas se focaliser sur des aspects un peu anecdotiques.
Q - Et sur l'Iraq, il paraît qu'il y avait eu consensus entre les Quinze, y compris la Grande-Bretagne.
R - Sur l'Iraq, je n'ai pas vérifié, puisqu'on n'en a pas parlé aujourd'hui. Mais je sais d'avance que tous les Quinze sont d'accord pour dire à Saddam Hussein qu'il doit laisser revenir les inspecteurs de l'ONU sans contrainte, et qu'ils puissent travailler librement. Tout le monde est d'accord là-dessus. Pour le reste, à ce stade, ce sont des spéculations. M. Powell insiste là-dessus.
Q - Apparemment, il y a une opération militaire qui se prépare aux Etats-Unis contre l'Iraq. La question des observateurs, c'est un prétexte...
R - Si Saddam Hussein n'avait pas expulsé les contrôleurs de l'ONU, il n'aurait pas fourni ce prétexte. Donc il est en faute par rapport aux résolutions du Conseil de sécurité. Il ne tient qu'à lui de les laisser revenir. Qu'il les laisse revenir. Et qu'il les laisse travailler librement.
Q - Pensez-vous que l'Iraq présent à la réunion à Istanbul venait pour y négocier un petit peu le retour des inspecteurs ?
R - Il n'y a pas à négocier. Il n'y a rien à négocier. L'Iraq doit laisser les inspecteurs de l'ONU travailler librement. Que voulez-vous qu'ils négocient ? Ils ont à se mettre en conformité avec les résolutions votées par tout le monde. Il n'y a aucun gouvernement arabe qui soit indulgent là-dessus. Ce n'est pas une position d'occidental, c'est une position globale.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 février 2002)
(Interview à des télévisions à Bruxelles, le 18 février 2002)
Q - Monsieur le Ministre, sur le Proche Orient, vous avez parlé de perspectives qui à votre avis sont lointaines, pour une éventuelle solution. Ne pensez-vous pas qu'une sanction économique sur Israël pourrait déjà faire avancer ce processus ?
R - Il ne faut pas réfléchir à des choses irréalistes, le problème ne se présente pas du tout comme cela. Il y a une situation de tragédie et je crois que ce qui est raisonnable, c'est de travailler pour que l'on redonne un contenu à la négociation politique. Cela pourrait se faire si les Israéliens constataient que la politique purement sécuritaire ne donne pas de résultat. Elle ne donne pas la solution politique, elle ne donne même pas la sécurité. Et du côté des Israéliens, du côté des Palestiniens, beaucoup de voix se font entendre pour que l'on réveille ce volet politique qui a été complètement abandonné depuis un an. C'est là-dessus que travaillent les Européens qui ont fait pas mal de propositions précisément politiques ces derniers temps. Nous pensons, qu'à un moment ou à un autre, il faudra bien reprendre cette négociation qui avait été lancée par le Processus d'Oslo depuis le début. Mais ce n'est pas en faisant pression sur les peuples qu'on obtient des renversements.
Il y a actuellement des pressions énormes de la part du gouvernement israélien sur le peuple palestinien, ce sont des sortes de sanctions. Qu'est-ce que cela produit ? Ca ne produit pas le fait que les Palestiniens changent leur position de fond, ils ne peuvent pas. Nous voulons réveiller la négociation politique qui a disparu pour le moment. Les Européens travaillent entre eux. Il y a eu beaucoup de propositions française, italienne, allemande et d'autres, que les Espagnols essaient de regrouper, de résumer pour que l'Europe fasse entendre une voix utile sur ce point.
Q - Est-ce que M. Sharon est d'accord avec cela ?
R - Personne n'est d'accord avec cela pour le moment, sinon cela serait déjà appliqué. Les Européens essaient de redonner corps à un volet politique qui a disparu depuis maintenant plus d'un an pour plusieurs raisons. Ce n'est pas l'approche du gouvernement israélien, ce n'est pas l'approche de beaucoup d'autres, mais nous cherchons à redonner corps à cela. Cela suppose un certain nombre de mouvements, de changements de la part du gouvernement israélien, de la part de l'Autorité palestinienne. Les Quinze l'ont dit à Laeken dans des déclarations très claires, quand nous avons fait la liste de ce que nous attendions des uns et des autres. Et nous essayons, nous Européens, d'être constructifs même si la situation est tragique.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 février 2002)